Par Michel Dufour
Date de publication originale : 2022 (Fides)
Genres : Aventure, thriller
Personnage principal : Matthew Callwood, constable, Police royale du Nord-Ouest
Village isolé, inhospitalier, au cœur de la forêt boréale, pas loin de la Baie d’Hudson : un homme accusé d’avoir tué sa femme et son enfant est en fuite, bien que personne ne semble le poursuivre parce que le territoire est hostile, les forêts peuplées d’ours et de loups, les lacs dissimulent des profondeurs inégales et les courants des rivières sont imprévisibles. Survient dans la région le jeune policier Matthew Callwood (24 ans), idéaliste aux bonnes intentions, bien éduqué mais les brevets universitaires ne servent à rien dans un contexte aussi sauvage. Et la fraternisation avec les Cris n’est pas facile parce qu’ils se méfient des policiers qui leur ont toujours été hostiles. Callwood aime les défis mais, rapidement dépaysé, démuni dans la mesure où son collègue est habitué à boire, à fricoter avec les trafiquants et à passer ses nuits avec la vaillante Fran, il cherche son salut dans la fuite en avant : partir à la recherche de l’assassin présumé.
Commencent alors pour Matthew de multiples aventures où le paysage, malgré sa beauté majestueuse, lui offrira une résistance qu’il n’aurait jamais imaginée. Vaincu par la faim, le froid, la neige, la glace, les marais et les moustiques assoiffés de sang, couché sous des tentes bancales ou des canots renversés, le jeune Matthew subira une formation à la dure pour laquelle il n’était pas préparé. Sa volonté et son entêtement lui permettent de vaincre bien des obstacles, mais l’expérience et l’intelligence du fugitif rendent sa capture quasiment impossible.
Le lecteur sort de là épuisé mais comblé par un épilogue étonnant et plaisant. Plusieurs personnages sont définis avec soin et pertinence. Même si on ne peut pas tout à fait se mettre dans la peau de Callwood, on le comprend et on a tendance à sympathiser avec lui. Mais c’est la toile de fond qui prend le devant de la scène : décor original, magnifique et dangereux, généreux mais menaçant. On est vraiment dans le milieu de nulle part et l’habileté de l’écrivain parvient à nous faire sentir cet isolement et la solitude de celui qui essaie d’y vivre. L’importance de ce décor, loin de rendre l’intrigue secondaire, sert, au contraire, à lui donner tout son sens. Et à comprendre que c’est vrai, au fond, que nous sommes tous des loups.
Extrait :
Les premiers jours sont charmants. Depuis des mois et des mois, il dort entre des hommes en sueur, il les entend pisser, ronfler, péter, il n’est jamais seul. Depuis des mois, il s’échine dans des canots exigus du matin jusqu’au soir en écoutant Harvey et Suchenko déblatérer comme des écoliers attardés. Depuis des mois, on le laisse tout décider. Quitte à le blâmer ensuite. Il ne se rendait pas compte à quel point tout cela l’usait. À présent, il a l’impression d’être en vacances. Le vent est tiède, sec, et fleure bon la résine d’épinette. Le ciel paraît léger, incroyablement élevé. La rivière, radieuse. Les berges sont couvertes d’atocas, d’airelles et de bleuets; il s’en gave à pleines poignées. Son premier bivouac l’enchante. Il replonge en enfance. Les étincelles qui fusent vers les étoiles. Le bruissement de l’eau. Le chuchotement des arbres. Le miaulement des castors, la nuit. Matthew plonge dans un sommeil de plomb et dort dix heures d’affilée. Au matin, le soleil est déjà haut quand il ouvre les yeux. Il prépare son déjeuner, prend tout son temps. Il a le sentiment d’avoir échappé à un étau terrible. Tout en sachant que ça ne durera pas. Peu importe. Aujourd’hui, il est libre. Il va gagner la côte, ne trouvera pas Corneau et, s’il a un peu de chance, arrivera vivant au premier poste de traite. Sinon, tant pis, il disparaîtra. C’est encore mieux que ce qui l’attendait à la Mission : le mensonge et le déshonneur à perpétuité.
Niveau de satisfaction :
(4,6 / 5)
Coup de cœur