Le Pacte d’Hämmerli – Richard Ste-Marie

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2025 (Alire)
Genres : Enquête, fantaisie
Personnage principal :
Francis Pagliaro, sergent-détective

Après avoir été ébranlé par le roman japonais d’Uketsu, je trouve le roman de Ste-Marie bien léger. Lui-même ne se voit d’ailleurs pas comme un écrivain traditionnel et compare ses romans, en tout cas celui-ci, à ceux de San Antonio, qui est quand même plus amusant. L’auteur ne se veut pas trop sérieux : il multiplie les notes en bas de page, interrompt une action  pour nous refiler ses commentaires, inverse parfois l’ordre des chapitres. On s’y perd un peu mais ce n’est pas grave parce que l’enquête n’a rien de dramatique. Je me voyais un peu comme un petit garçon assis sur les genoux de son mononcle qui prend bien du plaisir à lui raconter  une histoire, pas nécessairement pour l’endormir, mais pour le distraire, changer le mal de place, comme on dit.

On confie au policier Pagliaro, qui est à la veille de prendre sa retraite, une enquête sur un meurtre commis 17 ans auparavant : deux balles avaient tué l’ex-policier Maurice « Mo » Charbonneau. Un suspect (Gilbert Drolet) a été trouvé coupable et mis en prison. Drolet, qui a toujours nié son implication, vient d’entamer une grève de la faim. Il s’agit donc de savoir si l’enquête a été menée avec rigueur par les policiers Marcel Banville et Simon Lemoyne.

L’enquête est plutôt déprimante pour le sergent-détective. Pagliaro prend une pause au Bar de la faillite où il retrouve Charles McNicoll, alias Monsieur Hämmerli, tueur à gages converti et recyclé en euthanasiste, qu’il a rencontré l’hiver dernier à une conférence de René Girard au Musée de la civilisation. Le tenancier Roger, son comptable le Gros Luce et Hämmerli s’efforcent de lui remonter le moral. Situation délicate parce que si c’est vrai que ce trio a de quoi renseigner et orienter Pagliaro dans ses recherches, les trois copains ont aussi profité des combines des magouilleurs-assassins.

Ste-Marie insiste sur l’étonnante amitié entre un sergent-détective intègre et le tueur à gages recyclé Hämmerli, épris l’un et l’autre de musique classique. Les nombreuses entrevues permettent aussi de constater la politesse, la ruse et la rigueur de Pagliaro. On sait bien qu’il finira par atteindre son but et que les méchants seront vaincus. Mais là n’est pas l’essentiel. Le plus important pour Ste-Marie, c’est la façon de raconter cette histoire, les références à la culture québécoise  par exemple le nom du policier assassiné Maurice « Mo » Charbonneau qui rappelle celui de Maurice « Mom » Boucher (bien connu comme chef des Nomads, groupe de motards criminels), et l’art d’insérer des citations. Ou mieux, comme le dit Hämmerli, qui raconte l’histoire : « Revenons-en plutôt à ce qui me préoccupe et m’enchante : ma propre vie ».

C’est ici que la légèreté de Ste-Marie rejoint un peu celle de San Antonio : on ne lit pas ces auteurs pour se tourmenter, mais plutôt pour se reposer des problèmes de la vie quotidienne, pour se calmer les nerfs, pour se détendre.

Extrait :
Francis sourit à sa belle. Il se lève de sa chaise, éteint la lampe banquier à l’abat-jour jaune, autre cadeau de Lisa, et rejoint sa femme dans l’embrasure de la porte pour l’embrasser. (Pour embrasser Lisa, pas pour embrasser la porte, vous aurez compris. Remarquez, si j’avais écrit … et rejoint Lisa pour l’embrasser dans l’embrasure, vous m’auriez taxé de pornographie).

Le Vieux Port de Québec

Niveau de satisfaction :
3.3 out of 5 stars (3,3 / 5)

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Le Tout – Dave Eggers

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2021
(The Every)
Date de publication française :
2025 – Éditions Gallimard
Traduction (américain) :
Juliette Bourdin
Genres : Anticipation, dystopie
Personnage principal :
Delaney Wells, jeune femme cadre dans Le Tout

Le Tout est né de la fusion du Cercle qui concentre tous les réseaux sociaux et de la Jungle, leader mondial du commerce en ligne. Le Tout est devenu ainsi la firme la plus puissante du monde, elle développe des applications qui gèrent tous les aspects de la vie humaine. Elle est incontournable. Delaney Wells est une jeune femme candidate à un poste dans le Tout. Elle veut intégrer le Tout dans un seul but : le détruire. Une fois à l’intérieur, Delaney prévoit d’examiner la machine, d’analyser ses faiblesses et de la faire exploser. Son but est de mettre un terme à son règne maléfique sur cette Terre. Dans un premier temps, elle réussit à se faire embaucher, mais le chemin pour atteindre son objectif est encore long et sa cible est puissante.

Delaney réussit non seulement à entrer au cœur de l’entreprise qu’elle veut anéantir, mais elle y fait embaucher son ami et colocataire Wes, un technotrog : un codeur de talent qui vit hors réseau. Dans San Francisco où est implanté le siège mondial du Tout, la TrogTown est la partie de la ville qui résiste à l’invasion technologique, elle n’a pas de réseau, elle est hors zone d’influence du Tout. C’est de là que viennent Delaney et Wes. Une fois installés dans le Tout, les deux compères se mettent à concevoir des applications, toutes plus débiles et liberticides les unes que les autres. Leur intention est de provoquer le rejet et la révolte de la population et d’ainsi provoquer la chute du Tout. Mais stupéfaction : les idées qui leur paraissaient terribles, enchantent le reste de l’humanité. Elles rencontrent un grand succès et renforcent l’emprise mondiale du Tout.

Des applications toujours plus aliénantes sont très appréciées par les utilisateurs qui deviennent addicts et incapables de décider quoi que ce soit par eux-mêmes. Faire un choix devient une épreuve que les gens préfèrent éviter en déléguant toute décision à l’intelligence artificielle. Plus de libre arbitre, les gens se placent volontairement sous le contrôle de la technologie, c’est plus facile et plus sécurisant. Le personnel du Tout se replie sur lui-même, évitant tout contact avec l’extérieur jugé dangereux. Les gens deviennent des sortes de zombies, craintifs, pilotés par des applications stupides. L’espèce humaine mute, de créature libre l’homme devient un animal de compagnie captif. L’auteur s’en donne à cœur joie pour décrire ce changement, il le fait de façon malicieuse et narquoise, même si au fil des 640 pages du livre, ça finit par devenir un peu long et répétitif.

Le Tout nous décrit un avenir sombre et inquiétant où l’humanité, sous la surveillance d’une entité technologique super-puissante, devient totalement dépendante des applications informatiques et de l’intelligence artificielle. C’est un roman pessimiste sur le fond, avec cependant un côté comique par l’absurde dans la forme.

Extrait :
— Peut-être que oui, peut-être que non, dit Agarwal en soupirant. Je ne sais pas. C’est venu des deux côtés. Ce que je n’ai pas vraiment vu venir, c’est la complicité. Les motivations des entreprises, pour consolider, mesurer et profiter des données, oui, ça je l’ai vu. Mais je n’ai pas vu le côté humain au quotidien. Le fait que l’écrasante majorité d’entre nous préfère céder toutes les décisions aux machines, remplacer les nuances par des chiffres… Cela a dépassé mes pires cauchemars. Chaque jour, nous fabriquons une nouvelle machine qui supprime davantage l’intervention humaine. Nous n’avons confiance ni en nous-mêmes ni dans les autres pour faire le moindre choix, pour établir un diagnostic, pour attribuer une note. La seule décision qui nous restera sera celle de vivre ou de mourir. C’est le changement de l’espèce qui, de créature libre, devient un animal de compagnie captif. Comme tant d’autres, Lili a choisi de ne pas s’inscrire dans la direction que prend l’espèce. Les derniers résistants seront cooptés ou disparaîtront.

Niveau de satisfaction :
4.2 out of 5 stars (4,2 / 5)

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Strange Pictures – Uketsu

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2022
Date de publication française :
2025 (Seuil)
Traduction (japonais) :
Silvain Chupin
Genres : Mystère, noir, thriller
Personnages principaux :
Kumaï, Iwata

Je souhaite souvent être dépaysé en lisant un roman, mais ce n’est pas en tâtant le terrain du côté finlandais, islandais ou coréen (du Sud !) qu’on y parvient. Cette fois-ci, toutefois, Strange Pictures, roman japonais d’Uketsu, m’a carrément désarçonné, non pas parce que le titre anglais n’est pas traduit, ni parce que les personnages sont si différents de nous. À cause plutôt de la composition du récit qui exige notre attention constante pour qu’on ne traite pas l’auteur d’incohérent  alors que toutes les pièces de ce joli puzzle finissent par s’emboîter parfaitement. Uketsu est l’écrivain le plus vendu au Japon mais on ne le connaît pas vraiment : il apparaît toujours vêtu de noir avec un masque blanc. Le mystère le poursuit jusque dans sa vie.

Bel exemple de trompe-l’œil : en abordant le chapitre 2, j’étais déçu d’avoir apparemment affaire à 4 nouvelles (ce qui n’était indiqué nulle part), alors que, en réalité, c’était le même récit qui se poursuivait. Ce qui était commun, c’était l’ensemble des dessins qu’il fallait interpréter pour comprendre le sens caché de ces messages et les mêmes personnages qu’on finissait par retrouver.

Les interprétations subtiles se succèdent et les cadavres se multiplient. Ce qui apparaît aujourd’hui comme un détail révélera demain toute son importance. Pourquoi Ren cesse-t-il d’alimenter son blog ? Pourquoi Naomi n’appelle-t-elle pas la police pour retrouver Yûta ? Qui a massacré Miura sur le mont K ? Est-ce que Iwata en savait trop ? Pourquoi ces dessins de montagnes ? Toyokawa s’est-il vraiment suicidé ?

Alors qu’on croit avoir trouvé des réponses à ces questions, il y a toujours quelque chose qui ne marche pas. D’autres hypothèses tout aussi plausibles apparaissent. On a l’impression qu’on n’y comprendra jamais rien. Les personnages ne sont pourtant pas si nombreux. Les meurtres sur le mont K recelaient bien des incongruités. En s’efforçant de les résoudre, la lumière se fait jour lentement, et le lecteur en ressort tout ébloui.

La composition est magistrale. On a souvent l’impression de perdre pied, mais l’auteur nous encourage à aller de l’avant en semant, ici et là, quelques indices. La torture est bien dosée et on espère que c’est pour notre bien. Ce qui est le cas, fort heureusement.

Ébloui, certes, mais encore secoué.

Extrait :
« À la personne que j’aime le plus.
Aujourd’hui, je vais cesser d’alimenter ce blog.
Pourquoi ? Parce que j’ai percé le secret de ces trois dessins.
Je ne pourrai jamais comprendre les souffrances que tu as endurées.
J’ignore la gravité du crime que tu as commis.
Je ne peux pas te pardonner. Et pourtant, je continue de t’aimer. »
Ren

Niveau de satisfaction :
4.5 out of 5 stars (4,5 / 5)
Coup de cœur

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Coup de grâce – Stefan Ahnhem

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2021 (DEN SISTA SPIKEN)
Date de publication française :
2025 – Albin Michel
Traduction (suédois) :
Caroline Berg
Genres : Enquête policière, thriller
Personnages principaux :
Kim Sleizner, chef de la police criminelle de Copenhague – Dunja Hougaard, ancienne policière – Fabian Risk, inspecteur de police

Un couple qui pratique le kayak dans le port de Copenhague découvre une voiture au fond de l’eau. Lorsque la voiture est remontée à la surface, on trouve deux cadavres à l’intérieur dont l’un est celui du directeur du renseignement de la police. Pendant ce temps Dunja Hougaard surveille Kim Sleizner, le chef de la police criminelle de Copenhague, son ancien patron. Elle le sait corrompu, elle veut le faire tomber. L’inspecteur Fabian Risk vient d’apprendre que son fils est mort par sa faute et comme on lui donne peu d’explications sur son décès, il tente de connaître les circonstances qui ont amené ce drame. Les trajectoires de Kim Sleizner, de Dunja Hougaad et de Fabian Risk vont se croiser dans une affaire complexe qui va impliquer des personnages haut placés de la société danoise.

L’intrigue est complexe et touffue. Plusieurs fils narratifs s’entremêlent : le contentieux entre l’ancienne policière et son chef, les magouilles du patron de la police, les malheurs familiaux de l’inspecteur Risk, une histoire de trafic et de prostitution de femmes et la corruption des élites. Bien sûr, tous ces éléments finissent par converger, mais il faut rester attentif pour ne pas se perdre dans les dédales des diverses ramifications de l’intrigue, d’autant plus que les personnages sont nombreux.

Parmi les personnages, c’est celui de Kim Sleizner, le pourri, qui est le plus en vue, particulièrement dans ses nombreuses opérations d’influence et de manipulation. L’ennemie jurée de Sleizner, Dunja Hougaard, est parfois montrée de façon caricaturale : elle se paye des séances de musculation de trois heures quotidiennes, à plusieurs mètres de haut, au-dessus d’un empilement de chaises les pieds vers le haut. Costaud, mais maso, la nana ! Quant à l’inspecteur Risk, il est en grande souffrance et perdu dans ses problèmes familiaux.

Je suis sorti mitigé de la lecture de ce roman. Le point fort est indéniablement le suspense et le rythme que l’auteur réussit à maintenir, même si certains passages peuvent paraître superflus et trop bavards, par exemple les angoisses de la kayakiste qui soupçonne son compagnon de vouloir se débarrasser d’elle ou encore les interminables supputations des policiers quant à l’origine des deux morts dans la voiture repêchée dans le port. Mais ce qui est le plus dérangeant ce sont les rebondissements faciles et invraisemblables, comme ce mort qui n’est pas mort, qui réapparaît frais, guilleret et en pleine forme. L’incohérence des personnages est un autre sujet d’agacement : Dunja Hougaard voue une haine féroce à Kim Sleizner au point qu’elle a essayé de le brûler vif, mais la voilà qui se montre magnanime et d’une naïveté exaspérante quand son adversaire est à sa merci. La guerrière se transforme alors en une gentille fille qui veut se donner bonne conscience. C’est un exemple parmi d’autres.

Dans Coup de grâce, l’auteur a privilégié le spectaculaire et le sensationnel au détriment de la vraisemblance et la cohérence. Ce qui donne un livre dont la lecture peut être addictive pour certains et décevante pour ceux qui attachent de l’importance au fond et à la construction du roman.

Extrait :
Dunja soupira. « Je te jure que je n’exagère pas. C’est ça le problème. Est-ce que Sleizner est un menteur ? Oui. Un salopard de violeur ? Devine. Un parfait psychopathe ? Incontestablement. Mais pour bien le décrire, il faudrait inventer de nouveaux mots. Alors non, je ne peux pas laisser tomber et faire comme si tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes. Je n’ai pas l’intention de m’arrêter. Et si tu crois que c’est une possibilité, tu rêves. Si on ne le met pas hors d’état de nuire, cette raclure continuera encore et encore, jusqu’à ce que quelqu’un l’enferme pour toujours. Tu peux me croire. »

Corruption des élites

Niveau de satisfaction :
3.5 out of 5 stars (3,5 / 5)

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La revanche – Arttu Tuominen

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2020 (Hyvitys)
Date de publication française :
2023
(La Martinière)
Traduction (finnois) :
Anne Colin du Terrail
Genres : Noir, thriller
Personnages principaux :
Jari Paloviita, Henrik Oksman

Dans la petite ville finlandaise de Pori, une grenade est lancée dans une boîte de nuit fréquentée par la communauté LGBTQ. Bilan : 5 morts et des dizaines de blessés. L’attentat est revendiqué par un homme qui se prend pour l’Envoyé de Dieu : « L’homosexualité représente tout ce qui va mal dans notre société. C’est un fléau envoyé par Satan en personne qui nous contamine lentement. Je vous en conjure : suivez-moi. Suivez-moi, et Notre-Seigneur Jésus vous récompensera ! » Le message est rapidement diffusé à la télévision et dans tous les médias. On apprend, par ailleurs, que l’explosif fait partie d’un stock de grenades et de fusils qui ont été volés dans les réserves de l’armée. Des groupes d’extrême droite comme le White Order sont encouragés par les actes et le discours de cet Envoyé, ce qui est une mauvaise nouvelle parce qu’une manifestation des organisations homosexuelles est prévue pour demain.

Le représentant de la Police judiciaire centrale (PJC) Johan Niemi est responsable des opérations, mais ce sont surtout les inspecteurs Jari Paloviita et Henrik Oksman qui se chargent de l’enquête. Niemi a peu de succès dans ses recherches de l’Envoyé. Mais Paloviita et Oksman se préoccupent de la disparition de deux témoins de Jéhovah qui auraient été en contact avec l’Envoyé.

L’intrigue policière a évidemment son importance, mais plusieurs autres problèmes retiennent notre attention : d’abord, l’attitude de la population vis-à-vis des minorités comme les homosexuels : c’est seulement en 2017 que le mariage entre personnes du même sexe a été autorisé en Finlande; depuis ce temps, compte tenu des virages politiques à droite qui se sont multipliés dans bien des pays, il semble qu’une tendance à la répression se soit accentuée. Cette thématique est d’autant plus développée dans le roman que l’inspecteur Oksman est lui-même un travesti, qu’il était présent au Venus peu avant que la grenade explose, et qu’il craint que son partenaire ou que des caméras de surveillance révèlent son secret. Son collègue Paloviita est distrait par des problèmes de famille (argent et beau-père) qui perturbent son rendement. Enfin, comment évolueront les relations entre l’Envoyé et le fils du témoin de Jéhovah qu’il a kidnappé ?

Le roman est dense mais l’ensemble est bien équilibré. L’auteur se veut réaliste, les policiers ne sont pas des héros et n’ont pas l’intelligence d’un Poirot. On sympathise avec eux parce que ce sont des gens bien ordinaires, et qu’ils évoluent, du mieux qu’ils peuvent, dans un milieu qui ressemble pas mal au nôtre.

La revanche a reçu en 2023 le Prix Palle Rosenkrantz, un prix bien mérité.

Extrait :
─ Nous avons trinqué à la santé de l’Envoyé. Quelqu’un a enfin osé faire quelque chose. Ce type a des couilles (…)
Renlund (chef des White Order) se tourna vers le portrait d’Adolf Hitler accroché derrière lui. « J’espère que le plus de gens possible répondront à  l’appel de l’Envoyé. Le seul remède efficace contre des maladies mortelles telles que le communisme, les infirmités, la juiverie et l’homosexualité est l’éradication totale (…) Il faut fermer les frontières avant qu’il ne soit trop tard. L’afflux de migrants économiques doit être stoppé et notre patrimoine génétique ainsi que notre culture doivent être préservés. »

La ville de Pori

Niveau de satisfaction :
4.2 out of 5 stars (4,2 / 5)

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Dead Mountain – Les morts mystérieuses de l’Oural – Donnie Eichar

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2014 (The Untold True Story of the Dyatlov Pass Incident)
Date de publication française :
2025 – Le Cherche Midi
Traduction (américain) :
Guillemette Franque
Genres : Enquête, historique, mystère
Personnage principal :
Donnie Eichar, auteur

L’affaire Dyatlov est célèbre dans le monde entier, c’est un des plus grands mystères non résolus du 20e siècle. En février 1959, neuf étudiants russes disparaissent dans les montagnes de l’Oural. Les recherches sont lancées et quelques semaines plus tard ils sont retrouvés, certains étaient dénudés malgré une température avoisinant -30°C, d’autres avec de graves blessures, d’autres encore sans yeux et un sans langue. Les étudiants, avant leur mort, avaient fourni une documentation importante concernant leur expédition qui permettait de retracer leur parcours : carnets de voyage et nombreuses photos. Malgré cela personne n’a pu établir avec certitude ce qui leur est arrivé. Par contre, les hypothèses émises furent nombreuses : on en a compté jusqu’à 75, allant de la simple avalanche à l’intervention des extraterrestres, des services secrets, d’une attaque du yéti … Donnie Eichar, a été fasciné par cette affaire, il s’est renseigné, a fait deux voyages en Russie pour essayer de comprendre. Ce livre est le résultat de son enquête.

L’auteur a bâti son livre en faisant alterner deux périodes : 1959, année où les évènements se sont produits, et 2012, époque dite contemporaine où il mène son enquête.
Pour la période 1959, Donnie Eichar rappelle et précise le parcours et les étapes suivis par les randonneurs. Ensuite, il fait la chronologie de l’enquête des autorités russes qui a suivi. En Russie, il est décontenancé par les témoignages où chacun a sa propre idée sur cette affaire. Presque toutes les théories exprimées reflètent une profonde méfiance envers le gouvernement. Pour la période 2012, l’auteur raconte les interviews et les témoignages qu’il a sollicités et son expédition sur le col Kholat Syakhl, montagne morte en mansi [i], rebaptisé col Dyatlov.

Avant de donner sa propre conclusion, Eichar fait une courte liste des hypothèses qu’il élimine : – L’attaque des Mansis – L’avalanche – Le grand vent – Des hommes armés – Les essais d’armes – L’affaire classée – Les extraterrestres et tous les autres. Alors quelle est sa version ? C’est la combinaison de deux phénomènes météorologiques : ondes sonores de basses fréquences et l’allée de Kármán, ce sont des tourbillons d’air qui se forment dans des conditions particulières, ils auraient rendu fous les randonneurs. Bien sûr, cette solution a une caution scientifique, comme beaucoup d’autres, même celle des avalanches. Ici c’est un docteur de la NOAA (National Oceanic and Atmospheric Administration) qui valide. Je ne sais pas si c’est la 76e hypothèse ou si elle est comprise dans les 75 déjà recensées.

On ne peut pas nier que Donnie Eichar s’est beaucoup impliqué dans cette affaire qui l’a obsédé pendant plusieurs années et qu’il a fait une enquête sérieuse en se rendant sur le terrain. Par contre son explication de l’affaire Dyatlov ne me semble guère plus convaincante que des dizaines d’autres.

Un après la publication du livre de la Russe Anna Matveeva, Le mystère Dyatlov (2013), c’est l’Américain Donnie Eichar qui donne sa version de cette étrange affaire. Anna Matveeva a construit son roman sur des sources documentaires officielles : rapports d’enquête, journaux des victimes, comptes rendus des équipes de recherche, cela donne une lecture un peu austère que l’autrice a essayé de compenser en présentant le point de vue d’une jeune femme moderne qui ressemble beaucoup à l’autrice. Donnie Eichar, lui, se met en scène dans le rôle de l’enquêteur. Il présente les résultats de ses investigations de façon plus chaleureuse, plus empathique que la Russe, avec beaucoup de photos de l’époque, cela donne une impression agréable de proximité, il raconte le drame de 1959 un peu comme s’il y était. Les deux livres sont vraiment différents sur les conclusions qu’ils tirent de leur enquête. Curieusement c’est la Russe qui donne la version la moins politiquement correcte. Elle met clairement en cause les autorités de son pays alors que l’Américain nous sort une énième hypothèse censée expliquer les évènements qui ne fait de mal à personne puisque c’est un phénomène météorologique qui explique la mort des randonneurs. Après la lecture de ces deux livres, l’affaire du col Dyatlov reste un mystère même s’ils donnent tous les deux des éléments de réponse permettant à chacun de se faire sa propre idée.

[i] Mansis : peuple autochtone habitant la région du drame, un moment soupçonné d’avoir attaqué les randonneurs

Extrait :
Les enquêtes officielles ne parvinrent à aucune conclusion quant aux événements de la nuit du 1er février, que ce soit en rapport avec une avalanche ou toute autre explication. Avant qu’Ivanov ne mette un point final à l’investigation, il détermina qu’« une force irrésistible inconnue » avait causé la mort des randonneurs. Pour les décennies à venir, les familles et les proches des victimes n’auraient rien de plus que cette explication énigmatique pour tenter de comprendre les agissements secrets de leur gouvernement et les morts tragiques de leurs êtres chers.

Les randonneurs. Du premier plan au dernier : Nikolay « Kolya » Thibault-Brignoles, Alexander « Sasha » Zolotaryov, et Lyudmila « Lyuda » Dubinina (à gauche). Le 30 janvier 1959.

Niveau de satisfaction :
4 out of 5 stars (4 / 5)

 

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Le mystère Dyatlov – Anna Matveeva

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2013
Date de publication française :
2015 – Presses de la Cité
Traduction (russe) :
Véronique Patte
Genres : Mystère, enquête, historique
Personnage principal :
Ania, jeune écrivaine russe

Russie, février 1959.
Un groupe de neuf étudiants de l’Institut polytechnique de l’Oural, menés par Igor Dyatlov, part dans les montagnes de l’Oural du Nord pour une randonnée de niveau supérieur. Les randonneurs sont jeunes, forts, solidaires et expérimentés. Lors de leur bivouac, une chose terrible s’est produite, ils ont été pris de terreur, ils se sont enfuis dans le froid, certains étaient en partie dénudés, abandonnant tout derrière eux. Aucun n’a survécu. Cette affaire a fait l’objet de nombreuses investigations, publications, livres et films. Aujourd’hui encore, elle est entourée de mystère, aucune explication officielle n’a été jugée convaincante, par contre de nombreuses hypothèses ont vu le jour. Anna Matveeva, estimant que la lumière n’a pas été faite, s’empare de cette histoire et la raconte du point de vue d’une jeune femme moderne ayant eu connaissance de ces évènements quarante ans après qu’ils se sont produits.

Le livre se présente sous la forme d’une fiction-documentaire mêlant le quotidien d’une écrivaine russe, alter ego de l’autrice, et d’une investigation détaillée basée sur des rapports d’enquête, des journaux des victimes, des entrevues avec les membres de l’équipe de recherche … Certains éléments sont redondants, racontés plusieurs fois, mais par des acteurs différents. Dans l’article l’Affaire du col Dyatlov, Wikipédia estime que malgré la présence de la narration fictive, le livre de Matveeva reste la meilleure source documentaire sur l’affaire jamais rendue publique.

Concernant les différentes versions expliquant cette tragédie, Anna Matveeva en dénombre seize, allant des plus farfelues aux plus vraisemblables. Elle attribue à chacune un taux de probabilité révélateur des choix qu’elle-même a fait : – Aryenne ou les trésors des anciens Aryens (taux de probabilité : 0,001%) – Avalanche (taux de probabilité : 3%) – Bombe à vide (taux de probabilité : 50%) – Empoisonnement à l’alcool (taux de probabilité : 0%) – Escadron de la mort ou prisonniers en fuite (taux de probabilité : 25%) – Explosion atomique (taux de probabilité : 0%) – Foudre en boule (taux de probabilité : 0,2%) – Hypothermie (taux de probabilité : 5%) – Mansis population autochtone (taux de probabilité : 5%) – Mise en scène (taux de probabilité : 35%) – Nains de l’Arctique (taux de probabilité : 0%) – Nettoyage par l’armée (taux de probabilité : 50%) – Ours (taux de probabilité : 0,001%) – OVNI (taux de probabilité : 2%) – Querelle privée (taux de probabilité : 5%) – Satellites ou nuage de sodium (taux de probabilité : 70%).

L’autrice montre une liberté de ton et d’expression assez étonnante, elle ne se gêne pas pour mettre en cause les autorités russes. En 2013, dans la Russie présidée par Poutine, c’est à noter.

Le mystère de Dyatlov d’Anna Matveeva est un étonnant roman-documentaire plus intéressant par le côté documentaire que celui du roman qui serait assez banal s’il n’y avait une touche de surnaturel. Il éclaire sur la disparition inexpliquée de neuf étudiants russes dans les montagnes de l’Oural.

Extrait :
Qu’est-ce donc ? Une légende transformée en fable à l’intention des touristes ? Ou la vérité ? Si c’est le cas, alors la tragédie du groupe Dyatlov n’était qu’une parmi tant d’autres mais que l’on n’avait pas réussi à étouffer… Combien de personnes sont-elles mortes dans les forêts profondes au nom de la science et de la puissance militaire d’un pays qui n’existe plus ?

Voilà tout ce que je sais du col Dyatlov.

Photographies des membres du groupe Dyatlov sur une stèle du cimetière de Sverdlovsk

Niveau de satisfaction :
4.2 out of 5 stars (4,2 / 5)

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Un traître en la demeure – Anne Perry

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2023 (Anne Perry)
Date de publication française :
2024 (10/18)
Traduction (anglais) :
Florence Bertrand
Genres : Enquête, thriller, historique
Personnage principal :
Elena Standish, MI 6

C’est le dernier tome de la série Elena Standish; Perry est décédée quelque temps après. J’ai commenté les quatre premiers.

Fin de l’été 1934. L’action se passe autour (et à l’intérieur) du domaine des Wyndham, une riche famille anglaise, où vivent Griselda Wyndham et son mari Sir David Wyndham, de même que Geoffrey Baden, le frère de Griselda, qui est sur le point de demander en mariage Margot, la sœur d’Elena.

Près du domaine, un apparent vagabond, en réalité un agent du MI 6, est retrouvé assassiné. John Repton soupçonnait un des membres de la famille Wyndham  de pactiser avec les mouvances fascistes du pays et de préparer quelque grand coup. D’où la nécessité de l’éliminer.

Le MI 6 profite de l’occasion des fiançailles de Margot, fêtées en grand par les Wyndham, pour que Elena y soit invitée, accompagnée de son supposé ami-amant James Allenby, agent du MI 6 qu’Elena avait déjà rencontré à Washington (cf. Dans l’ombre d’une espionne) et grand ami de Repton. Leur mission : découvrir l’assassin de Repton, percer à jour la relation entre les Wyndham et les fascistes, et protéger Margot.

L’enquête se déroule dans les grandioses paysages des Cotswolds et dans le magnifique château familial des Wyndham.  Perry prend plaisir à opposer la beauté du décor aux manœuvres répugnantes des criminels. Elle décrit aussi avec une certaine objectivité le contexte politique délicat (qui est le même aux États-Unis et au Canada) où se séparent ceux qui veulent éviter une guerre à tout prix et ceux qui ne veulent rien concéder à Hitler et aux fascistes.

L’enquête traîne un peu en longueur et Perry en profite pour décrire les tenues sophistiquées que doivent porter les dames de la haute bourgeoisie selon le repas qu’elles prennent, les visites qu’elles rendent, la promenade à laquelle elles s’adonnent, la tenue décontractée au salon qui suit le souper. Ça fait partie de sa façon de peindre les principaux personnages qu’elle cerne à partir de leurs gestes. Le lecteur retrouve cette ambiance familière qui caractérise les romans de Perry : on a un peu l’impression de faire partie de la famille ou, en tout cas, du décor.

Perry, finalement, accorde peut-être plus d’importance à l’atmosphère qu’à l’enquête proprement dite. Les différentes séries qu’elle a produites se signalent d’abord et avant tout par le choix d’un moment historique : Londres 1880-1910 (William Pitt), 1910 (Daniel Pitt), Londres 1850-60 (Monk), 1914-18 (Reavley), 1933-34 (Elena Standish) … et plusieurs romans autour de la période de Noël.

C’est vrai que tout cela allonge la sauce et favorise les redites, mais c’est si bien écrit (traduit) et les personnages principaux sont si attachants qu’on s’y laisse prendre.

Extrait :
Les sympathisants des nazis (…) sont convaincus que, si nous sommes raisonnables, si nous reconnaissons que nous avons plus de points communs que de différences avec les Allemands, nous resterons en paix. Après tout, notre langue inclut beaucoup de mots latins, français et d’autres du monde entier, mais elle est basée sur l’allemand. Et la plus belle musique au monde a été composée par les Allemands. Sous la peau, nous sommes frères, ironisa Allenby ou, du moins, cousins.
─ Caïn et Abel aussi, lui fit remarquer Lucas avec amertume (…)
─ Ayons confiance en Dieu, mais gardons notre poudre au sec, lâcha Allenby.

Cotswolds

Niveau de satisfaction :
4.2 out of 5 stars (4,2 / 5)

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La mort sur la conscience – Anne Perry

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2022
(A Truth to Lie For)
Date de publication française :
2023 (Univers Poche)
Traduction (anglais) :
Florence Bertrand
Genres : Espionnage, thriller, historique
Personnage principal :
Elena Standish, MI 6

C’est le quatrième tome de la série Elena Standish, petite fille de Lucas Standish, longtemps directeur du MI 6, devenue elle-même, et un peu malgré elle, agente du MI 6. On est maintenant en juin 1934, Elena a 29 ans, et le pouvoir hitlérien prend de l’ampleur. Deux biochimistes allemands sont d’ailleurs en train d’élaborer des germes utilisables à des fins militaires et leur antidote. Une guerre bactériologique est encore plus à craindre qu’une guerre atomique. On décide donc d’envoyer Elena, et un autre agent, en Allemagne pour exfiltrer les deux savants : ou on parvient à leur faire quitter l’Allemagne ou on les tue.

La mission est d’autant plus difficile que l’Allemagne est en ébullition : c’est l’époque de la Nuit des longs couteaux où la Gestapo massacre une bonne partie des chemises brunes et leur leader Roehm, qui envisageait peut-être de se substituer à Hitler. Logeant dans un petit hôtel de Munich avec le professeur Hartwig, Elena est témoin de cette purge; les services de sécurité étant sur le qui-vive, la sortie de l’Allemagne devient de plus en plus difficile.

Hitler est adulé par la population parce qu’il est parvenu à remettre le pays sur ses rails. Mais le général Paulus, vieil ennemi de Lucas Standish, persuade Hitler de se débarrasser de tous les foyers de contestation éventuels. Contrairement à l’image qui circule dans le pays, Hitler est beaucoup plus craintif et paranoïaque en réalité. Le pouvoir de Paulus est énorme et ses informateurs risquent de lui révéler la présence des agents étrangers sur leur territoire, ce qui interromprait la mission d’exfiltration et menacerait de mort Elena. Lucas décide donc d’affronter Paulus à Berlin.

Une bonne partie de l’histoire se passe en Allemagne. Anne Perry peint avec précision l’atmosphère ambigüe du pays : d’un côté, l’espoir de redevenir une puissance respectable; de l’autre, la terreur que sèment les chemises brunes et bientôt la Gestapo, l’antisémitisme, la censure (on brûle les livres douteux), la violence contre ceux qui pourraient s’opposer à la toute-puissance d’Hitler et du Troisième Reich.

Comme d’habitude, les personnages, peu nombreux, sont décrits avec assez de subtilité pour qu’on s’attache à eux. L’intrigue se caractérise par une action continue qui rend difficile d’interrompre le récit. La lecture n’est cependant pas à conseiller pour ceux et celles qui voudraient fuir le climat empoisonné favorisé par le nouveau Président américain : ce qui se passe en Allemagne en 1934 ressemble trop à ce qui se passe aux États-Unis en 2025, même si Hitler n’allait pas jusqu’à réécrire la Géographie (le Golfe d’Amérique au lieu du Golfe du Mexique) et l’Histoire (« l’Ukraine attaque la Russie »).

Extrait :
Paulus le fixait toujours, les yeux durs et froids comme des galets polis par la rivière.
─ C’est mon ennemi. Et le vôtre. Lucas Standish était à la tête des services de renseignements britanniques pendant la guerre (…)
La nausée montait dans l’estomac de Kurt.
─ Et que dois-je lui dire, monsieur ? demanda-t-il, sur ses gardes.
─ Ce qui vous chante, rétorqua Paulus. N’importe quoi … cela n’a aucune importance (…)
 Paulus souriait.
─ Oh ! et une petite chose, dit-il. Quand vous l’aurez rencontré, vous devrez l’amener jusqu’à moi, et puis le tuer.
L’étau autour du cœur de Kurt se resserra, au point qu’il crut ne plus pouvoir respirer(…)
─ Et si vous veniez à échouer dans cette mission, je veillerais à ce qu’on s’occupe de votre famille. Vous avez une femme et une fille, n’est-ce-pas ?

La Nuit des longs couteaux

Niveau de satisfaction :
4 out of 5 stars (4 / 5)

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Gracier la bête – Gabrielle Massat

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2025 -Éditions du Masque
Genres : Roman noir, social
Personnage principal :
Till Aquilina, éducateur dans un foyer d’accueil d’urgence pour mineurs

Till Aquilina est éducateur spécialisé dans un foyer d’accueil d’urgence pour mineurs. Sous ce nom ronflant se cache un endroit où atterrissent les jeunes dont plus personne ne veut et où les éducateurs en sous-nombre font ce qu’ils peuvent et finissent par craquer, totalement épuisés. C’est ce qui est arrivé à Till : il a violenté Audrey, une adolescente de 14 ans lorsqu’elle est revenue au foyer après sa énième fugue. Audrey va finir à l’hôpital, en coma artificiel, pas à cause du geste brutal de Till, mais parce qu’après cela Audrey s’est enfuie et elle a été renversée par un chauffard non identifié. Submergé par la culpabilité, Till s’installe devant la chambre de la fille, mais il n’a pas le droit de la voir. Pour se racheter, il ne voit qu’une solution : retrouver la mère d’Audrey disparue, mais que l’adolescente cherchait à retrouver. Tâche particulièrement difficile puisque la mère a été déclarée présumée morte sans qu’aucune preuve de sa mort ne soit fournie.

L’intrigue se base sur deux thèmes : – le sentiment de culpabilité d’un homme qui sait qu’il a commis une faute et son désir de rédemption – la protection de l’enfance et les foyers d’accueil d’urgence. Les deux thèmes sont liés par l’intermédiaire de l’éducateur Till. Les choses ont dégénéré pour plusieurs raisons : Till a travaillé soixante heures par semaine depuis des mois, il a enchaîné une nuit après une journée entière de boulot, cette nuit il était seul pour gérer le centre, en plus on venait de lui envoyer un gamin trop jeune et en état de choc, Audrey est revenue en pleine nuit en possession d’un téléphone qui ne lui appartenait pas. Épuisé et sur les nerfs il a n’a pas supporté les insultes, il a plaqué l’adolescente contre un mur et avec ses cent trois kilos le choc a été rude. Il ne se pardonne pas la suite : la gamine qui s’enfuit, se fait percuter, se retrouve à l’hôpital. Et bien sûr sa hiérarchie qui n’a pas hésité à le mettre dans des conditions de travail insupportables et d’abuser de sa disponibilité va l’accuser de violence et d’abandon de poste. Seule son amie Anya, pédopsychiatre et représentante syndicale, en tant que grande prêtresse des causes perdues, lui apporte un soutien sans faille.

Quand Till apprend qu’Audrey recherchait sa mère et qu’elle aurait été en contact avec elle, son obsession sera de ramener sa mère à la fille. Ses recherches vont l’amener à fréquenter un autre monde où l’on trouve un policier ripou, un ancien légionnaire et des trafiquants de drogue. Un monde dangereux où il risque sa vie. Mais Till persiste et poursuit sa quête.

L’autrice situe son roman dans la région où elle vit : le Tarn entre Albi et Gaillac. Un territoire de forêt et de pluie qui contribue à installer une atmosphère de morosité en accord avec l’humeur du personnage principal.

À travers le personnage de Till, Gabrielle Massat nous décrit la souffrance des enfants et des éducateurs dans les foyers d’accueil. Gracier la bête est édifiant sur le naufrage de la protection de l’enfance en France. C’est un roman noir poignant.

Extrait :
— Ce que vous n’avez pas compris, Lucille, et que personne ici n’a compris, c’est qu’en condamnant M. Aquilina, vous permettez que rien ne change. Il a violenté Audrey Marty et personne ici ne nie les faits. Cet acte n’aurait jamais dû se produire. Vous savez pourquoi ? Parce qu’il n’aurait pas dû être là ce soir-là. Il n’aurait pas dû enchaîner une nuit après une journée entière de boulot, ni bosser soixante heures par semaine depuis des mois, ni devoir gérer seul toute la villa. Regardez-moi bien en face et osez me dire que dans ces conditions, ce qui est arrivé aurait pu être évité.

Niveau de satisfaction :
4.2 out of 5 stars (4,2 / 5)

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La nuit n’est jamais complète – Niko Tackian

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2016,  réédition en poche 2023
Genres : Noir, thriller
Personnages principaux :
Arielle et Jimmy

Le vaillant Jimmy et sa fille Arielle, jolie jeune femme, roulent dans un désert de rocaille au volant de leur vieille Ford. Un barrage de police, vraiment inattendu dans ce paysage où il n’y a rien, les empêche de poursuivre leur route et les oblige à passer la nuit sur place avec trois autres automobilistes : le colossal et colérique Juan, l’impulsif Victor et le quasi-intellectuel Florencio.

Ils doivent donc passer la nuit dans leur automobile. Le lendemain matin, le policier est disparu, la batterie de leur automobile est à plat, et ils ont l’impression d’avoir été drogués par le café qu’on leur avait servi. Comme la route devant eux semble s’être mystérieusement effondrée, ils s’orientent autrement et découvrent une sorte de village minier inactif depuis des lustres. Une dizaine de maisons tiennent encore debout : on y trouve des boîtes de nourriture, mais aussi une demeure où des enfants semblent avoir été tués. Victor souffre de coups de soleil et veut retourner à sa voiture. La tension grimpe dans le groupe. D’autant plus que le soleil est étouffant et que les nuits sont froides. Au cours de la nuit, on entend des hurlements, et une grosse bête semble avoir rôdé autour de certaines maisons. Florencio finira d’ailleurs par être blessé, mais on ne parvient pas à savoir si l’agresseur était un animal ou un être humain.

Les problèmes deviennent de plus en plus étranges. Les vivres diminuent. Pas de nouvelles de Victor et Juan disparaît. Les blessures de Florencio mettent sa jambe en péril. L’eau paraît contaminée et on n’aura bientôt plus la possibilité de la faire bouillir. En désespoir de cause, Jimmy décide de descendre dans la mine. La situation dans laquelle il se retrouve devient de plus en plus incompréhensible.

Cette histoire est vraiment angoissante et il est difficile de dormir en paix tant qu’on ne l’a pas terminée, c’est-à-dire tant qu’une brillante élucidation rationnelle ne sera pas venue percer le sens de cette série d’insupportables énigmes.

Dans mon compte rendu de La lisière, j’avais déjà observé que « Il me semble évident que, pour Tackian, la description du problème est plus importante que sa solution ». À une nuance près, c’est encore le cas ici. La description de ce voyage au bout de la nuit est si implacable et les événements vécus par les cinq personnages sont si troublants que le lecteur éprouve un impérieux besoin de revenir enfin sur le plancher des vaches. Je dois pourtant avouer que ma frustration fut aussi élevée que mes espérances.

Puis, j’ai lu le compte rendu de mon collègue Raymond Pédoussaut qui donne 4.5 à ce roman qui hérite d’un « coup de cœur ». Comme nous ne sommes pas souvent en désaccord, il m’a fallu en trouver la raison : c’est certain que l’explication de l’auteur est astucieuse, mais c’est un type d’explication que, personnellement, je n’accepte pas : étant sans doute un lecteur plus traditionnel, je lis tout polar comme un roman policier qui devrait obéir à certaines  règles de Van Dine. Je m’attendais donc à une explication rationnelle  brillante comme celles de Poirot ou de Holmes. Or, on en est très éloigné. À mon sens, l’explication fournie relève plutôt de la littérature fantastique. Donc, je n’enlève rien au talent de l’auteur ni au jugement de mon collègue. C’est le type de roman qui est en question. Et le type d’attente du lecteur.

Extrait :
Le groupe électrogène était composé d’un petit moteur alimenté par un large réservoir de mazout. On pouvait le démarrer manuellement à l’aide d’une manivelle en acier sur laquelle était rivetée une poignée en bois. Ce genre d’unité portable découverte par Juan aux abords de la mine devait être emporté par les mineurs pour leur permettre d’éclairer les galeries les plus lointaines. La cuve du réservoir à mazout était quasiment vide et Jimmy fixait le niveau avec inquiétude. Cela faisait presque trois jours qu’ils avaient découvert le pillage de leurs réserves et ils n’auraient bientôt plus d’électricité. Qui avait bien pu s’introduire dans la maison et leur voler ainsi leurs derniers espoirs de survie ? Jimmy se rappelait les théories de Juan, persuadé que quelqu’un les observait depuis la mine. Ce quelqu’un pouvait-il être celui qui avait attaqué Victor, Florencio puis finalement s’en était pris à Juan ? Tant de questions restaient sans réponses.

Un village minier

Niveau de satisfaction :
3.9 out of 5 stars (3,9 / 5)

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Les saules – Mathilde Beaussault

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2025 – Éditions du Seuil
Genre : Roman noir rural
Personnage principal :
Marguerite, 10 ans, petite fille un peu attardée

Marie, 17 ans, a la réputation d’une Marie-couche-toi là, parce qu’elle s’offre à beaucoup de garçons. Marguerite, 10 ans, parle très peu, alors quand elle annonce tranquillement : Marie est morte, dans la coulée, près de la rivière, c’est la stupéfaction. Le père de Marguerite confirme les propos de sa fille : il a vu aussi la fille morte, il n’a rien dit, il attend que d’autres la découvrent, on ne veut pas d’embêtements dans la famille. L’enquête établira que c’est un meurtre, l’adolescente a été étranglée. Dans le hameau breton de La Motte, c’est à la fois la consternation et l’excitation : Marie était la fille des pharmaciens qui habitent la Haute Motte, ils n’étaient pas bien vus par ceux qui habitent la Basse Motte. Les gendarmes vont interroger tous les habitants du hameau pour tenter de trouver le coupable.

A priori, ce roman se présente comme un roman d’enquête classique : une adolescente assassinée dans un bourg rural, la gendarmerie ne devrait pas tarder à identifier le coupable. Mais ici l’enquête est quasi inexistante, c’est seulement une suite de dépositions des habitants devant les gendarmes. C’est le prétexte pour décrire l’ambiance et les relations qu’ont les gens entre eux dans ce coin de campagne bretonne. Le meurtre de la jeune fille est le révélateur des rumeurs, des petits secrets, des jalousies, des non-dits. Il montre tout aussi bien la rivalité que la solidarité paysanne. C’est donc davantage une étude de mœurs qu’une enquête.

Les témoignages se succèdent devant les gendarmes. Les questions ne sont pas formulées, on les devine dans les réponses qui sont révélatrices de la personnalité de chacun, de leur culture, de leurs affinités et de leurs antipathies. Le témoignage le plus fort est celui de Mimi, la patronne du seul bar du coin qui est devenu le centre névralgique du bourg, depuis que l’église est désertée. On a progressivement troqué la passion du Christ pour la passion du comptoir. Dans sa déposition, Mimi montre un sens de l’observation affûté, de la finesse psychologique, une belle sensibilité et une grande humanité. Elle a été la seule à percevoir derrière les multipes aventures de Marie, la douleur qui habitait l’adolescente.

Le personnage le plus touchant est la petite Marguerite. C’est un souillon, mal lavé et mal peigné. Ses camarades de classe l’appellent la petite bête. Elle est leur souffre-douleur, ils multiplient envers elle les agressions et les humiliations. Elle ne se défend pas, les maîtres ne la défendent pas. Seule Marie était gentille avec elle. Simplette et négligée, c’est ainsi que la plupart des gens la voient. Marguerite parle très peu, mais quand elle parle elle ne ment jamais. Ses rares paroles auront un poids considérable dans cette affaire.

Les saules est un excellent roman noir rural. Un premier roman impressionnant de maîtrise et d’originalité.

Extrait :
Alors qu’on attendait son père et qu’elle devait se douter qu’elle allait passer un sale quart d’heure, elle a posé sa joue contre mon épaule quand je me suis accroupie à côté d’elle. Et elle m’a dit : « Tu sais Mimi comment on fait pour être aimée toi ? » Je n’ai pas compris sur le moment et je lui ai répondu des banalités. Qu’elle était aimée, qu’elle avait des parents aimants, des amis. J’ai pensé sur le moment que c’était une gosse de riches et qu’elle s’inventait des problèmes pour faire cas de son nombril. Je ne vaux pas mieux que les autres. Mais elle a réfréné un rot et le visage crispé elle a ajouté plus fort : « Non, pas mal aimée comme ça. Aimée par l’homme qu’on aime, qu’on aime tellement qu’on pourrait se jeter dans le vide si ses bras nous attendaient tout en bas. » J’ai ri à ce moment-là, je l’avoue. Non seulement parce que je prenais cela pour des paroles de gamine qui ne connaissait rien à l’amour mais surtout parce que je n’y connais rien. Je connais bon nombre d’histoires d’amour, j’en connais des Pénélope, des Iseult, des Juliette et des Emma dépitées par leur vie. Alors j’ai ri. J’ai ri platement en lui ébouriffant les cheveux comme si elle était un épagneul qui rentrait bredouille de la chasse. J’ai juste ri d’un rire vain alors que dans les vapeurs de l’alcool qui menaçait de passer par-dessus bord, cette gosse cherchait une réponse qui l’aurait peut-être gardée en vie.

Bande annonce des Éditions du Seuil

Niveau de satisfaction :
4.5 out of 5 stars (4,5 / 5)
Coup de cœur

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