Par Raymond Pédoussaut
Date de publication originale : 2012 (Gallimard série noire)
Genres : Historique, Roman noir, Thriller
Personnages principaux : Jana, jeune femme mapuche et sculptrice – Rubén Calderón détective à Buenos Aires
Jana est une jeune femme Mapuche, peuple autochtone de la pampa argentine, décimé par les guerres de pacification. Elle est sculptrice, son atelier est situé dans une friche de Buenos Aires. Son ami(e) Paula, un travesti, s’inquiète de la disparition de Luz, un autre travesti avec qui il se prostituait sur les docks. Rubén Calderón est détective. Il recherche des disparus, il collabore souvent avec les Mères de la place de Mai pour retrouver les traces des enfants disparus pendant la dictature. Il enquête sur la disparition d’une photographe, fille d’un homme d’affaire influent. Jana n’a pas du tout confiance à la police qui est restée infiltrée par des nervis, tortionnaires de l’ancien pouvoir. Elle va trouver Rubén pour lui demander de rechercher le traverti Luz. Dans un premier temps Rubén refuse. Mais quand il constate que les disparitions de la fille de l’homme d’affaire et du traverti sont liées, il va faire équipe avec Jana pour mener l’enquête. Et le passé de l’ancienne dictature va ressurgir, notamment celui des bébés volés confiés à des notables proches de l’ancien pouvoir.
Ce livre en apprendra beaucoup sur l’histoire de la dictature militaire en Argentine, de 1976 à 1983, à ceux qui ne la connaissent pas. Les missions de purification qui terrorisaient la population avec enlèvement des personnes jugées subversives qui étaient ensuite torturées dans des Centres de Traitement. 340 de ces centres existaient dans le pays. L’ESMA, l’Ecole supérieure de mécanique de la marine est le plus tristement célèbre. Ses sous-sols étaient de véritables usines de mort dans lesquelles on torturait et assassinait. Situé à proximité des stades de Buenos Aires où se jouaient les matches de la coupe du monde de football de 1978, dans la liesse populaire, avec l’absolution de la communauté internationale qui ne tenait pas à gâcher le Mundial. On enlevait des bébés de gens de classe modeste pour les confier à des couples stériles proches du pouvoir, on fabriquait de faux document et le plus souvent on faisait disparaître les vrais parents. Les bébés étaient confiés à des parents adoptifs, les Apropiadors. Les listes d’attente étaient longues et les passe-droits de mise. Les Mères de la place de Mai, un lange de bébé sur la tête, comme symbole de leurs enfants volés, défiaient ouvertement le pouvoir. Le haut clergé de l’Eglise catholique, quand il ne collaborait pas ouvertement avec les tortionnaires, regardait pudiquement ailleurs. C’est de qui a valu au nouveau pape François quelques questions sur son attitude d’alors.
Le grand mérite de Caryl Férey est de faire ressurgir tous ces évènements sans en faire un récit trop didactique, ni trop savant qui serait rébarbatif. L’enquête et la traque menée par Jana et Rubén s’intègre parfaitement dans ce cadre et rend l’ensemble dramatique et captivant.
Les personnages sont réussis : les deux héros principaux sont des êtres meurtris. Jana a assisté quand elle était adolescente à l’agression violente de sa famille. Depuis ses seins ont cessé de pousser, elle est plate comme une limande. Rubén, a été arrêté et torturé dans la fameuse ESMA, avant d’être relâché pour témoigner sur ce qu’il en coûte d’être un subversif. Ces deux personnages au passé douloureux vont vivre une grande histoire d’amour pleine de rage et de désespoir.
L’histoire de la dictature argentine est relativement peu connue en France (et ailleurs). C’est tout à l’honneur des écrivains de polars français de la faire connaître. Avant Caryl Ferrey, Maurice Gouiran avait aussi attiré l’attention sur la collaboration entre anciens militaires français ayant opéré en Algérie et la clique des généraux argentins pour exporter le concept de Guerre sale Sur nos cadavres, ils dansent le tango.
Mapuche est un roman fort qui vaut autant par les évènements qu’il retrace que par le côté purement roman noir et thriller de la bataille opposant tortionnaires et enquêteurs.
Extrait :Les femmes s’étaient réunies devant l’obélisque, un lange de bébé sur la tête, le pañuelo, comme symbole de leurs enfants volés. Défiant ouvertement le pouvoir, les Mères réclamaient l’« apparition en vie » de leurs proches, refusant le deuil sur ce principe : les enfants étaient partis vivants et, aussi longtemps que les tortionnaires n’auraient pas avoué leurs crimes, ces « disparus » resteraient vivants. La police avait vite menacé, puis ordonné la dispersion, mais les Mères, se tenant par les coudes, s’étaient mises à circuler autour de la place, au sens propre et inverse des aiguilles d’une montre, par ultime défi. Des « folles », avait raillé le pouvoir.
Mais elles revenaient. Chaque jeudi… « Le vent s’était levé, ce vieux chien de David Yow[1] s’arrachait les poumons depuis les enceintes et une rage magnétique coulait, azote fumant, dans ses veines indiennes. » [1] Chanteur du groupe The Jesus Lizard
The Jesus Lizard – A Tale of Two Women
J’ai enfin lu Mapuche. C’est le plus abouti des bouquins de Ferey et je partage totalement votre analyse et critique.
Merci de le dire si clairement.
salut mon ami ! Bon ben voilà, moi aussi je fais partie de ceux qui doivent impérativement s’intéresser à Caryl FEREY, et en particulier à ce romans ( dont j’ai lu aussi quelques critiques plus nuancées ) !! J’attendrai sa sortie poche je pense pour le lire. Pour ce qui concerne ta réponse à Athalie, je partage tout à fait ton point de vue ! La griffe du chien est à ce jour le meilleur roman de Don Winslow ! un monument ! je crois pas qu’on ait fait aussi bien sur ce thème. Bon ceci dit, il en a écrit d’autres d’excellents aussi. AMitiés
Salut Bruno,
Alors ma critique de Mapuche ne serait pas nuancée? 😉
Mais c’est vrai, j’ai moi aussi lu quelques critiques qui émettaient des réserves et aussi une démolition en règle sur « Le vent sombre » que j’ai pas très bien comprise. Peut être que Caryl Férey a piqué une maitresse au chroniqueur ?
Pour ma part j’ai aimé ce bouquin et je l’ai écrit.
Amicalement.
La griffe du chien est certainement le plus grand roman de Don Wislow, des personnages d’une noirceur infini et qui décrit très bien pourquoi les EU ne gagneront jamais la guerre de la drogue.
A lire absolument!!!
Merci de vos conseils de lecture. J’ai bien compris qu’il me fallait lire La griffe du chien. 🙂
Depuis le temps que je me dis qu’il va falloir que je m’y plonge dans les textes de Caryl Ferey … J’en profite quand même pour signaler un titre de Don Winslow qui a à voir avec « Mapuche » pour le lieu (l’Amérique du sud), la violence qui lui est faite et l’extrême noirceur, « La griffe du chien », ça s’appelle. Un pavé qui peut se lire comme un polar, mais alors vraiment noir, ou un thriller palpitant de politique sanglante. (lecture commune avec Ingannimc sur un conseil de Jean Marc de actu du noir.
Je n’ai pas encore lu Mapuche même si je suis un inconditionnel de Caryl Ferey que j’ai rencontré dans une librairie lors d’un apéro dédicace. Caryl Ferey est un aventurier. Il a énormément voyagé. Ces livres Utu, Haka et Zoulou sont des polars très violents avec des héros meurtris qui en prennent plein la figure. Ferey décrit admirablement bien les minorités et la violence qu’elles engendrent.
Après la Nouvelle-Zélande et l’Afrique du sud, il s’est déplacé en Argentine, grand pays de rugby comme les deux précédents.
Votre critique me donne vraiment envie de m’y plonger.
Si vous avez aimé ses précédents romans, vous ne serez pas déçu par Mapuche.
C’est vrai que tous les romans de Férey que j’ai lus jusqu’à présent ont pour contexte un pays à l’histoire récente douloureuse, qui lui permet d’étoffer ses intrigues et de nous livrer des récits très instructifs, mais pas pontifiants…
Oui, c’est vrai. Caryl Férey montre aussi les minorités opprimées : Maoris en Nouvelle-Zélande, Zoulous en Afrique du Sud et Mapuches en Argentine. On est loin du polar classique où le policier traque le psychopathe !
J’avais Zulu, ses héros et l’ambiance sud africaine
Il me semble que Mapuche est de la même veine
Caryl Férey est un grand voyageur : ses précédents romans se situent en Nouvelle-Zélande (Haka et Utu), en Afrique du Sud (Zulu) et ce dernier Mapuche, en Argentine. Chaque fois le contexte est différent mais l’auteur reste le même, c’est en cela que Zulu et Mapuche sont de la même veine.
PS : Zulu sera aussi un film qui sortira 2ème semestre 2013 http://www.allocine.fr/article/fichearticle_gen_carticle=18620692.html