Par Michel Dufour
Date de publication originale : 2002 (Una brutta faccenda)
Date de publication française : 2016 (Éd. Philippe Rey)
Traduction : Nathalie Bauer
Genre : Enquête policière
Personnages principaux : Commissaire Bordelli
Comme promis, voici le deuxième Vichi traduit en français. Toujours à Florence et toujours avec le commissaire Bordelli. L’action du premier (Le commissaire Bordelli) se passait en 1963; celui-ci en 64. Le Sarde Piras accompagne Bordelli dans ses enquêtes, et le brave Mugnai continue d’aller chercher cafés ou bières. Le légiste silencieux Diotivede est toujours au poste. Vichi insiste moins, cependant, sur les collègues policiers de Bordelli que sur des gentils délinquants (ou petits bandits) qu’il a déjà interceptés dans leur fonction, traités avec magnanimité, et qui lui rendent service à l’occasion : comment crocheter une serrure, comment entrer en contact avec Untel ou mettre à jour des informations… Dans un autre contexte, américain par exemple, on les appellerait des indicateurs; mais Bordelli les traite plutôt comme des copains : l’ancienne prostituée Rosa qui lui remonte le moral avec massages et cognac; le voleur de haute voltige, Botta, qui est devenu un grand chef en fréquentant toutes les prisons du monde; le cambrioleur malchanceux, Canapini, entré par effraction chez Rosa, surpris par Bordelli dont il ignorait, confus, qu’elle était son amie, chargé par le commissaire d’arroser ses plantes et refusant la clé de peur de la perdre !
Casimiro est un de ceux-là qui bénéficient d’un soutien financier de Bordelli en échange de quelque service. Notre histoire commence alors qu’il arrive en trombe au commissariat et confie à Bordelli qu’il vient de tomber, par hasard, sur un cadavre, alors qu’il se promenait autour d’une villa près de Fiesole. Ils s’y rendent immédiatement. Au lieu d’un cadavre, c’est un doberman bien vivant qui bondit sur eux, rapidement abattu pas le commissaire.
Cherchant à interpréter ce qui s’est produit, Casimiro retourne sur les lieux et disparaît. C’est le premier problème que Bordelli s’efforcera d’élucider. À Florence même, deux fillettes disparaissent et sont retrouvées étranglées et mordues au ventre. Deux autres suivront : longtemps privé d’indices, le commissaire est démoralisé, Piras est furieux et Diotivede, dont une nièce de six ans qu’il aimait a été autrefois écrasée par un camion, est dégoûté par ces meurtres d’enfants et exhorte Bordelli à trouver l’assassin. Ces morts extrêmes et injustes, pourrait-on dire, entraînent des réactions qui nous permettent de mieux comprendre l’entourage de Bordelli. Acharnement et un certain hasard permettront à Bordelli de relier les enquêtes et de régler les deux problèmes.
C’est vraiment Bordelli qui est au centre du récit, mais comme un homme ordinaire, un antihéros, esclave de la cigarette, souvent accablé, malhabile ou malchanceux avec les femmes, hanté par la guerre où il a perdu bien des hommes : des souvenirs remontent souvent à la surface malgré lui. On s’attache moins à lui personnellement qu’à sa vie avec les amis, à son milieu, sa trattoria préférée et sa relation avec Toto le chef. C’est un polar d’atmosphère où la pluie est trop généreuse mais s’accorde bien avec le côté nostalgique du commissaire. Le rythme est, sans doute, un peu lent, mais ce n’est pas grave parce qu’on se plaît à errer dans cette ambiance.
Si seulement Rosa pouvait cesser de l’appeler « mon gros singe » !
Extrait :
À la trattoria Da Cesare, Bordelli salua Toto et s’effondra sur son tabouret habituel. Il ne parvenait pas à chasser de son esprit l’image de la fillette étendue au sol.
« Que vous arrive-t-il, commissaire ? Vous avez une de ces têtes… lui lança Toto en se dirigeant vers lui, une louche à la main.
– Je suis juste un peu fatigué, répondit Bordelli, sachant que la nouvelle n’avait pas encore circulé.
– Dites-moi que vous avez faim.
– Sers-moi ce que tu veux, Toto. Je n’ai pas envie de choisir.
– Ne vous inquiétez pas. Je vais vous remettre sur pied. »
Le cuisinier s’affaira autour de ses fourneaux et revint avec une assiette fumante, remplie de poulet et d’artichauts frits, une de ses spécialités.
Tandis que son client se versait un verre de vin et entamait son plat, Toto se mit à discourir avec sa loquacité habituelle de politique et de sentiments sur fond de friture, sans ralentir le rythme de son travail. Cet homme ignare savait saisir l’essence des choses d’une manière bien à lui (…)
Bordelli écouta avec plaisir Toto deviser tous azimuts, des vendettas de son village à la recette du porc au myrte.
« Un café, commissaire ?
– Fais-le-moi bien noir. Je me suis goinfré comme un ogre.
– Alors il vous faut aussi une bonne petite liqueur, dit Toto qui prit une bouteille sur l’étagère.
– Tu me raccourcis la vie, mon ami.
– Non, je vous l’adoucis…
– Toujours le même dilemme à la con. »
Niveau de satisfaction :
(4,2 / 5)