Par Michel Dufour
Date de publication originale : 2017 (Héliotrope Noir)
Genres : Enquête, poursuites, thriller
Personnage principal : Étienne Chénier, libraire et tueur
Les Éditions Héliotrope ont, en général, la main heureuse pour dépister de nouveaux auteurs de talent. C’est encore le cas avec Éric Forbes qui nous livre, avec Amqui, un roman captivant.
Étienne Chénier, libraire et meurtrier, est libéré de sa condamnation pour meurtre bien avant d’avoir fait son temps. Commence alors une série de meurtres qui éprouvent le milieu criminel et, bientôt, quelques hommes politiques. Chénier a beau dire qu’il ne tue que quand c’est nécessaire, pour lui c’est nécessaire souvent. De plus, il a un vieux compte à régler, et c’est ça qui va l’emmener à Amqui, dans la vallée de la Matapédia.
À ses trousses se bousculent les tueurs de la Gang de l’Est, affiliée à la mafia italienne, les policiers Denis Leblanc et Sophie Duguay du Service de Police de la Ville de Montréal (SPVM), un agent louche de la Gendarmerie Royale du Canada, et quelques hommes de main de magouilleurs politico-économiques d’Amqui. D’autres cadavres s’empileront donc.
La thématique n’est sans doute pas très originale, mais deux éléments nous séduisent particulièrement : d’abord, le personnage de Chénier : froid et impitoyable sans doute, mais capable d’un humour assez noir et qui accomplit son œuvre au nom d’une fatalité dont on pourrait le croire victime. Non pas qu’il se prenne pour une victime; en fait, peu d’introspection chez lui, le lecteur ne sait pas trop pour qui il se prend. Sinon pour quelqu’un qui a une tâche à accomplir et qui doit déblayer le terrain pour y arriver. Comme dit l’Église : « Qui veut la fin prend les moyens » ! On ne le trouve d’ailleurs ni sympathique, ni antipathique.
Ce qui nous mène au deuxième élément : l’écriture du roman ne sombre pas dans le psychologisme. Non seulement, Forbes a le sens du jeu et sème des petites énigmes un peu partout, comme la dernière image au bas d’une page de Tintin qui nous pousse à tourner la page, mais aussi il pratique systématiquement une écriture behavioriste (ou comportementaliste), rigoureusement antipsychologiste, qui insiste sur les comportements, les actes et les gestes, afin que le lecteur se retrouve directement au cœur de l’action, plutôt que de passer par la médiation d’un conte, une histoire qu’on nous raconte. Comme disait l’autre : « N’écrivez pas : il est triste, mais plutôt : il baisse la tête ». Bien avant de tomber sur le clin d’œil que Forbes lui fait à la dernière page de son roman, j’avais pensé tout naturellement à ce formidable écrivain qu’est Jean-Patrick Manchette (cf. le compte rendu du Petit bleu de la côte ouest ).
Forbes est lui-même libraire et collectionneur de polars. Les meilleurs ont su l’inspirer. Ce premier roman est, pour moi, un véritable coup sûr.
Extrait :
Il était donc 9 heures pile quand l’ex-libraire franchit la porte de service de l’hôpital. Dans un ascenseur empestant le gruau et le café froid, il hocha la tête à l’endroit de deux types ensommeillés, puis récidiva dans le couloir menant au poste des infirmières, au deuxième étage, où il s’informa du numéro de la chambre du bien-aimé chef de police de la ville d’Amqui.
Là, il buta sur un obstacle. Un obstacle permanenté et dépourvu d’humour.
− Vous êtes de la famille ? lui demanda une dame entre deux âges – tous les deux près de la retraite – affublée de lunettes trop grandes et d’un début de moustache.
− Oui.
− Quel lien ?
− Étroit.
Elle leva les yeux.
− Pardon ?
Il improvisa.
− C’est mon père.
− Vous avez une carte d’identité ?
− La ressemblance vous frappe pas ?
− Personne me frappe, moi, jeune homme, répliqua-t-elle en le fixant froidement.
Tu m’étonnes, songea Chénier.
− Quelle sorte de pièce d’identité ?
− Une pièce d’identité avec photo, ça pourrait faire l’affaire. Un permis de conduire par exemple.
− Désolé, mais je n’ai pas de permis de conduire. Si je reviens avec ma mère, ça pourrait aller ?
Elle haussa un sourcil, guère impressionnée.
− On verra.
Chénier s’éloigna du comptoir, puis se retourna.
− Au fait, il est ici, au deuxième? Demanda-t-il innocemment.
− Non, au troisième.
Ma note : (4,5 / 5)