Hildur – Satu Rämö

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2022 (Hildur)
Date de publication française :
2024 – Éditions du Seuil
Traduction (finnois) :
Aleksi Moine
Genre : Enquête
Personnages principaux :
Hildur Rúnarsdóttir, policière à Ísafjörður (Islande) – Jakob Johanson, stagiaire finlandais

Hildur Rúnarsdóttir est policière à Ísafjörður dans les Fjords de l’Ouest en Islande. Elle est responsable de l’unité des enfants disparus. Il y a une bonne raison pour cela : 25 ans auparavant ses deux jeunes sœurs se sont volatilisées à la sortie de l’école. On ne les a plus revues, les recherches n’ont rien donné. Ce jour, Hildur et sa cheffe ont le plaisir d’accueillir Jakob Johanson, un stagiaire finlandais. Jocob vit une séparation douloureuse avec son épouse et son fils. Le renfort de Jacob est le bienvenu au moment où, chose exceptionnelle pour le pays, deux meurtres se produisent à quelques jours d’intervalles. Ils semblent liés parce qu’on a retrouvé dans la bouche des deux victimes une mèche de cheveux blonds. Et ce n’est pas fini.

L’autrice est finlandaise mais elle s’est installée en Islande où elle situe son roman. Elle restitue une belle ambiance des Fjords de l’Ouest : la mer, les montagnes aux sommets aplatis, la neige, la pluie, le brouillard et le soleil qui disparait pendant plusieurs mois. Satu Rämö décrit aussi très bien les coutumes, les relations sociales et les légendes du pays.

L’intrigue passe de la simplicité à la complexité. Au début, les policiers du petit commissariat d’Ísafjörður n’ont à intervenir que sur des problèmes de violence conjugale, de drogue, d’ivrognerie, de conduite sans permis, quelques cambriolages, parfois des vols de voiture et très rarement des homicides. Jusqu’à ce qu’une série de meurtres ne vienne chambouler la relative tranquillité. Pire ces meurtres semblent l’œuvre d’une même personne car on a trouvé sur les victimes ce qui semble être un message : une mèche de cheveux dans la bouche des victimes.

Hildur, qui donne son titre au roman, est une femme qui a été traumatisée jeune par la disparition non éludicée de ses petites sœurs. Elle est souvent oppressée par ce souvenir et pour chasser ses idées noires elle surfe dans l’eau glacée de l’océan, même en plein hiver. Elle fait beaucoup de sport : jogging et musculation. C’est sa façon de faire retomber la pression. Son nouveau collègue, Jakob, a lui aussi besoin d’oublier la faillite de son mariage : son ex-femme l’accuse de tout en permanence et lui interdit de voir leur fils. Jakob a une autre méthode pour décompresser : il tricote des pulls islandais. Hildur et Jakob forment un duo de policiers atypique mais ils s’entendent bien et sont efficaces.

Hildur est une immersion dans l’Islande. C’est un roman dépaysant avec une intrigue originale et des personnages atypiques mais attachants. C’est le premier tome d’une série qui a déjà eu du succès en Islande. On retrouvera avec plaisir le duo Hildur-Jakob dans les prochains volumes.

Extrait :
La plupart des gens attendent que surviennent des événements positifs. Hildur trouvait cela curieux. Pour elle, ne rien attendre de l’avenir la rendait heureuse. Quand les choses se passaient de manière simple et que le quotidien avançait tranquillement et sûrement. Dès qu’elle avait le moindre sentiment d’attendre quelque chose, c’était le signe qu’un événement tragique et terrible allait se produire.
Cette sensation n’avait pas toujours été aussi éprouvante. Quand Hildur était petite, elle avait, elle aussi, attendu des événements joyeux. Elle se réjouissait de l’approche de Noël, de l’anniversaire de ses camarades de classe, des longues promenades à cheval le week-end et des premières neiges qui tombaient à l’automne. Mais le jour où tout avait changé fut aussi celui où elle avait cessé d’attendre les bonnes choses.

Bande annonce des Éditions du Seuil

Niveau de satisfaction :
4.2 out of 5 stars (4,2 / 5)

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Meurtre à Capri – Luca Ventura

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2020 (Mitten Im August. Der Capri-Krimi)
Date de publication française :
2024 (Librairie Générale Française)
Traduction (allemand) :
Dominique Autrand
Genre : Enquête
Personnages principaux :
Enrico Rizzi, Antonia Cirillo, policiers

C’est le premier roman d’une série policière qui met en vedette deux policiers : le jeune et entêté Enrico Rizzi et l’expérimentée et mystérieuse Antonia Cirillo. L’auteur est Allemand mais passe sa vie autour du golfe de Naples; c’est là, d’ailleurs que se passent les aventures de ses policiers, plus exactement à Capri. Les commentateurs ont vanté la description des paysages, la mer, « toujours recommencée », le soleil omniprésent, les vignes prometteuses, mais c’est bien plus que ça. Ventura est un bon conteur qui sait tenir son lecteur en haleine malgré la longueur du récit.

À la veille des réjouissances du 15 août, une barque échoue sur une plage de Capri dans laquelle un homme (Jack) a été poignardé à mort au cours de la nuit. C’est la première enquête de Rizzi sur un assassinat; à Capri, on a surtout affaire à des problèmes de drogues, d’alcool ou de bagarres, mais rien d’extravagant pour la police; d’où le petit nombre d’agents, la méfiance, pour ne pas dire, le mépris des policiers de Naples, et le fait qu’on demande à Rizzi d’enquêter avec Antonia Cirillo, une policière d’une quarantaine d’années qui a été mutée à Capri depuis quelques semaines (et qui semble avoir été rétrogradée).

D’abord, on  cherche à connaître l’identité du jeune homme décédé. Puis, comme il aurait été accompagné la veille de sa mort d’une jeune femme (Sofia), il faut retrouver cette compagne qui semble s’être évaporée. Le jeune homme aurait habité une grande maison, dans laquelle on retrouve un homme qui a été assommé. Cet incident complique l’enquête au lieu de la simplifier. L’essentiel est de retrouver Sofia qui était avec Jack dans la barque la nuit où il a été poignardé. On la rattrape et Rizzi commet une gaffe qui coûte presque la vie à Sofia. Cirillo intervient alors et Rizzi s’aperçoit qu’il l’avait injustement sous-estimée.

Un procédé intéressant est d’avoir divisé l’histoire en deux récits : le récit normal de l’enquête qui se poursuit jour après jour; et le récit raconté par Sofia à partir du moment où elle a quitté Jack. C’est comme si le suspense était multiplié par deux. Bien sûr, l’auteur intercale les tiraillements entre les autorités de Naples et celles de Capri, ce qui est assez classique; mais surtout il s’attarde sur la vie de Rizzi, sa famille, ses amis, son amante et le souvenir de son fils décédé. Comme c’est le premier roman d’une série, c’est normal de présenter les principaux personnages; Cirillo reste, cependant, mystérieuse, mais deux choses sont claires : d’abord, Rizzi s’aperçoit qu’elle a une expérience supérieure à la sienne et qu’il va devoir changer son attitude envers elle. D’autre part, la fin de cette première histoire n’inclut pas Cirillo dans les réjouissances familiales. Une fois l’enquête bouclée, elle a décidé d’aller se perdre dans la grande ville, quitte à se payer une petite aventure. Ce qui accentue l’autonomie de chaque enquêteur.

La suite promet beaucoup, entre autres à cause de ce binôme étonnant et étrangement complémentaire.

J’ai bien aimé.

Extrait :
À une cinquantaine de mètres des rochers flottait une barque où gisait un corps humain. Arrivé en bas, Rizzi rejoignit Cirillo et aperçut une main sur le plat-bord de la barque.
Le bateau mit le cap sur la barque, et Rizzi demanda : « Qui a donné l’alerte ? »
Cirillo désigna du menton une jeune femme en robe bleue assise à l’écart, dans l’ombre des rochers, un chien à côté d’elle. « Elle s’appelle Caterina Agnesi. Une vacancière. Elle vient nager ici le matin. »
En silence, ils regardèrent leurs collègues gardes-côtes s’avancer lentement vers la barque, un des hommes se pencher par-dessus le bastingage et se lancer dans un numéro d’acrobate pour attacher une corde à l’embarcation, ce qui se révélait plus difficile qu’on aurait pu le croire à distance.
« Nerveuse ? demanda Rizzi à sa nouvelle collègue.
– Non, répondit-elle. Et toi ? »

Capri

Niveau de satisfaction :
4.2 out of 5 stars (4,2 / 5)

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Top 10 de l’année 2024

Sélection des meilleurs livres de littérature noire que nous avons chroniqués en 2024, publiés en français entre 2023 et 2024.
Nous nous sommes limités à 10 livres, 5 livres par chroniqueur.
Il n’y a pas d’ordre de préférence, pas de classement de 1 à 10.
Un clic sur l’image ou le titre renvoie à la chronique correspondante.

Baignades d'Andrée A. MichaudMadeleine avant l'aube de Sandrine ColletteSarek
d'Ulf Kvensler
Les âmes féroces de Marie Vingtras
Le huitième registre 1. d'Alain BergeronLa proie et la meute
de Simon François
L'Ombre des innocents
de René Manzor
De neige et de vent de Sébastien Vidal
Civilisés
de Patrick Senécal
Le Sang des innocents
de S.A. Cosby
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Les vautours de Bugarach – Daniel Hernandez

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2017 – TDO Éditions – Réédition en 2024 chez TDO Éditions Poche
Genres : Enquête policière, thriller géographique
Personnages principaux :
Jepe Llense, commissaire catalan – José Trapero, ami du commissaire

Le commissaire Jepe Llense, chargé des homicides dans cette région, est appelé à Bugarach. Un corps décharné et mutilé par les bêtes sauvages et les vautours, a été découvert. L’état du cadavre ne permet pas de déterminer si c’était un homme ou une femme, mais on sait qu’il ou elle a été tué(e) d’une balle en plein front. Jepe Llense décide de ne pas prendre l’affaire étant par ailleurs déjà bien occupé. Jusqu’à ce qu’un deuxième cadavre soit retrouvé sur une aire de nourrissage des vautours. Là, le commissaire va juger l’affaire suffisamment grave pour considérer qu’il doit s’y intéresser. Alors que le temps passe et que l’enquête piétine, un troisième meurtre se produit. La victime est un journaliste connu pour sa curiosité et ses scoops. Jepe Llense n’a plus le choix, il doit absolument trouver le ou les meurtriers.

Le commissaire Jepe Llense, héros récurrent des polars de Daniel Hernandez, est un grand gaillard, ancien joueur de rugby (deuxième ligne) de Perpignan et de l’équipe de France. Il est franc et direct, ce qui ne l’empêche pas d’être aussi malin et stratège. Il sympathise facilement avec les gens qui lui conviennent. Il est aidé dans ses enquêtes par un ancien policier, José Trapero, qui est son ami. Ils ont un long passé en commun, ils s’entendent comme larrons en foire et se complètent : Llense est terre-à-terre alors que Trapéro est plus intuitif.

L’intrigue, bien ficelée, est prenante avec ses meurtres étranges et les vautours qui effacent les traces et compliquent les investigations. Elle nous permet aussi de visiter ce coin de l’Aude, le Haut-Razès[1] un  endroit peuplé et de mystères et chargé d’énergies.

Le décor est la véritable vedette du roman. D’ailleurs Bugarach, petit village de 240 habitants, est universellement connu pour avoir été désigné comme l’unique endroit sur terre où il fallait se trouver pour survivre à l’apocalypse prévue le 21 décembre 2012, d’après le calendrier maya. On y trouve le mythique Pech de Bugarach [2]. De nombreuses légendes et histoires en tout genre sont attachées à cette montagne si particulière. On l’appelle aussi la montagne inversée, car les couches de roche les plus anciennes se sont retrouvées au-dessus tellement la pression des plaques tectoniques a été importante. Tout autour de ce fameux Pech se déploient des lieux auxquels sont liées des légendes plus ou moins farfelues, comme celle-ci : après la crucifixion et la résurrection du Christ, Marie-Madeleine et Jésus se seraient réfugiés dans le Razès. Ils venaient se baigner dans une cuvette naturelle d’eau qu’on appelle maintenant les Bains Marie-Madeleine, leur sueur persisterait et diffuserait jusqu’à la source de la rivière La Salts, c’est pour cela qu’elle est salée. On peut aussi citer les ruines du château des Templiers à Bézu, le hameau fantôme de Campeau, la cascade des Mathieux.

Dans une enquête relativement classique, Daniel Hernandez nous fait voyager dans le Haut-Razès, une région de mystères et de légendes. Un vrai plaisir de lecture.

[1] Le Razès est une région d’Occitanie, dans l’Aude, à 45 kilomètres au sud de Carcassonne et à 20 kilomètres de Limoux.

[2] Pech et non pic comme on le trouve souvent écrit. Le pech désigne en occitan un sommet, une colline, souvent de forme arrondie.

Extrait :
En chœur, dans leur silence intérieur, les deux compères mesurent la difficulté de la tâche qui les attend : découvrir un assassin qui a déjà frappé deux fois, dans un milieu inconnu et avec un mobile pouvant remonter à Marie-Madeleine ! Leur esprit est totalement accaparé par cette quête, toutes les informations que captent leurs sens sont traitées sous l’angle de cette priorité. Pour rester clairvoyants, ils doivent éviter les fixations et les abus d’interprétation. Ils se résignent : pour l’heure, ils n’ont que les vautours.

Pech de Bugarach

Niveau de satisfaction :
4.3 out of 5 stars (4,3 / 5)

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La librairie des chats noirs – Piergiorgio Pulixi

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2023 (La Libreria Dei Gatti Neri)
Date de publication française :
2024 (Gallmeister)
Traduction (italien) :
Anatole Pons-Reumaux
Genre : Enquête
Personnage principal :
Marzio Montecristo, libraire

Le tueur neutralise la petite famille, ligote les trois personnes et donne une minute au père pour décider s’il va tuer sa femme ou leur enfant. Le père choisit l’enfant; le sadique tue la mère; et le père se suicide. Peu après, un scénario analogue, sauf que la question est posée à la fille qui ne se décide pas entre choisir son père ou sa mère; la minute écoulée, le sadique les tue alors tous les deux. Et ça promet de continuer ainsi.

La police ne trouve aucun lien entre les victimes (à part leur âge, peut-être); l’assassin ne laisse aucune trace. Quel motif ? Vengeance peut-être, mais de quoi ? En désespoir de cause, Angela Dimase et Flavio Caruso, chargés de l’enquête, demandent l’aide du libraire Marzio Montecristo qui anime un club de lecture, les enquêteurs du mardi, qui leur avait déjà donné un coup de main.

Le lecteur aussi cherche en vain des indices. L’auteur lui en fournit deux : l’énoncé selon lequel « les affaires les plus difficiles sont toujours les plus banales » (dixit la doyenne du club Nunzia dans un éclair de lucidité). Puis, le fait qu’une victime reconnaît le tueur quand il accepte de se découvrir avant de l’abattre. Bon, c’est bien gentil, mais on n’est pas vraiment plus avancé.

Marzio et son équipe partent du fait que les victimes véritables sont les personnes qui ont eu le choix cruel à faire, qu’elles sont toutes d’un âge assez semblable et qu’elles sont toutes nées à Cagliari. Puis, on découvre qu’elles auraient fait partie d’un même département à l’université et auraient passé les mêmes examens. Un de leurs collègues se serait suicidé il y a deux ans en demandant pardon : « Que Dieu nous pardonne pour ce que nous avons fait »… Il suffira de suivre cette nouvelle piste pour trouver l’identité possible de l’assassin, ce que confirmera Lorenzo, l’enfant du premier couple décédé, à partir de la reconnaissance du visage cagoulé du tueur.

Heureusement que ce dernier avoue, sans quoi il me semble qu’un bon avocat l’aurait aisément disculpé.

C’est bien écrit et la lecture est agréable. J’aurais aimé que l’auteur décrive davantage la Sardaigne qui reste une sorte de mystère pour les admirateurs de l’Italie. Les principaux personnages sont bien campés, particulièrement les membres du club. La façon de procéder du criminel est obsédante. L’enquête pour le découvrir bénéficie d’un beau hasard et d’une identification plutôt délicate.

Extrait :
Dans quelques secondes, je vais retourner le sablier. À partir de là, tu auras exactement une minute pour prendre ta décision. Ce sera un choix difficile, j’en ai conscience. Mais il n’y aura aucune échappatoire. Soixante secondes, pas une de plus. C’est tout le temps dont tu disposeras. Compris ?
Mais de quoi parle-t-il, bon sang ? se demanda Nicola, hébété.
Lucia lui lança un regard désespéré.
─ Je t’ai demandé si tu avais compris, reprit l’inconnu en braquant son arme sur son épouse.
Nicola hocha frénétiquement la tête.
─ Bien… Je suis ici pour tuer soit ta femme, soit ton fils (…) Tu as une minute pour me désigner qui. Une fois le temps écoulé, je les tuerai tous les deux et je te laisserai la vie sauve.

Cagliari

Niveau de satisfaction :
4 out of 5 stars (4 / 5)

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Les eaux assassines – Dominique Van Cotthem

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2024 – Genèse Édition
Genres : Psychologique, roman catastrophe, suspense
Personnages principaux :
Leïla, Paloma, Réjane, prisonnières des eaux lors d’une inondation exceptionnelle

Il pleut et il va continuer à pleuvoir. Certaines régions sont déjà en alerte, il est tombé en un jour l’équivalent d’un mois de pluie. Leïla, Paloma et Réjane, chacune de leur côté ne s’inquiètent pas outre mesure des alertes émises par les autorités. Elles se sentent à l’abri dans leur maison, elles ont d’autres problèmes. Puis la rivière sort de son lit, l’eau envahit les rues, rentre dans les maisons, continue de monter. Il faut alors se réfugier aux étages, au grenier et même sur le toit. Maintenant c’est leurs vies qui sont menacées. L’isolation forcée et la mort envisageable sont l’occasion pour elles de revenir sur leur destin, leurs bonheurs, leurs échecs. En espérant que l’eau s’arrête de monter.

L’intrigue se déroule sur deux jours, du mercredi matin au jeudi après-midi. Trois femmes sont maintenant dans la même situation : réfugiées dans leur maison avec l’eau qui monte inexorablement, mais auparavant elles avaient des vies bien différentes.

Leïla est une jeune maman, elle a un bébé de cinq mois. Son mari a sombré dans l’alcoolisme et il la maltraite. Sa propre famille, très attachée aux traditions, considérerait un divorce comme un déshonneur. Leïla se sent prisonnière. Heureusement qu’elle a son bébé, c’est sa bénédiction. Paloma est enseignante et mère d’une adolescente à haut potentiel. Son mari est un homme riche qui a bénéficié d’un gros héritage à la mort de ses parents dont il a été soupçonné d’être à l’origine. Paloma ne veut pas se poser de question, elle aime son mari, coupable ou innocent. Réjane est veuve et elle a perdu un fils victime d’une maladie incurable. Elle s’occupe dorénavant de sa mère atteinte d’Alzheimer. Réjane fait preuve d’un dévouement et abnégation admirables. Toutes les trois doivent non seulement sauver leur vie, mais aussi protéger des êtres chers restés bloqués avec elles, lors de l’inondation : Leïla son bébé, Paloma sa fille et Réjane sa mère.

La montée des eaux, lente mais implacable et l’angoisse que cela génère constitue un suspense intense. Le dénouement n’est pas celui attendu. L’épilogue est improbable et quelque peu alambiqué.

Ce roman conjugue un fort suspense et une fine analyse psychologique des personnages. C’est un hommage au courage et à la résilience des femmes.

Extrait :
Au rez-de-chaussée, la rivière s’applique à tout engloutir. À l’avant de la maison, les vieux châssis en bois ont succombé à la pression de l’eau. La crue traverse le salon et la cuisine, des vagues percutent les murs, elles lèchent la rosace du plafond. Le lustre balance ses pampilles de cristal de gauche à droite. Des paquets de pâtes flottent sur la houle. Il n’y a plus un seul meuble debout. 
En fin d’après-midi, Réjane a vu passer une vache au milieu du courant. Tête blanche, l’œil hagard, elle étirait son cou en essayant de tenir l’équilibre, de respirer, de ne pas couler. Réjane aurait voulu que la bête entre chez elle. Elle l’aurait secourue et accueillie à l’étage, le temps nécessaire. Elle aurait voulu sauver tous les animaux piégés par la rivière. Des chiens, des chats, des moutons et même un cygne avec une aile brisée. Impuissante, elle les a regardés courir à la mort, avec ce sentiment affreux d’être complice de cette déportation.

Niveau de satisfaction :
4.3 out of 5 stars (4,3 / 5)

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Le Palais de l’infortune – Donna Leon

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2023 (So Shall You Reap)
Date de publication française :
2024 (Calmann-Lévy)
Traduction (américain) :
Gabriella Zimmermann
Genres : enquête, sociologique
Personnage principal :
Commissaire Guido Brunetti

J’entre dans un Donna Leon comme dans une vieille chemise; j’ai suivi les 31 enquêtes de Brunetti et j’ai appris à connaître sa famille : les cours de Paola à l’Université, leur fille Chiara, originale et végétarienne; et l’entourage de Brunetti au travail : les promotions de Vianello, les jeux de pouvoir avec Patta, l’affreux Scarpia, la fulgurante Elettra, la récente Griffoni. Pour Donna Leon, la ville de Venise et la fréquentation des principaux personnages sont aussi importantes que l’intrigue policière comme telle. Je dirais même plus importantes dans ses derniers romans. On avait déjà remarqué que la réflexion sur des problèmes sociaux prenait de plus en plus de place dans ses romans. Le temps accordé aux situations familiales de Brunetti, et à ses amitiés, est de plus en plus fréquent également. J’y insiste parce qu’un nouveau lecteur de Donna Leon, qui s’intéresserait peu à la famille Brunetti ou à Venise la magnifique, risque de trouver bien mince l’attention accordée à l’intrigue policière.

Dans ce cas-ci, il n’aurait certes pas tort. Un Sri Lankais qui travaillait au palazzo Zaffo dei Leoni est retrouvé mort, poignardé et noyé. En enquêtant sur cette mort, Brunetti deviendra le copain d’une religieuse qui habite au Couvent dont les terres rejoignent celles du palazzo. Puis, il est amené à scruter la vie de trois contestataires des années 70, qui préconisaient la violence pour en finir avec le capitalisme. Un des trois est mystérieusement disparu. Un deuxième se spécialise dans les œuvres d’art, et le troisième est retrouvé mort enterré dans les broussailles du palazzo grâce au chien adopté par la religieuse. Des soupçons pèsent sur un type qui pourrait être accusé au moins de complicité de meurtre; et on ne sait toujours pas qui a tué le Sri Lankais.

Dans cette histoire, Vianello et Paula ne font que passer; et Elettra reviendra tardivement d’un congrès à l’étranger. Mais Donna Leon a le souci de s’ancrer dans la réalité actuelle en consacrant deux chapitres à une réflexion sur l’homosexualité et quelques paragraphes à la présence des jeunes dans les gangs de rue. En immergeant Brunetti dans la vie quotidienne et en le montrant chercher des indices pas à pas sans trop de succès, l’auteure a probablement voulu nous faire sentir la frustration fréquente du travail policier, parfois compensée, heureusement, par quelque beau hasard.

Extrait :
Brunetti s’approcha de la chienne qui s’apprêtait à se lever pour le rejoindre.
« Non », assena-t-il d’un ton farouche, et la chienne fit mine de se cacher en se couchant et en se couvrant les yeux avec ses pattes.
Il s’approcha d’elle davantage encore et aperçut ce à quoi il s’attendait. « Sara, dit-il. Brave bête.» Il tapa sur ses genoux en disant : « Viens ici, mon bon chien.
Pas très rassurée, elle leva en hésitant une patte, puis l’autre et, se faisant toute petite, elle rampa jusqu’à lui. Il gardait les yeux sur elle et une fois parvenue à ses côtés, il lui dit : « Assieds-toi » et elle s’exécuta.
Ce n’est qu’à ce moment qu’il put examiner l’endroit où Sara avait joué avec ce qu’elle avait trouvé en creusant dans le jardin de l’autre côté du mur. Il ne savait trop si c’était l’os d’une jambe ou d’un bras, mais il savait que c’était un os humain.

Venise la nuit

Niveau de satisfaction :
3 out of 5 stars (3 / 5)

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Saturation totale (Trilogie du dark net 3) – Jakub Szamalek

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2020 (Gdziekolwiek Spojrzysz)
Date de publication française :
2024 – Métailié
Traduction (polonais) :
Kamil Barbarski
Genres : Thriller, technopolar
Personnages principaux :
Julita, journaliste d’investigation – Jan, expert en cybersécurité

En Pologne, les remblais d’un immense réservoir à ciel ouvert rempli d’eaux usées issues d’une mine d’extraction du cuivre cèdent en inondant la région de fluides toxiques. Peu de temps après, une étrange société américaine se propose de dépolluer le site à un prix défiant toute concurrence. Helena Niemczyk, directrice de la société d’exploitation de la mine de cuivre, flairant l’entourloupe, s’y oppose, mais le PDG lui demande d’approuver le projet. En Russie Pyotr Semenov crée le ZNATOK, la première intelligence artificielle au monde. Dans un premier temps, son travail n’est pas reconnu, mais quelques années plus tard ses recherches intéressent beaucoup une société américaine. À Berlin, Florian Schulte, analyste de programmes malveillants, isole un virus inconnu qui aurait agi sur les infrastructures de la mine de cuivre polonaise entre autres. À sa grande stupéfaction, son signalement au PDG de la mine lui vaut les menaces de procès. Ces évènements disparates en apparence sont pourtant reliés par les récentes avancées de la technologie du numérique, de l’intelligence artificielle en particulier.

Ce roman est le dernier volet de la Trilogie de dark net. Le premier volume Tu sais qui, est consacré au dark net, le réseau souterrain et à la cybercriminalité. Le deuxième Datas sanglantes, concerne l’usage pernicieux des technologies, notamment le détournement du vote électronique. Enfin ce troisième volet est consacré essentiellement à l’intelligence artificielle utilisée à des fins néfastes. La plus précieuse des matières premières du XXIe siècle : les données. C’est le carburant nécessaire à l’intelligence artificielle.

On retrouve dans les trois tomes la journaliste d’investigation Julita Wójcicka et Jan l’expert en cybersécurité. Ils forment un duo étonnant. Ils s’entendent bien pour investiguer, mais ont du mal à se supporter en dehors de leurs enquêtes. Cependant, dans ce dernier livre, leur relation évolue puisqu’ils finissent par coucher ensemble. Ils peuvent alors baiser comme des bêtes, mais se sentir mal à l’aise tout de suite après, étant alors incapables de se serrer dans les bras. Le sexe marche bien, mais pour le grand amour il faudra attendre.

L’intrigue est assez touffue et demande une bonne attention pour ne pas perdre le fil. De nouveaux personnages interviennent, les lieux sont différents et on a longtemps du mal à faire la liaison entre les différentes pièces du récit.

Cette dernière partie de la trilogie est, comme les précédentes, édifiante sur le nouveau monde qui se dessine avec l’usage des nouvelles technologies du numérique. On ressort pas vraiment rassuré de cette lecture, mais au moins on est mieux informé.

Extrait :
Florian vit l’avenir, et ce n’était pas un avenir qui rendait optimiste. Bientôt, le monde serait divisé entre ceux qui savent tout et ceux qui ne savent rien, pas même qu’un tel fossé existe. Il y aura ceux qui ne pourront garder aucun secret et ceux devant lesquels rien ne restera secret. Il y aura ceux dont le libre arbitre sera remis en cause et ceux dont la volonté se fera chair. La machine était déjà en branle, les engrenages grinçaient, les 0 et les 1 virevoltaient, de plus en plus vite ; c’était l’inexorable rouleau compresseur du progrès qu’on avait oublié d’équiper de freins.

Niveau de satisfaction :
4.3 out of 5 stars (4,3 / 5)

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Baignades – Andrée A Michaud

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2024 (Québec-Amérique)
Genre : Thriller
Personnage principal :
Laurence, fille de Carla et Bertrand, policière

Le livre qui s’intitule Baignades contient, en réalité, deux récits. La présentation du roman, et toute la publicité qui l’accompagne, porte sur le premier récit intitulé Fausse route (les 180 premières pages). Puis, de la page 181 à la page 307, on nous offre le deuxième récit, Réunion de famille. Quelques personnages se retrouvent dans les deux récits, mais l’action se passe environ trois ans plus tard. Indépendamment de la qualité des récits, pour le lecteur c’est un choc. Le changement d’atmosphère est brutal. On passe d’un drame meurtrier en forêt à une réunion de famille bourgeoise qui s’apprête à fêter la Saint-Jean. Même la quatrième de couverture ne dit pas un mot sur ce deuxième récit.

Fausse route.

Une petite famille (le père Max, l’épouse Laurence, et la petite fille de 5 ans, Charlie) passe ses vacances dans une roulotte sur le bord d’un lac. À la suite d’un incident, la famille, surtout Max, décide de quitter le terrain et, malgré la lourde pluie et les orages électriques, s’enfonce dans les bois. La roulotte se retrouve dans un fossé. Un pénible malentendu entraîne la mort de Max, tandis que Laurence et Charlie tentent en vain de fuir deux malfaiteurs. Un des deux est convaincu qu’il doit les tuer pour sauver sa peau. Il  capture la mère et la fille et, dans une nuit qui n’en finit plus, tous s’empêtrent dans la pluie et la noirceur; sont bientôt à leurs trousses les policiers, leurs chiens, et quelques campeurs bienveillants.

L’intrigue est simple, les personnages peu nombreux, et c’est pourtant pratiquement impossible de quitter la lecture. Les vacanciers sont décrits par ce qu’ils font, plutôt que par des élucubrations psychologiques gratuites. La lourdeur de l’orage et la noirceur de la forêt définissent une atmosphère quasi insupportable. Et l’écriture même de Michaud, fidèle au rythme respiratoire plutôt qu’à la tradition syntaxique, nous captive comme si elle s’enroulait autour de nous. Impossible de sauter des lignes pour arriver plus vite au dénouement : on perdrait une grande partie du plaisir.

C’est ce que j’ai lu de plus captivant depuis longtemps.

Extrait :
Charlie pleurait, Max jurait, et Laurence regardait toujours droit devant elle, sourde aux pleurs de Charlie. Son pressentiment se concrétisait et ils allaient sombrer sous peu. Leurs corps désarticulés chuteraient dans le néant et les hurlements qui s’échapperaient de leurs ventres ne seraient entendus que par les damnés.
Réveille, Laurence ! La voix de Max, qui tenait Charlie dans ses bras, l’avait tirée de sa transe, ça fait trente secondes que je te crie après, et elle s’était demandée où ils étaient, si c’était cela, l’enfer, ce ciel déchaîné, cette enfant criarde, cet homme à bout de nerfs.

Niveau de satisfaction :
4.8 out of 5 stars (4,8 / 5)
Coup de cœur

 

Réunion de famille

Maison confortable sur le bord d’un lac. Madeleine Arcand et son mari Gilbert, pour fêter la Saint-Jean, reçoivent leurs enfants : les deux hommes et la femme sont accompagnés de leur conjoint. On prévoit boire, manger, se baigner, discuter, raconter des souvenirs et des histoires plus ou moins drôles.

Michaud voulait écrire depuis longtemps une histoire de famille, montrer comment, derrière la joie tapageuse apparente, se dissimulent toujours des non-dits qui risquent de faire sauter la marmite. La description de ce phénomène est magistrale. Le portrait de la mère, incapable de laisser être ses enfants devenus adultes à cause d’une anxiété envahissante déguisée en amour protecteur, est particulièrement réussi. Et toujours cette façon de nous faire comprendre la nature des personnages à partir de ce qu’ils font, y compris les réflexions qu’ils s’adressent à eux-mêmes.

Sur le fond, je ne peux pas en dire trop pour ne pas perturber la lecture du premier récit. Une constante, cependant : comme dirait Ronald Lavallée, au fond, nous sommes tous des loups.

Niveau de satisfaction :
4.2 out of 5 stars (4,2 / 5)

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Le Meurtre de la rue Blanche – Paul Colize

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2024 – Éditions Hervé Chopin
Genre : Enquête
Personnages principaux :
Emma Toussaint, juge d’instruction à Bruxelles – Fabrice Colet, Greffier

Emma Toussaint, juge d’instruction à Bruxelles, se voit confier par son supérieur une affaire délicate. Elle a l’habitude que son chef s’en remette à elle pour résoudre ce genre de problème, elle a la réputation d’être d’une grande efficacité et on la considère comme la meilleure juge d’instruction de Bruxelles. Cette fois il s’agit du meurtre d’un avocat médiatique, spécialisé dans le droit des affaires. Comme si cela ne suffisait pas, un vieux dossier resurgit au même moment : on l’informe par appel anonyme que le coupable de la rue Blanche, n’est pas le bon, la justice s’est trompée, Emma Toussaint s’est trompée. Avec l’aide de son greffier, Fabrice Colet, la juge d’instruction va s’attaquer résolument à ces deux affaires.

L’auteur nous a concocté une intrigue basée sur deux affaires criminelles indépendantes l’une de l’autre et qui le restent jusqu’à la fin. C’est un peu comme s’il considérait que d’en traiter une seule ne fournissait pas assez de matière, qu’il en fallait une deuxième pour pour rendre le livre plus consistant. Il s’en dégage une petite impression de remplissage. Deux enquêtes, avec les personnages qui vont avec, nécessitent une attention soutenue pour s’y retrouver.

Concernant les personnages, la super juge d’instruction Emma Toussaint est d’une efficacité redoutable. Son opiniâtreté et son style direct font merveille. Elle ne se laisse jamais impressionner, ni par son chef ni par les criminels. Son look est atypique pour sa fonction : jeans élimés, boots, maquillage superficiel et coupe de cheveux à la sauvage. Sa seule faiblesse est son fils d’une vingtaine d’années, actuellement en Australie, il lui donne peu de nouvelles. Elle fait souvent preuve d’un humour caustique et de traits d’esprit qui ne sont pas toujours compris. Certaines mauvaises langues l’ont surnommée E.T. à cause de ses initiales. Son greffier, Fabrice Colet, lui voue un grand respect et une admiration sans bornes. Lui-même est un garçon cultivé, délicat, sensible et bien habillé. Homosexuel, il vit avec son compagnon Filip, gérant d’une boutique de mode masculine, et son chat obèse Bazouf. La juge et le greffier forment un duo de choc qui obtient des résultats remarquables.

Le livre se lit facilement, l’écriture est fluide et limpide. Le ton est léger et l’humour souvent sarcastique. D’entrée, l’épigraphe peut surprendre : « Rien ne sert de courir, il faut partir à point – Alphonse de Lamartine ». Est-ce une grossière erreur de l’auteur ? De l’éditeur ? Pas du tout, c’est de l’humour belge, celui d’Emma Toussaint.

Le Meurtre de la rue Blanche est un roman agréable à lire, sans prétention et plein d’humour, avec un duo juge d’instruction-greffier aussi efficace qu’irrésistible. Toutefois, ce n’est probablement pas le meilleur roman de Paul Colize.

Extrait :
Jamais, il ne l’avait vue perdre son sang-froid, même lorsqu’elle faisait face à des tueurs sanguinaires ou de dangereux criminels. Chefs de gang, féminicides, mafieux notoires, violeurs en série, caïds de banlieue, braqueurs récidivistes, aucun ne parvenait à troubler sa détermination. Elle les interrogeait avec méthode en les fixant dans les yeux sans ciller.

En règle générale, elle commençait par leur servir un discours moraliste, à la manière d’une maîtresse d’école houspillant un gamin turbulent. Elle revenait sur les faits qui leur étaient reprochés et leur expliquait que ce qu’ils avaient fait n’était pas bien. À sa surprise, il en avait vu plus d’un baisser les yeux ou fondre en larmes et lui promettre que cela n’arriverait plus.

Niveau de satisfaction :
4 out of 5 stars (4 / 5)

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Le crime du garçon exquis – Ronald Lavallée

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2024 (Fides)
Genres : Enquête, historique
Personnage principal :
Matthew Callwood, policier

Lavallée nous avait conquis en 1922 avec Tous des loups. Dans ce cas-ci, très loin du Grand Nord canadien, l’atmosphère ne peut pas être plus différente : 1915, en Flandre, dans des tranchées boueuses et malodorantes, Canadiens, Français et Britannique font face aux Allemands. Les obus volent bas, les balles traversent des corps, les cadavres se décomposent. Aucune complaisance au gore, cependant. Ce qui intéresse Lavallée, me semble-t-il, c’est de peindre une immense fresque exposant les horreurs de la guerre des tranchées, l’agonie de milliers de jeunes hommes dont plusieurs se demandent ce qu’ils font là, l’absurdité et l’horreur de ces affrontements insensés.

Le jeune Matthew Callwood (il a maintenant environ 26 ans), héros malgré lui de Tous des loups, se retrouve au front. Entassé avec d’autres soldats dans la promiscuité et la puanteur, s’efforçant de dormir après une semaine en première ligne, il est convoqué par le général de brigade Harold Punter qui lui confie une mission spéciale : un jeune soldat, Bertie Quilliams, est accusé d’avoir tué son rival amoureux à la sortie d’une maison close pour hommes. Callwood a pour mission de trouver des preuves permettant de condamner le suspect le plus tôt possible pour que le déshonneur ne s’empare pas du régiment.

Le général promeut (momentanément) Callwood de caporal à lieutenant, et lui affecte comme adjoint Henry Pudding (sic), un grand gars intéressé particulièrement par les chevaux, et qui sera son homme à tout faire. Pas facile d’enquêter sur un champ de bataille ou dans une bourgade reconnue pour ses maisons closes. Surtout quand le cadavre semble est disparu et que l’arme du crime n’a pas été retrouvée. Callwood finit par se persuader que Quilliams n’est pas vraiment l’assassin, mais il se rend compte aussi que ça n’intéresse pas grand monde; ce qui compte, c’est qu’on en finisse avec cette affaire.

L’enquête est malaisée : entre les galopades de Callwood et Pudding, les randonnées en moto du lieutenant, la visite des bordels, la parenthèse amoureuse de Matthew, et les escapades dans la boue et entre les balles, les hypothèses se multiplient jusqu’à un dernier rebondissement qui fera tomber Bertie de Charybde en Scylla.

C’est certain qu’on a hâte de savoir comment Callwood se sortira de cette enquête tarabiscotée. Mais il ne me semble pas que ce soit l’essentiel. Pas plus que les réflexions sur l’homosexualité, la conception de l’homme de Pascal, la justice. Même les personnages m’apparaissent comme des figurants et l’enquête comme une sorte de prétexte pour nous présenter cette fresque grandiose de la barbarie humaine. Dans sa fresque précédente sur le Grand Nord canadien, on côtoyait les grands espaces, les rivières imprévisibles, la densité des forêts, les animaux sauvages, et on en sortait abasourdi mais heureux. Cette fresque-ci est tout aussi grandiose, mais elle expose la barbarie humaine dans ce qu’elle a de plus cruel.
On en ressort impressionné mais plutôt triste.

Extrait :
Il pleut à torrents. Callwood et Quilliams longent la voie ferrée qui les mène vers Zillebeke. Leurs manteaux détrempés pèsent vingt livres, Ils en ont un autre cinquante sur le dos, en vivres, cartouches, fusils et grenades. Ils cheminent avec la deuxième division. Dans la brume et la pluie, loin devant eux, des éclats lumineux illuminent la boucaille. Les déflagrations les secouent déjà jusqu’aux entrailles.
Les Allemands ont attaqué aux Bois du Sanctuaire. On aurait pu voir venir. Depuis quelque temps, les aviateurs du Royal Flying Corps signalaient une forte concentration des troupes ennemies à l’arrière. La nuit, les tranchées allemandes poussaient des sapes dans le no man’s land comme un escargot qui allonge les tentacules. Le QG a préféré croire à une feinte. On a laissé quatre bataillons inexpérimentés devant l’ennemi, des types qui arrivaient tout juste des camps d’instruction. Ils ont été balayés. Cédant à son réflexe coutumier, le QG a ordonné qu’on reprenne coûte que coûte les hauteurs perdues, comme si tout cela était la faute des hommes.

La guerre des tranchées

Niveau de satisfaction :
4.2 out of 5 stars (4,2 / 5)

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Une tombe pour deux – Ron Rash

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2023 (The Caretaker)
Date de publication française :
2024 – Gallimard
Traduction (américain) :
Isabelle Reinharez
Genre : Roman noir
Personnages principaux :
Jacob, fils d’une riche famille – Naomie, jeune femme issue d’une famille modeste – Blackburn, gardien de cimetière et ami de Jacob et Naomie

À Blowing Rock en Caroline du Nord, les Hampton sont de riches propriétaires, ils possèdent notamment le magasin général et la scierie. Après la mort de deux de leurs enfants, ils nourrissent de grandes ambitions pour Jacob, le fils qui leur reste. Quand ce dernier tombe follement amoureux de Naomie, la fille d’un modeste paysan, cela leur déplaît beaucoup. Contre leur avis, Jacob épouse en cachette Naomie. Peu après, il est envoyé à la guerre en Corée. Avant de partir, il confie le soin d’aider et de protéger Naomie à son ami Blackburn, un jeune handicapé à la suite d’une poliomyélite : il est défiguré et il traîne une jambe. Blackburn est aussi le gardien du cimetière de la ville. Profitant de l’absence de Jacob, ses parents échafaudent une stratégie visant à séparer définitivement leur fils de son épouse, pour son bien évidemment !

L’intrigue est basée sur la passion d’un jeune homme de bonne famille pour une jeune femme humble. Il y a un côté Roméo et Juliette dans cette intrigue ou plus récemment c’est le scénario du film Titanic qui pourrait être évoqué. Le plan machiavélique élaboré par les parents de Jacob pour éloigner leur fils de la femme qu’il s’est choisie est l’autre aspect de cette histoire d’amour contrarié.

Ron Rash sait créer des ambiances dans ses romans. Dans celui-ci, c’est le cimetière dont Blackburn est le gardien, qui donne un climat de nostalgie et de sérénité, d’autant plus que Blackburn est particulièrement respectueux dans ses rôles multiples qui consistent à surveiller, entretenir, creuser les tombes, réconforter les gens. Comme toujours avec Ron Rash, il y a aussi de belles descriptions de la nature de la Virginie du Nord.

En ce qui concerne les personnages, plus que les amoureux Jocob et Naomie, c’est Blackburn qui est le mieux défini, c’est aussi lui qui tient souvent le devant de la scène. C’est un homme à la fois simple et complexe. Son handicap, très visible puisqu’il déforme son visage, en fait un marginal, mais il a été capable de tisser des liens d’amitié forts avec Jacob et Naomie. C’est quelqu’un de sensible, généreux et loyal.

Le rythme est lent, il y a beaucoup de descriptions, quelques rebondissements surviennent, mais ils sont attendus et prévisibles.

Sans être exceptionnel, Une tombe pour deux est un bon roman noir, peut être un cran en dessous des meilleurs livres de cet écrivain considéré comme l’un des plus grands auteurs américains contemporains.

Extrait :
Quand le révérend Hunnicutt avait proposé à Blackburn le poste de gardien son père avait été contre, mais sa mère jugea qu’à seize ans il était en âge de faire son choix. Il y avait réfléchi pendant une journée et décidé que c’était d’accord, surtout parce qu’il verrait moins de monde. Dans la population, certains pensaient qu’un gamin de seize ans serait terrorisé de passer ses nuits seul à côté d’un cimetière. Les vieux qui se retrouvaient tous les jours à l’épicerie bazar Hampton partageaient cet avis, bien que Brady Lister prétendît qu’un seul coup d’œil au visage de Blackburn ficherait la trouille à n’importe quel fantôme. Pourtant, même les premières nuits, Blackburn n’avait pas eu peur. Les morts ne pourraient pas lui faire pire que ce que les vivants lui avaient déjà fait.

Niveau de satisfaction :
4.1 out of 5 stars (4,1 / 5)

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