Par Michel Dufour
Date de publication originale :
2021 (The Apollo Murders)
Date de publication française :
2021 (Libre Expression)
Traduction (anglais Canada) : Laurence Blais et Fanny Houle
Genre : Thriller
Personnage principal : Kazimieras Zemeckis, alias Kaz, contrôleur de vol
Si vous prévoyez être mis en quarantaine en allant à l’étranger ou en revenant au pays, c’est le roman que vous devez emporter avec vous : costaud (plus de 600 pages), instructif (vous apprendrez à parler russe ou à manœuvrer un vaisseau spatial), mystérieux ( difficile de prévoir les objectifs de chaque personnage), et sanglant (des adversaires doivent être éliminés définitivement). Ça se lit lentement d’autant plus que l’auteur opte pour une version assez réaliste, et c’est avec plaisir qu’on côtoie des personnages que l’actualité nous a déjà présentés : les présidents Nixon et Brejnev, le secrétaire général du parti communiste Iouri Andropov, les conseillers américains Kissinger et Haldeman, Schlesinger, directeur de la CIA, le général Phillips, directeur de la NSA, le Russe Tchelomeï qui conçut la station spatiale Almaz, la cosmonaute Svetlana Savitskaïa, et plusieurs autres. Bien sûr, les Russes sont pro-russes et les Américains pro-américains, mais ce n’est pas un James Bond et l’opposition ‘les bons vs les méchants’ ne convient vraiment pas. Même s’il est certain qu’au niveau de la conquête de l’espace, les deux grandes puissances s’espionnent continuellement.
Nous sommes en 1973. Les Russes ont déjà envoyé le robot Lunokhod sur la lune et mis en orbite la station spatiale d’espionnage Almaz. Les Américains préparent l’expédition d’Apollo 18 vers la lune après un petit détour pour saboter la station spatiale Almaz. À quelques jours du lancement, le commandant Tom Hoffman est tué dans ce qui semble être un accident. Il sera remplacé par le pilote Luke Hemming. Kaz est le contrôleur de vol, en liaison constante avec Gene Kranz le directeur de vol principal, l’armée, la NSA et la CIA, eux-mêmes en contact avec Nixon via Kissinger et Haldeman.
Le lancement a finalement lieu mais le sabotage d’Almaz ne tourne pas comme prévu : les Américains perdent un joueur (Luke) et gagnent une cosmonaute (Svetlana). Chad Miller le remplace, secondé par Michael Estale, pilote du module de commande. Apollo 18 poursuit sa route vers la lune. Les Russes chargent Chad de rapporter des roches radioactives repérées par Lunokhod. Svetlana découvre que Chad parle russe. Michael ne se doute de rien. Et, à la base, Kaz suspecte que quelque chose de bizarre se produit sur le vol et suit de près l’enquête sur la mort de Tom, qui ressemble de plus en plus à un meurtre.
La finale met en scène un croiseur et un sous-marin russes face à un navire américain anti-sous-marin, l’USS New Orleans, et à quelques hélicoptères chargés de commandos d’expérience. Encore quelques morts, mais je n’en dirai pas plus, sinon que, quelque temps plus tard, Kaz et sa bonne amie la géologue Laura, en se promenant lentement sur une plage tranquille, regarderont avec nostalgie la lune dans l’immensité du ciel parsemé d’étoiles.
C’est un roman immense, trop réaliste pour ressembler à Star Trek, Alien ou autres James Bond du même acabit. Moins haletant sans doute, mais poignant à cause d’un réalisme à toute épreuve. On est moins dans le domaine du probable que du possible. Évidemment, l’auteur n’est pas n’importe qui : le Canadien Chris Hadfield a été contrôleur de vol pour 25 missions de navette et directeur des opérations de la NASA en Russie. Plusieurs d’entre nous l’avons vu dans sa capsule, lors de son troisième vol dans l’espace, chanter le Space Oddity de David Bowie. Homme aux multiples talents, son premier thriller nous en met plein la vue.
Extrait :
– Monsieur le Président, notre nation célèbre aux côtés de la vôtre à l’occasion de ce succès conjoint de coopération, tandis que nous menons l’humanité vers l’exploration spatiale. L’équipe de soutien à Moscou souhaiterait également adresser quelques mots à la majore Gromova.
Lunokhod occupait dorénavant le ventre de l’écran.
Une multitude de cliquetis se firent entendre à mesure que les différents correspondants se joignaient à l’appel, puis la voix de Tchelomeï retentit haut et fort au milieu des interférences. L’interprète posté à Houston traduisit précipitamment au fil de son discours :
– Majore cosmonaute Gromova, ici le directeur Tchelomeï, du TSOUP. Nous saluons votre bravoure en tant que première humaine à explorer la lune au nom de l’URSS. Vous êtes une vraie pionnière soviétique et constituez un modèle pour nous tous.
– Merci, tovarichtch directeur, déclara humblement Svetlana.
Haldeman se retourna vers le président :
– Monsieur, ils ont introduit leur robot dans le champ de la caméra, cracha-t-il, sa voix trahissant son dégoût.
Les trois hommes autour du bureau s’inclinèrent tous vers l’écran pour constater ses dires.
Tchelomeï choisit ce moment pour asséner le coup de grâce :
– Après votre alunissage historique sur ce site de découverte soviétique, avec Lunokhod – qui arpentait la Lune depuis trois mois déjà– dressé directement derrière vous, sachez que votre nom rejoindra à jamais ceux de Gagarine, Terechkova et Leonov. Pozdravliaïem !
Niveau de satisfaction :
(4,6 / 5)