L’assassinat de Socrate – Marcos Chicot

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2016
(El Asesinato de Socrates)

Date de publication française : 2018 (Plon)
Traduction : Santiago Artozqui
Genres : historique, thriller
Personnages principaux : Socrate – Persée – Cassandre, fille d’Euripide

Un autre gros bouquin, presque 700 pages, et pourtant je ne me suis pas ennuyé deux secondes. Quand on dit qu’un roman est long, ça signifie habituellement qu’on l’a trouvé long au sens où on pense qu’il aurait gagné à être raccourci. Mais il y des romans longs où on se complaît et dont on ne voudrait plus sortir. C’est le cas de cet Assassinat de Socrate, premier roman traduit en français de Marcos Chicot, né en 1971 à Madrid, qui en a écrit quelques autres à tendance historique, même s’il a été formé en psychologie et en économie.

Malgré le titre, ce n’est pas un polar. Plutôt une sorte de suspense, qui recouvre plusieurs thrillers secondaires mais pas anodins. Un suspense d’abord, parce qu’il nous faut comprendre pourquoi la Pythie de Delphes a confié à Chéréphon que « Socrate sera tué par l’homme au regard le plus clair »; on sait bien que la Pythie, toujours assez ambigüe, ne ment pourtant jamais; mais nous savons aussi comment Socrate est mort. Donc, il y a là un problème qui hante l’ensemble du récit, d’autant plus que cette déclaration coïncide avec la naissance de Persée qui a justement des yeux très clairs. Ce problème, toutefois, n’obsède pas le lecteur aux prises avec plusieurs autres drames dans lesquels sont empêtrés les principaux personnages, sans parler de la guerre du Péloponnèse aux multiples péripéties qui sert de théâtre au développement des intrigues : le récit de Chicot va de 437 à 399 avant Jésus-Christ, alors que la guerre s’étend de 431 à 404.

Le roman est principalement historique, mais plusieurs drames mortels le constituent : le violent et ambitieux spartiate Ariston finira-t-il par tuer Callicratès, le fils de sa femme et de son frère décédé ? Ou sa femme Deyanira parviendra-t-elle à tuer Ariston avant qu’il ne la tue elle-même ou son autre fils Persée ? Qu’adviendra-t-il des amours de Persée et de Cassandre, la fille d’Euripide ? Anytos et Eudora parviendront-ils à séquestrer Cassandre, et Anytos la possédera-t-il enfin ? Comment se termineront le conflit entre Anytos et Persée et celui entre Persée et Ariston ? Et qu’adviendra-t-il d’Alcibiade ? Puis, qui finira par l’emporter entre Sparte et Athènes, entre la ligue du Péloponnèse et la ligue de Délos ? Et, enfin, la prédiction de la Pythie se réalisera-t-elle ?

L’intrigue principale se divise donc en de multiples aventures singulières où foisonnent plusieurs personnages captivants, sans jamais que se relâche la cohérence de l’ensemble et sans qu’on s’y perde parmi les amis et les ennemis de Socrate, les généraux athéniens et spartiates, les hommes et les femmes qui parcourent la vie quotidienne de la Grèce à cette époque. Les assemblées de la démocratie athéniennes sont décrites avec autant d’attention que la formation guerrière des jeunes spartiates. Bien des passages émouvants mais, en même temps, une histoire dure (la peste, la faim), souvent cruelle (relations père/fils, mutilation des prisonniers de guerre, appels à l’extermination des Spartiates et des Athéniens. Histoire sans complaisance : nos études de jeunesse nous ont montré l’austérité et la violence des Spartiates, mais on se rend compte également que la démocratie grecque est très autoritaire (eu égard à ses colonies) et favorise le succès des démagogues et des grandes gueules. La population grecque, dans son ensemble, est aussi superstitieuse, irrationnelle et naïve. Pas surprenant que ceux qui sont loués par l’Assemblée aujourd’hui sont condamnés à mort demain.

Bien sûr, on a droit à quelques dialogues socratiques (sur la piété, la beauté, la justice, la mort), mais là n’est pas l’essentiel. C’est intéressant de le voir vieillir, épouser Xanthippe, chérir ses enfants, mais c’est loin d’être une biographie de Socrate. C’est dans l’existence même des Grecs que nous sommes immergés, et c’est avec eux que nous espérons, que nous rions et que nous pleurons. Cette lecture nous sort de nous-mêmes pour nous ramener au plus profond de nos tripes.

Bref, un roman intelligent, sensible, captivant.

Extrait :
« Quelle peine vais-je proposer pour m’être toujours refusé à commettre des injustices ? Pour avoir consacré ma vie à tenter de faire en sorte que les citoyens s’occupent plus de leur personne et moins de leurs possessions; pour n’avoir jamais fait partie d’une conspiration, une pratique si fréquente dans notre cité; pour avoir refusé de recourir à des méthodes indignes dans l’espoir d’obtenir l’acquittement ? (…) Que pourrais-je trouver juste pour un homme dont l’unique souci a été de vous exhorter pour votre propre bien ? Athéniens, le plus approprié serait sans doute de concéder à cet homme de se nourrir au Prytanée, comme vous l’accordez aux autres bienfaiteurs de la cité.
Que pourrais-je demander d’autre ? Si je suis convaincu de ne jamais avoir fait de mal à personne, comment pourrais-je proposer qu’on me punisse pour cela ? »

Niveau de satisfaction :
4.8 out of 5 stars (4,8 / 5)
Coup de cœur

 

 

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