Tous les invisibles – Mateo Askaripour

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2024 (This Great Hemisphere)
Date de publication française :
2025 – Buchet/Chastel
Traduction (américain) :
Anne Sylvie Homassel
Genre : Science-fiction
Personnage principal :
Sweetmint, jeune femme invisible

2529, la terre est divisée en quatre hémisphères indépendants : Nordouest, Nordest, Sudest et Sudouest. Dans la région des forêts de l’hémisphère Nordouest, une partie de la population est devenue invisible, au sens propre du terme : on ne la voit pas, elle est transparente. Ses membres sont appelés les invisibles. L’autre partie de la population est normale, c’est à dire visible, c’est la Population Dominante : les PoDo. Cette société est profondément inégalitaire, les PoDo, jouissent de tous les privilèges et considèrent les invisibles comme des esclaves. Pour que les PoDo puissent situer les invisibles, ils leur imposent le port d’un collier. Dans ce contexte, une jeune invisible appelée Sweetmint s’est particulièrement distinguée dans ses études, elle a été sélectionnée pour suivre un apprentissage prestigieux auprès du Directeur du progrès qui est le grand architecte de tout le système qui régit l’hémisphère Nordouest. Après un début d’initiation prometteur, sa formation est perturbée par l’assassinat du Chef de l’exécutif, d’autant plus que c’est son frère qui est soupçonné d’être le meurtrier. Alors elle se lance à la recherche de son frère, espérant le trouver avant les autorités qui ont démarré la traque. C’est ainsi que l’ingénue Sweetmint va s’immerger dans un monde inconnu d’elle.

Ce roman nous plonge dans un univers à la fois étrange par l’évolution physiologique de la population, mais aussi familier par les turpitudes dont sont capables ces humains du futur, les mêmes que celles que nous connaissons aujourd’hui. En effet, la partie pauvre de la population est devenue invisible, pas au sens qu’on ne la remarque pas, comme ce fut le cas dans le sentiment de déclassement à l’origine du mouvement des Gilets jaunes en France. Non, ici les gens sont devenus totalement et physiquement invisibles. Entre eux, ils arrivent parfaitement à se localiser grâce à leur persodeur, leur odeur personnelle, et à leur rumoya, leur sixième sens qui leur permet de connaître instantanément l’état d’âme de leurs congénères. Mais les PoDo, eux, ont besoin de repères matériels pour percevoir un Invisible : un collier, comme pour les chiens, ou des peintures corporelles.

500 ans après notre époque, on ne peut dire que l’humain a beaucoup changé mentalement. Une ségrégation sociale s’est installée : les invisibles ne fréquentent les PoDo que pour les servir. Les classes dominantes, ici les PoDo, sont toujours en proie à l’orgueil et à la vanité. L’hypocrisie, le mensonge, la manipulation et la trahison sont monnaie courante. La vie humaine a peu de prix, surtout celle des gens modestes, face à l’ambition et la soif de pouvoir.

On peut saluer l’imagination de l’auteur, surtout en ce qui concerne les invisibles, il invente un monde nouveau avec des mots nouveaux : Sawukhoob, mambonga, Chunjani, herbol, rumoya, persodeur … dont la définition n’est pas donnée, mais dont on devine le sens.

Tous les invisibles est un étonnant roman de science-fiction dans lequel Mateo Askaripour dénonce à sa façon les inégalités sociales. Il imagine un monde où la classe dominante, quasiment identique à celle d’aujourd’hui, surtout dans ses travers, opprime une population qui a beaucoup évolué physiquement, mais qui, finalement, est restée bien plus humaine dans sa conception de la vie.

Extrait :
J’ai appris que si j’étais coupable d’une chose, c’était de croire qu’en me conduisant comme il le fallait, en suivant les règles écrites par les hommes qui siègent ici, j’aurais la vie sauve. Mais la sécurité n’est qu’une illusion dans ce monde. Et la liberté ne se gagne qu’au prix du risque. Les vrais coupables, ici, dit-elle d’une voix soudain plus forte, c’est vous. Vous, qui êtes convaincus que le monde n’existe que pour satisfaire vos désirs. Vous qui croyez détenir le pouvoir. Vous et vos petites affaires derrière les portes, que vous croyez cacher à tout le monde, bien que vos transgressions s’affichent sur vos visages, qu’elles soient inscrites dans la façon dont vous marchez, la façon dont vous parlez, dont vous riez, dont vous pleurez, dont vous mentez, encore et toujours, mentez, mentez.

Niveau de satisfaction :
4.1 out of 5 stars (4,1 / 5)

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L’Horloger – Jérémie Claes

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2024 (Héloïse d’Ormesson)
Genres : Thriller, enquête
Personnage principal :
Jacob Dreyfus, professeur de philosophie

C’est le premier roman de Jérémie Claes qui est, par ailleurs, caviste, ce qui apparaît dans ce roman où on mange et où on boit beaucoup, de très bons vins sans aucun doute. Mais où on pleure et où on meurt aussi beaucoup.

Bon point de départ : grâce à un jeune universitaire (Jacob Dreyfus) infiltré dans un réseau néonazi américain, les têtes dirigeantes sont emprisonnées. L’extrême droite promet de retrouver et de liquider cet individu, d’autant plus qu’il est juif. Mais il est protégé par la justice comme témoin privilégié. Par contre, on parvient à tuer son épouse, Sarah. Il part vivre dans le sud de la France (Gourdon), sous l’œil vigilant de l’ancien flic Bernard Solane, mais on le poursuit et il décide de contrattaquer après qu’on ait tué son père Isaac et sa tante Judith, et après que son jeune fils ait été victime d’une mort mystérieuse et que lui-même et ses amis aient été sauvagement attaqués.

Cette deuxième partie qui correspond aux dix longues années que Jacob passe en France, est longue aussi pour le lecteur. Comme un peintre miniaturiste, l’auteur ne nous épargne pas les détails qui caractérisent les personnages qu’il met en scène, et il y en a plusieurs. Il peut nous faire regretter ce bon vieux temps où les romans se limitaient à 250 pages et où il y avait peu de place pour le remplissage. L’auteur n’en est pas moins intéressant en jouant avec le langage, faisant parler chaque personnage selon son ancrage social (l’argot de Solane, par exemple) et en utilisant des mots rares ou anciens. Mais, pendant ce temps, l’intrigue qui met aux prises Jacob et ses adversaires perd en intensité.

C’est dommage parce que l’idée principale est ingénieuse : qui s’attaque vraiment à Jacob, dans quel but, et pourquoi le Scorpion ne le tue-t-il pas alors qu’il en a l’occasion. Dans les cent dernières pages (sur près de 550 !), on remonte enfin jusqu’à l’Horloger et on saisit l’idée principale. Mais on constate, en même temps, que les objectifs et les manœuvres de l’Horloger sont plutôt invraisemblables, et que l’auteur pousse un peu loin les pouvoirs de l’intelligence artificielle et les ruses des manipulations informatiques.

Bref, c’est un premier roman qui ne manque certes pas d’intérêt mais qui m’a laissé sur une certaine frustration.

Extrait :
─ Pourquoi, pourquoi toutes ces morts ? L’argent ? demande Jacob, toujours sceptique.
─ Pas seulement.
─ Pourquoi alors ?
─ Oh, parce qu’il le faut, disons.
─ Comment ça ?
─ Imagine un instant. Avoir une influence sur le destin de l’humanité. Réguler les démographies, laisser vivre les génies et les êtres d’exception. Si Mozart avait pu survivre, si Napoléon, Nietzsche, Aristote … Faire périr les imbéciles, les dégénérés. Ce pouvoir-là. Et puis, plus simplement, il y a eu une sorte de consensus. Mes premiers clients, ceux qui m’ont permis de continuer à chercher, ont été des chefs d’État. Des dictateurs, des rois, des présidents, peu importe. Tous avaient besoin de moi. Ils ont trouvé l’outil parfait. Je ne demande rien d’eux, sinon la liberté. Et de quoi subsister. Ils ne risquent pas d’être compromis, il n’y a pas d’enjeu politique ou diplomatique avec moi. Grâce au Mécanisme, ils bénéficient de ce dont ils rêvent tous : le droit de vie et de mort, en toute impunité.

Gourdon dans les Alpes-Maritimes

Niveau de satisfaction :
3.9 out of 5 stars (3,9 / 5)

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L’Homme de Nulle Part – Gregg Hurwitz

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2017 (The Nowhere Man)
Date de publication française :
2025 – H&O éditions
Traduction (américain) :
Manon Chevrier
Genre : Thriller
Personnage principal :
Evan Smoak, l’Homme de Nulle Part, unique recours pour les causes désespérées

1-855-2-NOWHERE, c’est le numéro de téléphone que peuvent appeler ceux qui sont dans une situation désespérée, qui ne peuvent compter sur aucun autre secours que celui qui répond à ce numéro. C’est l’Homme de Nulle Part, anciennement Orphelin X, de son vrai nom Evan Smoak. Evan décroche, il écoute et il intervient. Brutalement et définitivement. La personne secourue ne doit rien, c’est un service gratuit, elle doit cependant prendre un engagement : trouver quelqu’un qui est aussi désespéré qu’elle l’était et qui ne voit plus aucune issue pour s’en sortir, elle doit ensuite lui donner le numéro magique. Ainsi se perpétue la mission de l’Homme de Nulle Part. Ce faisant, il multiplie les sauvetages, mais aussi les ennemis. Il finit par être capturé comme une bête sauvage. Il doit alors utiliser ses nombreux talents, non plus pour secourir les autres, mais pour se protéger lui-même.

Ce livre est avant tout un roman d’action. Il y a énormément de combats, d’affrontements à main nue ou avec diverses armes. Ça cogne, ça flingue dans tous les sens. C’est un tourbillon qui peut laisser le lecteur étourdi.

Le héros principal, l’Homme de Nulle Part, est un super combattant formé par son mentor, créateur d’une obscure agence appelée les Orphelins destinée à secourir les plus faibles. C’est une sorte d’ONG avec des fonds sans fin dont on ne connaît pas l’origine. Evan Smoak est sorti de l’organisation, il est devenu travailleur indépendant et bénévole. Dès lors on ne comprend pas d’où vient sa fortune dont son ravisseur veut s’emparer d’une petite partie : 27 millions de dollars quand même !

Evan Smoak est un type extraordinaire, rompu à toutes les techniques de combat, à toutes les armes. Et quand il n’a pas d’arme il sait transformer un simple rond de serviette en arme létale pour tuer un adversaire en quelques fractions de seconde. Il maîtrise l’informatique et les techniques de communications. Il sait aussi détecter d’un simple coup d’œil les angles morts des caméras pour se soustraire à la surveillance. Bref, c’est un héros inoxydable, on le croirait capable d’arrêter les balles avec les dents. Dans ce tome, il subit beaucoup : il est enfermé, drogué, gazé … mais on sait qu’il finira par s’en sortir pour continuer ses aventures dans les dix prochains volumes (aux États-Unis 10 tomes de la série Orphelin X ont déjà paru … pour l’instant. C’est un bon filon que l’auteur exploite à fond).

Ce genre de roman d’action spectaculaire souffre presque toujours d’une vraisemblance douteuse que l’on pourrait pardonner si l’auteur n’en faisait pas trop et finisse par rendre l’ensemble caricatural. Nous avons même droit au mort qui ressuscite au moment opportun pour sauver notre héros en mauvaise posture.

L’Homme de Nulle Part est un roman pour ceux qui aiment l’action, le suspense, les thrillers haletants et les films à effets spéciaux avec maintes cascades, explosions, incendies, verre brisé, mais qui ne s’offusquent pas d’un manque total de vraisemblance. C’est un livre pour se distraire, mais pas le meilleur choix pour ceux qui privilégient la finesse et la subtilité.

Extrait :
Toute sa vie d’adulte, il avait été un homme brutal, veillant dans la nuit, et n’hésitant pas à déchaîner la violence contre ceux qui font du mal aux gens. Une sentinelle prête à affronter tous les Hector Contrell, les René Cassaroy, les Assim al-Hakeem et les Tigran Sarkassian. Car si ce n’était pas lui qui le faisait, alors qui s’en chargerait ? Mais, maintenant qu’il était affranchi de la culpabilité d’avoir tué Jack, peut-être arrêterait-il de courir sans fin après une absurde absolution et se libérerait-il d’être L’Homme de Nulle Part ?

Peut-être qu’il pourrait devenir réellement quelqu’un.
Quelqu’un de vrai.

Niveau de satisfaction :
3.9 out of 5 stars (3,9 / 5)

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Le cimetière de la mer – Aslak Nore

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2021 (Havets kirkegard)
Date de publication française :
2023 (Le bruit du monde,10/18)
Traduction (norvégien) :
Loup-Maëlle Besançon
Genres : Thriller, historique
Personnage principal :
Sasha Falck

Qu’est-ce qui a causé le naufrage d’un express côtier norvégien en 1940 ? La réponse se trouve probablement dans les écrits de Vera Lind qui semble s’être suicidée en 2015. Mais ces écrits et son testament sont disparus. Le fils de Vera, Olaf, semble être l’héritier mais son neveu Hans prétend que Vera avait changé son testament. La fille d’Olaf, Sasha, part à la recherche du manuscrit et du testament de Vera, avec l’aide de Johnny Berg, ex agent des services de renseignement norvégiens, libéré d’une prison en Afghanistan, grâce à Hans, qui lui demande d’écrire sa biographie. D’où un long retour au Liban en 1982 et en 2006 pour comprendre le travail de Hans comme médecin; et un autre retour en Norvège en 1940 et au cours de l’occupation allemande, pour essayer de comprendre dans quelle mesure les Falk ont collaboré avec l’ennemi pour sauver leurs compagnies et leurs milliers de couronnes.

Je dois omettre plusieurs autres aspects du roman. Entre autres, les magnifiques paysages de la Norvège du Nord, qui donnent le goût d’y réserver une croisière; puis, le problème crucial : qui doit avoir la priorité entre la vérité ou la protection de la réputation familiale ? Qui est vraiment Johnny Berg ? Quel est le rôle véritable de l’avocate Siri Greve ?

Le roman est long et ne manque pas d’intérêt. Mais l’auteur a trop voulu en mettre. La densité du récit l’emporte nettement sur sa clarté.

Ça m’a pris au moins une heure pour retracer les liens familiaux de la famille Falk, avant de m’apercevoir qu’un très utile schéma apparaissait à la fin du livre (page 610-611) !  La première finale est audacieuse; la deuxième, plus ordinaire, en réconfortera peut-être plusieurs.

Bref, c’est un roman où j’ai beaucoup appris, mais il me semble que l’intrigue principale (quelle est-elle ?) s’est perdue en chemin.

Extrait :
─  « Ce n’est pas ainsi qu’on doit procéder (dixit Vera). Nous avons une armée, un service de renseignement, sous le contrôle du Parlement ».
Olaf me fixe d’un regard ardent :
─ « C’est ça la défense de la Norvège, au cas où le reste nous lâcherait. Certains secrets militaires sont de telle nature qu’ils ne peuvent être confiés à des élus ou autres représentants politiques à cheval sur les principes. Ils sont entre les mains de particuliers. Si tu révèles ce genre d’informations dans un livre, tu mets ces activités en péril. Et tu renvoies les cellules du réseau stay-behind dix ans en arrière. Autre détail non négligeable : ces révélations signeront aussi l’arrêt de mort de Rederhaugen et de tout ce que nous y avons entrepris ».

Un des multiples fjords norvégiens

Niveau de satisfaction :
3.9 out of 5 stars (3,9 / 5)

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L’Invitation – Sebastian Fitzek

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2024
(Die Einladung)
Date de publication française :
2025 – L’Archipel
Traduction (allemand) :
Céline Maurice
Genre : Thriller
Personnage principal :
Marla Lindberg, jeune femme atteinte de prosopagnosie (incapacité à reconnaître les visages)

Marla Lindberg n’a pas une vie facile : son père s’est suicidé, elle a été agressée dans une clinique abandonnée où elle devait livrer un colis, elle prend ensuite un boulot très éprouvant d’analyste de vidéos pornos violentes et illégales qu’elle signale ensuite à la police. Pour couronner le tout, elle est diagnostiquée atteinte de prosopagnosie, c’est-à-dire d’une incapacité à reconnaître les visages. Alors, quand elle reçoit une invitation à se retrouver avec d’anciens camarades de promotion du baccalauréat dans le Chalet des Brumes, un refuge dans les Alpes à plus de 2000 mètres d’altitude, elle accepte avec l’intention de se changer les idées. Mais quand elle arrive au chalet, une surprise l’attend : il est désert, plus exactement ceux qui l’occupaient ont disparu, mais leurs affaires sont là. Ce n’est que le début de nombreuses péripéties traumatisantes.

Dans le Chalet des Brumes, quelqu’un s’est donné la peine de créer une sorte d’escape game, un jeu d’énigmes que les participants doivent résoudre pour réussir à s’échapper. Mais ici les invités n’ont pas choisi de participer à ce jeu, ils y sont soumis. Ils sont huit, quatre garçons et quatre filles, victimes d’une machination perverse qui devient de plus en plus macabre. L’auteur s’en donne à cœur joie en imaginant toutes les épreuves que doivent subir les jeunes gens.

Le personnage central est la pauvre Marla, qui en plus de son handicap, la prosopagnosie, et de toute l’adversité à laquelle elle doit faire face, va se trouver confrontée à sa jumelle étrangère, car il paraît que chacun a sept jumeaux inconnus sur terre. C’est ainsi que Marla va se retrouver en face d’une SDF qui a eu une influence considérable sur le sort de son père et qui est son sosie. L’auteur embrouille si bien le lecteur qu’il fait en sorte qu’on ne sait plus qui est qui. Une façon originale d’aborder le thème de la quête d’identité.

La force de ce roman c’est son intrigue. C’est une suite ébouriffante d’évènements imprévus et de surprises qui surviennent à un rythme infernal. On est souvent à la limite de l’horreur et de la folie. Le lecteur est emporté, il ne sait plus où donner de la tête. Cependant à force d’accumuler les rebondissements et les coups de théâtre, l’intrigue devient un vrai sac de nœuds. Au final, l’auteur se doit de donner une conclusion crédible à son histoire, il faut dénouer les nœuds. C’est là que ça se complique, fini les volte-face allègres, il faut expliquer. On a alors l’impression que l’auteur s’embourbe dans des considérations laborieuses et pour tout dire pas très convaincantes.

L’Invitation c’est d’abord une intrigue complexe, tortueuse, machiavélique et d’une grande imagination. En contrepartie, l’explication finale de cette histoire paraît assez artificielle.

Extrait :
Vous êtes ici pour le découvrir vous-mêmes : sur lequel d’entre vous les plus grands torts pèsent-ils ?
Sur la personne qui a planifié activement ma déchéance ?
Ou sur les suiveurs, qui ont peut-être même espéré que ça ne finirait pas trop mal ?
Vous savez de quoi je parle.
Affrontez le passé. Et prenez une décision.
Pour éviter tout malentendu, voici un résumé :
Vous avez fait quelque chose. Quelqu’un a eu l’idée, quelqu’un l’a mise en œuvre, quelqu’un s’est tu.
Vous êtes tous coupables, mais je ferai preuve de clémence et j’affranchirai l’un de vous. Vous pouvez trancher : qui mérite d’être gracié ? Qui est le moins coupable ?
À vous de déciderLa personne choisie survivra.
Les autres subiront le même sort que moi. Vous mourrez de la même mort que moi.

Chalet des Brumes

Niveau de satisfaction :
4 out of 5 stars (4 / 5)

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Ombres et lumière – Val McDermid

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2020 (Still Life)
Date de publication française :
2023 (Flammarion)
Traduction (anglais/écossais) :
Perrine Chambon
Genres : Enquête, thriller
Personnage principal :
Commandante Karen Pirie

La reine du polar écossais écrit beaucoup. Ce roman-ci est écrit pendant la covid : McDermid n’est pas pressée et le lecteur ne doit pas l’être non plus. Les personnages sont nombreux mais plusieurs ne font que passer. Et il faut aimer le style de l’auteure : qu’on ne s’attende pas à des épisodes palpitants. Ce qui intéresse McDermid c’est plus le travail de l’enquêtrice, la recherche du mobile ou, comme ici, l’identité des victimes.

L’enquêtrice, c’est la commandante écossaise  Karen Pirie, autoritaire et entêtée, dépendante du café et des sucreries, qui bénéficie de multiples contacts qu’elle mettra à profit pour faciliter ses recherches en France, en Angleterre et en Irlande. La tâche n’est pas facile parce que Karen doit mener deux enquêtes en même temps : que fait le cadavre de James Auld dans les eaux du fleuve écossais Forth, lui qui était disparu depuis dix ans? Et qui est le squelette dissimulé dans le garage de Susan Leitch, qui vient d’être tuée dans un accident de la route, et comment s’est-il retrouvé là ?

Coincée entre son apprenti, le jeune Jason, qu’elle a tendance à materner, et sa chef autoritaire et méprisante, Ann Markie, qu’elle déteste franchement, Karen se démène comme un beau diable pour boucler ses deux enquêtes. Son surnom de Spécial K est dû à son art de diriger les interrogatoires comme en témoigne son face à face avec Daniel Connolly.

Les romans de McDermid sont toujours bien documentés, ici par exemple sur les problèmes de juridiction entre l’Écosse, l’Angleterre, l’Irlande et la France, particulièrement, le rôle du procureur au Royaume Uni et en France. On a souvent l’impression de lire un manuel de sciences politiques. Ceux et celles qui recherchent les émotions fortes risquent donc d’être déçus.

Extrait :
─ Nous venons voir Mr Geary, dit Karen.
L’assistante de la galerie haussa un sourcil, comme si elle doutait d’elles.
─  Je ne vois rien sur son emploi du temps. Vous avez rendez-vous ?
─ Dites-lui qu’il s’agit de six tableaux d’artistes écossais qu’il a vendus au début des années 2000, répondit Karen en lui lançant un regard implacable. Il va accepter de me voir.
─ Vous pouvez être plus précise ?
─ Pas devant vous. Allez donc lui dire qu’on ne bougera pas tant qu’il ne nous aura pas reçues.
La voix de Karen était devenue plus grave, plus sèche, menaçante.

Édimbourg et le Firth of Forth

Niveau de satisfaction :
4 out of 5 stars (4 / 5)

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Balanegra – Marto Pariente

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2024 (Hierro viejo)
Date de publication française :
2025 – Gallimard
Traduction (espagnol) :
Sébastien Rutés
Genre : Roman noir 
Personnage principal :
Coveiro, fossoyeur et gardien de cimetière, ancien tueur à gages 

Coveiro a pris sa retraite quand son frère s’est suicidé en lui laissant sur les bras son fils Marco. L’enfant est autiste et n’a plus personne d’autre que son oncle pour s’occuper de lui. Coveiro revient donc s’installer à Balanegra, petit village tranquille. Il prend en charge son neveu et par la même occasion, il récupère le métier de son frère : fossoyeur et gardien de cimetière. Ça le change de son ancienne profession : tueur à gages. Le seul point commun entre ces deux métiers est la fréquentation assidue des morts. Entre les parties de chasse, l’entretien du cimetière et les enterrements, Coveiro mène une vie paisible, jusqu’à ce qu’on enlève son neveu juste après l’inhumation bizarre d’un fils d’une famille puissante. Coveiro ne comprend pas pourquoi on a enlevé le garçon, mais il ne reste pas à se poser des questions sans réagir, il reprend les armes et ses réflexes de tueur pour retrouver son neveu.

L’originalité de ce roman n’est pas dans l’intrigue qui sent le déjà-vu : le vétéran à la retraite qui reprend du service quand un de ses proches est menacé. On l’a lu dans Chiens des Ozarks d’Eli Cranor par exemple. La singularité de cette œuvre est ailleurs, notamment dans son ambiance déjantée.

Ça flingue beaucoup dans cette histoire ! Il y a de nombreux macchabées et pas mal de violence, mais l’atmosphère n’est ni sinistre ni morbide. Les protagonistes assassinent à tour de bras, mais avec détachement et dans la bonne humeur. L’humour noir apporte de la légèreté aux pires scènes sanglantes. C’est la particularité de ce roman noir.

Les personnages sont en accord avec l’atmosphère générale du livre, ils sont à la fois horribles et drôles. Coveiro était un homme de main efficace, mais capable de gestes d’humanité. Après l’enlèvement de son neveu, il redevient un tueur impitoyable, mais parfois pris de compassion. C’est un professionnel du crime à l’ancienne : pour lui, pas besoin de gadgets technologiques, ni d’armes sophistiquées. Son équipement est rudimentaire : le canon scié de son fusil de chasse est bien suffisant et pour les interrogatoires un marteau et des clous feront l’affaire. Sa force est sa détermination et sa faiblesse sa prostate. C’est un vieux bonhomme qui a souvent besoin d’uriner, mais il arrive à gérer convenablement ce handicap. D’autres personnages pas vraiment fréquentables forment un bel aréopage d’affreux.

Balanegra ne serait qu’un roman violent et sanglant, contenant une belle dose de cynisme si un humour noir décapant ne le rendait plaisant et réjouissant.

Extrait :
À cause des phares dans le dos du Russe, leurs visages restaient dans l’ombre. On n’apercevait que le léger éclat de leurs yeux.

— J’aime bien l’endroit que tu as choisi pour notre rencontre, dit le Russe avec un bref mouvement de tête. Et j’espère pour toi que ton assurance te rembourse les soins dentaires, papi. Tu vas en avoir besoin.
— De quoi tu comptes te servir ? De ce flingue que tu tripotes comme un cul de jument ?
— Peut-être bien…
Une, deux, trois secondes, et le Russe fit le geste d’attraper son arme. Coveiro saisit son canon scié, se leva, avança d’un pas et lui tira dans le pied. À cette distance, impossible de le rater. La détonation fit s’envoler en même temps tout un tas d’oiseaux qui patientaient tapis sous les buissons et sur les branches des arbres de l’autre rive. Après, il ne resta plus que le ronronnement des moteurs.

Niveau de satisfaction :
4.2 out of 5 stars (4,2 / 5)

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Étude en noir – José Carlos Somoza

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2019 (Estudio en negro)
Date de publication française :
2023 (Actes Sud)
Traduction (espagnol) :
Marianne Millon
Genres : Thriller, enquête
Personnages principaux :
M.X, Anne McCarey, Dr Conan Doyle

C’est mon premier Somoza depuis une dizaine d’années. Après avoir été fasciné par la Caverne des Idées et La Théorie des cordes, j’avais été aussi séduit par L’Appât, même si j’avais été un peu déçu par un certain manque de crédibilité. Dans le cas de Étude en noir, la crédibilité est nulle et la déception totale.

En 1882, l’infirmière Anne McCarey est engagée dans une institution psychiatrique de Portsmouth pour s’occuper d’un seul patient, Monsieur X, apparemment perdu dans un monde imaginaire. Une série de meurtres est commise autour de l’institution et X semble vouloir les élucider avec l’aide éventuelle d’un jeune médecin qu’on appelle Arthur Conan Doyle.

C’est en grande partie Anne qui raconte l’histoire. Elle est peu sympathique et peu brillante. Monsieur X a des comportements si bizarres (par exemple, jouer du violon sans instrument) qu’il passe pour un fou. Conan Doyle fascine Anne et intéresse X. L’auteur introduit un inspecteur de police, l’imbécile Merton, et son adjoint lèche-…bottes Jamieson, dont le rôle est de se fourvoyer, comme l’exige le cliché habituel. Les victimes semblent plus ou moins en liaison avec une compagnie de théâtre et, dans le contexte choisi, le théâtre semble se réduire à des spectacles vulgaires et exhibitionnistes. Les allusions aux échecs sont superficielles et le diagramme de la Défense Philidor inutile. C’est un exemple de tape-à-l’œil où l’auteur se complaît. Quant au rebondissement final, il est carrément absurde.

Finalement, ce qui n’améliore pas la situation, c’est que l’écriture est discutable (beaucoup de mots ne conviennent pas, par exemple l’utilisation de transcender), mais c’est peut-être un problème de traduction. Et surtout la composition est discutable : des passages incompréhensibles semblent recevoir une explication 50 pages plus loin. C’est sans doute, pour l’auteur, une sorte de jeu, et j’espère qu’il s’est bien amusé !

Bref, à mon humble avis, un Somoza raté.

Extrait :
Je me sentais étrangement sereine. Tête, cœur froids. S’ils devaient me renvoyer, qu’ils le fassent.  Je savais que j’avais commis une faute et je savais que je n’avais commis aucune faute. Vous ne me comprenez peut-être pas, mais bon, je ne peux pas mieux dire.

Niveau de satisfaction :
2.9 out of 5 stars (2,9 / 5)

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La Condition artificielle – Paul Monterey

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2025
– Le Cherche Midi
Genres : Sociétal, thriller
Personnage principal :
Arnaud Rivelle de la Chausse, prodige de l’intelligence artificielle

Arnaud, expert en intelligence artificielle, prépare une guerre. Constatant que l’humanité fait face au plus grand péril de son histoire et que personne ne semble en prendre la pleine mesure, il a choisi de trouver une solution radicale à l’urgence climatique. Il a décidé de faire tomber le système économique, ni plus ni moins. Mais voilà que lors d’une fête entre gens de la tech, il remarque Cho, une jeune asiatique à forte poitrine. Dès lors, il va développer une obsession pour cette fille. Il va détourner les moyens qu’il a mis six ans à développer pour tout savoir d’elle. Il va utiliser le Général, une unité d’intelligence artificielle qui coordonne plusieurs autres sous unités spécialisées, pour mettre en place un plan machiavélique afin d’amener Cho dans son lit. Passer d’un projet de créer un chaos mondial à celui de simplement séduire une fille ne paraît pas si difficile, mais pas totalement satisfaisant non plus à plus long terme.

Le roman est centré sur Arnaud, un génie de l’intelligence artificielle. Il est l’enfant unique d’une famille riche, les Rivelle de la Chausse. Loin de profiter de l’argent de son père, Arnaud n’a que mépris pour ses parents, il les déteste même et ne perd pas une occasion de les faire enrager. Il n’a pas besoin de la fortune de sa famille pour acheter tout ce qu’il veut : sa connaissance de l’intelligence artificielle lui permet de monter des arnaques lucratives et il sait jongler avec les cryptomonnaies. Arnaud n’exècre pas que ses parents, c’est la société tout entière qu’il hait, tout le monde sauf Cho, mais on ne peut pas dire qu’il soit amoureux d’elle. Pendant un certain temps il est simplement hypnotisé par ses seins et son fessier rebondi, ensuite il la trouve idiote, complètement accro aux réseaux sociaux.

Un tel personnage sans scrupules qui déteste tout le monde a la dent dure envers les autres humains. Rien ni personne ne trouve grâce à ses yeux. Tour à tour, tous les aspects de la société sont décriés : la politique, le consumérisme, les médias, les journalistes, les réseaux sociaux, la bourgeoisie, les riches, le complotisme … Le langage est crû, parfois grossier, il exprime de façon explicite la façon de penser du narrateur. C’est féroce, cruel et cynique, mais tellement bien observé ! La masse des critiques n’est pas du tout plombante, au contraire on y trouve beaucoup de vigueur, de tonicité et une pincée d’humour noir qui provoquent souvent le sourire.

À la fin du roman l’auteur développe une pensée plus profonde concernant l’évolution de l’humanité. Il explique comment le progrès technique permet de dépasser notre condition de mortel et ainsi, à la pesanteur de la condition humaine succède l’élasticité d’une condition artificielle. Il est à noter que les conclusions de Paul Monterey rejoignent celles de Giuliano Da Empoli dans Le Mage du Kremlin : tous les deux prévoient la prise de pouvoir des machines intelligentes et l’avènement d’un maître qui ne serait qu’un gigantesque organisme artificiel.

Révélateur de la bêtise humaine, La Condition artificielle est un roman choc et brillant. Il est marqué par un pessimisme certain, mais la profondeur d’analyse, l’acuité et la férocité de l’exposé des comportements humains rendent ce livre captivant.

Extrait :
J’avais longtemps cherché un moyen de provoquer ce choc de civilisation salutaire. J’avais créé l’arme parfaite en la personne du Général mais avais longtemps été incapable de comprendre comment orienter au mieux sa formidable force de frappe. Ironiquement, c’étaient mes triviales mésaventures avec Cho qui m’avaient permis de trouver comment faire. Rien n’arrive jamais vraiment par hasard. Pour faire s’écrouler l’édifice, il fallait parier sur la bêtise humaine. C’était aussi simple que cela. Les institutions, les États, les grandes entreprises ou les banques avaient mis en place des protections qui les rendaient inattaquables. Les cerveaux humains, en revanche, chaque jour plus perméables à la désinformation et la manipulation générées par une nouvelle malveillance virtuelle, étaient plus vulnérables que jamais.

Niveau de satisfaction :
4.5 out of 5 stars (4,5 / 5)
Coup de cœur

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Disparue – Rick Mofina

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2022 (Missing Daughter)
Date de publication française :
2025 (Alire)
Traduction (anglais du Canada) :
Pascal Raud
Genres : Enquête, thriller
Personnages principaux :
Zubik et Asher, inspecteurs

Une jeune fille de 12 ans disparaît de chez elle : fugue, enlèvement ou quoi d’autre ? Le thème n’est pas nouveau. Et pourtant ce diable de Mofina nous emberlificote au point où il devient impossible de lâcher la lecture.

Au cours des 200 premières pages, Mofina a recours a son expérience de journaliste en criminologie pour nous montrer comment se passe une enquête dans le but de retrouver quelqu’un : d’abord, fouiller de près tout ce qui touche les parents qui, dans la majorité des cas, ont quelque chose à voir avec la disparition : empreintes, ADN, entrevues, polygraphe, alibis, conflits éventuels, climat à la maison … Il en ressort quelques chicanes avec son frère Tyler, rien de grave; conflits plus graves avec la mère Karen, qui refuse de permettre à Maddie de sortir avec les garçons; et un événement mystérieux que le père Ryan tient à cacher, même au polygraphe.

Puis, visites des voisins, des caméras de surveillance, des ami(e)s de Maggie et de Tyler, des parents de la famille, surtout Cole, le frère de Ryan, qui met au service de la police son agence d’enquêteurs spécialisés, son épouse Jill et leur fils de 14 ans, Dalton. Les enquêteurs Zubik et Asher scrutent de près les habitants d’une maison de transition qui s’est installée dans le quartier; on y découvre une fenêtre dissimulée qui permet d’entrer et de sortir. Ce qui les mène d’ailleurs à un sérieux suspect.

Tout ce travail, très réaliste, est un peu fastidieux, d’autant plus que plusieurs personnages (surtout Karen) sont hantés par un sentiment de culpabilité qui finit par être fatigant. Mais on tient à savoir ce qui s’est passé entre Ryan et Maggie, quel est le secret de Karen, c’est quoi l’événement important qui était en train d’arriver dans la vie de Maggie et ce qu’elle est devenue.

Des semaines se passent en vain.

Et alors, pas mal plus tard, l’histoire se déchaîne, et là on sent qu’on va enfin finir par comprendre quelque chose. À moins qu’on soit encore piégé. Et les pièges ne font que commencer. Jusqu’au dénouement ultime qui dévoilera le réel improbable qui nous attendait.

Bref, encore un très bon Mofina.

Extrait :
─ Hé, va réveiller ta sœur, s’il-te-plaît.
─ Maddie ! a crié Tyler, puis il lui a envoyé un texto.
─ Va dans sa chambre la réveiller, Ty.
Tyler a  pivoté sur lui-même et il est retourné dans le couloir. Karen rinçait sa tasse de café.
─ Et dis-lui de mettre son justaucorps dans son sac avec sa serviette, a-t-elle ajouté. Si elle l’oublie encore, papa ne rentrera pas le chercher pour elle à la maison.
Tyler est revenu après quelques secondes.
─ Maddie est pas là.
Karen et Ryan l’ont ignoré parce qu’il plaisantait tout le temps.
─ Je suis sérieux, elle est pas là !
Le malaise dans sa voix leur a fait tourner la tête vers lui d’un seul coup.
─ Tu l’as déjà réveillée ? a demandé Ryan.
─ Non, papa … elle est pas là !

Niveau de satisfaction :
4.4 out of 5 stars (4,4 / 5)

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Le dieu des bois – Liz Moore

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2024 (The God of the Woods)
Date de publication française :
2025 – Buchet/Chatel
Traduction (américain) : Alice Delarbre
Genres : Mystère, grands espaces, enquête
Personnage principal :
Aucun, mais nombreux personnages secondaires importants

Le camp Emerson, au cœur des monts Adirondacks, est une colonie de vacances pour adolescents. Elle connaît un grand succès, les parents apprécient que l’on apprenne à leurs enfants des techniques de survie dans la nature. Cette colonie et tous les alentours appartiennent à la puissante famille des Van Laar. La règle d’or du camp est : Si vous vous perdez, asseyez-vous et criez. Elle est affichée dans tous les espaces communs. Ce qui n’a pas empêché, quinze ans plus tôt, le jeune Bear fils de Peter et Alice Van Laar propriétaires des lieux, de disparaître après une sortie en forêt avec son grand-père. Ce matin d’août 1975, on constate une nouvelle disparition : celle de Barbara Van Laar. Cette fois c’est la fille de la riche famille qui manque à l’appel. Les recherches sont lancées, la police est prévenue, des battues sont organisées. Si on ne retrouve pas Barbara, ce sera les deux enfants de la même famille qui auront mystérieusement disparu. Une malédiction semble frapper les fortunés Van Laar.

L’intrigue se déroule sur plusieurs années non contigües : 1950, 1961, 1973 et 1975, avec des allers-retours fréquents entre le passé et le présent. À cela il faut ajouter une dizaine de narrateurs ou narratrices qui prennent la parole à tour de rôle. Cela induit une certaine complexité qui demande une attention soutenue. L’avantage du procédé c’est la vision large et complète de l’histoire qui se dégage au fur et à mesure que l’on avance dans le récit. L’autrice joue habilement avec les points de vue des différents personnages, ce qu’on croyait à un moment donné est remis en question quelques chapitres plus loin. C’est avec une belle maîtrise qu’elle promène le lecteur.

Les personnages sont finement ciselés, que ce soit les riches et hautains Van Laar, leur fille rebelle Barbara, Tracy grande gigue en manque de confiance, la policière débutante Judita, T.J. la directrice mystérieuse et androgyne, Jacob le tueur en série qui vient de s’évader, et quelques autres. Tous ont une belle profondeur psychologique et sont solidement campés.

Le cadre, les monts Adirondacks, tient une place importante dans ce roman, il crée une ambiance particulière, avec à la fois une impression d’immensité et une sensation d’angoisse accentuée par les disparitions. Le domaine est situé en pleine nature. Les bois qui entourent le camp sont aussi attirants que dangereux par leur densité. Un lac est à proximité. La résidence des Van Laar, un édifice colossal nommé Compter-Sur-Soi, est posée au sommet d’une éminence qui permet de dominer tout ce qui l’entoure, comme le font leurs propriétaires.

Au passage, l’autrice incrimine le comportement arrogant des riches qui contrairement aux apparences ont toujours eu besoin des autres pour garder leur position. Les femmes sont soumises aux hommes qui ont la fortune et donc le pouvoir. Ces gens ne sont pas des bienfaiteurs, mais des profiteurs.

Le dieu des bois est un roman captivant, foisonnant et plein de surprises. Il est remarquable par son décor, son ambiance et une belle galerie de personnages.

Extrait :
T. J. Hewitt se tourne à présent vers la seule fenêtre de la pièce. Elle est trop haute pour qu’on puisse apercevoir les bâtiments voisins ou même les arbres, et pourtant elle les cherche, ses yeux vont et viennent rapidement. Elle respire profondément, le visage levé vers le ciel dégagé.

Que deviendront les Hewitt, se demande Judy, s’ils perdent la colonie ? Si les Van Laar les déshéritent, ainsi qu’ils ne manqueront sans doute pas de le faire, sectionnant le fil ténu, vieux de plusieurs décennies, entre les Hewitt et eux, noué par Peter I ?
Elle répond à sa propre question : tout ira bien pour elle. Pour eux. Les Hewitt, comme Judy, comme Louise Donnadieu, comme Denny Hayes même, n’ont besoin de personne, ils savent se débrouiller seuls.
Ce sont les Van Laar, et les familles de ce genre, qui ont toujours eu besoin des autres.

Bois des Adirondacks

Niveau de satisfaction :
4.3 out of 5 stars (4,3 / 5)

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La Faille – Franck Thilliez

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2023 (Fleuve éditions)
Genres : Enquête, thriller
Personnage principal :
Franck Sharko

Dans la Note au lecteur qui suit l’Épilogue, Thilliez  admet qu’il faut se sentir prêt à prendre un pari fou que de consacrer intégralement un roman policier à la mort. Mais il tient à ce que ses polars contiennent des informations sur des sujets d’actualité importants et il a trouvé un bon nombre de « cas de femmes enceintes déclarées en mort cérébrale mais qu’on pouvait néanmoins faire accoucher ». Or, il a cru pertinent d’associer ce phénomène à un thème classique de la philosophie : « La mort du cerveau signifie-t-elle la disparition totale de l’être ? »

Sharko et son équipe traquent un tueur nécrophile. En s’enfuyant, celui-ci assomme la policière Audra Spick, la compagne de Nicolas Bellanger, bon ami de Sharko et de sa conjointe Lucie Henebelle. Poursuivi par Sharko, le malfrat est écrasé par un train. Audra est conduite à l’hôpital. On s’inquiète à bon droit pour elle et pour le petit être dont elle est enceinte. De fait, pendant les 100 premières pages, on disserte sur la mort et on s’apitoie sur le sort du fœtus. Nicolas se renferme sur lui-même, au contraire de Franck qui s’agite de façon excessive. Ça placote sur la vie après la mort et Lucie, obsédée par le fait de retrouver ses deux filles mortes, se persuade que la vie continue après la mort du corps et que le fœtus est un être humain. C’est comme si l’auteur voulait compenser la pauvreté de l’intrigue par les comportements exagérés de ses personnages.

Et, au fait, qu’en est-il de l’intrigue ? L’équipe enquête sur des personnes tellement persuadées qu’elles ont vu l’enfer et qu’elles sont poursuivies par des démons qu’elles finissent par se suicider. De là, on remonte à une sorte de trafic d’organes et à des savants qui se livrent à des expériences pour savoir si la conscience survit à la mort du cerveau.

Thilliez est si hanté par son problème psychophilosophique que l’intrigue policière comme telle en souffre et que ses personnages sont trop excessifs pour être crédibles. Même le fait de sortir Frankenstein des oubliettes n’améliore pas la situation.

Bref, une grande déception.

Extrait :
Lucie se tourna vers la porte fermée avant de prendre la main gauche d’Audra dans la sienne et de se pencher vers son visage, comme lorsqu’on cherche à révéler un secret.
─ Malgré tout ce que les médecins disent, je suis convaincue que tu m’entends, que… que tu es là, quelque part dans cette pièce. Je ne sais pas comment, je ne sais pas sous quelle forme, mais je le sens au fond de moi. Et ton bébé aussi. J’ai besoin que tu me fasses un signe. Que tu me dises que… que la lumière existe. Que tout n’est pas qu’obscurité. Fais-le, Audra. S’il te plaît, juste un signe.

Niveau de satisfaction :
3 out of 5 stars (3 / 5)

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