La Condition artificielle – Paul Monterey

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2025
– Le Cherche Midi
Genres : Sociétal, thriller
Personnage principal :
Arnaud Rivelle de la Chausse, prodige de l’intelligence artificielle

Arnaud, expert en intelligence artificielle, prépare une guerre. Constatant que l’humanité fait face au plus grand péril de son histoire et que personne ne semble en prendre la pleine mesure, il a choisi de trouver une solution radicale à l’urgence climatique. Il a décidé de faire tomber le système économique, ni plus ni moins. Mais voilà que lors d’une fête entre gens de la tech, il remarque Cho, une jeune asiatique à forte poitrine. Dès lors, il va développer une obsession pour cette fille. Il va détourner les moyens qu’il a mis six ans à développer pour tout savoir d’elle. Il va utiliser le Général, une unité d’intelligence artificielle qui coordonne plusieurs autres sous unités spécialisées, pour mettre en place un plan machiavélique afin de mettre Cho dans son lit. Passer d’un projet de créer un chaos mondial à celui de simplement séduire une fille ne paraît pas si difficile, mais pas totalement satisfaisant non plus à plus long terme.

Le roman est centré sur Arnaud, un génie de l’intelligence artificielle. Il est l’enfant unique d’une famille riche, les Rivelle de la Chausse. Loin de profiter de l’argent de son père, Arnaud n’a que mépris pour ses parents, il les déteste même et ne perd pas une occasion de les faire enrager. Il n’a pas besoin de la fortune de sa famille pour acheter tout ce qu’il veut : sa connaissance de l’intelligence artificielle lui permet de monter des arnaques lucratives et il sait jongler avec les cryptomonnaies. Arnaud n’exècre pas que ses parents, c’est la société tout entière qu’il hait, tout le monde sauf Cho, mais on ne peut pas dire qu’il soit amoureux d’elle. Pendant un certain temps il est simplement hypnotisé par ses seins et son fessier rebondi, ensuite il l’a trouve idiote, complètement accro aux réseaux sociaux.

Un tel personnage sans scrupules qui déteste tout le monde a la dent dure envers les autres humains. Rien ni personne ne trouve grâce à ses yeux. Tour à tour, tous les aspects de la société sont décriés : la politique, le consumérisme, les médias, les journalistes, les réseaux sociaux, la bourgeoisie, les riches, le complotisme … Le langage est crû, parfois grossier, il exprime de façon explicite la façon de penser du narrateur. C’est féroce, cruel et cynique, mais tellement bien observé ! La masse des critiques n’est pas du tout plombante, au contraire on y trouve beaucoup de vigueur, de tonicité et une pincée d’humour noir qui provoquent souvent le sourire.

À la fin du roman l’auteur développe une pensée plus profonde concernant l’évolution de l’humanité. Il explique comment le progrès technique permet de dépasser notre condition de mortel et ainsi, à la pesanteur de la condition humaine succède l’élasticité d’une condition artificielle. Il est à noter que les conclusions de Paul Monterey rejoignent celles de Giuliano Da Empoli dans Le Mage du Kremlin : tous les deux prévoient la prise de pouvoir des machines intelligentes et l’avènement d’un maître qui ne serait qu’un gigantesque organisme artificiel.

Révélateur de la bêtise humaine, La Condition artificielle est un roman choc et brillant. Il est marqué par un pessimisme certain, mais la profondeur d’analyse, l’acuité et la férocité de l’exposé des comportements humains rendent ce livre captivant.

Extrait :
J’avais longtemps cherché un moyen de provoquer ce choc de civilisation salutaire. J’avais créé l’arme parfaite en la personne du Général mais avais longtemps été incapable de comprendre comment orienter au mieux sa formidable force de frappe. Ironiquement, c’étaient mes triviales mésaventures avec Cho qui m’avaient permis de trouver comment faire. Rien n’arrive jamais vraiment par hasard. Pour faire s’écrouler l’édifice, il fallait parier sur la bêtise humaine. C’était aussi simple que cela. Les institutions, les États, les grandes entreprises ou les banques avaient mis en place des protections qui les rendaient inattaquables. Les cerveaux humains, en revanche, chaque jour plus perméables à la désinformation et la manipulation générées par une nouvelle malveillance virtuelle, étaient plus vulnérables que jamais.

Niveau de satisfaction :
4.5 out of 5 stars (4,5 / 5)
Coup de cœur

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Disparue – Rick Mofina

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2022 (Missing Daughter)
Date de publication française :
2025 (Alire)
Traduction (anglais du Canada) :
Pascal Raud
Genres : Enquête, thriller
Personnages principaux :
Zubik et Asher, inspecteurs

Une jeune fille de 12 ans disparaît de chez elle : fugue, enlèvement ou quoi d’autre ? Le thème n’est pas nouveau. Et pourtant ce diable de Mofina nous emberlificote au point où il devient impossible de lâcher la lecture.

Au cours des 200 premières pages, Mofina a recours a son expérience de journaliste en criminologie pour nous montrer comment se passe une enquête dans le but de retrouver quelqu’un : d’abord, fouiller de près tout ce qui touche les parents qui, dans la majorité des cas, ont quelque chose à voir avec la disparition : empreintes, ADN, entrevues, polygraphe, alibis, conflits éventuels, climat à la maison … Il en ressort quelques chicanes avec son frère Tyler, rien de grave; conflits plus graves avec la mère Karen, qui refuse de permettre à Maddie de sortir avec les garçons; et un événement mystérieux que le père Ryan tient à cacher, même au polygraphe.

Puis, visites des voisins, des caméras de surveillance, des ami(e)s de Maggie et de Tyler, des parents de la famille, surtout Cole, le frère de Ryan, qui met au service de la police son agence d’enquêteurs spécialisés, son épouse Jill et leur fils de 14 ans, Dalton. Les enquêteurs Zubik et Asher scrutent de près les habitants d’une maison de transition qui s’est installée dans le quartier; on y découvre une fenêtre dissimulée qui permet d’entrer et de sortir. Ce qui les mène d’ailleurs à un sérieux suspect.

Tout ce travail, très réaliste, est un peu fastidieux, d’autant plus que plusieurs personnages (surtout Karen) sont hantés par un sentiment de culpabilité qui finit par être fatigant. Mais on tient à savoir ce qui s’est passé entre Ryan et Maggie, quel est le secret de Karen, c’est quoi l’événement important qui était en train d’arriver dans la vie de Maggie et ce qu’elle est devenue.

Des semaines se passent en vain.

Et alors, pas mal plus tard, l’histoire se déchaîne, et là on sent qu’on va enfin finir par comprendre quelque chose. À moins qu’on soit encore piégé. Et les pièges ne font que commencer. Jusqu’au dénouement ultime qui dévoilera le réel improbable qui nous attendait.

Bref, encore un très bon Mofina.

Extrait :
─ Hé, va réveiller ta sœur, s’il-te-plaît.
─ Maddie ! a crié Tyler, puis il lui a envoyé un texto.
─ Va dans sa chambre la réveiller, Ty.
Tyler a  pivoté sur lui-même et il est retourné dans le couloir. Karen rinçait sa tasse de café.
─ Et dis-lui de mettre son justaucorps dans son sac avec sa serviette, a-t-elle ajouté. Si elle l’oublie encore, papa ne rentrera pas le chercher pour elle à la maison.
Tyler est revenu après quelques secondes.
─ Maddie est pas là.
Karen et Ryan l’ont ignoré parce qu’il plaisantait tout le temps.
─ Je suis sérieux, elle est pas là !
Le malaise dans sa voix leur a fait tourner la tête vers lui d’un seul coup.
─ Tu l’as déjà réveillée ? a demandé Ryan.
─ Non, papa … elle est pas là !

Niveau de satisfaction :
4.4 out of 5 stars (4,4 / 5)

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Le dieu des bois – Liz Moore

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2024 (The God of the Woods)
Date de publication française :
2025 – Buchet/Chatel
Traduction (américain) : Alice Delarbre
Genres : Mystère, grands espaces, enquête
Personnage principal :
Aucun, mais nombreux personnages secondaires importants

Le camp Emerson, au cœur des monts Adirondacks, est une colonie de vacances pour adolescents. Elle connaît un grand succès, les parents apprécient que l’on apprenne à leurs enfants des techniques de survie dans la nature. Cette colonie et tous les alentours appartiennent à la puissante famille des Van Laar. La règle d’or du camp est : Si vous vous perdez, asseyez-vous et criez. Elle est affichée dans tous les espaces communs. Ce qui n’a pas empêché, quinze ans plus tôt, le jeune Bear fils de Peter et Alice Van Laar propriétaires des lieux, de disparaître après une sortie en forêt avec son grand-père. Ce matin d’août 1975, on constate une nouvelle disparition : celle de Barbara Van Laar. Cette fois c’est la fille de la riche famille qui manque à l’appel. Les recherches sont lancées, la police est prévenue, des battues sont organisées. Si on ne retrouve pas Barbara, ce sera les deux enfants de la même famille qui auront mystérieusement disparu. Une malédiction semble frapper les fortunés Van Laar.

L’intrigue se déroule sur plusieurs années non contigües : 1950, 1961, 1973 et 1975, avec des allers-retours fréquents entre le passé et le présent. À cela il faut ajouter une dizaine de narrateurs ou narratrices qui prennent la parole à tour de rôle. Cela induit une certaine complexité qui demande une attention soutenue. L’avantage du procédé c’est la vision large et complète de l’histoire qui se dégage au fur et à mesure que l’on avance dans le récit. L’autrice joue habilement avec les points de vue des différents personnages, ce qu’on croyait à un moment donné est remis en question quelques chapitres plus loin. C’est avec une belle maîtrise qu’elle promène le lecteur.

Les personnages sont finement ciselés, que ce soit les riches et hautains Van Laar, leur fille rebelle Barbara, Tracy grande gigue en manque de confiance, la policière débutante Judita, T.J. la directrice mystérieuse et androgyne, Jacob le tueur en série qui vient de s’évader, et quelques autres. Tous ont une belle profondeur psychologique et sont solidement campés.

Le cadre, les monts Adirondacks, tient une place importante dans ce roman, il crée une ambiance particulière, avec à la fois une impression d’immensité et une sensation d’angoisse accentuée par les disparitions. Le domaine est situé en pleine nature. Les bois qui entourent le camp sont aussi attirants que dangereux par leur densité. Un lac est à proximité. La résidence des Van Laar, un édifice colossal nommé Compter-Sur-Soi, est posée au sommet d’une éminence qui permet de dominer tout ce qui l’entoure, comme le font leurs propriétaires.

Au passage, l’autrice incrimine le comportement arrogant des riches qui contrairement aux apparences ont toujours eu besoin des autres pour garder leur position. Les femmes sont soumises aux hommes qui ont la fortune et donc le pouvoir. Ces gens ne sont pas des bienfaiteurs, mais des profiteurs.

Le dieu des bois est un roman captivant, foisonnant et plein de surprises. Il est remarquable par son décor, son ambiance et une belle galerie de personnages.

Extrait :
T. J. Hewitt se tourne à présent vers la seule fenêtre de la pièce. Elle est trop haute pour qu’on puisse apercevoir les bâtiments voisins ou même les arbres, et pourtant elle les cherche, ses yeux vont et viennent rapidement. Elle respire profondément, le visage levé vers le ciel dégagé.

Que deviendront les Hewitt, se demande Judy, s’ils perdent la colonie ? Si les Van Laar les déshéritent, ainsi qu’ils ne manqueront sans doute pas de le faire, sectionnant le fil ténu, vieux de plusieurs décennies, entre les Hewitt et eux, noué par Peter I ?
Elle répond à sa propre question : tout ira bien pour elle. Pour eux. Les Hewitt, comme Judy, comme Louise Donnadieu, comme Denny Hayes même, n’ont besoin de personne, ils savent se débrouiller seuls.
Ce sont les Van Laar, et les familles de ce genre, qui ont toujours eu besoin des autres.

Bois des Adirondacks

Niveau de satisfaction :
4.3 out of 5 stars (4,3 / 5)

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La Faille – Franck Thilliez

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2023 (Fleuve éditions)
Genres : Enquête, thriller
Personnage principal :
Franck Sharko

Dans la Note au lecteur qui suit l’Épilogue, Thilliez  admet qu’il faut se sentir prêt à prendre un pari fou que de consacrer intégralement un roman policier à la mort. Mais il tient à ce que ses polars contiennent des informations sur des sujets d’actualité importants et il a trouvé un bon nombre de « cas de femmes enceintes déclarées en mort cérébrale mais qu’on pouvait néanmoins faire accoucher ». Or, il a cru pertinent d’associer ce phénomène à un thème classique de la philosophie : « La mort du cerveau signifie-t-elle la disparition totale de l’être ? »

Sharko et son équipe traquent un tueur nécrophile. En s’enfuyant, celui-ci assomme la policière Audra Spick, la compagne de Nicolas Bellanger, bon ami de Sharko et de sa conjointe Lucie Henebelle. Poursuivi par Sharko, le malfrat est écrasé par un train. Audra est conduite à l’hôpital. On s’inquiète à bon droit pour elle et pour le petit être dont elle est enceinte. De fait, pendant les 100 premières pages, on disserte sur la mort et on s’apitoie sur le sort du fœtus. Nicolas se renferme sur lui-même, au contraire de Franck qui s’agite de façon excessive. Ça placote sur la vie après la mort et Lucie, obsédée par le fait de retrouver ses deux filles mortes, se persuade que la vie continue après la mort du corps et que le fœtus est un être humain. C’est comme si l’auteur voulait compenser la pauvreté de l’intrigue par les comportements exagérés de ses personnages.

Et, au fait, qu’en est-il de l’intrigue ? L’équipe enquête sur des personnes tellement persuadées qu’elles ont vu l’enfer et qu’elles sont poursuivies par des démons qu’elles finissent par se suicider. De là, on remonte à une sorte de trafic d’organes et à des savants qui se livrent à des expériences pour savoir si la conscience survit à la mort du cerveau.

Thilliez est si hanté par son problème psychophilosophique que l’intrigue policière comme telle en souffre et que ses personnages sont trop excessifs pour être crédibles. Même le fait de sortir Frankenstein des oubliettes n’améliore pas la situation.

Bref, une grande déception.

Extrait :
Lucie se tourna vers la porte fermée avant de prendre la main gauche d’Audra dans la sienne et de se pencher vers son visage, comme lorsqu’on cherche à révéler un secret.
─ Malgré tout ce que les médecins disent, je suis convaincue que tu m’entends, que… que tu es là, quelque part dans cette pièce. Je ne sais pas comment, je ne sais pas sous quelle forme, mais je le sens au fond de moi. Et ton bébé aussi. J’ai besoin que tu me fasses un signe. Que tu me dises que… que la lumière existe. Que tout n’est pas qu’obscurité. Fais-le, Audra. S’il te plaît, juste un signe.

Niveau de satisfaction :
3 out of 5 stars (3 / 5)

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Bastion – Jacky Schwartzmann

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2025 – Seuil
Genres : Thriller, Humour
Personnage principal :
Jean-Marc Balzan, célibataire retraité

Jean-Marc est un vieux garçon, pas de femme ni enfant, sa seule attache est son ami de toujours : Bernard. Nouvellement retraité, Jean-Marc apprend que Bernard s’est engagé dans l’équipe de campagne d’Éric Zemmour, candidat d’extrême droite, pour la présidentielle de 2027. Estimant que c’est une des sottises dont son ami se rend régulièrement coupable, Jean-Marc décide de le sortir de cette mauvaise situation. Pour lui venir en aide, il ne trouve rien de mieux que d’intégrer le groupe d’ultradroite dont fait partie Bernard, il sera ainsi à ses côtés pour lui éviter tout faux pas. Il réussit si bien son intégration qu’il devient une des chevilles ouvrières de l’organisation d’extrême droite. Il est alors impliqué dans des projets aussi effrayants que dangereux. Il ne sait plus comment se dégager du piège dans lequel il s’est mis lui-même.

Dans ce nouveau roman, Schwartzmann s’attaque à la politique. Mais ici pas de discours, pas de diatribe, pas d’arguments, pas de théorie, juste des observations sarcastiques et grinçantes qui sont la marque de fabrique de cet auteur. La politique lui permet d’aborder beaucoup d’autres sujets de la société, tels que : – les courses des retraités un lundi matin dans un Super U – l’humanitaire blanc – les jeunes d’origine algérienne qui ne se sentent pas français – les prostituées véritables horodateurs à fellations – les bobos et les peoples – les prolétaires et les bourges – les noirs dans le football – le racisme – les cathos intégristes – les chaînes d’information … et j’en passe. Une palette aussi étendue que diverse qui fait qu’on ne s’ennuie jamais à la lecture de ce livre.

De la politique elle-même, il en est aussi question. De la pauvreté des idées de l’extrême droite par exemple : si tu es pauvre, c’est à cause des étrangers. Il y a une critique des idées de Zemmour et de Zemmour lui-même : un grand bourgeois aux ongles incarnés, islamophobe aux fantasmes de pouvoir … son sourire de maigrichon. Plus les types sont gaulés comme du gingembre, plus leur discours est viriliste. Finalement Schwartzmann en déduit que le meilleur responsable politique c’est ChatGPT : une intelligence artificielle disposant d’un savoir total, mais sans idéologie, sans culture particulière, sans goût, sans amitié et, surtout, sans appétit.

Jean-Marc Balzan, est le personnage principal du roman. C’est un retraité, resté célibataire à cause d’une inaptitude au mariage. Il n’en souffre pas le moins du monde, il était tranquille et peinard, l’amitié de son copain Bernard lui suffisait. C’était avant qu’il n’entreprenne la mission de sauvetage de son vieil ami, parce qu’après ça devient beaucoup plus agité et pour tout dire beaucoup plus dangereux. Comme il ne manque pas de ressources, son esprit d’initiative et son imagination le font remarquer par les cadres de l’équipe de campagne de Zemmour, il va devenir un des piliers de l’organisation. Après, il faut sortir de cette situation, c’est le plus délicat et le plus périlleux.

Bastion est en mélange réussi de thriller et de roman humoristique. C’est drôle et enlevé, la gouaille et les critiques féroces s’y côtoient de façon jubilatoire.

Extrait :
C’est drôle à quel point il a des idées sur tout. Il y a tant de sujets sur lesquels je me sens, moi, tout à fait incompétent. Lui, non. Il a son idée, toujours, que vous lui parliez de formule 1, de physique quantique ou de la dynastie des Romanov. Inutile de préciser que le sujet du soir est très ciblé : l’élection présidentielle. Didier. La gouaille. L’analyse de comptoir. Il y a un truc que je ne comprends pas, c’est cette passion pour Zemmour, alors même que Le Pen est quasiment assurée de remporter la présidentielle. Je l’interroge là-dessus :

– Mais pourquoi vous ne vous contentez pas du RN ? Ça y est, c’est leur tour. Et les idées sont les mêmes.
– Tu plaisantes ? Marine attend les sondages pour avoir des convictions. Et Bardella, tu parles d’un meneur… Ça suffit pas d’avoir la gueule d’OSS 117. Le RN, c’est trop tiède. Et franchement, Marine ne dit rien de plus que ce que disait Jean-Pierre Chevènement il y a vingt ans. Je vais te dire, Jean-Marc : la fille Le Pen, c’est comme Mad Max, mais sans les bagnoles. Nulle à chier !

Niveau de satisfaction :
4.3 out of 5 stars (4,3 / 5)

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Le cadavre du canyon – Thomas King

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2022 (Deep House)
Date de publication française :
2025 (Alire)
Traduction (anglais du Canada) :
Paul Gagné
Genre : Enquête
Personnage principal :
Thumps DreadfulWater

C’est toujours un plaisir de lire un Thomas King, du moins la série de Thumps DreadfulWater (« Eau redoutable »  en Cherokee), dont c’est le sixième livre. L’action se passe à Chinook, village d’un millier d’habitants dans les montagnes du Montana, voisin d’un territoire autochtone d’où viennent  bon nombre de ses citoyens, dont Thumps lui-même. Ceci dit, toutes ces personnes vivent le même genre de vie, parlent la même langue et mangent pour déjeuner des œufs, du bacon et des toasts.

Au centre de ces récits, Thumps, ancien policier, désormais photographe, plutôt solitaire, méfiant par rapport à toute nouveauté, pas antipathique mais peu porté à l’amitié sauf avec le shérif Hockney et avec celle pour qui il éprouve une amitié ambigüe, l’indépendante Claire, qui semble désirer élever toute seule sa fille Ivory.

On retrouve Thumps, malgré tout, au centre de chaque enquête, parce que le shérif Hockney l’intègre plus ou moins de force à ses investigations. Thumps se fait prier mais finit toujours par accepter, surtout quand l’affaire est mystérieuse. Cette fois-ci, par exemple, une camionnette carbonisée est retrouvée sur le terrain d’une entreprise qui teste les effets du soleil sur différents types de peinture. Or, le système de sécurité garantit que le conducteur de la camionnette n’a pas quitté les lieux. Il a pourtant disparu. Et c’est probablement lui qui sera découvert un peu plus tard, mort, dans le canyon. Thumps  trouve plutôt suspect que la compagnie ait envoyé trois cadres importants enquêter à Chinook : se pourrait-il que la camionnette ait transporté des objets de grande valeur, qui auraient d’ailleurs disparu eux aussi ?

Plus Thumps et Hockney s’approcheront de la vérité, et plus les cadavres se multiplieront. C’est de peu que nos deux héros échapperont à une tentative d’assassinat. Même si on ne lit pas les romans de King pour être ébranlé par une action trépidante, les dernières pages de ses romans contiennent toujours des rebondissements qui nous tiennent en haleine.

Les romans de King me font penser à la série télévisée « Elle écrit au meurtre » avec Angela Lansbury : un petit village où un crime apparaît comme un coup de tonnerre dans un ciel serein, des personnages qui reviennent dans chaque histoire, un humour continuel à cause de la personnalité unique de Thumps et de ses relations avec les autres, et la vie quotidienne qui continue de se dérouler comme si de rien n’était (Thumps et sa chatte Freeway).

Bref, comme les cinq premiers, c’est un roman attachant, parce qu’écrit avec sensibilité et intelligence.

Extrait :
Thumps n’avait pas de téléphone cellulaire. Quand l’appareil se mit à sonner, il fut donc étonné.
Puis, il se souvint.
Cisco Cruz.
Cruz lui en avait donné un.
Thumps le sortit de sa poche et l’écarta du soleil aveuglant pour consulter l’écran. Il s’attendait presque à tomber sur un message lui proposant de réduire les paiements mensuels d’une carte de crédit qu’il n’avait pas ou le mettant en garde contre la présence d’un virus touchant l’ordinateur qu’il ne possédait pas.

Chinook, la Rue Principale

Niveau de satisfaction :

4.3 out of 5 stars (4,3 / 5)
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Bleus, Blancs, Rouges – Benjamin Dierstein

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2025 – Flammarion
Genres : policier, politique, historique, roman noir
Personnages principaux :
Marco Paolini et Jacquie Lienard, jeunes inspecteurs de police – Robert Vauthier, mercenaire – Jean-Louis Gourvennec, brigadier infiltré dans un groupuscule gauchiste

À Cannes-Écluses, l’École Nationale Supérieure de la Police, Jacquie Lienard et Marco Paolini, sont en compétition féroce pour finir major de leur promotion. Ce sera Marco qui décrochera la timbale bien que Jacquie soit plus brillante que lui, mais Marco n’a pas hésité à la dénoncer lorsqu’elle a fait le mur. Le blâme qu’elle a reçu a permis à son rival de la doubler in extremis. C’est donc Marco qui obtiendra la seule et très convoitée place à l’Antigang alors que Jacquie devra se contenter des RG (Renseignements Généraux). Mais la compétition entre eux se continue sous la forme d’une guerre des polices dans la traque de Geronimo, un activiste gauchiste et celle de Jacques Mesrine, l’ennemi public numéro 1 qui a réussi à s’évader. Pendant ce temps Vauthier, un mercenaire, ancien garde du corps de Giscard d’Estaing, revient d’Afrique avec la ferme intention de s’approprier les hauts lieux de la nuit parisienne. Ces personnages vont se retrouver dans les mêmes endroits, à Paris, dans les années 1978 et 1979, sous la présidence d’un Valéry Giscard d’Estaing compromis dans des amitiés sulfureuses avec des chefs d’états africains.

L’auteur nous décrit un monde où la guerre des polices fait rage pour atteindre des objectifs qui mettront les chefs sous les feux des projecteurs. Les stars de la police soignent leur image à l’instar des très médiatiques commissaires Robert Broussart, chef de l’Antigang, ou Pierre Ottavioli de la Brigade criminelle. La pègre de son côté prospère en exploitant les boîtes de nuit, les cabarets, tous les lieux où se retrouve la jet-set parisienne. Nous croisons beaucoup de personnages connus, entre autres : Alain Delon, Mireille Darc, Serge Gainsbourg, Yves Mourousi, Thierry Le Luron, Robert de Niro, Catherine Deneuve, Gérard Depardieu … Les frontières entre la police et la pègre sont floues, et bien souvent, les policiers eux-mêmes sont impliqués dans des activités criminelles. Certains, comme le commissaire Cointurier dit Coin-Coin, utilisent leur pouvoir pour faire chanter des patrons de boîtes, où pour protéger les intérêts de ceux qui lui versent une redevance.

Valéry Giscard d’Estaing et Jean-Bedel Bokassa

La politique est aussi omniprésente avec un Président Valéry Giscard d’Estaing, surnommé le Monarque, amateur de chasses au gros gibier, de diamants et de belles femmes. Nous rencontrons également Jean-Bedel Bokassa et son épouse Catherine, Omar Bongo et son épouse Marie-Joséphine, Jacques Chirac, Raymond Barre, François Mitterrand, Georges Pompidou, Bernard Tapie, entre autres. Nous apprenons aussi comment le ministre Robert Boulin s’est « suicidé » et comment l’increvable Kadhafi a échappé à de multiples attentats.

L’écriture est tonique, proche du langage parlé, avec des dialogues savoureux et des mots très crus. Bref, on ne s’ennuie pas.

Ce roman est le premier tome d’une trilogie historique qui débute en 1978. C’est un roman très dense et touffu avec beaucoup de personnages et énormément de sigles. Sur presque 800 pages, cela demande une attention soutenue. Heureusement en fin d’ouvrage se trouvent l’index de tous les personnages ainsi qu’un dictionnaire des sigles.

Ce livre est une performance, c’est une réécriture romancée de l’histoire, avec beaucoup de précisions et de détails qui ont dû demander une documentation énorme comme en témoigne l’abondante bibliographie qui se trouve à la fin du livre.

Bleus, Blancs, Rouges est un roman ample et intense sur l’histoire de France récente vue de façon truculente par Benjamin Dierstein.

Extrait :
Leur business était sur le point de se transformer. Le Caprice et le Black & White avaient rouvert. Stanislas Desjardins avait annoncé sans pédés vous ne ferez rien. Dave avait affirmé il a raison – les homos, c’est le futur. Journiac avait dit je veux des beaux gosses bien membrés qui sont prêts à lécher les founes de Marie-Jo et de l’impératrice Catherine. Desjardins avait été chargé de recruter des beaux garçons – une moitié était gay et l’autre s’occupait des dames riches.

C’était la nouvelle stratégie – se diversifier pour se différencier et changer de produits pour éviter la concurrence directe. La moitié des filles avaient été virées. Des poules de luxe avaient été embauchées à la place. Désormais, ils visaient plus haut – ils voulaient changer de clientèle – passer à la gamme au-dessus – de la passe à mille balles à la pipe à dix mille balles.
Dave lui avait fait un topo sur le monde moderne – c’est fini le délire manichéen, plus personne n’en a rien à foutre de la guerre d’Algérie.
Il lui avait dit plus personne n’en a rien à foutre des valeurs, ni de la politique. Il avait ajouté il faut penser pognon, Vauthier. Il avait affirmé c’est fini les années soixante-dix, on entre dans les années quatre-vingt. Il avait conclu le futur est là, à notre porte, tu le vois ?

Le disquaire passait Rasputin de Boney M

Boney M – Rasputin

Niveau de satisfaction :
4.4 out of 5 stars (4,4 / 5)

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Le Pacte d’Hämmerli – Richard Ste-Marie

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2025 (Alire)
Genres : Enquête, fantaisie
Personnage principal :
Francis Pagliaro, sergent-détective

Après avoir été ébranlé par le roman japonais d’Uketsu, je trouve le roman de Ste-Marie bien léger. Lui-même ne se voit d’ailleurs pas comme un écrivain traditionnel et compare ses romans, en tout cas celui-ci, à ceux de San Antonio, qui est quand même plus amusant. L’auteur ne se veut pas trop sérieux : il multiplie les notes en bas de page, interrompt une action  pour nous refiler ses commentaires, inverse parfois l’ordre des chapitres. On s’y perd un peu mais ce n’est pas grave parce que l’enquête n’a rien de dramatique. Je me voyais un peu comme un petit garçon assis sur les genoux de son mononcle qui prend bien du plaisir à lui raconter  une histoire, pas nécessairement pour l’endormir, mais pour le distraire, changer le mal de place, comme on dit.

On confie au policier Pagliaro, qui est à la veille de prendre sa retraite, une enquête sur un meurtre commis 17 ans auparavant : deux balles avaient tué l’ex-policier Maurice « Mo » Charbonneau. Un suspect (Gilbert Drolet) a été trouvé coupable et mis en prison. Drolet, qui a toujours nié son implication, vient d’entamer une grève de la faim. Il s’agit donc de savoir si l’enquête a été menée avec rigueur par les policiers Marcel Banville et Simon Lemoyne.

L’enquête est plutôt déprimante pour le sergent-détective. Pagliaro prend une pause au Bar de la faillite où il retrouve Charles McNicoll, alias Monsieur Hämmerli, tueur à gages converti et recyclé en euthanasiste, qu’il a rencontré l’hiver dernier à une conférence de René Girard au Musée de la civilisation. Le tenancier Roger, son comptable le Gros Luce et Hämmerli s’efforcent de lui remonter le moral. Situation délicate parce que si c’est vrai que ce trio a de quoi renseigner et orienter Pagliaro dans ses recherches, les trois copains ont aussi profité des combines des magouilleurs-assassins.

Ste-Marie insiste sur l’étonnante amitié entre un sergent-détective intègre et le tueur à gages recyclé Hämmerli, épris l’un et l’autre de musique classique. Les nombreuses entrevues permettent aussi de constater la politesse, la ruse et la rigueur de Pagliaro. On sait bien qu’il finira par atteindre son but et que les méchants seront vaincus. Mais là n’est pas l’essentiel. Le plus important pour Ste-Marie, c’est la façon de raconter cette histoire, les références à la culture québécoise  par exemple le nom du policier assassiné Maurice « Mo » Charbonneau qui rappelle celui de Maurice « Mom » Boucher (bien connu comme chef des Nomads, groupe de motards criminels), et l’art d’insérer des citations. Ou mieux, comme le dit Hämmerli, qui raconte l’histoire : « Revenons-en plutôt à ce qui me préoccupe et m’enchante : ma propre vie ».

C’est ici que la légèreté de Ste-Marie rejoint un peu celle de San Antonio : on ne lit pas ces auteurs pour se tourmenter, mais plutôt pour se reposer des problèmes de la vie quotidienne, pour se calmer les nerfs, pour se détendre.

Extrait :
Francis sourit à sa belle. Il se lève de sa chaise, éteint la lampe banquier à l’abat-jour jaune, autre cadeau de Lisa, et rejoint sa femme dans l’embrasure de la porte pour l’embrasser. (Pour embrasser Lisa, pas pour embrasser la porte, vous aurez compris. Remarquez, si j’avais écrit … et rejoint Lisa pour l’embrasser dans l’embrasure, vous m’auriez taxé de pornographie).

Le Vieux Port de Québec

Niveau de satisfaction :
3.3 out of 5 stars (3,3 / 5)

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Le Tout – Dave Eggers

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2021
(The Every)
Date de publication française :
2025 – Éditions Gallimard
Traduction (américain) :
Juliette Bourdin
Genres : Anticipation, dystopie
Personnage principal :
Delaney Wells, jeune femme cadre dans Le Tout

Le Tout est né de la fusion du Cercle qui concentre tous les réseaux sociaux et de la Jungle, leader mondial du commerce en ligne. Le Tout est devenu ainsi la firme la plus puissante du monde, elle développe des applications qui gèrent tous les aspects de la vie humaine. Elle est incontournable. Delaney Wells est une jeune femme candidate à un poste dans le Tout. Elle veut intégrer le Tout dans un seul but : le détruire. Une fois à l’intérieur, Delaney prévoit d’examiner la machine, d’analyser ses faiblesses et de la faire exploser. Son but est de mettre un terme à son règne maléfique sur cette Terre. Dans un premier temps, elle réussit à se faire embaucher, mais le chemin pour atteindre son objectif est encore long et sa cible est puissante.

Delaney réussit non seulement à entrer au cœur de l’entreprise qu’elle veut anéantir, mais elle y fait embaucher son ami et colocataire Wes, un technotrog : un codeur de talent qui vit hors réseau. Dans San Francisco où est implanté le siège mondial du Tout, la TrogTown est la partie de la ville qui résiste à l’invasion technologique, elle n’a pas de réseau, elle est hors zone d’influence du Tout. C’est de là que viennent Delaney et Wes. Une fois installés dans le Tout, les deux compères se mettent à concevoir des applications, toutes plus débiles et liberticides les unes que les autres. Leur intention est de provoquer le rejet et la révolte de la population et d’ainsi provoquer la chute du Tout. Mais stupéfaction : les idées qui leur paraissaient terribles, enchantent le reste de l’humanité. Elles rencontrent un grand succès et renforcent l’emprise mondiale du Tout.

Des applications toujours plus aliénantes sont très appréciées par les utilisateurs qui deviennent addicts et incapables de décider quoi que ce soit par eux-mêmes. Faire un choix devient une épreuve que les gens préfèrent éviter en déléguant toute décision à l’intelligence artificielle. Plus de libre arbitre, les gens se placent volontairement sous le contrôle de la technologie, c’est plus facile et plus sécurisant. Le personnel du Tout se replie sur lui-même, évitant tout contact avec l’extérieur jugé dangereux. Les gens deviennent des sortes de zombies, craintifs, pilotés par des applications stupides. L’espèce humaine mute, de créature libre l’homme devient un animal de compagnie captif. L’auteur s’en donne à cœur joie pour décrire ce changement, il le fait de façon malicieuse et narquoise, même si au fil des 640 pages du livre, ça finit par devenir un peu long et répétitif.

Le Tout nous décrit un avenir sombre et inquiétant où l’humanité, sous la surveillance d’une entité technologique super-puissante, devient totalement dépendante des applications informatiques et de l’intelligence artificielle. C’est un roman pessimiste sur le fond, avec cependant un côté comique par l’absurde dans la forme.

Extrait :
— Peut-être que oui, peut-être que non, dit Agarwal en soupirant. Je ne sais pas. C’est venu des deux côtés. Ce que je n’ai pas vraiment vu venir, c’est la complicité. Les motivations des entreprises, pour consolider, mesurer et profiter des données, oui, ça je l’ai vu. Mais je n’ai pas vu le côté humain au quotidien. Le fait que l’écrasante majorité d’entre nous préfère céder toutes les décisions aux machines, remplacer les nuances par des chiffres… Cela a dépassé mes pires cauchemars. Chaque jour, nous fabriquons une nouvelle machine qui supprime davantage l’intervention humaine. Nous n’avons confiance ni en nous-mêmes ni dans les autres pour faire le moindre choix, pour établir un diagnostic, pour attribuer une note. La seule décision qui nous restera sera celle de vivre ou de mourir. C’est le changement de l’espèce qui, de créature libre, devient un animal de compagnie captif. Comme tant d’autres, Lili a choisi de ne pas s’inscrire dans la direction que prend l’espèce. Les derniers résistants seront cooptés ou disparaîtront.

Niveau de satisfaction :
4.2 out of 5 stars (4,2 / 5)

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Strange Pictures – Uketsu

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2022
Date de publication française :
2025 (Seuil)
Traduction (japonais) :
Silvain Chupin
Genres : Mystère, noir, thriller
Personnages principaux :
Kumaï, Iwata

Je souhaite souvent être dépaysé en lisant un roman, mais ce n’est pas en tâtant le terrain du côté finlandais, islandais ou coréen (du Sud !) qu’on y parvient. Cette fois-ci, toutefois, Strange Pictures, roman japonais d’Uketsu, m’a carrément désarçonné, non pas parce que le titre anglais n’est pas traduit, ni parce que les personnages sont si différents de nous. À cause plutôt de la composition du récit qui exige notre attention constante pour qu’on ne traite pas l’auteur d’incohérent  alors que toutes les pièces de ce joli puzzle finissent par s’emboîter parfaitement. Uketsu est l’écrivain le plus vendu au Japon mais on ne le connaît pas vraiment : il apparaît toujours vêtu de noir avec un masque blanc. Le mystère le poursuit jusque dans sa vie.

Bel exemple de trompe-l’œil : en abordant le chapitre 2, j’étais déçu d’avoir apparemment affaire à 4 nouvelles (ce qui n’était indiqué nulle part), alors que, en réalité, c’était le même récit qui se poursuivait. Ce qui était commun, c’était l’ensemble des dessins qu’il fallait interpréter pour comprendre le sens caché de ces messages et les mêmes personnages qu’on finissait par retrouver.

Les interprétations subtiles se succèdent et les cadavres se multiplient. Ce qui apparaît aujourd’hui comme un détail révélera demain toute son importance. Pourquoi Ren cesse-t-il d’alimenter son blog ? Pourquoi Naomi n’appelle-t-elle pas la police pour retrouver Yûta ? Qui a massacré Miura sur le mont K ? Est-ce que Iwata en savait trop ? Pourquoi ces dessins de montagnes ? Toyokawa s’est-il vraiment suicidé ?

Alors qu’on croit avoir trouvé des réponses à ces questions, il y a toujours quelque chose qui ne marche pas. D’autres hypothèses tout aussi plausibles apparaissent. On a l’impression qu’on n’y comprendra jamais rien. Les personnages ne sont pourtant pas si nombreux. Les meurtres sur le mont K recelaient bien des incongruités. En s’efforçant de les résoudre, la lumière se fait jour lentement, et le lecteur en ressort tout ébloui.

La composition est magistrale. On a souvent l’impression de perdre pied, mais l’auteur nous encourage à aller de l’avant en semant, ici et là, quelques indices. La torture est bien dosée et on espère que c’est pour notre bien. Ce qui est le cas, fort heureusement.

Ébloui, certes, mais encore secoué.

Extrait :
« À la personne que j’aime le plus.
Aujourd’hui, je vais cesser d’alimenter ce blog.
Pourquoi ? Parce que j’ai percé le secret de ces trois dessins.
Je ne pourrai jamais comprendre les souffrances que tu as endurées.
J’ignore la gravité du crime que tu as commis.
Je ne peux pas te pardonner. Et pourtant, je continue de t’aimer. »
Ren

Niveau de satisfaction :
4.5 out of 5 stars (4,5 / 5)
Coup de cœur

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Coup de grâce – Stefan Ahnhem

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2021 (DEN SISTA SPIKEN)
Date de publication française :
2025 – Albin Michel
Traduction (suédois) :
Caroline Berg
Genres : Enquête policière, thriller
Personnages principaux :
Kim Sleizner, chef de la police criminelle de Copenhague – Dunja Hougaard, ancienne policière – Fabian Risk, inspecteur de police

Un couple qui pratique le kayak dans le port de Copenhague découvre une voiture au fond de l’eau. Lorsque la voiture est remontée à la surface, on trouve deux cadavres à l’intérieur dont l’un est celui du directeur du renseignement de la police. Pendant ce temps Dunja Hougaard surveille Kim Sleizner, le chef de la police criminelle de Copenhague, son ancien patron. Elle le sait corrompu, elle veut le faire tomber. L’inspecteur Fabian Risk vient d’apprendre que son fils est mort par sa faute et comme on lui donne peu d’explications sur son décès, il tente de connaître les circonstances qui ont amené ce drame. Les trajectoires de Kim Sleizner, de Dunja Hougaad et de Fabian Risk vont se croiser dans une affaire complexe qui va impliquer des personnages haut placés de la société danoise.

L’intrigue est complexe et touffue. Plusieurs fils narratifs s’entremêlent : le contentieux entre l’ancienne policière et son chef, les magouilles du patron de la police, les malheurs familiaux de l’inspecteur Risk, une histoire de trafic et de prostitution de femmes et la corruption des élites. Bien sûr, tous ces éléments finissent par converger, mais il faut rester attentif pour ne pas se perdre dans les dédales des diverses ramifications de l’intrigue, d’autant plus que les personnages sont nombreux.

Parmi les personnages, c’est celui de Kim Sleizner, le pourri, qui est le plus en vue, particulièrement dans ses nombreuses opérations d’influence et de manipulation. L’ennemie jurée de Sleizner, Dunja Hougaard, est parfois montrée de façon caricaturale : elle se paye des séances de musculation de trois heures quotidiennes, à plusieurs mètres de haut, au-dessus d’un empilement de chaises les pieds vers le haut. Costaud, mais maso, la nana ! Quant à l’inspecteur Risk, il est en grande souffrance et perdu dans ses problèmes familiaux.

Je suis sorti mitigé de la lecture de ce roman. Le point fort est indéniablement le suspense et le rythme que l’auteur réussit à maintenir, même si certains passages peuvent paraître superflus et trop bavards, par exemple les angoisses de la kayakiste qui soupçonne son compagnon de vouloir se débarrasser d’elle ou encore les interminables supputations des policiers quant à l’origine des deux morts dans la voiture repêchée dans le port. Mais ce qui est le plus dérangeant ce sont les rebondissements faciles et invraisemblables, comme ce mort qui n’est pas mort, qui réapparaît frais, guilleret et en pleine forme. L’incohérence des personnages est un autre sujet d’agacement : Dunja Hougaard voue une haine féroce à Kim Sleizner au point qu’elle a essayé de le brûler vif, mais la voilà qui se montre magnanime et d’une naïveté exaspérante quand son adversaire est à sa merci. La guerrière se transforme alors en une gentille fille qui veut se donner bonne conscience. C’est un exemple parmi d’autres.

Dans Coup de grâce, l’auteur a privilégié le spectaculaire et le sensationnel au détriment de la vraisemblance et la cohérence. Ce qui donne un livre dont la lecture peut être addictive pour certains et décevante pour ceux qui attachent de l’importance au fond et à la construction du roman.

Extrait :
Dunja soupira. « Je te jure que je n’exagère pas. C’est ça le problème. Est-ce que Sleizner est un menteur ? Oui. Un salopard de violeur ? Devine. Un parfait psychopathe ? Incontestablement. Mais pour bien le décrire, il faudrait inventer de nouveaux mots. Alors non, je ne peux pas laisser tomber et faire comme si tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes. Je n’ai pas l’intention de m’arrêter. Et si tu crois que c’est une possibilité, tu rêves. Si on ne le met pas hors d’état de nuire, cette raclure continuera encore et encore, jusqu’à ce que quelqu’un l’enferme pour toujours. Tu peux me croire. »

Corruption des élites

Niveau de satisfaction :
3.5 out of 5 stars (3,5 / 5)

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La revanche – Arttu Tuominen

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2020 (Hyvitys)
Date de publication française :
2023
(La Martinière)
Traduction (finnois) :
Anne Colin du Terrail
Genres : Noir, thriller
Personnages principaux :
Jari Paloviita, Henrik Oksman

Dans la petite ville finlandaise de Pori, une grenade est lancée dans une boîte de nuit fréquentée par la communauté LGBTQ. Bilan : 5 morts et des dizaines de blessés. L’attentat est revendiqué par un homme qui se prend pour l’Envoyé de Dieu : « L’homosexualité représente tout ce qui va mal dans notre société. C’est un fléau envoyé par Satan en personne qui nous contamine lentement. Je vous en conjure : suivez-moi. Suivez-moi, et Notre-Seigneur Jésus vous récompensera ! » Le message est rapidement diffusé à la télévision et dans tous les médias. On apprend, par ailleurs, que l’explosif fait partie d’un stock de grenades et de fusils qui ont été volés dans les réserves de l’armée. Des groupes d’extrême droite comme le White Order sont encouragés par les actes et le discours de cet Envoyé, ce qui est une mauvaise nouvelle parce qu’une manifestation des organisations homosexuelles est prévue pour demain.

Le représentant de la Police judiciaire centrale (PJC) Johan Niemi est responsable des opérations, mais ce sont surtout les inspecteurs Jari Paloviita et Henrik Oksman qui se chargent de l’enquête. Niemi a peu de succès dans ses recherches de l’Envoyé. Mais Paloviita et Oksman se préoccupent de la disparition de deux témoins de Jéhovah qui auraient été en contact avec l’Envoyé.

L’intrigue policière a évidemment son importance, mais plusieurs autres problèmes retiennent notre attention : d’abord, l’attitude de la population vis-à-vis des minorités comme les homosexuels : c’est seulement en 2017 que le mariage entre personnes du même sexe a été autorisé en Finlande; depuis ce temps, compte tenu des virages politiques à droite qui se sont multipliés dans bien des pays, il semble qu’une tendance à la répression se soit accentuée. Cette thématique est d’autant plus développée dans le roman que l’inspecteur Oksman est lui-même un travesti, qu’il était présent au Venus peu avant que la grenade explose, et qu’il craint que son partenaire ou que des caméras de surveillance révèlent son secret. Son collègue Paloviita est distrait par des problèmes de famille (argent et beau-père) qui perturbent son rendement. Enfin, comment évolueront les relations entre l’Envoyé et le fils du témoin de Jéhovah qu’il a kidnappé ?

Le roman est dense mais l’ensemble est bien équilibré. L’auteur se veut réaliste, les policiers ne sont pas des héros et n’ont pas l’intelligence d’un Poirot. On sympathise avec eux parce que ce sont des gens bien ordinaires, et qu’ils évoluent, du mieux qu’ils peuvent, dans un milieu qui ressemble pas mal au nôtre.

La revanche a reçu en 2023 le Prix Palle Rosenkrantz, un prix bien mérité.

Extrait :
─ Nous avons trinqué à la santé de l’Envoyé. Quelqu’un a enfin osé faire quelque chose. Ce type a des couilles (…)
Renlund (chef des White Order) se tourna vers le portrait d’Adolf Hitler accroché derrière lui. « J’espère que le plus de gens possible répondront à  l’appel de l’Envoyé. Le seul remède efficace contre des maladies mortelles telles que le communisme, les infirmités, la juiverie et l’homosexualité est l’éradication totale (…) Il faut fermer les frontières avant qu’il ne soit trop tard. L’afflux de migrants économiques doit être stoppé et notre patrimoine génétique ainsi que notre culture doivent être préservés. »

La ville de Pori

Niveau de satisfaction :
4.2 out of 5 stars (4,2 / 5)

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