Par Jacques Henry
Date de publication originale : 2010 (Calmann-Lévy)
Genres : Roman noir – Thriller sociologique
Personnages principaux : Alain Delambre, cadre au chômage
C’est Raymond Pédoussaut, qui a attiré mon attention sur Pierre Lemaitre, avec sa critique très favorable de Robe de marié. Cadres noirs, le troisième roman de cet auteur, est une belle découverte.
Au départ, un cadre au chômage, prêt à tout pour retrouver un emploi, après quatre ans d’espoir, puis de désespoir. L’occasion se présente: une grosse firme, dans le cadre d’un jeu de rôles destiné à sélectionner du personnel, retient sa candidature pour participer à une simulation de prise d’otages. Alain Delambre se prépare minitieusement, risquant tout ce qui lui reste pour se procurer un avantage à la prise de décision. Mais, le jour venu, tout dérape et commence pour lui une longue descente aux enfers, digne de Douglas Kennedy, suivie d’une lutte de David contre le Goliath que représente la grosse multinationale.
Le contexte, celui d’un cadre au chômage acculé, nous fait immédiatement penser à deux illustres prédécesseurs: Chasseur de têtes, de Michel Crespy (Grand prix de littérature policière 2001) et Le couperet, de Donald Westlake (porté à l’écran par Costa-Gavras). Mais Cadres noirs, sur des brisées similaires, suit sa propre logique. Le roman est divisé en trois parties: Avant, centré sur le travail de préparation de Delambre; Pendant, narré par Fontana, le méchant exécuteur des basses oeuvres de la multinationale; et Après, où l’on revient à Delambre pour l’accompagner dans sa mission quasi-suicidaire de survie.
Ce roman a des visées sociales. Il dénonce l’inhumanité des grosses entreprises et de leur département de RH, uniquement préoccupés de profits et d’image publique et prêts à toutes les manipulations pour parvenir à leurs fins, sans aucun égard pour les employés, qui ne sont que des pions sur un échiquier. Lemaître les varloppe avec une allégresse jubilatoire qui, pour être quelque peu convenue, n’est pas moins réjouissante.
Il démontre ensuite une grande maîtrise dans la façon de gérer à la fois la psychologie de ses personnages (qui tient du roman noir et de suspense) et la progression de l’intrigue (plus proche du thriller à la vitesse du TGV, surtout dans la dernière partie). Il y réussit en nous décrivant de façon poignante les états d’âme de Delambre (et notamment son amour désespéré pour sa femme et ses deux filles) mais en faisant l’impasse sur ses intentions, sur son plan de match qui, mélange de machiavélisme et d’improvisation, se dévoile au compte-gouttes. Bon, David, dans sa lutte titanesque contre Goliath, a besoin d’un ou deux coups de pouce de l’auteur, mais l’intrigue demeure rigoureusement ficelée, sans un poil qui dépasse. La finale douce-amère, morale sans être moralisante, est splendide, évitant à la fois l’écueil du rose bonbon hollywoodien et le noir déprimant. L’écriture, nerveuse et caustique, sans longueurs inutiles ou presque, sert fort bien ce bouquin que je vous recommande sans hésitation.
C'est le second livre que je lis de Pierre Lemaitre après Travail soigné. Dire qu'il m'a mis très mal à l'aise est un doux euphémisme. J'ai trouvé dans le personnage d'Alain Delambre tout ce que peux ressentir un cadre (que je suis moi même) dans sa situation même si je trouve parfois le trait exagéré.
Reconnaissons à l'auteur un savoir faire indéniable pour mener son intrigue car il nous embarque dans différents rebondissements sans qu'on s'y attende. Les autres personnages du livre sont bien décrits (les bons comme les méchants) avec une mention spéciale pour le PDG.
En résumé un bon polar qui sort des sentiers battus et un très bon auteur qui me donne envie de m'attaquer très bientôt au second volet de la trilogie Verhoeven "Alex".
Je trouve aussi que Pierre Lemaitre est un excellent auteur. La trilogie Verhoeven est très différente de ce Cadres noirs, c'est à la fois des enquêtes policières et des thrillers tendus.
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