Le murmure des hakapiks – Roxanne Bouchard

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2021 (Libre Expression)
Genres :
Thriller, noir
Personnage principal :
Joaquin Moralès

Même s’il s’agit, officiellement, de la troisième enquête de Joaquin Moralès, il ne faut pas s’attendre à une enquête policière au sens classique du terme. Le lecteur doit être disposé à prendre son temps, à se laisser aller au plaisir de l’écriture, à profiter des atmosphères et des paysages gaspésiens, à observer les rudiments de la chasse aux phoques. Ça se lit comme un roman du terroir et presque comme une œuvre poétique.

Évidemment, il y aura un meurtre, des bons et des méchants. Mais ce n’était peut-être pas indispensable. Par contre, un double thriller caractérise le récit : en alternance, deux intrigues : une sorte de huis clos correspondant au chalutier de chasse aux phoques où est embarquée une agente de Pêches et Océans Canada au milieu de mâles chauvins agressifs, contrebandiers et peut-être trafiquants de drogues. Simone Lord doit se protéger contre ces hommes et eux-mêmes doivent lutter contre la tempête qui fait rage et les glaces qui risquent d’immobiliser et de détruire le bateau. Et, d’autre part, l’expédition de ski à laquelle participe Joaquin Moralès qui sera impliqué, plus ou moins malgré lui, dans le meurtre d’un jeune homme par un soi-disant partisan des Hell’s. Les temps sont durs pour Moralès qui s’habitue mal à son divorce, qui n’a pas de plaisir à s’épuiser dans son excursion de ski, et qui s’apercevra qu’il est peut-être épris de Simone Lord qui vit une aventure périlleuse sur le bateau des trafiquants.

Par la magie des communications traditionnelles et informatiques, Moralès s’efforcera de suivre et de relier les crimes qui se sont passés sur terre et sur le bateau.

Bouchard se contente de peu de personnages parce qu’elle tient à leur donner beaucoup de substance : autant dans l’entourage de Moralès, la jolie psychologue judiciaire Nadine Lauzon, que le bon ami de Joaquin, Érik Lefebvre, poursuit allègrement de ses assiduités, que sur le bateau où sont peints avec acuité le bon vieux capitaine Chevrier, le violeur et agressif McMurray, son compagnon l’hypocrite Carpentier, l’énigmatique Lapierre, et le pitoyable intoxiqué Marco Painchaud. Bouchard ne fait pas de la psychologie à deux cents, mais sa façon de comprendre en profondeur des personnages comme Moralès et Simone Lord, incapables de se compromettre dans leur vie émotive, nous renvoie à notre propre compréhension de nous-mêmes.

L’auteure ne pouvait pas non plus éviter de prendre position sur la chasse aux phoques, phénomène dramatisé sur les banquises par Brigitte Bardot elle-même il y a plusieurs années. En plus d’informations utiles qu’elle nous transmet, Bouchard nous invite à nous méfier des entreprises écologiques de tout crin car, là aussi, se cachent des fanatiques.

Loin de la rendre aveugle, l’amour que porte Roxanne Bouchard à la Gaspésie et aux Îles-de-la-Madeleine lui permet d’observer dans un paysage grandiose un mode de vie dur et gratifiant, un peuple accueillant, pourtant secret, dans lequel il n’est pas facile de s’intégrer.

Et la langue dans laquelle cette histoire est racontée suffirait à nous remplir de reconnaissance. Pour moi, c’est son roman le plus accompli.

Extrait :
Soudain, sans comprendre pourquoi, Simone regrette d’être montée à bord du Jean-Mathieu. Les mots de Bernard Chevrier remontent à la surface de sa mémoire, pêle-mêle. Il a parlé de se sentir trahi, enragé au point de prendre de mauvaises décisions, de s’embourber dans la colère. Il lui semble à présent qu’elle-même agit peut-être ainsi depuis longtemps. Elle obéit sans cesse à la rancœur et au défi : « Je vais leur prouver que je suis capable, leur en mettre plein la vue », des décisions tournées vers les autres qui la rendent malheureuse (…)
Son ami Érik Lefebvre avait raison, elle le reconnaît. Quand il a affirmé que Simone se comportait comme une première de classe. Qu’elle se donnait des devoirs. Qu’elle ne savait pas s’amuser.
Si elle n’avait choisi que pour elle-même, sans rage ni rancune, qu’est-ce qu’elle aurait fait ? Son regard file au-delà des glaces, se perd dans le lointain (…)
Elle voudrait être en apnée du monde, amoureuse, en apesanteur de la douleur.

L’hiver en Gaspésie

Niveau de satisfaction :
4.4 out of 5 stars (4,4 / 5)

 

 

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