Par Michel Dufour
Date de publication originale : 2015 (VLB)
Genres : Enquête, thriller politico-économique
Personnage principal : Judith Allison, enquêteuse
C’est le quatrième roman de Maureen Martineau, le troisième qui place au centre de l’enquête la sergente-détective Judith Allison, maintenant mère d’un jeune enfant et vivant avec son beau Matéo, du moins en principe, parce que les deux ne sont pas souvent à la maison.
Par une nuit fraîche du début novembre, une bombe éclate dans l’entrée de la Caisse populaire de Tingwick. Au milieu des flammes brûle un client, Aurèle Caron, qui venait de déposer un chèque de 46 000$ dans le guichet automatique. Si ce n’est pas lui qui a posé la bombe, c’est qui et pourquoi? Est-ce pour protester contre la fermeture de la Caisse populaire de Tingwick ? Et c’est quoi l’idée de déposer 46 000$ à 4h du matin ? Ce Caron n’est pas particulièrement noctambule; il n’est pas non plus fortuné. D’où venait cet argent? Et quel rapport, tout cela, avec une citation d’Alain Badiou dessinée sur le mur de la Caisse : « Nous sommes orphelins de l’idée de révolution. – A. B. » ?
Ça commence, donc, comme un crime qui s’apparenterait à une vigoureuse protestation contre la décision de fermer plusieurs Caisses populaires, dont celle de Tingwick. Sur cette hypothèse s’enligne une laborieuse enquête, d’entrevues stériles en entrevues frustrantes, comme cela doit se passer dans la réalité. Pour nous divertir de ce réalisme un peu pâle, l’auteure nous familiarise avec la grisaille qui colore les relations difficiles entre Judith et Matéo. On se sent comme dans le mouvement lento d’une symphonie; mais on sent, et on sait bien, que quelque chose d’énorme est à la veille de se passer. On se souvient, en effet, que le roman commence, en réalité, deux jours avant l’explosion, où se déroule une bizarre de scène : un type louche s’apprête à tirer sur quelqu’un qui se fait assommer par quelqu’un d’autre. Son gibier vient de lui être ravi.
Au milieu de la semaine d’enquête, on a établi que Caron avait été victime plutôt qu’instigateur de l’explosion, et que le graffiteur appartenait à un autre milieu, et devait être expérimenté en explosifs. Pourtant, c’est certain aussi que Caron en voulait aux Caisses populaires, du moins à leur président du conseil d’administration du centre financier de Trois-Rivières, Henri Roberge qui, incidemment, est disparu depuis la fin de semaine. En interrogeant son épouse, Judith se rend compte que Roberge oeuvrait à la mine de Danville où Caron avait aussi travaillé comme mineur. Roberge était directeur des ventes et avait négocié les primes de retraite quand la mine avait fermé. Voilà sans doute une piste intéressante.
Des problèmes internes aux forces de police viennent ralentir l’élan de Judith : la GRC est persuadée que l’explosion est liée au terrorisme international et revendique la responsabilité de l’enquête. Elle s’occupera de l’aspect explosion de la Caisse, pendant que Judith poursuivra la piste de la relation entre Caron et Roberge. À partir de maintenant, le rythme va s’accélérer et la complexité progresser. D’un crime banal, on passe à une sorte de complot international, où les rebondissements ne manqueront pas.
C’est vrai qu’on pourrait avoir l’impression que les cent premières pages traînent un peu en longueur dans une enquête morose à la Indridason. En réalité, Martineau affûte ses couteaux pour nous tailler, en contrepoint, un crescendo irrésistible vers une situation dramatique, dont on entend encore les échos aujourd’hui… Oups ! Je me suis échappé : Maureen Martineau est ici engagée dans une cause bien réelle; comme Judith, elle aussi est allée en Inde. De plus, elle collabore à l’ONG One Drop. S’il est vrai que les romans policiers engagés pour une cause contemporaine sont souvent faibles quant à l’énigme, l’enquête et le dénouement, ce n’est pas le cas ici où les pans de réalité socio-économique enrichissent, au contraire, la substance du récit.
Extrait :
Le jour de la Fête des morts, samedi 2 novembre 2013, 7h…
L’activiste souffle sur ses doigts pour les réchauffer. Une envie de pisser le tenaille. Alors qu’il se tourne sur le côté pour déboutonner sa braguette, une rafale soulève la neige en volutes et brouille l’horizon. Quand il reprend sa position de guet, sa cible est sortie de sa cache et pointe son propre fusil vers un jeune chevreuil, attiré par les pommes servies en guise d’appât. Le bruit d’un moteur fait fuir la bête.
Un pick-up Dodge, grugé par la rouille, approche en brinquebalant. Carabine à la main, un grand six pieds en sort. Sa casquette à l’effigie des Canadiens recouvre les longues mèches grises d’un homme pour qui l’apparence a cessé de compter. Jacob Lebleu est trop loin pour entendre leur conversation, mais les deux sexagénaires semblent se connaître.
Lorsqu’il voit le premier s’affaisser sous le coup de crosse du second, Lebleu jure. Son gibier vient de lui être ravi.