Sharko – Franck Thilliez

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2017 (Fleuve noir)
Genres : Enquête, thriller
Personnages principaux : Franck Sharko et sa conjointe Lucie Henebelle, flics au Quai des Orfèvres

S’embarquer dans un Thilliez, c’est tout un contrat. Au rythme d’un roman par année depuis 2004, Thilliez produit des romans massifs bourrés d’informations scientifiques qui jouent un rôle essentiel dans le roman. L’aspect un peu scolaire de ces comptes rendus est tempéré par des enquêtes multiples aux rebondissements bien placés.

Dans Sharko, le sang est en vedette; on a parfois l’impression de lire un Senécal ou un Stephen King. C’est certain que le côté gore devrait émoustiller grand nombre de lecteurs mais, même si l’auteur compte peut-être un peu là-dessus, ce n’est pas l’essentiel. Pour ma part, l’aspect sanguinolent de l’histoire m’a peu attiré; ça ne m’a pas empêché de poursuivre ma lecture avec un intérêt certain.

Le début est accrocheur et manifeste déjà la maîtrise de l’auteur pour la composition d’un roman de ce genre : dans l’aquarium Océanopolis, un préposé aux requins incite ces violents prédateurs à le dévorer tout cru, comme si de rien n’était.

D’où un des trois grands problèmes qui constituent cette histoire quelque peu macabre : pourquoi cet individu paraissait-il si indifférent à son sort ?

Puis, la policière Lucie Henebelle, lieutenante à la brigade criminelle de Paris, abat un impitoyable tueur mais, comme elle était entrée chez lui sans mandat, elle risque une suspension plutôt que des félicitations. Le commandant Franck Sharko, son conjoint, entreprendra donc de maquiller ce crime pour lancer les enquêteurs, dont ils font partie, sur une fausse piste. Quelques indices risquent, cependant, de se retourner contre eux : parviendront-ils à s’en tirer ? C’est un suspense qui se poursuit jusqu’à la fin du récit.

Enfin, ce cadavre est celui de Julien Ramirez, bien connu des milieux policiers et psychiatriques, qui semble avoir torturé et exterminé au moins une quinzaine de victimes. Par plaisir sans doute, mais y aurait-il une autre raison ? Le lecteur sera ainsi entraîné dans une sombre histoire de vampires modernes (à la Hannibal), pas vraiment des créatures surréelles, mais une méchante gang de sadomasochistes regroupés dans une sorte de secte au service, sans le savoir, d’un projet machiavélique de contamination du genre humain, à côté duquel l’épisode de la vache folle fait figure de piètre précurseur.

C’est un roman attrayant par des facettes bien différentes : les amateurs de romans noirs à la Stephen King y trouveront leur compte; ceux qui aiment voir couler le sang, dans un contexte souvent sadomasochiste, un peu gore, l’apprécieront également; les amateurs d’enquêtes compliquées aux multiples rebondissements seront comblés; et ceux qui apprécient la dimension scientifique d’une histoire fournie par une recherche minutieuse obtiendront satisfaction.

Pour ma part, j’ai trouvé ça long, ardu, mais bien fait et assez envoûtant. Je n’en lirai pas un autre tout de suite, mais sûrement plus tard. Souvent les détectives principaux nous attirent. Sharko est la sixième enquête de Lucie et Franck; je les ai trouvés moins intéressants que leur collègue traumatisé et adepte de la coke, Nicolas Bellanger, méticuleux et acharné. Les angoisses et les réconciliations à l’eau de rose de Lucie et Franck sont de mauvais moments à passer, et ils passent d’ailleurs rapidement. Les autres personnages manquent de relief; je ne crois pas que ce soit trop important pour l’auteur. Thilliez est d’abord un chercheur, mais qui laisse une grande place à l’imagination. D’où la fascination qu’il exerce. Ses romans sont des romans d’auteur, un auteur remarquable.

Extrait :
Toujours avec cette même exquise lenteur, le soigneur ôta le gant de sa main gauche et s’entailla la paume avec générosité. Des arabesques pourpres ondulèrent dans l’eau. Alors que les vrais cris d’alerte et les propos incrédules se multipliaient (« C’est un spectacle ? » ou « Il s’est vraiment blessé ? »), la pression augmenta autour de Philippe et de son fils, désormais écrasés contre la vitre. L’enfant pleurait. Les gens s’amoncelaient, les nouveaux arrivants − ceux qui provenaient de la pièce adjacente − voulaient leur part du gâteau. Une femme oppressée se sentit mal et invectiva tous ceux qui piétinaient dans son dos. On s’écarta pour la laisser sortir.
Un signal, dans la tête de Philippe, lui ordonnait de fuir avant le point de non-retour, mais une autre force, un faisceau d’instincts primitifs plus forts, le paralysait. Un homme avec la main en sang, des requins autour : il devait connaître la suite. Le plongeur les rassura tous d’un signe clair, pouce et index joints en un cercle. Tout allait bien, il savait ce qu’il faisait, et il n’y avait aucun danger.

Niveau de satisfaction :
4.3 out of 5 stars (4,3 / 5)

 

 

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