Les stripteaseuses ont toujours besoin de conseils juridiques – Iain Levison

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2024 (The Whistleblower)
Date de publication française :
2024 – Éditions Liana Levi
Traduction (américain) :
Emmanuelle et Philippe Aronson
Genres : Thiller, humour
Personnage principal :
Justin Sykes, avocat de l’aide juridictionnelle

Justin Sykes est avocat de l’aide juridictionnelle. Avocat commis d’office, il défend des petits délinquants, des cambrioleurs, des alcooliques, des drogués, des sans-abri, des exhibitionnistes … Sa défense consiste la plupart du temps à marchander des réductions de peine avec les procureurs. Mais un jour il reçoit une offre pas banale et fort intéressante: il s’agit de donner, une heure par semaine, des conseils juridiques à des stripteaseuses et de passer la nuit dans un motel qui appartient au patron de la boîte de striptease. Tarif : mille dollars pour une heure de conseils et une nuit à ne rien faire dans un motel. La bizarrerie de la proposition n’échappe pas à Justin, mais la rémunération pour le peu de travail qu’elle demande le convainc. Cet argent si facilement gagné l’aidera à payer quelques factures, alors il ne se pose pas trop de questions. Il devrait.

L’intrigue, quelque peu alambiquée, décrit un avocat consciencieux qui fait son maximum pour aider des gens démunis qui ont affaire à la justice et qui a pour une fois à l’occasion de gagner plus en faisant moins. C’est une anomalie, d’autant plus qu’il va constater que les stripteaseuses ne sont pas vraiment demandeuses de ses conseils, il y a probablement anguille sous roche, mais Justin espère que ce travail temporaire lui permettra de ramasser facilement un peu de fric, sans conséquence préjudiciable.

Justin Sykes, même s’il ne défend que des pauvres qui ne peuvent pas le payer, est un avocat brillant : il a été formé dans une école prestigieuse, la Faculté de droit de Columbia, il a travaillé dans un grand cabinet, il gagnait alors 250 000 dollars par an, il a été lanceur d’alerte. Bref, c’est une pointure. Les procureurs, avec qui il négocie des réductions de peine, le savent, ils se méfient de lui. Son chef le sait : il lui refile en supplément les dossiers qu’un autre avocat incompétent n’arrive pas à traiter. Il a en permanence plus de cinquante affaires sur les bras, il y passe même ses week-ends. Il y a un côté chevaleresque chez Justin : il défend ardemment de pauvres bougres, ce qui ne l’empêche pas d’être lucide et désenchanté sur le fonctionnement du système juridique.

Plus que l’intrigue et les personnages, ce qui distingue les romans d’Iain Levison, c’est l’ironie et la façon sarcastique de décrire la société américaine. Ici, c’est la justice qui en prend pour son grade : un système avant tout incohérent et chaotique favorisant les ego démesurés. Il y a de savoureux passages concernant les négociations de marchands de tapis entre procureur et avocat de la défense, les sentences qui dépendent essentiellement de la personnalité du juge et les lois qui sont différentes d’un côté à l’autre de la rivière qui traverse la ville. L’incompétence n’empêchant pas l’ambition, l’auteur montre aussi les magouilles d’un procureur adjoint médiocre propulsé par son papa vers le poste de procureur général.

Les stripteaseuses ont toujours besoin de conseils juridiques est grinçant, irrévérencieux, mais jubilatoire. Du Iain Levison pur jus !

Extrait :
D’où l’importance de connaître le juge.
Et je connais tous ceux à qui j’ai affaire. J’alterne entre cinq. Le juge Weaver est trop âgé pour être encore en activité. Il aurait dû partir à la retraite il y a dix ans, et c’est un vieux vicieux qui condamne à des peines incroyablement légères les jolies femmes. La juge Theresa Kelly est chaleureuse et bienveillante. L’atmosphère dans sa salle d’audience est toujours très détendue ; elle parle d’une voix apaisante et je pense qu’elle tamiserait les lumières du tribunal pour allumer des bougies si cela n’enfreignait pas une quelconque loi municipale. En règle générale c’est elle qui prononce les sentences les plus clémentes. La juge Jennifer Bales se montre d’ordinaire juste, mais parfois elle semble haïr certains clients, surtout les jeunes hommes qui ne lui témoignent pas assez de respect. Si vous rampez devant elle comme si elle était une reine médiévale, elle est douce et maternante. Le juge Anthony Caesari est un connard arrogant qui se croit meilleur que tout le monde, mais il est intelligent, rapide et équitable la plupart du temps. Le juge Chester Wiley déteste l’humanité parce que sa femme s’est tirée avec un avocat de la défense ; par conséquent il prend un malin plaisir à détruire la vie des gens.

Niveau de satisfaction :
4.3 out of 5 stars (4,3 / 5)

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Le nid du coucou – Camilla Läckberg

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2022 (Gökungen)
Date de publication française :
2024 (Actes Sud)
Traduction (suédois) :
Susanne Juul et Andreas Saint-Bonnet
Genres : Noir, enquête
Personnage principal :
Erica Falck, écrivaine

Je n’avais pas été très impressionné par L’Enfant allemand il y a une dizaine d’années. Mais comme le succès de Läckberg ne cesse de croître, j’ai voulu voir ce qu’elle faisait de bon de ce temps-ci.

Comme dans les autres romans de Läckberg qui mettent en scène l’écrivaine Erica Falck, l’action se passe aux alentours de la petite ville suédoise de Fjällbacka, plus précisément ici dans l’île privée de Skjälerö où le couple Bauer (Elisabeth et Henning) fête ses noces d’or en grande pompe. Parents et amis sont invités : entre autres les fils Bauer, Peter et Rickard, leurs épouses Louise et Tilde, les amis Ole et Susanne Hovland, Erica et son conjoint Patrick Hedström (commissaire de police à Fjällbacka), Vivian, l’épouse du photographe Rolf (qui préfère continuer à préparer son exposition plutôt qu’à participer à la fête), et quelques autres.

Au cours de la nuit, Rolf est assassiné. Le lendemain, Peter et ses deux fils sont massacrés. Le mystère est total : on ne voit vraiment pas qui aurait eu intérêt à tuer Peter et ses fils. Et quel rapport, s’il en est un, avec la mort de Rolf ? Les policiers n’y comprennent rien. Pendant ce temps, Erica est allée à Stockholm enquêter sur la mort de Lola, un transgenre, et sur son fils Pytte, dans les années 80. Lola et Rolf étaient bons amis, mais on ne voit pas de rapport entre la mort de l’un et de l’autre. D’autant moins que l’enquête sur l’assassinat de Lola a été bâclée. On finira par découvrir que l’arme qui a servi à tuer Lola et Peter est la même. Loin de clarifier la situation, ce rapprochement nous jette davantage dans la confusion. Et, pour achever le plat, les parents de Louise se font sauvagement poignarder.

Les mystères se multiplient et captivent le lecteur. Ils seront résolus l’un après l’autre de façon satisfaisante, même si dans certains cas, le motif est plutôt alambiqué. Le suspense est mené avec ruse et intelligence. Les personnages sont nombreux mais Läckberg les décrit avec précision et les rattache habilement les uns aux autres pour éviter qu’on s’y perde. L’intrigue à dénouer est centrale et n’est pas occultée par la défense des transgenres, la critique des classes sociales privilégiées ou les problèmes de couple vieillissant.

Bref, un roman complexe et captivant. [1]

[1] À la page 290, ligne 24, il faut lire Rickard plutôt que Rolf dans la phrase « Selon Louise, Rolf faisait chanter Blanche. »

Extrait :
Le coucher du soleil au large de Fjällbacka était déchirant de beauté. Des rayons orange, roses, rouges et violets se mélangeaient en de larges coups de pinceau sur le ciel tandis que l’astre descendait tout doucement derrière les îles nues de l’archipel. Pourtant, il était encore bien plus spectaculaire lorsqu’on l’observait depuis Skjälerö. Rien n’était plus beau que cela.
Il était bientôt temps d’y retourner. Louise était presque prête. C’était tout un processus, ça l’avait toujours été. Tant de personnes n’étaient pas capables de voir les choses dans leur ensemble, elles vivaient leur vie le regard fixé sur des fragments isolés. Elle, Louise, était douée pour appréhender l’ensemble du puzzle.
Patience. Le mot d’ordre de toute sa vie. Jamais elle n’avait pris de décision hâtive à la suite d’une impulsion, d’une faiblesse ou de quoi que ce soit d’autre. Elle était restée fixée sur son but, qu’elle approchait pas à pas.

Fjällbacka

Niveau de satisfaction :
4.4 out of 5 stars (4,4 / 5)

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Une locataire si discrète – Clémence Michallon

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2024 (The Quiet Tenant)
Date de publication française :
2024 – Fayard
Traduction (américain) :
Nathalie Bru
Genres : Thriller psychologique, roman noir
Personnages principaux :
Rachel, prisonnière d’un tueur en série – Aidan Thomas, tueur en série

Une femme est retenue prisonnière dans un cabanon de jardin. Elle s’appelle Rachel, ce n’est pas son vrai prénom, c’est celui qu’à choisi pour elle son geôlier. Ça fait cinq ans qu’elle est captive. Un jour, son ravisseur lui annonce qu’il doit déménager. Changer de maison ne veut pas dire retrouver la liberté, mais simplement de changer de conditions de détention : plus de cabanon, une chambre, un lit, une salle de bain et des repas pris en commun avec son gardien et sa fille. Le reste du temps, elle le passe dans sa chambre attachée au radiateur. Elle découvre que celui qui l’a enlevée s’appelle Aidan Thomas et qu’il a déjà assassiné plusieurs femmes. Elle observe, guette, mémorise, pour éventuellement utiliser ce qu’elle voit et entend pour tenter de s’échapper un jour peut-être, mais la moindre erreur signifie la mort assurée. La prudence que cela impose limite les initiatives, mais l’espoir demeure.

L’intrigue nous permet d’abord de découvrir la vie d’une femme séquestrée depuis cinq ans. Entre elle et l’homme qui la tient enfermée s’est installé une sorte de rituel : le repas dans le tupperware, l’eau dans la gourde en métal, ses besoins dans un seau, une fois par mois un shampoing antipoux, le coupe-ongles toutes les trois semaines … et régulièrement l’acte sexuel, là aussi avec son rituel : c’est lui qui doit défaire les fermetures éclair, déboutonner, effeuiller. Pas une seule fois, il ne pose le regard sur toi. Le sujet, ce n’est pas toi. C’est toutes les femmes et toutes les filles. Rachel sait que l’homme a déjà tué plusieurs fois et que pour survivre elle doit être obéissante et soumise, elle a appris les règles pour rester en vie, la première est : c’est toujours lui qui gagne. C’est une survivante, contrairement aux autres femmes le tueur l’a gardée en vie parce qu’il a besoin de partager des choses qu’elle est la seule à pouvoir entendre. Cependant, malgré sa peur, Rachel n’a pas totalement abdiqué, elle garde l’espoir de pouvoir s’évader.

Aidan Thomas est un père et un homme exemplaire. C’est un jeune veuf, sa femme est morte d’un cancer, il élève seul une fille de treize ans. C’est un homme méritant, apprécié de tous, qui inspire confiance : dans la queue de l’épicerie, les mères lui collent leur bébé dans les bras, Vous voulez bien me la garder une minute ? Bref, Aidan Thomas est un homme charmant, poli et amical, toujours prêt à rendre service. Il est aussi séduisant. Emily, la patronne du restaurant local en tombe follement amoureuse. Le seul problème, ignoré de tous, sauf de Rachel, c’est que c’est aussi un tueur en série.

La peur de la prisonnière est finement décrite ainsi que son sentiment de culpabilité de ne pas être capable de se révolter et de sauver ainsi les autres femmes qui ont été victimes après elle. La double vie du tueur, sa maîtrise et la volonté de tout prévoir et de tout contrôler sont très bien rendues.

Une locataire si discrète est un roman angoissant, imprégné d’une forte tension. L’analyse psychologique des personnages est bien réalisée.

À noter que l’autrice, Clémence Michallon, est française, elle vit à New York. Elle a longtemps caressé le projet d’écrire un roman en anglais. Avec Une locataire si discrète son projet s’est réalisé de la meilleure façon qui soit.

Extrait :
C’est son espace. Tu apprendras plus tard qu’il a commencé de le préparer pour le cas où se présenterait la très hypothétique et très vague possibilité de quelqu’un comme toi. Quelqu’un qu’il aimerait garder. Il l’a insonorisé. Recouvert le sol de caoutchouc, bouché au mastic le moindre trou sur les murs. Mais il n’a pas fini. Ce n’était pas toi qu’il comptait garder. Tu es une décision prise sur un coup de tête, un achat impulsif.

Il reviendra le lendemain terminer son ouvrage. Il vissera une chaîne au mur. Il videra l’endroit de ses affaires. Il fera de ce lieu ton chez-toi. Pour l’heure, il te menotte les mains derrière le dos. Te ligote les chevilles et attache la corde à la poignée de la porte.

Niveau de satisfaction :
4.3 out of 5 stars (4,3 / 5)

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Reykjavik – Ragnar Jónasson & Katrin Jokobsdóttir

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2022 (Reykjavik)
Date de publication française :
2023 (La Martinière)
Traduction (islandais) :
Jean-Christophe Salaün
Genres : Enquête, thriller
Personnage principal :
Sunna Robertsdottir

Lara, âgée de 15 ans, est engagée pour l’été par Olöf Blöndal et son épouse Ottar, qui habitent une des rares maisons de l’île de Videy. Puis, un jour, selon le témoignage de ses employeurs, elle fait ses bagages et décide de rentrer chez elle à Reykjavik. On est en août 1956. Or, ses parents ne l’ont pas vue; personne ne l’a aperçue quitter l’île; personne ne l’a croisée sur l’île non plus. Bref, on est sans nouvelles de Lara. Fugue ? Accident ? Ou pire ? Après trente années d’enquêtes, d’entrevues, de reportages, on ne le sait toujours pas.

En 1986, le jeune journaliste Valur Robertson reprend l’enquête. Il examine toute la littérature qui a été publiée sur le sujet, réinterroge les personnes qui auraient eu quelque contact avec elle, et bénéficie d’un coup de téléphone anonyme qui le met sur une piste sérieuse. Comme il s’apprête à publier le résultat de ses recherches, il est brutalement écarté de l’enquête, et c’est sa sœur Sunna qui  décide de poursuivre son œuvre. Une heureuse hypothèse lui permet de localiser Lara; de là, l’explication de sa disparition s’éclaire davantage et un témoin improbable lui fait découvrir le pot aux roses.

Les lieux et les personnages principaux  sont décrits minutieusement. Les habitants de la capitale islandaise retrouveront leur ville avec plaisir. Et, pour qu’on ne s’égare pas parmi les personnages, un lexique permet de les identifier rapidement. Pour les auteurs, comme c’est le cas habituellement pour Jónasson, la description géographique des lieux, la caractérisation psychosociologique des personnages et la référence aux événements importants qui se passent en Islande à cette époque (comme la rencontre entre Reagan et Gorbatchev, ou le deux centième anniversaire de Reykjavik))  me paraissent plus importantes que la trame policière proprement dite. Elle est au fond très simple, mais ce n’est pas évident à cause du temps passé à raconter la vie de plusieurs personnages.

Au total, le roman est donc intéressant en soi, mais l’intrigue policière comme telle ne casse pas des briques.

Extrait :
Saisie par la solitude des lieux, Sunna se demandait ce qu’avait éprouvé Lara la première fois qu’elle avait posé le pied sur Videy cet été-là. À quinze ans, ce n’était encore qu’une enfant. Ses parents avaient dit qu’elle était venue en mai, l’île avait dû lui paraître plus vibrante dans la clarté du printemps que dans ce crépuscule automnal; une atmosphère d’espoir, d’optimisme. Bien que Videy soit visible depuis la ville, une jeune fille ayant grandi à Reykjavik comme Lara avait dû se sentir totalement dépaysée, infiniment plus proche de la nature, et en même temps tellement libre. Elle était sûrement fière d’acquérir un peu d’autonomie, de gagner son propre argent, de côtoyer des personnes importantes. Aux yeux de la société, Ottar et Olof étaient des citoyens modèles. Personne n’aurait hésité à envoyer son enfant travailler chez eux. Un avocat si respecté, une femme d’excellente famille…

Île de Videy

Niveau de satisfaction :
4 out of 5 stars (4 / 5)

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Les guerriers de l’hiver – Olivier Norek

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2024 – Michel Lafon
Genres : Historique, guerre
Personnage principal :
Simo Häyhä, tireur d’élite

Finlande, 1939.
La Russie a décidé d’annexer une partie des territoires de la Finlande. Des négociations interminables ont lieu, elles échouent. La mobilisation générale est décrétée en Finlande. Une des plus grandes puissances militaires du monde attaque alors une des plus petites nations de la planète. Côté russe, on est très confiant : on a prévu deux semaines au maximum pour balayer la petite armée finlandaise et envahir le pays. À la surprise générale, l’armée formée essentiellement de paysans et d’ouvriers inflige de cinglantes défaites à l’armée Rouge pourtant suréquipée. Trois mois après le début des hostilités, les Russes n’ont pas réussi à avancer. Parmi les soldats finlandais, un jeune paysan se distingue particulièrement par son adresse au tir, c’est Simo Häyhä, vingt ans. Ses exploits font de nombreuses victimes dans les rangs russes. Il est surnommé Belaya Smert, la mort blanche, il devient une légende. Devant la résistance acharnée des Finlandais, les Russes sont obligés d’utiliser les grands moyens.

Belaya Smert, la mort blanche

L’auteur a construit son roman sur un épisode peu connu, du moins en France, de ce qu’on a appelé la Guerre d’Hiver entre la Finlande et la Russie qui s’est déroulée de novembre 1939 à mars 1940. Il y a beaucoup de récits de combats épiques, mais l’auteur s’est appuyé sur des documents d’archives, il se veut fidèle à l’histoire, il tient à préciser qu’aucun fait d’armes n’a été inventé, ni aucune anecdote. Aucun acte de bravoure n’a été exagéré. Et des actes de bravoure, il y en a beaucoup dans ce livre. Tout d’abord ceux du petit paysan Simo Häyhä, passé de chasseur habile à redoutable sniper au point de devenir une légende dont le seul nom effraie l’ennemi : Belaya Smert, la mort blanche. Ceux aussi du légionnaire Aarne Juutilainen, surnommé l’Horreur du Maroc, ou, plus familièrement l’Horreur qui défie en permanence la mort dans des opérations à haut risque. Et aussi la Lotta (volontaire féminine de l’armée finlandaise) Leena qui soigne les blessés, n’hésitant pas à venir sur le front, elle a sauvé la vie à Simo Häyhä au péril de la sienne. Beaucoup d’autres aussi se sont distingués par leur courage et leur détermination.

L’auteur met aussi en évidence que face au courage et à l’intelligence des soldats finlandais, c’est l’incompétence de l’armée russe qui, bien que disposant d’énormes moyens, subit de gros revers. Alors que les Finlandais en uniforme blanc se confondent avec le paysage neigeux, les Russes en uniforme vert se détachent bien sur la neige, offrant ainsi de belles cibles. Cette armée dont la stratégie est pilotée par la Stavka, la direction politique de l’armée Rouge, formée d’hommes mi-politiques, mi-bureaucrates, complètement déconnectés des réalités du terrain. Les postes d’officiers sont doublés : chaque officier militaire est contrôlé par un officier politique chargé de remonter au Chef suprême, Staline, ce qui se passe sur le terrain. Pour complaire, ces courtisans écrivent des rapports mensongers et laudateurs magnifiant l’armée Rouge, mais sur le champ de bataille c’est beaucoup moins brillant, à tel point que les difficultés rencontrées par l’armée russe attirent l’attention d’Hitler qui décidera d’anticiper l’opération Barbarossa et d’envahir la Russie en juin 1941.

Ce roman est édifiant et captivant. La Guerre d’Hiver date de plus de quatre-vingts ans, mais elle renvoie à des évènements actuels. On ne peut pas lire ce livre sans faire le rapprochement avec l’actuelle guerre entre l’Ukraine et la Russie.

Les Guerriers de l’hiver a reçu le Prix Renaudot des lycéens et le prix Jean Giono pour l’année 2024.

Extrait :
Des colonnes de chars contre de vieux fusils. Un million de soldats rouges contre des ouvriers et des paysans. Mais les conflits passés racontent qu’il faut cinq soldats entraînés pour affronter un homme seul qui se bat pour sa terre, sa patrie et les siens, les mains accrochées à sa carabine, sentinelle derrière la porte de sa ferme barricadée.
Et un homme seul peut changer le cours de l’Histoire.
Au cœur du plus mordant de ses hivers,
au cœur de la guerre la plus meurtrière de son histoire,
la Finlande vit naître une légende.
La légende de Simo Häyhä, La Mort Blanche.
Il y avait pourtant eu des jours heureux, une paix chérie.
Il y avait eu un avant, un peu avant l’enfer.

Soldats finlandais

Niveau de satisfaction :
4.3 out of 5 stars (4,3 / 5)

 

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Crime dans les cendres – Kathy Reichs

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2024 (Fire and Bones)
Date de publication française :
2024 (Robert Laffont)
Traduction (américain) :
Dominique Haas
Genres : Enquête, thriller
Personnage principal :
Temperance (Tempe) Brennan, anthropologue judiciaire

Je n’avais pas lu de Kathy Reichs depuis une dizaine d’années. J’avais rompu parce que je la trouvais trop technique et parce que, au lieu de nous jeter dans l’action, il fallait souffrir ses états d’âme à travers lesquels la réalité se présentait.

C’est vrai qu’elle est très technique, mais on ne reprochera pas à un écrivain qui est un policier (Norek) de nous décrire comment ça se passe dans le milieu des flics, pas plus qu’on reprochera à un écrivain qui est aussi pharmacien (Fouassier) de se livrer à quelques informations liées au développement des médicamenta et des drogues au XIXe siècle. Donc, c’est vrai qu’on apprend avec Reichs plein de choses sur les effets du feu sur un être humain, mais c’est souvent plus intéressant que les réflexions politico-sociologiques que des écrivains vieillissants développent pour qu’on ne les prenne pas seulement pour des amuseurs publics.

Temperance (Tempe) Brennan est demandée à Washington pour enquêter sur un incendie, probablement criminel, qui a fait au moins quatre victimes difficiles à identifier. Puis, dans un sous-sol que l’incendie n’a pas atteint, Tempe découvre un cadavre enfermé dans un grand sac, mort depuis un certain temps. On apprend en même temps que, dans les années qui ont précédé la Deuxième Guerre mondiale, l’immeuble qui est passé au feu avait été le repaire de contrebandiers et de trafiquants : le gang de Foggy Bottom. Le rapport avec l’incendie et le cadavre du sous-sol n’est pas évident jusqu’à ce que le fils d’un ancien membre du gang soit assassiné.

Dans ses recherches, Tempe est assistée par la journaliste ambitieuse (et amie de sa fille) chez qui elle demeure : Ivy Doyle. C’est le seul personnage qui est assez développé. Le focus est mis presque entièrement sur Brennan, qui raconte l’histoire. On se doute bien que l’incendie est d’origine criminelle. Et on finit par identifier les quatre victimes. De même que la victime trouvée dans le sous-sol.

Les motifs qui ont conduit à l’incendie, au meurtre du fils d’un ancien membre du gang, et, peut-être, à l’assassinat de la jeune femme trouvée dans le sac, se perdent un peu dans la nuit des temps. On les présume quand l’enquête de Tempe et du policier Deery cause presque leur assassinat.

Et alors qu’on pense que tout est terminé, un rebondissement ultime, inattendu parce que vraiment pas indispensable, sans rapport avec l’intrigue principale, coûte presque la vie de Tempe.

Je me demande souvent si ce sont les maisons d’édition qui forcent les auteur.e.s à remplir 300 pages, ou davantage, au lieu de se contenter des 250 pages traditionnelles.

Extrait :
─ Qui est-ce ?

─ Police, madame Lipsey. Ouvrez, s’il vous plaît.
À ma grande surprise, un verrou a claqué, la béquille a plongé et la porte a pivoté, aussitôt retenue par une chaîne.
La femme était grande et, malgré son âge avancé, bien musclée, dans le genre généreux et charnu. Ses cheveux étaient de neige, sa peau si pâle qu’elle semblait presque translucide. Elle n’avait ni cils ni sourcils, mais plusieurs longs poils blancs en tire-bouchon sur sa lèvre supérieure fripée.
Un peignoir abricot drapait sa large carcasse, aussi flatteur qu’une chemise d’hôpital sur un cadavre. Une poche dans la couture latérale semblait contenir un ramassis d’objets dont j’en étais réduite à deviner la fonction. Un téléphone ? Des clés ? Un inhalateur ? La coupe Stanley ?
Du vernis cramoisi ajoutait de la couleur à ses ongles. Des chaussures HOKA bleu électrique et orange ajoutaient des centimètres à sa taille déjà impressionnante.

Foggy Bottom

Niveau de satisfaction :
3.5 out of 5 stars (3,5 / 5)

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Le Caissier, les Mouettes et les Poissons rouges – Bruno Delaye

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2024 – Éditions Ex Aequo
Genres : Humour, pastiche
Personnage principal :
Antoine, petit caissier d’une petite banque

Antoine est un petit caissier tranquille derrière un petit comptoir d’une petite banque. Un jour advient l’incroyable : il se fait braquer. C’est un petit braquage : 2000 euros. Mais son Petit-Chef le tient pour responsable et le somme de retrouver le braqueur et de récupérer la somme dérobée. Ce que fait Antoine aussitôt. Mais il fait plus : il suit le voleur jusque dans son repaire et se retrouve en compagnie d’une bande de malfrats composée de quatre brutes et une blonde. Devenu sûr de lui, Antoine propose un plan ambitieux : s’en prendre aux biens de Grand-Chef qui n’est autre que le père de Petit-Chef. C’est le début d’aventures rocambolesques, pleines de surprises.

Déjà le titre laisse supposer qu’on n’a affaire ni à un roman noir ni à un thriller tendu. C’est vite confirmé dès la lecture des premières lignes de ce livre complètement déjanté. Il ne faut pas chercher la vraisemblance dans l’intrigue, pas plus que la crédibilité des personnages. C’est une sorte de pastiche des films de braquage où la tension est remplacée par le comique de situation et où les terribles gangsters parfaitement organisés laissent place à une équipe de bras cassés plus risible que dangereuse. Bref, c’est une comédie débridée où les rebondissements, tous aussi improbables que spectaculaires, se succèdent.

Le livre est court (95 pages), heureusement car on se lasse vite du style un peu lourdingue et des péripéties loufoques des pieds nickelés. On est loin des œuvres de Donald Westlake ou Iain Levison. Petit livre, probablement vite écrit, vite lu et vite oublié, Le Caissier, les Mouettes et les Poissons rouges est un roman humoristique sans prétention pour se changer les idées.

Extrait :
— Tu pars faire un hold-up. Tu le foires lamentablement. Tu reviens avec un gugusse sorti d’on ne sait où. Lequel nous ramène le fric que tu (il prononça le mot tu comme s’il ordonnait : tue !) devais ramener. On se met, finalement, plus ou moins d’accord, dans notre grande bonté pour organiser un truc un peu plus glamour avec le même gugusse. On te laisse partir avec lui. Et tu nous ramènes un autre gugusse de merde. As-tu au moins pu jeter un œil à l’hôtel particulier qui nous intéresse ?
— Pas vraiment.
— Pas vraiment ? Pas vraiment ? Pas vraiment !!
— En fait, pas du tout. Je vais t’expliquer pourquoi nous partîmes trois et par un prompt renfort nous nous vîmes quatre en arrivant au port.

Niveau de satisfaction :


3 out of 5 stars (3 / 5)

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Le passé doit mourir – Katrine Engberg

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2019 (Vadeskud)
Date de publication française :
2023 (Fleuve Éditions)
Traduction (danois) :
Catherine Renaud
Genres : Enquête, thriller
Personnages principaux :
Policiers : Jeppe Korner, Anette Werner

Oscar Dreyer-Hoff, un jeune homme (15 ans) de bonne et riche famille, est disparu. Puis, on découvre un cadavre dans un incinérateur de Copenhague. Ce n’est pas Oscar, c’est plutôt son professeur de Danois, Malthe Saether, avec qui il s’entendait plutôt bien. Oscar semble avoir laissé derrière lui un message, en réalité un extrait du Portrait de Dorian Gray (Oscar Wilde), qui confond les enquêteurs (et le lecteur). Est-ce une note de suicide, un signal d’adieu ? En tout cas, ce n’est pas une demande de rançon, même si les enquêteurs envisagent qu’on ait peut-être voulu se venger des parents.

Deux policiers sont chargés de l’enquête : Jeppe Korner, peu expérimenté et maladroit avec les femmes, ce qui lui coûte pratiquement sa relation avec Sara et ses deux filles; Anette Werner (46 ans), qui a une petite fille, et un conjoint correct mais qui ne l’excite plus. Ils interrogent un grand nombre de personnes qui ne savent pas grand-chose à propos de Malthe ou d’Oscar et qui sont aux prises avec leurs propres problèmes : Kasper, le père d’Iben, bonne amie d’Oscar, qui travaille à l’incinérateur et qui semble jouer avec les chiffres; Mads Teigen, qui connaît la région comme sa main et qui semble s’éprendre d’Anette; Jenny Kaliban, tante d’Oscar (sœur de sa mère) artiste plus ou moins accomplie qui a toujours besoin d’argent; Esther, l’amie quasi maternelle de Jeppe, femme cultivée qui s’occupe à plein temps d’un colocataire malade; Lis Christensen, professeur de mathématiques qui connaissait bien Malthe, et qui semble avoir été accidentellement happée par un train.

J’interromps ici la liste qui est très longue. Pas facile de s’y retrouver surtout quand les noms sont d’origine danoise. Les personnages sont presque tous liés les uns aux autres mais pas nécessairement pour les mêmes raisons. Ce qui ajoute à la confusion des enquêteurs et des lecteurs. Et, comme Anette et Jeppe carburent à l’instinct, ils ne sont pas au bout de leur peine. Heureusement, grâce à Esther, un beau hasard orientera les policiers sur la bonne voie.

Quelques irritants ne me paraissent pas indispensables : quelques scènes scabreuses sont inutiles; le fait qu’à peu près tous les personnages utilisent régulièrement le juron putain indique la pauvreté du vocabulaire danois des grossièretés et une association discutable; enfin, le procédé consistant à commencer un chapitre (ou un paragraphe) sans mentionner de quoi ou de qui on parle est lassant à la longue.

En réalité, la simplicité des données accentue souvent le mystère.

Extrait :
Le XXIe siècle annonce la mort de l’esthétique. Fuck la religion, la science et la spiritualité ! L’esprit humain s’est toujours retrouvé dans la beauté. Dans l’art, les mots, la musique. Quand on la perd, on perd la raison de vivre. On se noie dans les vêtements discount et les nichons en plastique. Les gens préfèrent regarder des émissions de téléréalité plutôt que d’écouter le quatuor à cordes de Prokofiev. La beauté sauvera le monde ! Si seulement …
─ Ce que je vois, Jenny, c’est que tu as épuisé ton droit aux allocations chômages complémentaires. On ne peut les obtenir que pendant trente semaines sur cent quatre, après quoi, elles expirent.

Le musée Thorvaldsen (Copenhague)

Niveau de satisfaction :
3.5 out of 5 stars (3,5 / 5)

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Ainsi va le monde – Jake Hinkson

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2024 (The Way of the World)
Date de publication française :
2024 – Gallmeister
Traduction (américain) :
Sophie Aslanides
Genres : Enquête, roman noir
Personnages principaux :
Alice Hardy, victime d’une agression – Owen Pall, détective – Erik Reid, psychopathe qui haie les femmes – Mary Margaret Holding, vieille femme dépendante

En sortant du domicile de son amant, Alice Hardy est agressée par un homme armé d’un couteau qui l’entraîne dans une ruelle. Alice se débat et par chance elle réussit à récupérer le couteau et à blesser à la gorge son agresseur. Affolée, elle jette le couteau et revient chez son amant qui la persuade qu’il faut revenir dans la rue où elle a laissé l’homme blessé pour vérifier s’il est mort. Tous les deux reviennent sur les lieux et constatent qu’il n’y a ni couteau ni homme mort ou blessé. Alice est mariée, pour ne pas divulguer son infidélité et préserver sa famille, elle décide de ne rien dire ni à son mari ni à la police. Mais elle ne sait pas que quelqu’un a tout vu et même filmé. L’affaire va se compliquer quand d’autres protagonistes vont s’intéresser à Alice et son agresseur.

L’histoire est racontée par quatre narrateurs qui interviennent alternativement :
– Alice Hardy est professeur de théologie à l’université Saint Ignatius à Chicago. Son mari est également enseignant au même endroit. Alice peut bien s’envoyer en l’air avec un artisan viril, mais elle ne veut surtout pas que ça se sache, elle tient à préserver l’intégrité de sa famille bourgeoise. Donc elle ne dit rien de son agression pour ne pas avoir à expliquer une situation embarrassante.
– Owen Pall est un détective privé qui travaille surtout sur des affaires matrimoniales, adultères, divorces … Ce n’est pas un champion de l’éthique, il cherche avant tout à se faire un maximum d’argent avec les preuves qu’il rassemble. Dans cette affaire plus importante que celles qu’il traite d’habitude, il se montre opiniâtre et efficace, c’est ce qui le mettra en danger.
– Erik Reid, est un psychopathe qui déteste toutes les femmes. Il pousse son ex-coéquipier ambulancier à passer à l’acte pour qu’il enlève une femme qu’ils pourront ensuite torturer. Il est devenu auxiliaire de vie d’une vieille dame qui est sa logeuse. Il en profite outrageusement.
– Mary Margaret Holding est une dame âgée, dépendante, qui ne sort jamais de chez elle. Elle a embauché son locataire, Erik Reid, pour s’occuper d’elle et elle quémande souvent auprès de lui un peu de présence et d’attention, ce qu’il lui refuse souvent. Cependant Marie Margaret n’est pas si naïve qu’elle le paraît.

L’intrigue est magnifiquement bien ficelée autour de ces quatre protagonistes. Le suspense est bien entretenu et au fur et à mesure que l’histoire se déroule, elle évolue et bifurque souvent dans une direction imprévue. L’épilogue est particulièrement inattendu. Belle virtuosité de l’auteur !

Avec son intrigue tendue et ses personnages sombres, inquiétants pour certains, Ainsi va le monde est un roman noir, ironique et sulfureux.

Extrait :
Bien sûr, je savais que son orgueil l’aveuglait, et qu’il ne pouvait pas voir ce qui se passait vraiment. Sans qu’il s’en rende compte, Erik devenait de plus en plus dépendant de moi, et non le contraire. Il pensait que plus il m’utilisait, plus il avait de contrôle sur moi, mais la vérité était qu’il devenait dépendant de son propre confort. J’avais vu une émission d’Oprah un jour sur “Comment repérer le narcissique dans votre vie”, et bon sang, Erik cochait toutes les cases. L’ego, la colère. Oprah disait qu’un narcissique pense que le monde devrait lui appartenir et qu’il vit sa vie dans une rage immense parce que ce n’est pas le cas. Le portrait craché d’Erik.

Ruelle de Chicago

Niveau de satisfaction :
4.3 out of 5 stars (4,3 / 5)

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Un cimetière dans le cœur – Ian Rankin

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2022
(A Heart Full Of Headstones)
Date de publication française :
2023 (Lattès, Masque)
Traduction (écossais) :
Fabienne Gondrand
Genre : Thriller
Personnage principal :
John Rebus, flic à la retraite

Je n’avais pas lu de Rankin depuis un bon moment et j’ai décidé de voir ce que l’inspecteur Rebus devenait. Très stimulant au début des années 2000, Rankin avait fini par me fatiguer par la multiplication de ses personnages et par ses intrigues alambiquées qui n’en finissaient plus.

Maintenant à la retraite, Rebus continue de se conduire comme un électron libre. Il vit seul avec son chien Brillo et consulte, moins souvent qu’il devrait, son médecin pour des problèmes de vertiges et de douleurs thoraciques. Il voit parfois sa fille et sa petite-fille, et reste au courant des affaires policières grâce à son ancienne équipière Siobhan Clarke. Elle est justement actuellement chargée d’enquêter sur le meurtre de Francis Haggard, un policier accusé de violences conjugales contre son épouse Cheryl. Par ailleurs, le vieil ennemi de Rebus, le caïd Big Ger Cafferty, à qui Rebus avait sauvé la vie, lui demande de retrouver un de ses hommes, Jack Oram, qui lui aurait volé de l’argent pour, dit-il, s’excuser d’avoir menacé de le tuer. Rebus semble accepter cette mission, pour des raisons qui ne sont pas très claires, même pour lui.

Rankin traite ces deux enquêtes en même temps; d’ailleurs, elles se recoupent de bien des façons, d’autant plus que les autorités policières enquêtent aussi sur les agents du commissariat de Tynecastle, soupçonnés de comportements abusifs et d’être liés au crime organisé. Rebus avait parfois collaboré avec le chef du commissariat, Alan Fleck, et Malcolm Fox, formé au Service des plaintes, aimerait bien avoir leur peau à tous les deux. Y parviendra-t-il ? Et Siobhan Clarke trouvera-t-elle l’assassin de Haggard ? Et Rebus découvrira-t-il où se cache Oram ? Ça prendra bien des entrevues, des ballades en auto, et des whiskeys pour qu’on finisse par pouvoir répondre à ces questions.

Rien de trépidant, plutôt répétitif, et Rebus, toujours aussi peu sympathique, mérite la solitude amère dans laquelle il se complaît.

Au fond, c’est un peu comme un Donna Leon : une bonne partie du plaisir consiste à suivre la saga en entrant dans le monde de Rankin : l’éternel Rebus, sa collègue Siobhan, le gros Cafferty, sauf que ces gens-là sont moins attachants que Brunetti, Vianello et Elettra; et Édimbourg n’est pas Venise.

Extrait :
Cafferty désigna d’un geste le canapé de cuir crème et Rebus se fit une place en dégageant un gros coussin orné de la croix de Saint-André. La table basse était vide, exception faite du courrier qu’Andrew y avait déposé. Cafferty posa les yeux sur Rebus.
Et toi, alors ? s’enquit-il. Tu as passé une bonne pandémie ?
─ Il semblerait que j’aie survécu.
─ Ça résume bien notre situation, à tous les deux, tu ne trouves pas ? D’un autre côté, tu dois la sentir tout autant que moi.
─ Quoi donc ?
─ La mortalité, qui gratte à la porte.
Pour enfoncer le clou, Cafferty cogna les articulations de son poing contre l’accoudoir de son fauteuil roulant.
─ Eh ben, c’est gai, lâcha Rebus en se calant aussi confortablement que le canapé voulait bien le permettre.

Édimbourg

Niveau de satisfaction :
3 out of 5 stars (3 / 5)

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Hildur – Satu Rämö

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2022 (Hildur)
Date de publication française :
2024 – Éditions du Seuil
Traduction (finnois) :
Aleksi Moine
Genre : Enquête
Personnages principaux :
Hildur Rúnarsdóttir, policière à Ísafjörður (Islande) – Jakob Johanson, stagiaire finlandais

Hildur Rúnarsdóttir est policière à Ísafjörður dans les Fjords de l’Ouest en Islande. Elle est responsable de l’unité des enfants disparus. Il y a une bonne raison pour cela : 25 ans auparavant ses deux jeunes sœurs se sont volatilisées à la sortie de l’école. On ne les a plus revues, les recherches n’ont rien donné. Ce jour, Hildur et sa cheffe ont le plaisir d’accueillir Jakob Johanson, un stagiaire finlandais. Jocob vit une séparation douloureuse avec son épouse et son fils. Le renfort de Jacob est le bienvenu au moment où, chose exceptionnelle pour le pays, deux meurtres se produisent à quelques jours d’intervalles. Ils semblent liés parce qu’on a retrouvé dans la bouche des deux victimes une mèche de cheveux blonds. Et ce n’est pas fini.

L’autrice est finlandaise mais elle s’est installée en Islande où elle situe son roman. Elle restitue une belle ambiance des Fjords de l’Ouest : la mer, les montagnes aux sommets aplatis, la neige, la pluie, le brouillard et le soleil qui disparait pendant plusieurs mois. Satu Rämö décrit aussi très bien les coutumes, les relations sociales et les légendes du pays.

L’intrigue passe de la simplicité à la complexité. Au début, les policiers du petit commissariat d’Ísafjörður n’ont à intervenir que sur des problèmes de violence conjugale, de drogue, d’ivrognerie, de conduite sans permis, quelques cambriolages, parfois des vols de voiture et très rarement des homicides. Jusqu’à ce qu’une série de meurtres ne vienne chambouler la relative tranquillité. Pire ces meurtres semblent l’œuvre d’une même personne car on a trouvé sur les victimes ce qui semble être un message : une mèche de cheveux dans la bouche des victimes.

Hildur, qui donne son titre au roman, est une femme qui a été traumatisée jeune par la disparition non éludicée de ses petites sœurs. Elle est souvent oppressée par ce souvenir et pour chasser ses idées noires elle surfe dans l’eau glacée de l’océan, même en plein hiver. Elle fait beaucoup de sport : jogging et musculation. C’est sa façon de faire retomber la pression. Son nouveau collègue, Jakob, a lui aussi besoin d’oublier la faillite de son mariage : son ex-femme l’accuse de tout en permanence et lui interdit de voir leur fils. Jakob a une autre méthode pour décompresser : il tricote des pulls islandais. Hildur et Jakob forment un duo de policiers atypique mais ils s’entendent bien et sont efficaces.

Hildur est une immersion dans l’Islande. C’est un roman dépaysant avec une intrigue originale et des personnages atypiques mais attachants. C’est le premier tome d’une série qui a déjà eu du succès en Islande. On retrouvera avec plaisir le duo Hildur-Jakob dans les prochains volumes.

Extrait :
La plupart des gens attendent que surviennent des événements positifs. Hildur trouvait cela curieux. Pour elle, ne rien attendre de l’avenir la rendait heureuse. Quand les choses se passaient de manière simple et que le quotidien avançait tranquillement et sûrement. Dès qu’elle avait le moindre sentiment d’attendre quelque chose, c’était le signe qu’un événement tragique et terrible allait se produire.
Cette sensation n’avait pas toujours été aussi éprouvante. Quand Hildur était petite, elle avait, elle aussi, attendu des événements joyeux. Elle se réjouissait de l’approche de Noël, de l’anniversaire de ses camarades de classe, des longues promenades à cheval le week-end et des premières neiges qui tombaient à l’automne. Mais le jour où tout avait changé fut aussi celui où elle avait cessé d’attendre les bonnes choses.

Bande annonce des Éditions du Seuil

Niveau de satisfaction :
4.2 out of 5 stars (4,2 / 5)

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Meurtre à Capri – Luca Ventura

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2020 (Mitten Im August. Der Capri-Krimi)
Date de publication française :
2024 (Librairie Générale Française)
Traduction (allemand) :
Dominique Autrand
Genre : Enquête
Personnages principaux :
Enrico Rizzi, Antonia Cirillo, policiers

C’est le premier roman d’une série policière qui met en vedette deux policiers : le jeune et entêté Enrico Rizzi et l’expérimentée et mystérieuse Antonia Cirillo. L’auteur est Allemand mais passe sa vie autour du golfe de Naples; c’est là, d’ailleurs que se passent les aventures de ses policiers, plus exactement à Capri. Les commentateurs ont vanté la description des paysages, la mer, « toujours recommencée », le soleil omniprésent, les vignes prometteuses, mais c’est bien plus que ça. Ventura est un bon conteur qui sait tenir son lecteur en haleine malgré la longueur du récit.

À la veille des réjouissances du 15 août, une barque échoue sur une plage de Capri dans laquelle un homme (Jack) a été poignardé à mort au cours de la nuit. C’est la première enquête de Rizzi sur un assassinat; à Capri, on a surtout affaire à des problèmes de drogues, d’alcool ou de bagarres, mais rien d’extravagant pour la police; d’où le petit nombre d’agents, la méfiance, pour ne pas dire, le mépris des policiers de Naples, et le fait qu’on demande à Rizzi d’enquêter avec Antonia Cirillo, une policière d’une quarantaine d’années qui a été mutée à Capri depuis quelques semaines (et qui semble avoir été rétrogradée).

D’abord, on  cherche à connaître l’identité du jeune homme décédé. Puis, comme il aurait été accompagné la veille de sa mort d’une jeune femme (Sofia), il faut retrouver cette compagne qui semble s’être évaporée. Le jeune homme aurait habité une grande maison, dans laquelle on retrouve un homme qui a été assommé. Cet incident complique l’enquête au lieu de la simplifier. L’essentiel est de retrouver Sofia qui était avec Jack dans la barque la nuit où il a été poignardé. On la rattrape et Rizzi commet une gaffe qui coûte presque la vie à Sofia. Cirillo intervient alors et Rizzi s’aperçoit qu’il l’avait injustement sous-estimée.

Un procédé intéressant est d’avoir divisé l’histoire en deux récits : le récit normal de l’enquête qui se poursuit jour après jour; et le récit raconté par Sofia à partir du moment où elle a quitté Jack. C’est comme si le suspense était multiplié par deux. Bien sûr, l’auteur intercale les tiraillements entre les autorités de Naples et celles de Capri, ce qui est assez classique; mais surtout il s’attarde sur la vie de Rizzi, sa famille, ses amis, son amante et le souvenir de son fils décédé. Comme c’est le premier roman d’une série, c’est normal de présenter les principaux personnages; Cirillo reste, cependant, mystérieuse, mais deux choses sont claires : d’abord, Rizzi s’aperçoit qu’elle a une expérience supérieure à la sienne et qu’il va devoir changer son attitude envers elle. D’autre part, la fin de cette première histoire n’inclut pas Cirillo dans les réjouissances familiales. Une fois l’enquête bouclée, elle a décidé d’aller se perdre dans la grande ville, quitte à se payer une petite aventure. Ce qui accentue l’autonomie de chaque enquêteur.

La suite promet beaucoup, entre autres à cause de ce binôme étonnant et étrangement complémentaire.

J’ai bien aimé.

Extrait :
À une cinquantaine de mètres des rochers flottait une barque où gisait un corps humain. Arrivé en bas, Rizzi rejoignit Cirillo et aperçut une main sur le plat-bord de la barque.
Le bateau mit le cap sur la barque, et Rizzi demanda : « Qui a donné l’alerte ? »
Cirillo désigna du menton une jeune femme en robe bleue assise à l’écart, dans l’ombre des rochers, un chien à côté d’elle. « Elle s’appelle Caterina Agnesi. Une vacancière. Elle vient nager ici le matin. »
En silence, ils regardèrent leurs collègues gardes-côtes s’avancer lentement vers la barque, un des hommes se pencher par-dessus le bastingage et se lancer dans un numéro d’acrobate pour attacher une corde à l’embarcation, ce qui se révélait plus difficile qu’on aurait pu le croire à distance.
« Nerveuse ? demanda Rizzi à sa nouvelle collègue.
– Non, répondit-elle. Et toi ? »

Capri

Niveau de satisfaction :
4.2 out of 5 stars (4,2 / 5)

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