La certitude des pierres – Jérôme Bonnetto

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2020 – Éditions Inculte
Genre : Roman noir
Personnage principal : Guillaume Levasseur, berger

Ségurian, village de montagne, quatre cents âmes, cent chasseurs.
C’est le jour de la Saint-Barthélémy, le 24 août, que Guillaume Levasseur rentre dans le village. Il vient pour monter une bergerie. Les habitants sont goguenards devant cette initiative : drôle d’idée ! La dernière bergerie avait fermé au moins quarante ans plus tôt. Mais ce costaud : 1,90 mètres, 100 kilos, est particulièrement déterminé. Un an après, à sa deuxième Saint-Barthélémy, la bergerie est  terminée, il installe ses premières bêtes, une cinquantaine de têtes. Et il ne participe pas à la fête du village. « Bouder la Saint-Barthélemy, ça ne se fait pas ». Ce berger dérange l’ordre des choses. D’autant plus que ses moutons sont sur le territoire de chasse. Entre les chasseurs et le berger les désaccords ne cessent de s’aggraver. Les membres de la société de chasse multiplient les incidents pour le contraindre à partir. Mais Guillaume est résolu à rester. La tension ne cesse de monter.

L’auteur nous montre une communauté ancrée dans les traditions, perturbée par l’arrivée d’un étranger. Même si ses parents habitent le village, lui c’est un étranger. Il arrive d’ailleurs, il n’a pas la même façon de vivre, pas les mêmes distractions, pas les mêmes rêves. Et en plus il est grand, robuste, beau et cultivé ce qui représente un danger supplémentaire. C’est ce que ressent tout de suite Joseph Anfosso, patron de l’entreprise de construction qui a bâti la moitié des maisons du village, il est aussi président de la société de chasse. C’est l’homme fort du village, il pressent qu’un rival se présente. Rien ne se fait sans les Anfosso à Ségurian. Bien que Guillaume se contente d’élever ses moutons sur son terrain, il est perçu comme un perturbateur, un empêcheur de chasser en rond. Un estranger, un hippie, un monsieur de la ville qu’on aimerait mépriser pour sa fainéantise et son incompétence. Mais voilà que ce type a monté sur son dos tout le matériel nécessaire à la construction et qu’il a édifié la bergerie tout seul, suscitant l’étonnement et presque l’admiration des habitants.  Mais il faut quand même le faire partir pour retrouver la sérénité et l’art de vivre d’ici : le plaisir de la chasse et les longues trinqueries du samedi soir.

Bonnetto n’a pas son pareil pour décrire les mesquineries, les lâchetés, les peurs et les angoisses des uns et des autres. Il y a le grossier effet de meute des chasseurs, bien sûr, mais plus subtil, il y a le chœur des femmes : des avis étaient débattus et des ordres susurrés aux oreilles des hommes. On les pilotait depuis ces vieilles chaises en paille tressée. Une tension grandissante s’installe, on est complètement happé par l’ambiance toxique du village. Ici ce n’est pas la loi du code civil qui s’applique, c’est une loi biblique, sans texte, sans police et sans juge qui a cours.
La Corse n’est jamais nommée mais on ne peut s’empêcher d’y penser. La sonorité des noms, le village perché, l’omerta, l’évoquent irrésistiblement.

C’est vraiment d’un œil acéré que tout est observé et retransmis par une écriture magnifique, intense et d’une redoutable efficacité. Un vrai régal !

Un auteur quasi inconnu et une maison d’édition pas des plus célèbres nous ont donné ce formidable roman noir d’une grande puissance. Une belle découverte vraiment !

Extrait :
Le berger avait jeté une mauvaise onction sur le village. C’était un gâcheur de fête, un empêcheur de tourner en rond, un perturbateur d’horizon, un branleur de situation. Il dérangeait l’ordre établi, il barbouillait les lignes, troublait l’air comme l’eau le pastis. Un mouton noir, c’était le mouton noir, un Boche, un Turc. Joseph voyait les Turcs revenir par un étrange jeu de morphisme sous les traits du berger. Il avait vu ça à la télé dans une série américaine, le don de certains êtres venus d’ailleurs de changer de visage pour mieux s’immiscer dans le monde et prendre le pouvoir. Mais Joseph voyait juste désormais, sa peau mate, ses yeux noirs : le berger était un Turc. Il fallait un sauveur, un Lascaris.

Des moutons à Ségurian ? Quelle drôle d’idée !

Niveau de satisfaction :
4.5 out of 5 stars (4,5 / 5)
Coup de cœur

 

 

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2 réponses à La certitude des pierres – Jérôme Bonnetto

  1. Ingannmic dit :

    Je suis ravie de l’avoir ajouté à ma PAL suite à un autre avis élogieux lu je ne sais plus où… !

    • Ray dit :

      L’auteur, Jérôme Bonnetto, n’est pas très connu, j’ai donc été très étonné de découvrir cette qualité d’écriture et la puissance de ce roman. Je pense que tu ne seras pas déçue.

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