L’été d’avant – Lisa Gardner

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2021 (Before She Disappeared)
Date de publication française :
2024 – Albin Michel
Traduction (américain) :
Cécile Deniard
Genre : Enquête
Personnage principal :
Frankie Elkin qui s’est donné pour mission de retrouver des personnes disparues

Frankie Elkin s’est trouvé une mission dans Mattapan, le quartier noir de Boston. Comme elle doit passer quelque temps dans cet endroit, elle se fait embaucher comme barmaid, elle propose de travailler contre un logement. Frankie est spécialiste des affaires de disparition, la nouvelle mission qu’elle s’est attribuée est de retrouver une jeune fille de quinze ans, d’origine haïtienne, qui s’est volatilisée à la sortie du lycée, il y a onze mois et personne ne l’a revue depuis. La police a enquêté sans résultats. Ce qui complique la tâche de Frankie, c’est que son nouveau terrain d’enquête est un quartier dangereux, surtout pour une femme blanche, il y règne la délinquance et les trafics, mais cela ne la décourage pas.

Dans ce roman, Lisa Gardner met en scène une enquêtrice pas banale. Frankie Elkin s’est spécialisé dans la recherche de personnes disparues qui n’ont pas été retrouvées alors que la police a abandonné les recherches et que les médias ont oublié l’affaire. La plupart des cas concernent des minorités, comme ici à Boston, c’est une fille d’une famille haïtienne qu’elle a choisi de retrouver. Mais ce qui est le plus étonnant c’est que Frankie ne demande rien en échange de ses investigations, elle travaille bénévolement. Elle considère que c’est son devoir de faire cela, elle n’est absolument pas intéressée par l’argent ni par aucune récompense. Quand elle a choisi sa mission, elle va s’installer dans la ville où a eu lieu la disparition, elle y travaille, souvent comme barmaid, car c’est le job le plus facile à trouver, et dans son temps de libre elle enquête. Sans moyens, sans outils technologiques sophistiqués, mais avec sa méthode à elle qui consiste à être la bonne personne qui pose les bonnes questions. Méthode rudimentaire, mais d’une redoutable efficacité puisqu’en neuf ans elle a retrouvé quatorze personnes. Aucune vivante et c’est ce qui la mine. Dans ce dernier cas, elle veut absolument ramener la fille vivante, elle en a besoin. Frankie est un loup solitaire, elle travaille seule. Elle collabore avec la police et la tient informée de ses découvertes, mais elle ne se soumet à aucun ordre, aucune injonction, elle n’en fait qu’à sa tête, ce qui la met parfois dans des situations périlleuses. Autre caractéristique de Frankie: c’est une alcoolique en voie de guérison. Elle est abstinente depuis neuf ans, mais elle est encore soumise à de violentes tentations de boire. Et pour compléter le tableau de cette enquêtrice hors du commun, elle est traumatisée par un évènement de son passé et elle fait des crises d’angoisse. En résumé, Frankie Elkin est un mélange complexe de force, de détermination, de courage et de faiblesses qui la rendent par moment très vulnérable.

L’intrigue est basée sur la personnalité de Frankie Elkin et de son enquête minutieuse où les avancées se font à petits pas, mais de façon inexorable vers le résultat final. À l’occasion, l’autrice nous dépeint le quartier noir défavorisé de Mattapan à Boston.

Ce roman met en scène une drôle d’enquêtrice, très attachante, dans une recherche de disparue passionnante. L’été suivant étant le premier volume d’une nouvelle série, on retrouvera ce personnage singulier dans les tomes suivants.

Extrait :
Je m’appelle Frankie Elkin et je me suis donné pour mission de retrouver des personnes disparues. Quand la police a baissé les bras, que les médias ne s’y sont jamais intéressés, que tout le monde a oublié, c’est là que j’interviens.
Je prends ma valise. Je descends les escaliers.
Et je disparais.

Niveau de satisfaction :
4.3 out of 5 stars (4,3 / 5)

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L’Alerte – Brigitte Alepin

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2024 (Druide)
Genre : Thriller
Personnage principal :
Cécile Larrivée, fiscaliste

Brigitte Alepin est surtout connue au Québec comme fiscaliste : 35 ans d’expérience après une formation à Harvard. Elle a déjà écrit deux ouvrages spécialisés, Ces riches qui ne paient pas d’impôt et La crise fiscale qui vient. Avec L’Alerte, elle passe au thriller.

Nous sommes en octobre 2035 et le Québec est indépendant depuis un an. Au poste de premier ministre se retrouve le millionnaire Éloi Laliberté, qui lutte depuis une trentaine d’années pour la souveraineté du Québec avec son amie Cécile Larrivée qui est devenue sa conseillère financière. Pour attirer les compagnies étrangères (et conserver nos propres compagnies), le Québec est devenu un paradis fiscal : ces compagnies ne payent pas d’impôt. Après un an de ce régime, le budget du Québec est peu reluisant et une réforme s’impose. Laliberté crée une Fondation et éponge les dettes du nouveau pays avec son argent (tout en retirant un crédit d’impôt respectable) et cette Fondation devient propriétaire de tout ce qui regarde la santé et l’éducation. On crée également l’Alliance, qui regrouperait d’autres nouveaux pays (la Casamance au Sénégal, la Catalogne, éventuellement l’Écosse…), où des millionnaires transformeraient aussi leur nouveau pays en paradis fiscaux et créeraient des Fondations pour s’approprier des plus importants leviers économiques et sociaux.

L’exemple donné par le Québec risque de servir ailleurs : pour équilibrer le budget sans supprimer des postes au sein de l’État, sans réduire le salaire des fonctionnaires et sans augmenter les impôts, Laliberté préconise de laisser mourir les grands malades, les personnes très âgées ou atteintes de maladies dégénératives. Ces personnes, en effet, sont maintenues en vie par l’acharnement médical et par la recherche des profits de l’industrie pharmaceutique. Et ce ne serait là qu’une première phase : bientôt finies les allocations pour toutes les sortes de personnes qui ne travaillent pas.

En procédant tranquillement et en faisant disparaître les contestataires éventuels, Laliberté est confiant que la très grande majorité des Québécois(e)s endossera cette nouvelle orientation.

Ce genre de rationalisation ne convient vraiment pas à Cécile. Elle décide donc de fuir le Québec et de révéler, grâce à ses amis journalistes en Grande-Bretagne et en France, le projet Laliberté, c’est-à-dire de sonner l’alerte. Mais ne risque-t-elle pas d’être victime de son zèle ? Et comment se fait-il que le premier ministre soit déjà au courant de sa fuite ? Et qui a enlevé son fils Albert ? Renoncera-t-elle à sonner l’alerte pour récupérer son fils ?

Ce suspense apparaît dans les cinquante dernières pages du roman. Avant, on peut se demander si le père de Cécile, qui a tiré sur le premier ministre, se fera prendre, si Cécile et son mari reprendront leur vie commune, si Cécile se guérira de son alcoolisme et si sa relation avec son fils, qui en a beaucoup souffert, finira par s’améliorer.

L’auteure a su éviter deux défauts : d’abord, une prédication pour ou contre la souveraineté du Québec (Cécile est évidemment pour, mais l’indépendance est déjà faite); puis, un cours de fiscalité qui nous obligerait à lire quelques-uns de la centaine de livres et d’articles qu’elle offre en référence à la fin du livre.

Les réticences qui freinent mon enthousiasme portent sur le personnage principal, Cécile Larrivée : les gens qui n’arrêtent pas de se désoler de toutes les gaffes qu’ils continuent de commettre m’indisposent, et l’alcoolisme n’est pas une excuse valable. Par ailleurs, sa croisade contre ceux qui s’enrichissent aux dépens des autres, bien que juste, est ressassée dans un certain moralisme agaçant et m’a rappelé le slogan des gauchistes d’il y a plus de 50 ans : « Faisons payer les riches ! » Et elle a la larme facile, bien que tout le monde dans son entourage soit beau et gentil. Un véritable thriller s’accommode mal de l’eau de rose.

Extrait :
J’ai déclaré la guerre en lançant cette alerte, le mardi soir du 16 octobre 2035, mais les combats se poursuivront encore pendant des années, aussi longtemps qu’il faudra pour établir la justice fiscale et l’équilibre des pouvoirs et des richesses. À la guerre comme à la guerre. Je suis prête, c’est là mon destin.

Mon mot d’ordre : la vérité avant les mensonges, mes rêves avant la richesse, l’amour avant tout. La peur, je la laisse aux autres.

Le Parlement de Québec

Niveau de satisfaction :
3.9 out of 5 stars (3,9 / 5)

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Le Clan Snæberg – Eva Björg Ægisdóttir

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2021
(Þú sérð mig ekki)
Date de publication française :
2024 – Éditions de La Martinière
Traduction (islandais) :
Jean-Christophe Salaün
Genres : Huis clos, thriller
Personnages principaux :
Membres du clan SnæbergIrma, employée de l’hôtel

Pour rendre hommage à leur patriarche qui aurait eu cent ans, les membres de la famille Snæberg ont décidé de se réunir dans un hôtel de luxe isolé au milieu des champs de lave. La totalité de l’hôtel a été réservée pour eux le week-end. Les Snæberg font partie des gens les plus riches et influents d’Islande. L’entreprise créée par le patriarche est devenue un énorme empire qui emploie des centaines de personnes et possède un chiffre d’affaires annuel qui se compte en milliards de couronnes. Quand tous les membres de la famille sont réunis, la fête peut commencer. Elle est copieusement arrosée. L’alcool délie les langues et désinhibe les comportements révélant la nature des gens, sous l’œil très intéressé d’Irma, l’employée de l’hôtel. Alors qu’à l’extérieur le blizzard se lève, à l’intérieur, les incidents se multiplient et les dissensions se font jour. La fête tourne aux révélations embarrassantes et aux règlements de compte.

Ce livre est un roman choral à cinq voix : – celles de trois des membres du clan Snæberg – celle d’Irma, l’employée de l’hôtel et celle d’un policier, car on a retrouvé un cadavre au pied d’une falaise. C’est par les yeux et les voix de ces cinq personnages que nous découvrons l’ensemble du clan Snæberg, ils sont vingt-quatre en tout.

L’intrigue est judicieusement construite de façon que la tension monte progressivement. Au départ les Snæberg sont présentés comme des gens riches et épanouis à qui tout réussit. Puis, lentement, à l’intérieur de chaque famille, de chaque couple, des détails révèlent des malaises : – Petra, architecte d’intérieur à succès, se ronge les ongles jusqu’au sang – Lea, adolescente de 16 ans, fille de Petra, est si seule que son seul véritable ami est un garçon qu’elle n’a jamais vu, rencontré sur les réseaux sociaux et qui vit en Suède – Tryggvi, menuisier, seul d’origine modeste, subit le mépris silencieux des autres – certains luttent contre leur addiction alors que d’autres s’y abandonnent totalement … Bref, l’image de familles fortunées et heureuses s’écorne au fil du récit pour laisser apparaître des frustrations, des déceptions, des rancunes que l’on noie dans l’alcool, les drogues ou les médicaments. Et surtout ce que met en évidence l’autrice, c’est l’égoïsme et l’égocentrisme de ces gens riches. La seule qui semble vivre bien cette réunion familiale est Irma, l’employée de l’hôtel, pourtant elle a énormément de travail mais elle semble fascinée par cette famille.

Le Clan Snæberg un huis clos classique mais intéressant dans lequel l’autrice ménage une montée en tension progressive et un bon suspense. Dans le même genre et avec un thème semblable on peut lire Le silence des noyées de Gabriel Katz.

Extrait :
S’appuyant au dossier de sa chaise, Irma garda le silence un instant. Puis :

– La famille est différente de ce à quoi je m’attendais, beaucoup plus dysfonctionnelle. En les observant tout le week-end, je me suis rendu compte à quel point certains d’entre eux sont brisés. Je savais tout de Lea, mais j’ai été surprise de voir le nombre de moutons noirs qu’abrite cette famille. De voir à quel point ils sont malheureux.
Et ils sont tous tellement égocentriques qu’ils ne m’ont jamais remarquée, ne m’ont jamais vue, alors que j’étais témoin de tout ce qui se passait entre eux. J’ai entendu ce qui est arrivé dans la chambre de Maja et Viktor. J’ai trouvé le vase et le débardeur couvert de sang sous leur lit.

C’est un établissement flambant neuf, construit au cœur d’une étendue de lave au pied du glacier Snæfellsjökull

Niveau de satisfaction :
4 out of 5 stars (4 / 5)

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La 20e victime – James Patterson (et Maxine Paetro)

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2020 (20th Victim)
Date de publication française :
2023 (Lattès)
Traduction (américain) :
Carole Delporte
Genre : Enquête
Personnage principal :
Lindsay Boxer, San Francisco Police Department (SFPD)

Patterson a déjà écrit une cinquantaine de romans grâce à une méthode qu’il ne cache pas : il est entouré d’une vingtaine de scribes auxquels il confie des idées générales et des scénarios qui finissent en romans qu’il endosse. Méthode peut-être pas très noble mais dont le seul but est de divertir le lecteur. Comme il aurait vendu plus de 300 millions de livres, ça a l’air de marcher. Voyons ce que ça donne dans ce cas-ci.

La sergente Lindsay Boxer[1] mène l’enquête sur une série d’assassinats qui frappent simultanément les villes de Los Angeles, Chicago et San Francisco. Son mari, Joe Molinari, directeur adjoint de la police, est engagé par son vieil ami David Channing, lourdement handicapé, qui tient un vignoble dans la Napa Valley, et qui soupçonne le cardiologue de son père de l’avoir tué. Leur amie, la procureure Yuki Castellano, épouse du chef de police Jackson Brady, poursuit, pendant ce temps, le jeune Clay Warren impliqué dans la mort d’un policier. Lindsay est troublée à cause du cancer du sein qu’a contracté son amie la légiste Claire. Et elle se dispute avec son amie Cindy qui est journaliste au San Francisco Chronicle. Cindy est elle-même accusée de harcèlement sexuel par le jeune journaliste Jeb McGowen. On me permettra de passer sous silence certaines intrigues secondaires.

Le nombre de personnages est ahurissant et le lecteur devra prendre des notes. Trop nombreux d’ailleurs pour être bien définis. La multiplication des chapitres courts ajoute à la confusion, d’autant plus qu’on ne sait pas toujours qui parle : parfois le narrateur est extérieur, parfois c’est Lindsay, parfois c’est Cindy.

Les initiatives de Lindsay n’ont pas grand sens dans le contexte : « former une équipe au  tirs (sic) de snipers dans les différentes villes » ! Et le principal suspect est identifié par le hasard d’une photographie prise par quelqu’un qui promenait ses chiens : à l’arrière-plan, on distingue une ombre dans une automobile. Et ce suspect, supposément intelligent, assiste inutilement à l’enterrement d’une de ses victimes et se cache stupidement chez un copain près de chez lui, au lieu de foutre le camp.

Mais tout cela se termine dans la joie. Après tout, le supposé méchant assassinait des trafiquants de drogues; Claire se fait enlever la partie cancéreuse de son poumon; le jeune Warren se retrouve protégé par la police; Joe et Dave trouvent l’assassin de son père; Cindy est disculpée et se réconcilie avec Lindsay; et Lindsay se retrouve au lit avec Joe comme lorsqu’on avait 15 ans.

En fait, je ne dévoile pas de grands secrets : on lit Patterson pour rêver en couleurs.

[1] On ne se formalisera pas trop qu’un être humain porte un nom de chien : le chien de Lindsay s’appelle Martha !

Extrait :
─ S’il-te-plaît, emmène-moi au lit, murmurai-je.
Il me souleva comme une plume et m’emporta jusqu’à notre lit king size. Il me déposa avec précaution et se déshabilla (…) Il voulait me faire l’amour tendrement, mais je n’étais pas dans cet état d’esprit. Toujours sous l’emprise de l’adrénaline. Je sentais encore la brûlure du coup de poing sur mon visage (…) J’étais furieuse et je n’arrivais pas à me calmer.
─ J’ai besoin …
─ Dis-moi.
─ J’ai besoin de résister.
Il plaqua mes poignets au matelas de ses mains fermes et je le laissai me dominer. Puis je me libérai et je le retournai sur le dos. Il me donna ce que je voulais et plus encore, et je lui donnai autant en retour. Faire l’amour avec mon mari fut satisfaisant, purificateur, profond – parce que je l’aimais et lui faisais entièrement confiance.

Niveau de satisfaction :
2.9 out of 5 stars (2,9 / 5)

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Le Sang des innocents – S.A. Cosby

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2023 (All the Sinners Bleed)
Date de publication française :
2024 – Sonatine Éditions
Traduction (américain) :
Pierre Szczeciner
Genres : Enquête, thriller
Personnage principal :
Titus Crown, shérif du comté de Charon en Virginie

Titus Crown est shérif dans le comté de Charon, en Virginie. C’est le premier shérif noir de l’histoire du comté, c’est aussi un ancien du FBI. Il est appelé sur une fusillade dans un lycée, un jeune forcené noir vient de tuer un professeur et menace les élèves. Quand il pointe son fusil vers les adjoints du shérif, ceux-ci l’abattent au grand désarroi de Titus qui voulait éviter qu’il y ait des morts. Cet évènement est l’occasion pour la population de Charon de raviver les dissensions : les noirs pensent que c’est une bavure policière de plus, tandis que les blancs y voient un attentat terroriste, œuvre des islamistes. Le professeur qui a été tué était très apprécié des élèves, mais les investigations menées par Titus vont révéler une facette sombre de sa personnalité et l’enquête va alors prendre une tournure inattendue et une autre dimension.

Pas facile d’être un shérif noir dans un comté où les tensions entre blancs et noirs sont vives. Des nostalgiques de l’esclavage manifestent autour de la statue de Joe le Rebelle qui est le symbole de la résistance du Sud à l’abolition de l’esclavage, ce qui est ressenti comme une provocation par les noirs. Cependant, les questions raciales sont reléguées au second plan par les révélations de l’enquête menée par Titus concernant le meurtre d’un enseignant estimé.

Le shérif Titus Crown est un personnage complexe. Il sait faire preuve d’autorité pour s’imposer à ceux qui le contestent parce qu’il est noir ou ceux qui le soupçonnent de trahir leur cause. En tant qu’ancien du FBI, il a acquis une formation qui lui permet de mener à bien une enquête difficile. Il a vécu des choses terribles quand il était au FBI, il se trouve chanceux d’être toujours en vie et il considère que toutes les épreuves qu’il doit surmonter sont sa pénitence. Il culpabilise aussi de n’avoir rien pu faire pour sauver sa mère, morte de maladie. Il a aussi tendance à prendre tous les malheurs de la terre à son compte : « Je crois que si j’arrête d’essayer de tenir le monde à bout de bras, c’est moi qui risque de m’écrouler », dit-il. Par contre il n’est pas fait pour le bonheur. Il adore sa famille, sa mère tant qu’elle était vivante, son père et son frère. Il est en couple avec une femme charmante qui l’aime sincèrement et qui a essayé de le débarrasser de ce poids qui semble peser sur ses épaules, mais Titus n’a pas envie qu’on l’aide, il estime qu’il doit souffrir, qu’il le mérite.

La traque que mène Titus est compliquée, mais le shérif est un homme pugnace et compétent, il avance inexorablement vers le dénouement, payant même de sa personne dans une enquête révélant des horreurs inimaginables dans un comté rural d’ordinaire agité surtout par des tensions raciales.

Le Sang des innocents est un roman mettant en scène un magnifique personnage de shérif noir confronté aux tensions raciales et à des crimes horribles perpétrés dans un comté rural qui n’a pas totalement évacué les effets de la Guerre de Sécession. C’est un beau livre, dur et violent, mais d’une profonde humanité.

Extrait :
L’âme de Charon danse parmi les vapeurs du poêle à pétrole qui suspend à jamais la respiration d’un père, d’une mère et d’un petit garçon dans un mobile home glacé.
L’âme de Charon persiste lorsque les subtilités de la courtoisie s’effritent sous le poids de leur propre fugacité.
L’âme de Charon est tapie dans les yeux du Loup qui a enterré six adolescents, filles et garçons, sous le saule pleureur de Tank Billups. Ce Loup qui rêve d’archanges aux ailes déployées et aux traits déformés par la folie. Ce Loup qui se complaît dans les secrets. Qui tire plaisir à cacher son vrai visage.
Oui, les petites villes sont à l’image des gens qui les peuplent.
Tôt ou tard, elles finissent par livrer leurs secrets, mais pour cela, il faut d’abord payer le prix du sang.

L’âme de Charon est tapie dans les yeux du Loup qui a enterré six adolescents, filles et garçons, sous le saule pleureur de Tank Billups.

Niveau de satisfaction :
4.5 out of 5 stars (4,5 / 5)
Coup de cœur

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Huit crimes parfaits – Peter Swanson

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2020 (Eight Perfect Murders)
Date de publication française :
2022 (Gallmeister)
Traduction (américain) :
Christophe Cuq
Genre : Thriller
Personnage principal :
Malcolm Kershaw, libraire

Roman plutôt original. Malcolm Kershaw, le libraire en question dans ce roman, est un spécialiste des romans policiers. C’est lui qui nous raconte l’histoire dans laquelle il a été impliqué. Il y a une quinzaine d’années, il a publié dans un blog la liste des huit crimes parfaits qu’on retrouve dans des romans policiers. Or, une agente du FBI, Gwen Mulvey, le rencontre et l’interroge sur quelques crimes qui paraissent avoir été inspirés des romans dont il a fait la liste.

Alors qu’on peut le soupçonner d’être un suspect de choix, Malcolm se voit plutôt comme une victime puisque le meurtrier semble le connaître et paraît l’impliquer. Pour le lecteur, la situation n’est pas très nette : Malcolm, en effet, s’est vraiment inspiré d’un roman de sa liste, L’Inconnu du Nord-Express, pour mettre en scène un meurtre, celui d’Eric Atwell, qui était l’amant de sa femme et qui l’avait incitée à reprendre de la cocaïne. Mais, pour les autres crimes, Malcolm a une sorte d’alibi. Finalement, il est lui-même menacé de mort.

L’amateur de polars est diverti par de nombreuses références à des écrivains célèbres d’Agatha Christie à Nero Wolfe en passant par John Dickson Carr et même Louise Penny. Le procédé utilisé par Swanson pour raconter l’histoire rappelle évidemment Le meurtre de Roger Ackroyd d’Agatha Christie. Malcolm aime d’ailleurs les romans policiers classiques (Christie, Ngaio Marsh, Patricia Highsmith, James Cain…), et est moins attiré par les thrillers spectaculaires contemporains, ce qui éveille notre bienveillante nostalgie.

L’intrigue est toutefois un peu cousue de fil blanc et on n’y embarque pas de plain-pied. Malcolm commet lui-même plusieurs maladresses et n’attire pas vraiment notre sympathie. Ça reste un divertissement original.

Extrait :
Qu’attendez-vous de moi, au juste ? demandai-je.
─ Eh bien, si quelqu’un s’inspire réellement de votre liste pour commettre des crimes, ça fait de vous un expert.
─ Je n’en suis pas si sûr.
─ Je veux dire que vous êtes un expert en ce qui concerne les livres de votre liste. Ce sont vos livres préférés.
─ Sans doute, oui, mais j’ai établi cette liste il y a très longtemps, lui rappelai-je, et parmi tous ces titres, il y en a que je connais beaucoup mieux que d’autres.
─ Quoi qu’il en soit, avoir votre opinion est toujours utile. J’espérais que vous pourriez jeter un œil à ces quelques affaires que j’ai rassemblées. Il s’agit de crimes non résolus survenus en Nouvelle-Angleterre au cours des dernières années. J’ai préparé ça rapidement hier soir, ce sont juste des résumés, dit-elle en tirant de son sac un paquet de feuilles agrafées. J’espérais que vous accepteriez de les parcourir et de me dire si, selon vous, certains crimes pourraient avoir un lien avec les livres de votre liste.

Harvard Square sous la neige

Niveau de satisfaction :
4 out of 5 stars (4 / 5)

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À la lisière du monde – Ronald Lavallée

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2022 au Canada par les éditions Fides sous le titre Tous des loups [1]– 2024 en France par Les Presses de la Cité
Genres : Grands espaces, roman noir
Personnage principal :
Matthew Callwood, jeune policier

Matthew Callwood, jeune policier de 24 ans, est envoyé dans un petit village du nord du Canada pour prendre la relève de celui qui vient de passer deux ans dans ce trou perdu et qui est ravi de le quitter. Matthew est d’abord étonné qu’il y ait si peu à faire. Les autochtones, les indiens Cris, n’ont que faire des policiers, ils ne font jamais appel à eux. Les policiers sont occupés à fumer, à boire et profiter des faveurs de la prostituée locale, ils laissent faire sans broncher les petits trafics, notamment celui de l’alcool. Matthew a lu dans les rapports qu’un criminel qui a tué sa femme et son enfant se cache dans la forêt sans être inquiété. C’est pour lui inadmissible, aussi il décide de traquer le meurtrier, cela justifiera la présence de la police dans ce lieu. Le jeune homme a sous-estimé la difficulté : l’immensité des espaces, les forêts, les lacs, les marécages, les intempéries et un fugitif qui connaît parfaitement le terrain rendent la traque bien plus difficile et dangereuse que prévu.

Le personnage principal, Matthew Callwood, est un jeune homme de bonne famille, policier fraîchement nommé, plein de bons principes, il a une haute opinion de son métier. C’est un idéaliste au sens moral élevé, un peu trop rigide et assez naïf. Droit dans ses bottes, il détonne parmi ses collègues plus expérimentés qui préfèrent l’oisiveté et la tranquillité. Fini le laxisme avec l’arrivée de Matthew ! Il secoue le cocotier, en commençant par s’en prendre aux trafiquants d’alcool, ce qui lui vaut de se faire des ennemis redoutables. Ensuite il décide de capturer cet assassin qui hante la forêt et que les gens croient voir un peu partout, sans que l’on sache si c’est la réalité ou une légende. La vérité du terrain va balayer ses illusions, son apprentissage sera difficile et dangereux. Il restera jusqu’au bout courageux, mais complètement transformé, il a été amené à faire ce qu’il pensait ne jamais pouvoir faire. Outre Matthew Callwood, nous trouvons dans ce roman des personnages secondaires forts intéressants, notamment – un présumé meurtrier, finalement plus humain que certains policiers racistes et violents – une prostituée familière et maternelle – un noble britannique complètement illuminé – un juge, le père de Matthew, froid et sentencieux – des trafiquants, violents et cruels … et quelques autres.

Le cadre du roman est la mission Saint-Paul, perdue dans le Grand Nord canadien. L’action se situe en 1914. Le Canada était alors un dominion autonome de l’Empire britannique, il obéissait aux lois de l’Empire. Quand la guerre éclate en Europe, le Canada entre aussi en guerre, des milliers de Canadiens partent sur le front européen. C’est vu comme une bénédiction par les policiers de la mission : ils espèrent s’extraire de ce trou pour aller se battre en Europe et devenir des héros. Leur espoir sera déçu. Faute de guerre, il reste la traque du criminel qui rôde dans la forêt. Ce n’est pas une sinécure : en plus du terrain difficile, il y a le climat extrême. À la chaleur, les moustiques, les mouches, succèdent le brouillard, la pluie, puis la neige, la glace, les ours et les loups. Quant au fugitif, il se montre beaucoup plus habile qu’eux.

À la lisière du monde, outre une qualité d’écriture indéniable, se distingue par des personnages originaux et crédibles, des paysages immenses et impitoyables. C’est un roman très réussi.

[1] Voir l’article de mon collègue Michel Dufour Tous des loups

Extrait :
Le soir, ils se privaient de repas chaud, pour ne pas trahir leur position. Ils allumaient seulement quelques brindilles à l’aube pour préparer le thé, qu’ils versaient dans leurs bidons et buvaient froid, le soir venu. La nuit, ils montaient la garde à tour de rôle, le doigt sur la détente. Quand ils fumaient, ils mettaient les mains en cornet pour cacher le bout embrasé de leurs cigarettes. Beaucoup de précautions pour rien. Corneau ne daignait pas les attaquer. Tous les soirs, la même discussion reprenait dans la tente sombre et suintante d’humidité.

— Il a planqué sa famille quelque part, disait Suchenko, de plus en plus amer. Il ne pourrait pas se promener comme ça avec une femme et deux enfants.
— Corneau va nous mener jusqu’au pôle Nord, disait Harvey.
Matthew consultait ses notes.
— Je ne crois pas, non. Il nous fait faire une boucle. Un de ces jours, on va revenir sur nos balises.
— Il joue à quoi ?
— C’est évident, non ? grognait Suchenko. Il va nous balader jusqu’à l’automne. Puis il va disparaître. Et nous, on va crever de faim.

Niveau de satisfaction :
4.5 out of 5 stars (4,5 / 5)

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1991 – Franck Thilliez

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2021
(Éd de Noyelles)
Genre : Thriller
Personnage principal :
Franck Sharko, inspecteur de police à Paris

Pour s’aventurer dans Thilliez, il faut laisser ses soucis de côté et se rendre entièrement disponible : c’est du solide et quand vous vous empêtrez dedans, ça ne vous lâche plus.

Le premier roman où apparaît l’inspecteur Franck Sharko, c’est Train d’enfer pour ange rouge, publié en 2007. Treize romans de la saga Sharko plus tard, Thilliez a profité de la Covid pour écrire le premier de la série, 1991, date à laquelle le jeune inspecteur Sharko (trente ans) arrive au Quai des Orfèvres. Il n’est pas encore marié à Suzanne  et ne vit pas encore avec Lucie Henebelle. Au Bureau, il est là pour faire ses preuves; c’est actuellement le bleu de service, le numéro 6, derrière Florence Ferriaux, dite le Pitbull, Romuald Fayolle, ou Einstein, Alain Glichard, surnommé le Glaive, Serge Amandier, le flic à l’ancienne, brutal et alcoolique, et le numéro 1, Thierry Brossard, dit Titi (pour les intimes). À un poste de commande, on retrouve aussi Santucci, le Corse, peu aimé, mais aussi acharné que les autres, et efficace.

Sharko est d’abord remisé aux archives où il est chargé de reprendre l’affaire des Disparues du Sud parisien : entre 1986 et 1989, trois femmes ont été enlevées, violées et massacrées. C’est un cas irrésolu sur lequel Amandier s’est esquinté et cassé les dents.

Mais un cas plus urgent exige que chacun collabore : on vient d’être saisi du cas d’une femme attachée à un lit, la tête enfoncée dans un sac; une adresse serait notée derrière la photo remise aux policiers. On la retrouve affreusement mutilée, mais elle ne demeure pas là où on la découvre. Et la propriétaire de l’appartement est, en effet, disparue. Pour en savoir davantage, il faudra explorer le monde du vaudou et de la magie. Et établir un lien avec la série de photographies d’enfants nus trouvée dans l’appartement.

L’affaire est complexe et on n’est pas au bout de nos peines. Le chef coordonne bien les membres de son équipe : Amandier entraîne le jeune Sharko et n’hésite pas à brasser des cages et des individus; le Glaive se spécialise dans les interrogatoires; Einstein déchiffre les codes et tente d’éclaircir les messages énigmatiques; Florence s’investit dans le monde de Houdini et fréquente de près l’étrange Circé. Sharko enquête d’un peu trop près sur le monde des poisons capables en quelques secondes de transformer quelqu’un en zombie. Et il goûtera quelque peu à cette médecine.

L’action se déroule dans un Paris des années 90, capable de titiller la nostalgie même quand on décrit des quartiers mal famés. Et, comme d’habitude, les informations scientifiques s’intègrent bien à l’ensemble : le monde des poisons, du vaudou, de la magie, des troubles sexuels des jeunes enfants. Et on constate à quel point l’usage de l’ordinateur et du cellulaire a transformé le monde d’aujourd’hui.

À côté d’une vie quotidienne décrite avec réalisme, c’est certain que la solution du problème principal a l’air un peu disproportionnée, mais elle me semble convenir à la singularité des énigmes posées.

Extrait :
Souvent Sharko s’acharnait sur des détails dont tout le monde se fichait, et ça la perturbait. La nuit précédente, il avait mal dormi, n’avait pas arrêté de se retourner dans le lit et s’était levé à plusieurs reprises.

Il l’accompagna jusqu’aux quais. Une lumière laiteuse filtrait à travers les immenses verrières grisâtres, très haut au-dessus des voies. Quelques pigeons fatigués erraient en quête de miettes de pain, un homme las nettoyait le sol au jet d’eau. Il n’existait rien de plus triste qu’une gare, tôt un dimanche matin.
─ Tu sais qu’ils m’appellent tous Shark, maintenant, au boulot ? fit-il pour combler le silence, seulement rompu par le bruit de leurs pas. On a tous un surnom. Titi, Pitbull … Shark, ce sera le mien. Qu’est-ce que t’en penses ?
─ Tout ça m’a l’air très animalier …
Sharko lui sourit, ils s’embrassèrent avec passion. Son cœur de requin tendre se serra quand le train s’éloigna, et que les beaux yeux bleus de celle qu’il aimait finirent par disparaître derrière la vitre.
À ce moment-là, il se dit qu’être flic, c’est surtout être seul.

Quai des Orfèvres

Niveau de satisfaction :
4.5 out of 5 stars (4,5 / 5)

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Un sang d’encre – Vincent Ejarque

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale :
2023 – Éditions Ramsay
Genres : Enquête, roman noir, historique
Personnage principal :
Cadalen, journaliste

Cadalen, journaliste à Paris, est prévenu qu’un de ses anciens compagnons de l’armée est mort. Il se rend à son enterrement dans le Ségala[1], région de son enfance qu’il a quittée il y a vingt ans. Le rédacteur en chef du journal local lui propose d’enquêter sur le drame qui vient de se produire, le meurtre d’une famille du coin : la mère, ses deux enfants et sa sœur. Le père, lui, a disparu. On retrouvera son cadavre un peu plus tard dans une grotte, la moitié du crâne emportée par un coup de fusil de chasse, c’est une exécution. Assisté d’un reporter photographe énervant mais débrouillard, Cadalen se lance dans une enquête compliquée dans le contexte local marqué par les répercussions de la guerre d’Algérie et la présence de nombreux Maghrébins.

L’action se situe en 1983. La France est alors gouvernée par les socialistes, François Mitterrand est président de la République, le Front National commence à enregistrer des succès électoraux. Ce contexte politique est très prégnant dans ce roman. Aussi quand un ouvrier maghrébin de l’usine la Française de mécanique automobile est arrêté, soupçonné d’être l’auteur des meurtres, Cadalen flaire le coup monté, il continue ses investigations qui vont l’amener à fréquenter l’élite locale. Sa curiosité ne plaît pas à tout le monde et on lui fait savoir : des menaces, puis des agressions ont pour but de le dissuader de fouiller là où il ne faut pas. Bien sûr cela ne décourage pas le journaliste tenace qu’est Cadalen, mais l’enquête devient de plus en plus dangereuse pour lui.

Il est beaucoup question de guerre d’Algérie dans ce livre. Cadalen a été soldat pendant cette guerre et il a vécu des épisodes atroces qui l’ont marqué pour toujours. Il fait fréquemment des cauchemars qui le ramènent vers ce passé douloureux. Il y a aussi un camp de harkis dans la région, des gens y vivent dans des baraquements, dans des conditions indignes. C’est un des leurs qui fait un coupable idéal pour le meurtre de la famille. La politique tient aussi un rôle important. L’auteur fait de nombreux apartés concernant la reconversion des anciens de l’OAS[2] et la montée des idées de l’extrême droite. Il décrit aussi comment les usines sont allées chercher dans le Maghreb une main-d’œuvre bon marché qui explique la forte densité des immigrés dans la région et les réactions xénophobes de la population locale.

Un sang d’encre est un roman dense avec en arrière-fond la guerre d’Algérie. Il recrée parfaitement l’ambiance des années 1980 dans une région frappée par la crise économique et une forte immigration, ce qui n’a pas empêché certains notables d’en profiter pour s’enrichir sans vergogne. C’est un bon polar, inspiré de faits réels, qui sonne juste.

[1] Le Ségala se situe dans la région Occitanie, dans les parties ouest et centre-ouest du département de l’Aveyron et dans le nord-est du département du Tarn. (Wikipédia)

[2] L’OAS (Organisation de l’Armée Secrète) est une organisation terroriste clandestine française proche de l’extrême droite créée le 11 février 1961 pour la défense de la présence française en Algérie par tous les moyens, y compris le terrorisme à grande échelle. (Wikipédia)

Extrait :
L’époque change. Il faut voir grand. Et, puisque les hommes au pouvoir dans notre pays ne sont plus aussi opposés qu’ils ont pu l’être aux forces de l’argent, il est temps d’entreprendre. On liquide l’industrie, on ferme les usines, on veut renvoyer les Arabes chez eux… Nous sommes entrés dans l’ère des marchands. Les alliés de circonstances auxquels on prêtait autrefois serment sont devenus des partenaires d’opportunité, les ennemis sont devenus des clients. En ce sens, maître, votre engagement politique n’est qu’une façade. Vous êtes bêtement de droite car vous estimez que c’est bon pour les affaires. Alors que certains de vos proches, comme votre ami socialiste, nous prouvent qu’on peut se prétendre de gauche et s’enrichir sans vergogne. C’est bien la preuve que, ce qui sépare les hommes, ce ne sont pas les idéaux mais la richesse.

Niveau de satisfaction :
4.2 out of 5 stars (4,2 / 5)

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Un œil dans la nuit – Bernard Minier

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2023 (XO Éditions)
Genres : Enquête, thriller
Personnage principal :
Martin Servas, commandant à Toulouse

 

Matthias Laugier, patient d’un centre hospitalier, se prend pour le démon; il sera bientôt assassiné de façon scabreuse. Il demande au père Eyenga d’apporter un document (une clé USB) à Kenneth Zorn, actif lui aussi dans le cinéma d’horreur. Zorn regarde le document et se jette en bas de son manoir en flammes. Pendant ce temps, à l’hôpital psychiatrique de Toulouse, Stan Du Wels, qui travaillait aussi dans le cinéma d’horreur autour de Morbus Delacroix, est torturé et tué alors que son voisin de chambre disparaît sans qu’on puisse s’expliquer cette disparition. C’est la principale piste que suivra le commissaire Servas de Toulouse, assisté de ses adjoints Vincent Espérandieu et Samira Cheung à l’allure plutôt punk.

Sur une route pluvieuse, la jeune étudiante en esthétique du cinéma, Judith Tallandier, se rend chez le grand réalisateur de films d’horreur, un monstre sacré, et, pour plusieurs, un monstre tout court, Morbus Delacroix, qui a exceptionnellement accepté de la recevoir. Elle sortira de ce court séjour le visage meurtri et elle portera plainte contre Morbus, qui jure n’y être pour rien.

Dans la prison de Seysses, Piotr Souchko est libéré et attend en vain son camarade Florent Cuvilier, tous deux amateurs de films d’horreur. Florent se fait attendre pour la bonne raison qu’il a été victime d’une centaine de coups de couteau. Mais, pour le moment, Servas enquête à Paris, avec son vieil ami le commissaire Pierrat, autour du Cabaret Rouge que fréquentait Du Wels. Les policiers suspectent le méchant Valek d’avoir mis sur pied une sorte de commerce de jeunes femmes. Tout cela est loin d’être clair. Espérandieu suit la trace tout seul à Paris, mais il disparaît.

Ce sera sans doute difficile de mettre de l’ordre là-dedans et de relier tous les fils. Et, au moment où Servas songera peut-être à récupérer un brin, il apprend que son grand ennemi, l’impitoyable tueur en série Julian Hirtmann, vient de s’évader.

J’abrège un peu. Ce n’est pas l’action qui manque. Et surtout : nous sommes en face de plusieurs problèmes mystérieux qui accaparent notre attention et suscitent des émotions troublantes. Le fait que le centre d’intérêt est constitué par le cinéma d’horreur et ses artisans, et que les meurtres sont vraiment horribles, augmentent la tension. La façon d’expliquer ces situations énigmatiques, cependant, manque un peu de conviction : l’insuffisance des observations des policiers et l’imagination excessive de Judith sont loin de satisfaire un esprit, sinon rationnel, du moins exigeant. Pour l’auteur, dans ce roman comme dans le précédent, les problèmes sont plus captivants que les solutions.

Extrait :
LE CLIQUETIS. Cette fois, elle l’entendit plus distinctement. Quelqu’un descendait l’escalier.       

Judith se figea, glacée par une pensée plus paralysante qu’une injection de succinylcholine : ils étaient éveillés. Ils lui avaient tendu un piège et elle était tombée dedans.
Merde, et maintenant je fais quoi ?      
La panique montait en elle avec la rapidité d’une rivière en crue, irrésistible.
Les pas étaient parvenus à l’étage au-dessus : ils entamaient tranquillement leur descente des deux dernières volées de marches (…)
Le chien noir la regardait fixement, sans gronder, en silence, de sers petits yeux aussi mortels que des balles – et ce silence était presque pire que si l’animal avait émis un son. Il se tenait immobile au seuil de la cuisine, sa gueule ouverte, langue pendante, évoquant pour Judith maints films d’horreur où les chiens noirs abondaient : Le Masque du démon, Sinister, Le Chien des Baskerville …  Pas à dire, elle avait le choix.

Hôpital psychiatrique de Toulouse

Niveau de satisfaction :
4 out of 5 stars (4 / 5)

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La récolte des enfants – Nicolas Verdan

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2023 – L’Atalante
Genres : Thriller, roman noir
Personnage principal :
Evangelos Moutzouris, ancien des services de renseignements grecs

Evangelos, retraité des services de renseignements grecs, a été invité à passer les vacances de Noël chez sa fille et son gendre à Zurich. Comme la famille a décidé de revenir vivre en Grèce, sa fille lui demande de rapatrier sa voiture, une Tesla, au pays. Evangelos, qui aime bien conduire, se dit qu’il va profiter un peu de cette voiture haut de gamme en traversant l’Italie pour rejoindre ensuite l’Albanie par bateau. En Albanie, une tempête de neige se déclenche dans les monts Gramos où il se retrouve pris dans un échange de coups de feu entre la police et des terroristes. Blessé, il finit à l’hôpital. Entre-temps il a appris que sa petite-fille a disparu. Malgré sa blessure, Evangelos va mener une enquête à distance. C’est ainsi qu’il va mettre à jour les influences néfastes qui mettent sa petite-fille en danger.

L’intrigue est pour le moins touffue, pour ne pas dire inextricable. Au départ, c’est l’histoire d’un retraité qui doit ramener la voiture de sa fille de Suisse en Grèce. Pendant le trajet il apprend que sa petite-fille adorée a disparu. Jusque là tout est clair, mais ensuite une multitude d’évènements secondaires vient embrouiller le fil du récit. Nous trouvons successivement : une étrange jeune femme en hijab en Albanie, des djihadistes dans les monts Gramos, une influenceuse célèbre sur internet à Budapest, un homme en Smart (la voiture) joue un rôle important à Zurich, nous faisons connaissance d’une drôle de religieuse dans un centre islamique, nous découvrons ensuite un terrible foyer pour enfants, un chalet sinistre, un dangereux psychopathe, puis un cimetière forestier dans un petit village … J’en oublie peut-être. À tout cela s’ajoutent des apartés sur l’histoire de la Grèce. Bref, la recette a trop d’ingrédients pour qu’elle soit digeste.

Malgré ces réserves, le livre est intéressant. Il y a beaucoup de rythme et il est riche en péripéties (un peu trop). Il met aussi en évidence les pièges dans lesquels des jeunes en recherche d’authenticité ou de reconnaissance peuvent tomber. La jeune Zoì, petite-fille d’Evangelos, n’en évite aucun : elle passe du strass et paillettes d’une influenceuse à succès sur internet à la rigueur mortifère de l’islam radical. L’auteur fait le rapprochement avec la pédomazoma, la récolte des enfants, qui donne le titre au livre. C’était l’impôt du sang, le mode de recrutement dans l’Empire ottoman qui consistait à réquisitionner des garçons âgés de 8 à 18 ans parmi les populations chrétiennes, ils étaient ensuite convertis à l’islam et formés pour exercer des fonctions civiles ou militaires au sein de l’Empire.

On est un peu perturbé à la lecture par le tas d’évènements disparates qui s’accumulent et qui ne sont reliés entre eux que par des coïncidences heureuses. Malgré cela le livre reste prenant par son rythme effréné, par son héros humaniste, par l’explication de l’ancienne pédomazoma qui perdure aujourd’hui sous la forme moderne de l’embrigadement via internet, ainsi que par les belles descriptions de la Grèce et des Balkans.

Extrait :
Kahina Ibnouzahir se servit à son tour un verre de thé fumant, dans lequel elle trempa le bout des lèvres.

— Qu’est-ce que Zoì vous a dit après le départ de Sibel ?
— Elle était perturbée. Elle n’arrêtait pas de répéter qu’elle aurait dû s’écouter. Elle disait qu’elle voulait partir. Nous lui avons proposé de dormir ici. Je lui ai dit que nous pourrions parler de tout ça au réveil. Rien n’y a fait. Elle ne voulait pas de nos conseils.
— Mais parler de quoi ? Qu’est-ce qui la mettait dans cet état ? La rencontre avec ce photographe ?
— Encore une fois, j’ignore les détails. Je peux seulement vous dire qu’elle était écartelée entre son addiction aux réseaux sociaux et sa conversion toute récente. D’un côté, elle rêvait d’être une princesse, parée d’habits et de produits de marque. De l’autre, elle aspirait à une vie pieuse et tournée vers Dieu, selon l’exemple de Sibel et de tout ce qu’on a essayé de lui transmettre ici.
— Et le recruteur, dans tout ça ?
— Le recruteur ? C’est malheureux à dire, mais il a su répondre aux deux aspirations de Zoì. Il lui a promis une vie de princesse et le paradis des purs.

Niveau de satisfaction :
4 out of 5 stars (4 / 5)

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L’Étoile du désert – Michael Connelly

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2022 (Desert Star)
Date de publication française :
2023 (Calmann-Lévy)
Traduction (américain) :
Robert Pépin
Genre : Enquête
Personnages principaux :
Harry Bosch, Renée Ballard, inspecteurs de police de Los Angeles

Après avoir quitté la LAPD, Renée Ballard prend la direction de l’unité des Affaires non résolues (cold cases), remise sur pied par le conseiller municipal Jake Pearlman dont la jeune sœur de quinze ans, Sarah, avait été massacrée; l’enquête officielle n’avait abouti à aucun résultat. Pour constituer son équipe, Ballard met la main  sur Harry Bosch, maintenant retraité, et sur quelques autres éléments réputés compétents.

L’équipe découvre assez rapidement un autre meurtre semblable, commis il y a onze ans, celui de la jeune femme de vingt-quatre ans, Laura Wilson, également massacrée. Les analyses d’ADN, des empreintes et des caractéristiques sanguines mènent à la découverte de quelques suspects. Pendant ce temps, Bosch poursuit une autre enquête à propos d’un cas qu’il prend personnel, celui de l’assassinat de la famille Gallagher dans le désert de Mojave par un psychopathe qui n’a jamais été retrouvé.

Comme d’habitude chez Connelly, le décor est très réaliste : magouilles entre le travail policier et les exigences politiques, jeu des avocats et des procureurs, ripoux, ambition des collègues et relations difficiles mais finalement assez efficaces entre la patronne et son principal agent. On a parfois l’impression d’avoir affaire à un documentaire, plus instructif qu’excitant. Même si l’auteur met en valeur les qualités des francs-tireurs : Bosch et Ballard sont des acharnés qui foncent dans le tas sans trop se préoccuper du reste. La multiplication des interrogatoires, cependant, domine l’action proprement dite et laisse une impression de longueur.

Extrait :
Alertée par la réception, Ballard gagna l’entrée des Archives pour accueillir le conseiller Jake Pearlman et son entourage. Ils arrivèrent dans le couloir central en rang serré  ─ deux hommes er deux femmes de front ─ en plus de deux journalistes et d’un vidéaste attitré. Elle n’avait jamais rencontré Pearlman en personne, l’essentiel de ses interactions avec lui ayant consisté en coups de fil, visioconférences et contacts avec Nelson Hastings.

─ Inspectrice Ballard ? lança Pearlman en s’approchant.
Il lui tendit la main, elle la serra. Rasé de près, cheveux noirs bouclés, poignée de main ferme, il était plus grand et plus svelte que ce à quoi elle s’attendait, l’impression qu’elle avait tirée de ses vidéos en ligne étant qu’il serait trapu et bas sur pattes. Sans doute parce qu’il s’était fait filmer en plongée. Blue jean, sneakers noirs, chemise blanche à col boutonné et manches négligemment retroussées jusqu’aux coudes, il portait sa tenue de campagne habituelle.

Key West, marina

Niveau de satisfaction :
3 out of 5 stars (3 / 5)

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