Freeman – Roy Braverman

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2020
(Hugo Thriller)

Genres : Enquête, thriller
Personnages principaux : Zacharie Beauregard, Douglas Howard, police de la Nouvelle-Orléans (NOPD)

On le connaît surtout sous le nom d’Ian Manook, que nous a fait connaître sa trilogie mongole (Yeruldegger, Les Temps sauvages et La Mort nomade, de 2013 à 2016). En réalité, il s’agit d’un romancier français qui s’appelle Patrick Manoukian et qui a choisi le surnom de Roy Braverman pour écrire la trilogie de Freeman : Hunter (2018), Crow (2019) et Freeman (2020). Avant de tâter le Droit et la Science Politique à la Sorbonne, Manoukian a fait du stop au Canada et aux États-Unis, alors qu’il n’avait que 18 ans. Puis, il travaille comme journaliste et voyage en Islande, au Bélize et au Brésil. D’où son agence d’édition de livres de voyage en 1987; Il n’avait pas alors encore 40 ans. De 2003 à 2011, il publiera quelques bandes dessinées et deviendra écrivain en 2013.

Même si Freeman est le troisième tome d’une trilogie, il peut se lire indépendamment des deux autres romans. Ce roman reflète la complexité et la richesse de son auteur : descriptions précises de la faune et de la flore des bayous de la Nouvelle-Orléans, grâce à un vocabulaire étendu et à une connaissance méticuleuse des fleurs, des oiseaux et des alligators. Des commentateurs y ont vu tout ce qu’il fallait pour tourner un film : tellement précis et coloré qu’on est comme happé par le paysage. Ça commence par un ouragan qui frappe Patterson, quelque peu à l’ouest de la Nouvelle-Orléans : on a l’impression que le vent nous défrise, que nos oreilles bourdonnent et qu’on respire les odeurs de terre mouillée à plein nez, tandis que la fureur de la pluie nous menace de ses hallebardes. Puis, de l’autre côté du pont, on retrouve la Nouvelle-Orléans de James Lee Burke, baignant dans un air de fête qui dissimule mal la ville peut-être la plus corrompue des États-Unis, au taux de criminalité très élevé, et où dominent les jeux, la prostitution, la drogue, la violence, protégés par une justice corrompue et gérés par une mafia impitoyable, royaume de l’énorme Sobchack. L’écriture de Braverman est si étourdissante qu’on saute presque les passages d’action pour se repaître des images et des mots de l’auteur.

On pourrait croire après ça que l’intrigue est négligée. Ce n’est pas le cas. Car, là encore, on est bien servi et presque dérouté. Pendant l’ouragan, l’affreux et effrayant Sobchack est soulagé de deux millions de dollars, dissimulés dans un coffre inviolable (ou presque, faut croire), dans sa résidence du type château fort, gardée par des caméras et des sbires intraitables. Qui a osé s’y aventurer ! De l’autre côté de la rive, l’ex-policier Freeman, qui cherche à empêcher sa maison de partir au vent, est témoin d’une partie des événements qui se passent dans le domaine de son voisin Sobchack. L’œil de la tempête succède à la première vague; au cours des deux heures de grâces, un étrange Arménien vient remettre à Freeman un million et demi de dollars, moins sa commission. D’où sort cet argent ? Et Sobchack aurait-il raison de croire que ça a un rapport avec le vol dont il a été victime ? Quoi qu’il en soit, il veut mettre la main dessus. Freeman a beau dire qu’il a été lui-même volé, les morts commencent à se multiplier dans son entourage.

Quel est le rapport entre ces incidents et le fait qu’un jeune noir de douze ans a été « exécuté d’une balle dans le cul » ? Deux flics de la Nouvelle-Orléans enquêtent sur ce meurtre : Zach Beauregard, qui passe la plus grande partie de son temps au chevet de sa femme, qui est sur le point de mourir; et Douglas Howard qui, depuis un an, recherche désespérément son jeune frère disparu. Drôle de duo, des durs au cœur tendre, efficaces malgré leurs dissemblances. Howard tombera plus ou moins en amour avec Louise, la fille de Freeman qui a été séquestrée pendant quatorze ans. D’où le lien éventuel entre Howard et Freeman, détecté et utilisé par Sobchack pour mettre la main sur l’argent de Freeman. Qu’adviendra-t-il de l’affrontement entre le méchant Sobchack et le bon Freeman ? Et où est donc passé l’argent de Sobchack et celui de Freeman ?

Environnement réaliste réussi, intrigue d’une complexité mystérieuse et fascinante. À ces deux atouts s’ajoute un troisième ingrédient décisif : des personnages hauts en couleurs, même dans des rôles secondaires : le chef Martineau et son inépuisable Dr Pepper; la touchante Molly, la femme de Zach; la tendre et écorchée Louise, la fille de Freeman; et l’inoubliable arménien Gaïzag Mardirossian (Mardiros), qui sort on ne sait d’où, disparaît soudain et réapparaît aux moments opportuns, armé de son révolver, de sa philosophie et de ses proverbes du genre : «Si tu coupes les oreilles à un âne, tu n’en feras pas un cheval!»

Bref, on s’attendait à lire un auteur, et on trouve un homme exceptionnel qui parvient à nous communiquer son sens des atmosphères, sa culture multiforme et son pari que la vie heureuse peut jaillir des boues glauques et puantes des bayous.

Extrait :
Il n’a pas le choix. C’est aujourd’hui ou jamais. Mais l’homme cagoulé n’a pas anticipé une telle violence. L’ouragan se déchaîne. Les bourrasques défoncent et emportent jusque sous le ciel noir tout ce qu’elles déchirent. Les traits de pluie, glacés et violents, fouettés par le vent, le cinglent comme autant de lanières. La pelouse est jonchée de projectiles hétéroclites qui retombent lourdement du ciel. Il pleut des barques, des barbecues, des poubelles. Des lampadaires. Des remorques. Tout ce que l’ouragan arrache sur l’autre côté du bayou Teche, il le crache sur cette pelouse. Une baignoire se fiche dans un parterre de géraniums, à deux mètres à peine de l’homme qui sursaute. Il reprend son souffle (…). Deux bidets fracassent leur porcelaine sur le mur en face de lui. Il se protège la tête dans ses bras contre les éclats qui fusent. C’est en se retournant pour voir à quoi d’autre s’attendre qu’il aperçoit l’alligator. Un monstre de quatre bons mètres. Trois cent cinquante kilos de fausse pesanteur préhistorique. Caparaçonné d’une armure d’écailles cornées et de plaques osseuses. Le crâne incrusté de coquillages. La plus puissante mâchoire sur Terre. Quinze fois celle d’un rottweiler.

Les bayous de Nouvelle-Orléans

 Niveau de satisfaction :
4.7 out of 5 stars (4,7 / 5)
et coup de cœur

 

 

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