Par Michel Dufour
Date de publication originale : 2013 (Light of the world)
Date de publication française : 2016 (Payot et Rivages)
Genre : Thriller
Personnage principal : Dave Robicheaux
Ça fait longtemps qu’on m’enjoint de lire les romans de Burke, particulièrement la série des Dave Robicheaux, inspecteur cajun de Louisiane. Il en a écrit une vingtaine et Lumière du monde est son dernier (traduit). Burke, c’est tout un monde : géographiquement parlant, parce que nous sommes transportés dans le Montana, où il existe encore des plaines sauvages, des montagnes boisées dont le sommet est neigeux, des torrents furieux, une flore riche et des animaux qui se promènent en liberté, un ours par-ci, un puma par-là, des chèvres, des lapins…; comme Burke a les yeux d’un peintre et le vocabulaire d’un spécialiste de la faune et de la flore, il parvient à nous immerger dans ces paysages dépaysants pour un urbain. Tout un monde, psychologiquement aussi, parce que ses personnages sortent passablement de l’ordinaire : Robicheaux lui-même, d’abord, qui a connu les horreurs de la guerre (Viêt-Nam), dont l’épouse a été tuée, qui a sombré dans l’alcoolisme et qui va encore à des réunions de AA, qui tient à tuer (et, à la rigueur, faire souffrir) un violeur et mutilateur d’enfants et qui accompagne sa femme à la messe le dimanche; son vieil ami Clete, encore gros buveur et grand baiseur, très dur avec les criminels, pas diplomate pour deux sous (c’est le genre de gars dont on dit qu’il cherche le trouble), le cœur sur la main pourtant; sa fille, la jolie Gretchen, qui a travaillé comme tueuse à gage pour la mafia, violée quand elle avait six ans, expérience dont elle a gardé une certaine haine contre les hommes, qui n’ont pas intérêt à lui marcher sur les pieds; Alafair, la fille adoptée de Dave, journaliste et écrivaine, qui a interrogé en prison l’épouvantable Asa Surette, tueur en série et sadique au plus haut point; Alafair a publié des articles qui préconisait la peine de mort contre l’irrécupérable Surette, qui ne l’a pas oubliée; Surette lui-même, intelligent, machiavélique, impitoyable, et qui pue, signe distinctif qui trahit parfois sa présence.
Dave, qui raconte cette histoire avec réticence, sa famille et son ami Clete, que rejoindra sa fille Gretchen, passent l’été au Montana dans le ranch de son ami romancier et professeur d’anglais, Albert Hollister. En se promenant sur un chemin forestier, Alafair est frôlée par une flèche. Elle cherche en vain le tireur. Puis, des flics vulgaires et probablement ripoux arrêtent et maltraitent inutilement (sinon pour leur plaisir) l’original et plutôt solitaire Wyatt Dixon; Gretchen, choquée, cherche à s’interposer mais on se moque d’elle. Le policier Bill Pepper, quelque temps après, sera torturé, mutilé et tué. Au même moment, une jeune indienne de dix-sept ans, adoptée par le grand ponte du pétrole Love Younger, est enlevée et assassinée. C’est beaucoup d’événements étranges en peu de temps. Le shérif Bisbee enquête sur quelques suspects, mais Alafair croit reconnaître le modus operandi d’Asa Surette, sauf qu’il a supposément péri dans l’incendie d’un fourgon lors d’un transfert.
L’enquête déborde sur la propriété du millionnaire Younger : le fils Caspian, lâche et veule, est soupçonné de complicité avec Surette, du moins dans le meurtre de sa demi-sœur (question d’héritage), et son épouse Felicity tourne la tête de Clete qui risque de la perdre. Toutes ces situations menaçantes se superposent, et on comprend que la tension ne se relâche pas. Pour Dave, les vacances ne seront pas particulièrement reposantes, surtout à partir du moment où il partage l’idée de sa fille, à savoir que Surette n’est pas mort et cherche à la tuer.
C’est ça la force de ce roman : la tension ne se relâche pas. Les cibles sont nombreuses et interactives, au sens où la cible peut aisément devenir le chasseur et l’exécuteur. Comment démêler tout ça ?
On a dit que le roman était assez long; c’est exact, si on ne juge qu’en fonction de l’action proprement dite. Mais, comme dans les westerns, la peinture des paysages sauvages du Montana est séduisante; le monde intérieur de Dave est attachant; intéressants aussi, ces hommes durs « sans cesser d’être tendres », et ces jolies femmes bougrement vindicatives. James Lee Burke n’est à court ni de souffle ni d’imagination.
Extrait :
J’ai toujours aimé et accueilli avec plaisir la pluie, même si parfois les esprits des morts me visitent avec elle[1]. Quand j’étais enfant, durant l’été, quel que soit le temps, il y avait une averse presque chaque après-midi à trois heures. L’horizon au sud se remplissait de nuages de tempête ressemblant à des prunes trop mûres, et en quelques minutes on sentait le baromètre chuter, et on voyait les chênes prendre une teinte d’un vert plus sombre, et la lumière devenir couleur de cuivre. On sentait le sel dans le vent, et une odeur comme celle d’une pastèque éclatée sur un trottoir brûlant. Soudain, le vent changeait et les chênes s’animaient, des feuilles tourbillonnaient et la mousse espagnole s’ébouriffait sur les branches. Juste avant la première goutte de pluie, le Bayou Teche était ondulé par les brèmes montant se nourrir à la surface. Et moins d’une minute plus tard, la pluie tombait à seaux, et la surface du Teche scintillait d’un éclat d’un jaune brumeux qui évoquait la brume plus que la pluie.
Pour moi, la pluie a toujours été une amie. Je crois que c’est vrai pour presque tous les enfants. Ils semblent comprendre sa nature baptismale, la façon dont elle absout et lave et restaure la terre. Ce qu’il y a de plus merveilleux dans la pluie, c’est quand elle cesse. Au bout d’une demi-heure, le soleil ressortait, l’air était frais et vif, les belles-de-nuit s’ouvraient dans l’ombre, et le soir il y aurait un match de base-ball dans le parc municipal. La pluie participait d’un témoignage qui nous assurait que, d’une certaine façon, l’été était éternel, et que même l’arrivée de l’obscurité pouvait être tenue en lisière par les éclairs de chaleur brillant dans le ciel après que le soleil s’est couché.
[1] Pour Robicheaux, il s’agit ici d’une façon imagée de parler, pas de l’insertion d’une dimension spiritualiste dans le récit, même s’il est, par ailleurs, croyant.
Ma note : (4,5 / 5)