Par Michel Dufour
Date de publication originale : 2012 (La courte échelle)
Genres : Enquête policière, thriller
Personnage principal : Sergente Judith Allison, Service de police régional d’Arthabaska
Certains de mes collègues ont un peu fait la fine bouche devant ce premier roman de Maureen Martineau. Et bien, je le dis d’emblée, c’est un roman que j’ai beaucoup aimé et l’auteure me paraît beaucoup plus prometteuse que bien d’autres, parce ses personnages sont psychologiquement pertinents, le milieu dans lequel ils évoluent n’a rien d’artificiel ou d’abstrait, et prolonge la personnalité des protagonistes, les dialogues sont aisés pour celle qui a écrit longtemps pour le théâtre, les sens de l’observation est subtilement utilisé, et la façon de mêler les cartes et de jouer sur les entrecroisements m’a fait penser à Nesbo et à Martin Michaud.
Maureen Martineau semble avoir toujours vécu dans le monde des lettres. Comédienne, metteure en scène, auteure dramatique pour le Théâtre Parminou, collectif engagé fondé dans les années 70, elle a utilisé son expérience de dialoguiste, de conteuse d’histoire, de femme engagée et de femme tout court pour concocter un ouvrage dans lequel ses amis doivent la reconnaître. Son roman n’est pas un divertissement innocent. La cure de romans scandinaves à laquelle elle s’est livrée depuis dix ans n’a pas été vain. Si une grosse partie de son temps et de son énergie passe maintenant au roman, et que la dimension sociale n’absorbe pas le jeu de l’intrigue, de ses détours et de son élucidation, nous n’avons pas fini d’être étonnés par la liberté de cette auteure.
Marie-Paule Provost a été abusée par un psychologue dans sa jeunesse. Pour se venger, étant donné que les recours juridiques ont été inopérants, elle écrit un roman à clés qui le dénoncera. Tuée dans un accident d’automobile, elle laisse son manuscrit à ses deux filles qui s’engagent à poursuivre son œuvre. Tandis que Alexandra, condamnée à la chaise roulante, suite à l’accident, continue d’écrire le roman, l’autre sœur, Nickie, se débrouille comme elle peut pour entretenir Alexandra dont les soins coûtent une fortune : trafic de marijuana, chantage… Ce n’est pas sans risque : d’une part, les Bad Ones, bande de motards criminalisés, n’apprécie pas sa concurrence; d’autre part, le professionnel qu’elle fait chanter compte bien s’en débarrasser.
L’amant de Nickie est retrouvé mort dans son congélateur!? Intervient la sergente Judith Allison, dont c’est la première grande cause, flanquée de collègues un peu jaloux et d’un chef-fonctionnaire plus intéressé par la rentabilité que par la criminalité; lui vient en aide, cependant, son ancienne professeure, la policière Denise Cormier, devenue détective, dont le parcours professionnel et les élans du cœur l’entraînent du côté de Judith. Lorsque Nickie disparaît, l’affaire se complique. Plusieurs sont soupçonnés de meurtre, mais on n’a pas de cadavre. Et pourquoi Denise ne remet-elle pas le roman à Judith, à qui il manque une grosse pièce du casse-tête?
Martineau ne nous ménage ni les détours ni les attentes. Mais on sent le piège se refermer inéluctablement sur l’ogre.
Intrigue captivante et personnages pourvus d’une bonne épaisseur. Je crois que, aussi étrange que ça paraisse, la sexualité a joué un rôle dans les réticences de certains lecteurs, surtout qu’on insiste sur la sexualité des femmes, dont on croyait encore il y a quelque temps qu’elles en étaient dépourvues. Et une policière qui se masturbe joyeusement! En plus d’une autre policière homosexuelle! Diable! Faudrait-il interdire ce roman aux moins de 18 ans? Et s’il y a de la sexualité, est-ce quand même un vrai polar, où circulent abondamment l’alcool et la drogue, mais le sexe! Martineau a répliqué que le comportement sexuel nous en apprend beaucoup sur un personnage.
De plus, le milieu rural et, en partie pauvre, où l’action se passe, met en scène des personnages louches, frustres, des adultes pourtant, pas des petits truands, une sorte de quotidienneté menaçante susceptible de rendre certains lecteurs plutôt inconfortables. On veut bien qu’un roman nous énerve, mais à condition que tout cela demeure en superficie. Martineau risque de nous insécuriser. C’est cela, entre autres, que je trouve prometteur.
A part quelque confusion (en tout cas, de ma part!) dans la description de l’accident de Marie-Paule pendant que Réjean fume une cigarette (p.15-16), qui m’a un peu énervé, craignant que l’auteure ne s’amuse à mélanger son lecteur par un processus artificiel d’écriture plutôt que par la complexité même du sujet, j’ai englouti cette petite brique en quelques heures, charmé par les paysages, séduit par les personnages. Quant à Judith Allison, incertaine, maladroite, un peu paranoïaque, qui veut tellement bien faire mais qui n’en a pas les moyens, parce qu’elle n’est qu’une débutante qui n’a pas encore fait ses preuves, et bien je l’aime quand même, parce qu’au lieu de faire ses crises et de se morfondre, elle prend conscience de ses limites et de la disproportion entre ce qu’elle souhaite et les moyens dont elle dispose. Et ça ne l’empêche ni de penser ni d’agir. On n’a pas le goût de la plaindre, plutôt de l’encourager.
Extrait :
Durant le trajet de retour vers Victoriaville, l’enquêtrice tenta de placer les nouvelles pièces du puzzle dans le portrait troué de la scène qu’ils essayaient de reconstituer depuis une dizaine de jours. Que faisait Nickie près de chez Luc Gariépy le dimanche de sa disparition? Avait-elle rendu visite à Julien? Si oui, ce dernier leur avait menti en affirmant ne plus l’avoir revue depuis le Rodéo Mécanic. Pourquoi? Dans quelle intention aurait-il dissimulé ce fait? Et Jocelyne Saint-Gelais? Était-elle mêlée d’une façon ou d’une autre à la disparition de l’adolescente? Judith avait de la misère à imaginer cette faible femme s’en prendre à qui que ce soit. Par contre, il n’était pas impossible qu’elle ait été témoin malgré elle d’agissements incriminants de son fils. Quelque chose d’important s’était passé entre 22h et minuit, ce soir-là. Quoi? Et avec qui? D’abord interroger le jeune homme, puis confronter la mère. Chaque minute comptait. Les suspects étaient sur les dents, fragiles. Il fallait travailler la pâte avant qu’elle durcisse.