Par Raymond Pédoussaut
Date de publication originale : 2019 (Les Arènes)
Genres : Politique-fiction, roman d’amour
Personnage principal : Luna, Hacker et blogueuse influente
Los Angeles de nos jours ou dans un futur proche. Le riche et le pauvre vivent séparément, chacun de son côté. Le riche dans Beverly Hills, le pauvre dans Skid Row. Cette frontière entre la pauvreté extrême et la richesse ostentatoire va voler en éclats lors des Oscars du cinéma. Cet événement attire beaucoup de monde mais cette année c’est un public assez spécial qui va investir les lieux : les miséreux se sont rassemblés dans Skid Row et ils marchent vers les beaux quartiers où doit se dérouler la remise des Oscars. Dans un premier temps on prend les marcheurs pour des figurants d’une quelconque production. Ils ont l’air tellement authentiques que c’en est bluffant : il y a même l’odeur de la pauvreté, c’est vraiment bien fait disent les habitués de la cérémonie. Ils sont nombreux mais pas de cris, pas de slogans, pas de casse, pas de pillage. C’est la marche silencieuse des pauvres et ce silence la rend encore plus impressionnante. C’est Luna qui est derrière tout ça. C’est elle qui écrit des lettres subversives sur son blog. C’est elle aussi qui a décidé de rendre visibles les invisibles. Personne ne sait qui est Luna.
Voilà un roman bien dans l’air du temps. En cette période de manifestations des Gilets Jaunes, il rencontre un écho particulier. Mais l’auteure va bien plus loin que le simple fait de rendre visibles les pauvres. Elle défend un changement complet de système, un changement de paradigme. Il s’agit de créer un nouveau monde en changeant la façon de penser la société. Il est temps de changer de monde puisque rien ne marche. Le travail disparaît, il faut donc dissocier le revenu et le travail et instaurer la rente comme droit élémentaire qui permettrait à chacun de pourvoir à ses besoins vitaux, même sans travailler. Les gouvernants et les riches ne sont pas prêts à accepter de pareilles revendications, ils vont s’y opposer violemment.
Le roman ne se limite pas à l’aspect politique, ce n’est pas un essai, il y a aussi une intrigue. Il faut convaincre les sans-abris de participer à la marche d’une part et d’autre part de faire que tout se déroule dans le calme. Pour éviter les saccages, l’auteure a imaginé faire jouer le rôle du service d’ordre aux gangs qui sévissent dans les quartiers. Un service d’ordre musclé et bigrement convaincant ! En marge de la marche se déroule une action de hackers qui prennent en otage les données numériques des assurances, trusts, multinationales, bourses, banques. C’est un ransomware : pour récupérer leurs données tous ces établissements devront payer sinon tout sera effacé. On rencontre aussi le président POTUS, brutal, sanguin, borné, la ressemblance avec l’actuel président des États-Unis est évidente.
De nombreux personnages secondaires touchants interviennent dans des mini-scènes très colorées. Une histoire d’amour forte et contrariée vient apporter une touche de romantisme sombre.
Dense et touffu, Paradigma aborde avec talent une réflexion politique profonde. C’est symptomatique que ce soit un écrivain qui défriche un tel sujet alors que les hommes politiques de métier en semblent bien incapables. C’est un livre intelligent et intéressant qui fait réfléchir tout en ne négligeant pas la dimension romanesque.
Extrait :
La révolution n’est pas toujours constituée de bombes qui explosent ou de bains de sang. Une révolution peut passer inaperçue. La rupture entre l’ancien et le nouveau monde a modifié la manière dont on se voit en tant qu’être humain. Je ne suis plus un être humain, je suis une valeur économique faible. C’est là qu’a commencé la déshumanisation de la société, quand la société est devenue un système fait pour servir l’économie. La révolution se trouve dans ce séisme.
Niveau de satisfaction :
(4,1 / 5)