Par Raymond Pédoussaut
Date de publication originale : 2016 (La Manufacture de livres)
Genre : Roman noir
Personnages principaux : Laure Brenon, belle jeune femme – Antoine, son grand-père.
Laure Brenon est inconsolable. Son grand-père, Antoine, vient de mourir. C’est lui et sa femme, Teodora, qui l’ont élevée. Ses parents étaient forains, toujours par monts et par vaux, ils ne pouvaient pas s’occuper de la petite alors ils l’ont laissée à ses grands-parents chez qui elle se plaisait. Une relation de forte complicité s’est instaurée entre le vieil homme et sa petite-fille. Maintenant que son Gp est mort, Laure pleure toutes les larmes de son corps. Son mari, Ferrans, un homme plus âgé qu’elle, qui a deux filles d’un premier mariage, juge qu’il faut lui changer les idées. Un bon séjour à la neige, lui sera profitable. Voilà donc la famille recomposée partie en 4×4 Porsche Cayenne : le mari, ses deux filles et sa nouvelle femme. Direction les Cévennes, pas trop loin. Arrivés à destination, pas de neige mais un froid sibérien, inhabituel dans la région. L’Auberge du Bonheur, où ils logent est non seulement très laide, mais elle ne possède pas de wifi, les téléphones portables n’ont pas de réseau et même le fixe est en panne ! Ferrans, qui décide toujours de tout, promet la neige et que tout va s’arranger. La neige ne viendra pas, d’autres événements moins attendus vont venir meubler ces vacances qui devaient remonter le moral de Laure.
La narration alterne les aventures de la famille recomposée dans ses vacances Cévenoles et l’histoire du grand-père Antoine. La vie d’Antoine a été riche. Né en Espagne, à quinze ans il a été enrôlé par sa mère, une bouche de moins à nourrir pour elle, dans les milices républicaines qui combattaient les fascistes. Réfugié en France, il est passé par les camps de d’Argelès et de Bram avant de s’établir dans l’Aude où il s’est occupé de Laure. Il a connu un grand et unique amour dans sa vie.
Quant aux vacances familiales à la neige pour faire du ski et des raquettes, sans neige le plan est foireux. En plus le ciel est gris, le paysage triste, le froid intense et l’auberge vraiment moche. Dans ce décor le moral de Laure ne s’améliore pas. Elle ne dort pas du tout et pleure tout le temps. Ferrans, qui commence à s’inquiéter, décrète qu’elle doit consulter le médecin local. Peut être pas la meilleure idée qui soit.
C’est avec une ironie mordante que l’auteure observe le comportement de ces citadins raffinés, habitués au confort et aux commodités, maintenant confrontés à un milieu rustique auquel ils ne sont pas du tout adaptés. Concernant la nourriture par exemple : « Ils n’avaient pas l’habitude de ce pain à la mie compacte, de ces plats en sauce, et de ces charcuteries à l’odeur de sous-bois. En ville, ils ne consomment que des salades sans calories, légères et colorées. » En peu de mots on comprend le décalage existant entre les personnages et l’environnement. C’est souvent jubilatoire.
L’évolution de l’intrigue nous réserve de belles surprises. Dans la partie finale l’arrivée au premier plan d’un personnage, présent depuis le début, mais resté dans l’ombre, chamboule complètement l’ordre des choses. Alors que dans son livre précédent, Gran Madam’s, Anne Bourrel, secouait d’entrée le lecteur avec le récit d’une passe vécue par la prostituée Bégonia, dans ce roman c’est la fin inattendue qui estomaque le lecteur.
L’hérédité, les liens de sang, l’histoire familiale, sont les thèmes abordés. Anne Bourrel les traite à sa façon, tout à fait particulière. On le comprend d’entrée par la phrase mise en exergue : « La vie, c’est le bordel, personne n’y comprend rien ». Le titre, L’invention de la neige, évoque cette belle couche superficielle, immaculée, qui enjolive l’histoire des familles en recouvrant la boue des secrets sordides. Jusqu’à ce que la neige fonde.
Ce livre est un roman noir, ce qui n’empêche pas l’émotion d’être présente, notamment quand Laure raconte la mort de son grand-père. C’en est même bouleversant.
L’invention de la neige est un roman parfaitement abouti : une intrigue solide, un sens de l’observation aigu, une ironie incisive, une écriture sobre et percutante. Un de ces beaux romans noirs qui enchantent les amateurs du genre.
Extrait :
La dernière fois que je l’ai vu, le vieil homme m’avait dit ce qu’il pensait de la vie, qu’il n’y avait aucune logique ni aucun sens, que jamais personne n’y comprenait rien. La vie c’est le bordel, il disait. Je suis rentrée chez moi avec cette phrase-là dans la tête, la vie, c’est le bordel, sans pouvoir décider si elle m’attristait, ou si au contraire elle ouvrait devant moi tout le champ des possibles. Je naviguais entre les deux. La vie, c’est le bordel.
– C’est un précieux héritage que cette phrase-là, a remarqué Ali sans rire.
Prise par son récit, Laure ne pleurait pas. C’était la première fois depuis la mort d’Antoine qu’elle parvenait à parler de lui. Et qu’elle ne pleurait pas. Les larmes coulaient à l’intérieur, rivière souterraine qui désormais, pour toujours l’habiterait.
Ma note : (4,5 / 5)
Coup de cœur