Par Michel Dufour
Date de publication originale : 1998 (Libre expression) – 2001 (Alire)
Genres : Procédure policière, thriller
Personnages principaux : Julien Stifer, lieutenant à la SPCUM et Anémone Laurent son assistante
Le roman précédent de Bissonnette, Sanguine, m’avait révélé tout un monde et tout un auteur. Gueule d’ange a eu beaucoup de succès également, et c’est sûr que c’est un bon polar de type enquête policière, mais le coup de foudre ne dure qu’un temps.
On retrouve le Montréal du bas de la ville, sous le pont Jacques Cartier, de Amherst à Iberville, les parcs fréquentés par les itinérants, fugueurs et drogués, les abris délabrés qui servent de logis aux squatters, les boîtes de nuit peu fréquentées par nos lecteurs. Univers glauque aussi des travailleurs/travailleuses de rue, des piqueries et des sites d’échange de seringues. Bissonnette sait reconstituer des lieux louches et des atmosphères sordides. Et faire sentir l’agressivité accumulée chez ces marginaux contre les forces de l’ordre et la solitude désespérée des jeunes sans abri qui doivent accepter des initiations humiliantes et se livrer à des comportements avilissants pour avoir l’impression de faire partie de la gang.
Souvent les amateurs de polars historiques ont l’impression déculpabilisante d’apprendre en même temps qu’ils se divertissent. Comme si le divertissement en soi, l’imagination pure, le plaisir rapide d’un vin nouveau manquait de justification. Pour des raisons analogues, il arrive qu’un auteur d’un type de littérature longtemps dévalorisé éprouve aussi ce sentiment, se souhaite socialement plus utile, et je parierais que c’est le cas, cette fois-ci, du sympathique Jacques Bissonnette. Ce tableau d’un milieu décadent, en effet, est brossé avec une précision réaliste indiscutable, une véritable étude sociologique des jeunes en difficulté, à côté de laquelle les attitudes des policiers frisent parfois la caricature. Stifer ne travaille plus en lone ranger comme dans Sanguine et ses collaborateurs immédiats, Mancini et Bernard, sont très rapidement esquissés, tandis que les autres membres de l’escouade (figures classiques de l’ambitieux, du violent, de l’antipathique…) servent de faire-valoir aux bons policiers. La nouvelle-venue Anémone Laurent, diplômée en criminologie juvénile, doit se tailler une place dans ce monde d’hommes, ce qui n’est pas facile, on s’en doute, pour une jeune femme aussi fragile que son chef est bourru. Stifer est, d’ailleurs, moins sympathique ici que dans Sanguine, comme si l’auteur avait voulu accentuer le contraste avec la bienveillante Anémone. L’enquête est, d’autre part, assez laborieuse et, sans doute pour que nous comprenions qu’ils doivent faire vite avant que la jeune Dahlia ne connaisse le même sort que ses deux amies, Stifer et Anémone ne brillent pas toujours par leur intelligence ou par leur prudence, ce qui pourrait bien passer dans un thriller épique, mais s’avère moins crédible dans une œuvre plus réaliste.
Un commentateur notait que ce roman pouvait être utile pour les parents : tout tourne autour de deux fugueuses assassinées et d’une troisième qui risque de l’être, empêtrées dans un milieu misérable et violent. Anémone distribue, discrètement mais sûrement, ses conseils aux jeunes filles et aux parents. On se croirait parfois dans un roman de Chrystine Brouillet, celle de Double disparition. Ce qui n’est pas un reproche mais une indication : ça ressemble parfois à un un polar pédagogique.
Ces réserves mises à part, c’est bien écrit et bien composé. Un vrai documentaire qui ne manque pas d’intérêt. Mais j’ai préféré la dimension insolente de Sanguine à l’aspect pathétique de Gueule d’ange.