Hurlements – Alma Katsu

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2018
(The Hunger)
Date de publication française :
2024 – Sonatine
Traduction (américain) :
Nadège Dulot
Genres : Thriller, Horreur
Personnage principal :
Aucun – Nombreux personnages secondaires

En juin 1846 un convoi de caravanes, 87 personnes en tout, part de Springfield dans l’Illinois, direction la Californie jusqu’à Fort Sutter. Cette expédition participe à ce qu’on a ensuite appelé la fièvre de l’Ouest qui a vu les gens quitter leur domicile pour se ruer à l’ouest dans le but d’y faire fortune, ou du moins de trouver de meilleures conditions de vie. Un tel périple n’est pas sans dangers : nature sauvage, présence de tribus indiennes dont on ne connaît pas l’attitude, les vivres s’amenuisent, d’autres menaces aussi qu’ils vont découvrir. Les ennuis commencent quand un enfant disparaît la nuit. On ne retrouvera de lui qu’une grande tache de sang et des os parfaitement nettoyés. Peut-être l’œuvre des loups, bien que certains qui connaissent leurs habitudes en doutent. Au fil du voyage des rivalités et des dissensions apparaissent. Le trajet est long, pour le raccourcir, les pionniers décident de prendre le raccourci Hasting, beaucoup plus difficile que la piste normale, d’autant plus que l’hiver arrive et que les conditions deviennent plus difficiles. Et puis il y a cette sensation omniprésente d’être suivis et épiés.

L’autrice s’est inspirée de faits réels pour bâtir une intrigue basée sur l’expédition Donner, du nom d’un des chefs du convoi de 87 pionniers partis pour rejoindre la Californie. À l’arrivée ils n’étaient plus que 47. Presque la moitié a péri du froid, de la famine et des maladies. Dans la réécriture de cet évènement historique, Alma Katsu ajoute un danger beaucoup plus effrayant encore que les fléaux connus. La nature même de ce péril amène beaucoup de tension et d’angoisse. Le récit d’aventures tourne alors un thriller horrifique, mais sans tomber dans le gore. Ce qui n’empêche pas l’autrice de prendre le temps de décrire les luttes de pouvoir, les alliances, les détestations qui s’installent. Il y a même deux belles histoires d’amour.

Mêlant réalité historique et fiction, Alma Katsu a réalisé avec Hurlements un roman horrifique tout à fait réussi.

Extrait :
Tanau Mogop hocha la tête gravement.
«Na’it n’est jamais satisfait. Na’it veut tout. Tuer tout.
– Et vous dites que cette maladie est contagieuse ? Qu’elle peut être transmise d’une personne exhibant des symptômes à une personne en bonne santé ? »
L’anémie n’était pas contagieuse; cela signifiait qu’il s’agissait là d’une nouvelle maladie, d’un mal contagieux comme la rage. Une maladie qui affamait les hommes et les rendaient avides de viande crue. De chair humaine. Et elle faisait assez peur aux Indiens pour qu’ils tuent tous ceux qui présentaient des symptômes.
Na’it tue tout.

Niveau de satisfaction :
4.2 out of 5 stars (4,2 / 5)

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Susan – Hervé Gagnon

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2024 (Hugo Roman)
Genres : Enquête, historique, thriller
Personnage principal :
Joseph Laflamme, journaliste

C’est avec plaisir que j’ai retrouvé le journaliste Joseph Laflamme (qui travaille pour La Patrie), sa fiancée Mary, et sa sœur Emma, liée à l’ex-agent de Scotland Yard George McCreary. Et c’est aussi avec une bonne dose de nostalgie positive que, en tant que Montréalais, j’ai retrouvé le Montréal de 1895, l’ouverture du Château Ramezay, la construction de la Grande Loge, la lutte triomphante contre la scarlatine grâce aux soins dispensés par la Maison de désinfection et le Civic Contagious Hospital, à l’abri des interventions du clergé catholique qui, dix ans auparavant, avait interdit le vaccin contre la variole (3 000 victimes, contrairement aux 700 victimes de la scarlatine). Les Laflamme habitent sur la rue Delorimier au nord de la rue Dorchester, et on se promène de Saint-Henri au Faubourg à m’lasse.

J’insiste un peu sur ces références parce qu’il ne faut pas oublier que Gagnon est un historien et que c’est pour lui une louable préoccupation que de situer les aventures qu’il raconte dans un contexte historico-géographique. Dans ce roman, par exemple, la lutte entre l’Église catholique et les francs-maçons est au cœur du drame. Côté catholique, l’abbé Breton dont les prédications à l’église Saint-Henri-des-Tanneries stimulent les exaltés et les hystériques, Mgr Fabre responsable de l’archevêché de Montréal et son bras droit l’abbé Trépanier qui effectue le travail de terrain (d’autres diraient les jobs de bras !). De l’autre, les francs-maçons dont John Noyes, les athées Joseph et George, et un autre gars bien débrouillard dont je tairai le nom pour ne pas gâter l’effet de surprise.

Sur le chantier de la Grande Loge en construction (boulevard Dorchester), on découvre un premier cadavre, mutilé et agenouillé devant le petit autel où les francs-maçons prêtent serment. D’autres victimes se succèdent. Le bâtiment des francs-maçons est incendié. Pendant ce temps, quelqu’un asperge d’acide  les prostituées du Red Light. Les manifestations se multiplient, particulièrement contre La Patrie, et on s’en prend même personnellement à George et à Joseph. Le chef de police est enlevé et on lui sauve la vie de justesse.

La police et nos héros réagissent; on met la main sur le mutilateur des jeunes prostituées, deux des ravisseurs du chef de police se suicident. Ils appartenaient à la Ligue du labarum antimaçonnique. Cette ligue, catholique et ultranationaliste,  comprenait même quelques francs-maçons !? Considérablement affaiblie, elle cherchera probablement à se reconstituer dans l’avenir.

Malgré les meurtres affreux, l’ensemble reste plutôt léger, peut-être à cause des pitreries continuelles de Joseph et de l’amitié à toute épreuve qui lie les principaux personnages. La charge contre l’autoritarisme religieux et contre le nationalisme d’extrême-droite ne devrait pas indisposer le lecteur qui se rendra compte que, depuis 1895, les choses ont changé, mais qu’il est toujours prudent de demeurer vigilant.

Extrait :
Breton posa les deux mains sur la balustrade, balaya l’assistance du regard d’une façon théâtrale et se racla la gorge. Puis il laissa tomber sa tête sur sa poitrine et resta dans cette position assez longtemps pour qu’un murmure interdit parcoure l’assemblée. Il la releva enfin et sa voix fut comme un coup de feu dont l’écho se répercuta dans la nef.
─ Dieu a dit : Ne t’irrite pas contre les méchants, n’envie pas ceux qui font le mal. Car ils sont fauchés aussi vite que l’herbe, et ils se flétrissent comme le gazon vert ! lança-t-il d’une voix forte et vibrante.
─ Dieu soit loué ! s’écria une femme déjà au bord de l’hystérie.
Il laissa passer quelques secondes tandis que d’autres reprenaient le cri.
─ Mes frères, mes sœurs ! Dieu est bien présent dans notre ville et il y punit les pécheurs. Et nous savons tous que les plus grands pécheurs de Montréal sont les francs-maçons ! Aussi a-t-il tourné son ire contre eux et leurs pratiques contraires à la morale et à la nation, comme il le fit pour punir les mœurs dissolues de Sodome et de Gomorrhe !. Jeudi, vous appreniez l’assassinat de l’un d’entre eux, dans l’infâme temple en construction où la secte commettra bientôt ses sacrilèges. Et hier, un second de ces hérétiques a trouvé la mort au même endroit ! (…)
Oui, mes frères et mes sœurs, les francs-maçons sont enfin punis pour l’impudence avec laquelle ils aident depuis plus de cent trente ans le conquérant anglais à maintenir notre nation sous sa botte !

Temple maçonnique de Montréal

Niveau de satisfaction :
4 out of 5 stars (4 / 5)

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Les âmes féroces – Marie Vingtras

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2024 – Éditions de l’Olivier
Genre : Roman noir
Personnages principaux :
Lauren Hobler, shérif – Benjamin Chapman, Professeur – Emmy Ellis, jeune fille de 17 ans – Seth Jenkins, père de Léo, jeune fille tuée

À Mercy, petite ville calme des États-Unis de 3974 habitants, on vient de découvrir au milieu des iris sauvages le cadavre d’une adolescente de 17 ans. C’est le premier meurtre de cette ville depuis de nombreuses années. La shérif Lauren Hobler veut mener une enquête sérieuse, mais un de ses adjoints, impulsif et impatient, la prend de vitesse et arrête un professeur de français au passé sulfureux. Aucune preuve de la culpabilité du professeur n’est retenue contre lui, mais curieusement l’accusé avoue tout. Malgré le scepticisme de la shérif sur les talents d’enquêteur de son adjoint et la rapidité des aveux, le professeur est envoyé en prison. Mais l’histoire ne s’arrête pas là car Mercy, ville trop calme, cache bien des secrets.

Le roman est découpé en quatre parties correspondant aux saisons de l’année. Chaque saison a un narrateur différent. Le printemps donne la vision de la shérif Lauren Hobler. Pour l’été, c’est le point de vue de Benjamin Chapman, le professeur inculpé. L’automne est raconté par Emmy, amie de la victime. Et enfin l’hiver est le témoignage de Seth, le père de la victime. Alors que la première partie, le printemps, laissait entrevoir un polar d’enquête classique : un(e) shérif, une victime, restait à trouver un coupable, les trois autres parties nous amènent bien loin de ce schéma classique : nous entrons alors dans la psychologie des personnages et dans la sociologie d’une petite ville, finalement pas si calme qu’elle le paraît.

Quatre personnages, qui sont aussi les narrateurs, dominent cette histoire : – Lauren Hobler, est un shérif femme, ce n’est déjà pas banal, mais un shérif femme lesbienne l’est encore moins. Lauren n’est pas très féminine, elle ressemble à un homme et se comporte souvent comme un homme : elle n’hésite pas à envoyer son poing dans la figure de son adjoint quand celui-ci l’insulte. Cependant Lauren est tendre envers sa compagne et perspicace dans sa fonction – Benjamin Chapman est un professeur qui a une grande classe, ce qui attire un peu trop les jeunes filles. Cela lui a déjà causé beaucoup d’ennuis dans le passé, alors quand il est de nouveau accusé de la même chose, il sait qu’il sera déclaré coupable quoi qu’il ait fait ou pas fait. Il est désenchanté et fataliste – Emmy était l’amie inséparable de Leo qui est morte. C’est une jeune fille de 17 ans déjà bien mature, qui n’a pas froid aux yeux et qui possède aussi une bonne dose de perversité – Seth, le père de la victime, a connu le bonheur auprès d’une belle Italienne et de sa fille Leo. Maintenant, il les a perdues toutes deux : l’Italienne est partie et Leo est morte. De plus ses difficultés financières le relèguent dans la marginalité.

À travers ces quatre personnages, nous découvrons la vie pas vraiment idyllique dans une petite ville qui est située dans ce roman aux États-Unis, mais qui pourrait être dans n’importe quel pays occidental. Amours passionnés, amours passés, tromperies, hypocrisies, fausses amitiés, jalousies … Tout cela est observé d’un œil aiguisé et décrit avec beaucoup de finesse.

Les âmes féroces est un magnifique roman noir.

Extrait :
J’ai acheté un ticket et j’ai sorti Livia de la voiture de force, en lui fourrant le papier et une poignée de billets dans les mains. Tire-toi. Tire-toi d’ici. Elle m’a craché au visage, elle m’a dit que jamais elle ne partirait en laissant sa fille. Je lui ai saisi la tête à deux mains, j’ai collé mon front contre le sien. Sentir son odeur c’était comme recevoir un coup de poignard. Monte dans ce bus et si tu reviens pour chercher Leo, je jure que je te tuerai. C’est comme ça que ça s’est fait, qu’on a fait disparaître en un claquement de doigts toutes ces années de vie à deux en devenant ce que l’autre pouvait haïr le plus au monde. Quand je suis rentré, il ne restait plus que son maudit buffet qui me narguait et j’ai ressenti tellement de rage que j’ai sorti ma hache et j’ai commencé à attaquer le bois. Chaque coup faisait jaillir mes larmes. Leo est sortie de sa chambre à moitié endormie, elle m’a demandé pourquoi j’abîmais le meuble de sa mère et je me suis soudain senti vide et inutile. J’ai lâché ma hache, j’ai pris ma fille dans mes bras et je lui ai dit de ne pas s’inquiéter, qu’il ne lui arriverait jamais rien et que je veillerais toujours sur elle, jusqu’à ce que la mort nous sépare.

Niveau de satisfaction :
4.5 out of 5 stars (4,5 / 5)
Coup de cœur

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Meurtre d’un baron allemand – Les enquêtes de Miss Merkel – David Safier

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2021 (Miss Merkel, Mord in der Uckermark)
Date de publication française :
2023 (City Poche)
Traduction (allemand) :
Jocelyne Barsse
Genres : Enquête, humour
Personnage principal :
Angela Merkel, retraitée

Après avoir été chancelière fédérale d’Allemagne pendant plus de quinze ans, Angela Merkel jouit d’une retraite tranquille dans un petit village rural, Klein-Freudenstadt, avec son mari Achim, son garde du corps Mike et son chien Poutine. Hyperactive dans sa carrière politique, Angela se fatigue rapidement de la solitude et du silence. Prendre de longues marches dans la nature et cuisiner des gâteaux ne lui suffisent bientôt plus. Heureusement, elle découvre le cadavre de son voisin, le baron Von Baugenwitz, dans les oubliettes de son château.

Pour le commissaire de police, un incompétent notoire, il s’agit d’un suicide; Angela s’efforcera de démontrer que le baron a plutôt été assassiné. Son ancienne épouse, Katharina, habite au château et s’occupe de la gestion. Son épouse actuelle, Alexa, est portée sur l’alcool et aimerait bien tirer profit de la vente du château et des terres attenantes, contrairement au baron qui semble tenir à conserver le château et à y vivre.

Le motif du meurtre aurait-il à voir avec la jalousie d’une des deux épouses ? Ou avec l’idée de conserver le château ou de le vendre, ce qui ne déplairait pas seulement à Katharina mais aussi aux commerçants qui cultivent les terres pour ensuite vendre leurs produits ? Serait-ce plutôt lié à une question d’héritage ? On finit par s’entendre sur une suspecte … qui se fait tuer à son tour.

En poursuivant son enquête, Angela constate que le baron voletait aisément d’une jeune femme à une autre, suscitant ainsi rancune et haine autour de lui. Plus elle clarifie la situation autour du baron et plus sa vie devient menacée. Son garde du corps a fort à faire pour l’empêcher de sortir seule, même après qu’elle eût difficilement évité quelques flèches qui lui étaient destinées. Et  au moment où elle rassemble tout le monde pour résumer la situation et désigner l’assassin, Achim et Mike ne peuvent rien faire pour la protéger d’un ultime assaut, et elle devra son salut à une intervention totalement imprévue.

C’est le premier d’une série qui met en vedette Angela Merkel se prenant un peu pour Miss Marple, série qui devrait avoir du succès. Ça se lit tout seul, c’est léger, ce qui n’empêche pas l’intrigue de bien se tenir. Les personnages principaux sont caricaturaux mais la caricature est bienveillante. L’humour est souvent facile, mais ça n’empêche pas l’ensemble de demeurer sympathique.

Extrait :
Cours ! lui cria son instinct dont elle apprécia l’excellent conseil sans toutefois pouvoir l’appliquer. Tétanisée, elle fixait la flèche qui bourdonnait et frétillait encore dans le tronc d’arbre.
Cours ! cria à nouveau son instinct, plus fort cette fois. Plus facile à dire qu’à faire. Des jambes ne lui obéissaient pas, elle était comme paralysée.
Qu’est-ce que t’attends, idiote ? La deuxième flèche ? cria l’instinct. Sans remettre en cause le bien-fondé de ses interventions, Angela se dit qu’il n’avait pas à lui parler sur ce ton. Elle n’eut pas le temps de le réprimander. Une deuxième flèche passa si près d’elle que le courant d’air souleva ses cheveux. La pointe s’enfonça dans le même tronc d’arbre.
COURS ! hurla son instinct. Angela savait qu’elle devait enfin suivre son conseil. Le hic, c’était que la course à pied n’était pas vraiment son fort. C’était quand la dernière fois qu’elle avait piqué un sprint ? Ah oui, le jour de la chute du mur, quand Achim l’avait appelée : »Viens vite, tu ne devineras jamais ce que vient de dire le vieux Schabowski ! Tout le monde peut se rendre à l’Ouest ! »

Angela et Poutine

Niveau de satisfaction :
4 out of 5 stars (4 / 5)

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La proie et la meute – Simon François

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2024 – Éditions du Masque
Genre : Roman noir
Personnage principal :
Romain, marginal et homme à tout faire

Romain est un géant blond affecté d’un bec-de-lièvre. Sa taille et cette malformation en font une personne à part, sujette à des moqueries et des quolibets. La cicatrice entre sa lèvre et son nez lui a valu le surnom de Lapin. Il est un des rares à ne pas travailler à l’abattoir de poulets, seul employeur de ce petit village du centre de la France. Romain est en marge, il trace son sillon à l’écart du reste du monde. Depuis l’enfance il est amoureux de Solène, la maire du village, la seule qui a osé prendre sa défense. Le jour où Solène disparaît, mêlée à une sombre affaire d’enfouissement illégal de déchets toxiques, Romain se lance éperdument à sa recherche, il va alors provoquer le chaos dans le village. Certains en profiteront pour déverser sur lui leur rancœur et leur haine.

Le cadre de ce roman est un petit village triste qui ne survit économiquement que grâce à son usine à poulets. Au Village les gens vivent parce que les poulets meurent. L’Orée du bois est un bar-tabac, cœur du village, où les travailleurs se retrouvent pour discuter, refaire le monde, boire et entretenir une belle cirrhose. Les paysans du coin, quant à eux, sont de gros pollueurs accros aux subventions et partie prenante aux magouilles d’enfouissements illégaux de déchets.

Dans ce contexte, Romain fait figure d’extra-terrestre : il est libre, il vit dans la forêt, il s’est construit des cabanes dans les arbres. Il ne travaille pas vraiment, il n’a jamais eu de fiche de paye ou de patron, il aide : on l’appelle, il vient. Les tâches sont variées : couper du bois, jardiner, maçonner, conduire toutes sortes de machines. Il est polyvalent, très doué de ses mains. Romain n’a qu’un seul ami : Antoine, garde-chasse et ancien médecin, il a vu sa famille disparaître dans un incendie dans lequel il a survécu à regret, la mort n’a pas voulu de lui dit-il. Et bien sûr, il y a Solène dont il devance chacun de ses désirs. Mais si Romain est en général une bonne pâte, à certains moments critiques il peut se muer en individu violent et agressif, surtout quand Solène est menacée.

À travers le personnage de Romain et de ce que les autres lui font subir, l’auteur montre l’étroitesse d’esprit, le rejet de la différence, l’appât du gain, le besoin de trouver un bouc émissaire, la bêtise et la haine finalement. Il le fait avec une écriture tonique, avec des phrases choc qui font mouche. Il y a dans le style de Simon François une lucidité impitoyable pleine de sarcasmes et une ironie assez jubilatoires.

La proie et la meute est un roman noir magistral.

Extrait :
Romain débarque dans le bateau ivre en pleine fiesta. Les employés de l’usine à poulets ont la mine rubiconde, un vrai champ de pivoines. Ça pue la bière, l’anis, le Pernod et le vieux rouge en cubi. Un groupe de Portugais joue aux fléchettes en parlant fort au fond de la salle. Les Portugais et les Yougoslaves sont bien vus au Village malgré le racisme endémique, parce qu’ils sont presque tous chrétiens, mangent du porc et font les boulots merdiques que plus personne ne veut faire. Plus personne à part les Africains, bien sûr. C’est le propre de la misère, toujours chercher plus bas que soi sur l’échelle. Peu importe où on se trouve, il y a toujours un bougre un peu plus pauvre, un malheureux qu’on peut haïr tranquille, pour se rassurer, se dire qu’on n’est pas si mal tout compte fait, y a pire. Les Africains, il y en a peu à l’usine. Ce sont de bons travailleurs, mais ils ne boivent pas toujours, et puis certains sont musulmans, les gens se méfient, par ignorance plus que par méchanceté.

Bande-annonce de La proie et la meute

Niveau de satisfaction :
4.5 out of 5 stars (4,5 / 5)
Coup de cœur

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Ce n’est qu’un début, commissaire Soneri – Valerio Varesi

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2009
(È solo l’inizio)
Date de publication française :
2023 (Éditions Agullo ) – 2024 (Éditions Points)
Traduction (italien) :
Florence Rigollet
Genres : Enquête, noir
Personnage principal :
Commissaire Soneri

J’ai peut-être été injuste avec les deux premiers Varesi que j’ai lus : j’ai inconsciemment évalué le commissaire Soneri en fonction de mon idée du policier, ou du détective, idéal. Or, on ne peut pas reprocher à Maigret de ne pas être James Bond ! Ce qui me semble important pour l’auteur, c’est la ville de Parme, ses atmosphères brumeuses, la pluie presque continue, ses habitants fuyants. Et, plus particulièrement dans celui-ci, la dimension sociale et politique de l’Italie en ce début du XXIe siècle.

Sombre hiver : Parme est inondée de pluie. Un jeune homme semble s’être pendu dans un hôtel abandonné : il est vêtu avec élégance, une valise luxueuse à ses côtés, mais n’a aucun papier d’identité. Puis, un ex-leader du mouvement Soixante-huit parmesan, Elmo Boselli, est assassiné, tailladé de  plusieurs coups de couteau. Soneri traversera souvent les Apennins jusqu’à Cinque Terre pour retrouver des personnes qui connaîtraient le supposé suicidé. Son équipe remontera dans le temps jusque dans les années 60 pour connaître et comprendre le destin des leaders des mouvements étudiants et ouvriers des années 60-70 qui, espérant créer une société plus égalitaire, ont fini par paver le chemin à la droite.

On voit bien que les humeurs de Soneri, déjà assombries par la mort de son enfant mort-né et de sa femme Ada, ne sont pas seulement dues au climat de Parme et aux déboires des enquêtes qu’il mène. Le climat politique (une extrême-droite en plein essor) contribue profondément à sa morosité. Ses repas et ses nuits avec Angela ne le délivrent pas de « ce sentiment de totale inutilité dont il était malheureusement devenu coutumier ».

Ses couraillages sans succès finissent par nous épuiser; le nombre d’individus interrogés et réinterrogés est aussi assez décourageant. L’analyse sociopolitique des 50 dernières années en Italie ne manque pas d’intérêt. Mais on risque  de perdre le fil de l’enquête. Et il est sans doute plus facile pour les habitants de Parme de sympathiser avec un commissaire qui reflète peut-être assez bien leur état d’âme.

Extrait :
Soneri n’avait jamais vu un enterrement aussi lugubre (…)
Franca Pezzani se mit en tête du petit cortège au moment de quitter la chapelle du cimetière. À ses côtés, Gabo et Lalo, puis le reste de l’assistance (…)
Soneri compta les présents et n’alla pas au-delà de trente. Il se demanda une fois encore ce qu’étaient devenus tous ceux qui remplissaient les places. Et une fois encore, un abattement profond l’entraîna loin de sa fonction de policier. La mort, comme seule réponse  aux illusions dans lesquelles chacun se débat pour se maintenir en vie, se manifestait à présent dans le trou noir où l’on introduisait une caisse avec Elmo à l’intérieur. Puis, un rituel le bouleversa : les quelques camarades présents posant sur le cercueil en bois les livres qui les avaient accompagnés : Kerouac, Pavese, Marcuse, Hesse, Camus, Sartre, Ferlinghetti, Ginsberg, Adorno, Benjamin, Gramsci, Korsch, Lukács… et Lalo murmurant que la guitare dormait entre les bras d’Elmo , cordes tendues sous des doigts qui ne bougeraient plus.

Rivière Parma

Niveau de satisfaction :
3.9 out of 5 stars (3,9 / 5)

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Ne réveille pas l’ours qui dort – Emelie Schepp

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2022 (Björnen Sover)
Date de publication française :
2023 (Harper Collins, Poche)
Traduction (suédois) :
Rémi Cassaigne
Genres : Enquête, thriller
Personnage principal :
Jane Berzelius, procureure

Erik Johansson est sauvagement assassiné dans une résidence perdue en forêt et bien protégée. Un ours parlant, en peluche, a été enfoncé dans son abdomen; il répète le nom : Filippa Falk. Un seul indice : Erik parlait au téléphone quand on l’a tué. Une hypothèse : Filippa Falk est peut-être la prochaine victime.

Johansson s’était emparé d’un pistolet avant d’être assommé; l’arme porte les empreintes d’un voisin, qui semble d’autant plus innocent que la victime a été attaquée au couteau !

Filippa Falk est une ancienne policière dont la fille et le mari ont été tués il y a cinq ans; blessée gravement, maintenant retraitée, elle vit secrètement. Aux policiers qui la retrouvent, elle confie qu’elle craint d’être tuée par Serkar, le criminel roumain qui a décimé sa famille et qui a probablement éventré Johansson, avec qui elle avait cherché à démanteler un réseau d’importations de jeunes femmes dirigé par Serkar. Filippa avait presque réussi à lui mettre la main dessus il y a deux ans, mais il s’était échappé.

Le défi des policiers est donc de retrouver Serkar avant que celui-ci ne retrouve Filippa. Mais, d’une part, ils ne brillent pas par leur intelligence et, d’autre part, ils sont empêtrés dans des problèmes personnels qui les perturbent : la procureure Berzélius a un passé trouble qu’elle ne peut révéler; le commissaire Levin est quasiment mis à la porte par sa femme; et l’inspectrice Bolander cherche le bon moment pour demander son amant en mariage. Enfin, la collaboration de Filippa n’est pas nette.

Ce n’est pas l’action qui manque et quelques rebondissements tiennent le lecteur éveillé. L’intrigue est bien imaginée et l’histoire se lit bien sans prendre trop de notes. Les dialogues ne sont pas très forts, mais c’est peut-être un problème de traduction. Ce qui m’a agacé, c’est la faiblesse des enquêteurs : on dirait que les policiers entendent parler pour la première fois du trafic des femmes et des hommes d’âge mûr qui aiment baiser des mineures ! Les émotions sont souvent exagérées comme pour rendre l’action plus dramatique. Et la concession aux éléments gore n’est vraiment pas nécessaire. Enfin, la procureure Berzélius semble plutôt naïve « n’ayant jamais pu se douter qu’une jeune fille qui habitait là (dans une élégante villa) se livrait éventuellement à la prostitution ».

Extrait :
− Allo ?
Erik se racla la gorge.
− Oui ?
− Tu es assez silencieux ce soir.
− Je sais, pardon…
Un nouveau bruit retentit. Cette fois, un grincement à l’intérieur de la maison. Erik baissa les yeux vers le bureau et tendit l’oreille, concentré. Peut-être était-ce seulement la porte de la véranda, à la cuisine, que le vent avait fait claquer ? Il n’aimait pas la laisser ouverte, mais la chaleur inhabituelle de ce soir de mai ne lui avait pas donné le choix.
− Tu sais quoi ? Je crois que c’est aussi bien qu’on arrête pour aujourd’hui.
Erik la regarda à nouveau.
− S’il-te-plaît, encore un moment, supplia-t-il. Ça fait longtemps.
− Mais je n’aime pas quand tu me mens.
Il fronça les sourcils.
− Te mentir ? Comment ça ?
− Tu m’as dit que tu vivais seul.
− Oui ? C’est la vérité.
− Alors qui c’était, à l’instant, derrière toi ?
Erik fit volte-face en fixant l’ouverture de la porte. Mais il n’y avait personne.
− Tu trouves ça drôle ? demanda-t-il à voix basse en la regardant dans les yeux. Tu trouves ça drôle, de me faire peur ?
Elle sourit, étonnée.

Forêt de Kolmarden

Niveau de satisfaction :
3.7 out of 5 stars (3,7 / 5)

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Les enfants loups – Vera Buck

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2023 (Wolfskinder)
Date de publication française :
2024 – Gallmeister
Traduction (allemand) :
Brice Germain
Genre : Roman noir
Personnages principaux :
Smilla, stagiaire journaliste – Jesse, garçon de 17 ans – Edith, sauvageonne de 9 ans – Rebekka jeune femme enlevée

Au fond d’une profonde vallée se trouve le village d’Almenen. Au-dessus de ce village, dans les montagnes, il y a le hameau de Jakobsleiter. La vie y est rude et âpre, ses habitants sont méprisés et rejetés par ceux, plus civilisés, du village. Rebekka, jeune fille de 16 ans, rêvait d’une vie meilleure loin de ce triste hameau. Un jour elle a disparu. Smilla, stagiaire dans une chaîne de télévision locale, ne s’est jamais remise de la disparition de sa meilleure amie Rebekka car elle est convaincue que son amie a été enlevée alors que la police n’a même pas enquêté. Elle fait le rapprochement avec les 31 autres femmes qui se sont volatilisées de la même façon. De retour dans la région après 10 ans, Smilla va déterrer les secrets de Jakobsleiter.

Ce roman choral raconte l’histoire de six points de vue différents. Ceux d’une journaliste obsédée par la disparition de sa meilleure amie, d’un garçon amoureux de la disparue, d’une jeune sauvageonne qui connaît la montagne comme sa poche, d’une institutrice, d’un faux prêtre et enfin celui de la disparue elle-même. Cette grande diversité de façons de voir donne au roman de la vivacité et évite toute monotonie. Elle permet également de présenter toute une galerie de personnages aussi variés qu’attachants.

– Edith, fille de 9 ans, ne parle pas, elle est sauvage, dégourdie et très futée. Elle aime la montagne et le silence – Jesse est un adolescent qui a apprivoisé un loup. Petit à petit, il va comprendre l’histoire de son hameau et se rebeller – Smilla ne cesse de penser à son amie d’enfance disparue. Elle a une idée fixe sur la question et c’est elle qui va donner le coup de pied dans la fourmilière. D’autres personnages font aussi leur apparition : un prêtre pas très catholique qui entretient la phobie de l’antenne radio qu’on vient d’installer, une institutrice déterminée à régulariser l’enseignement dans ce coin perdu, un maire protecteur et un policier amical et compréhensif.

L’intrigue est consistante et relativement complexe, elle entretient un bon suspense avec un certain nombre de surprises qui pimentent le récit. Le dénouement paraîtra peut-être un peu téléphoné à ceux qui ont l’habitude de lire des polars. L’ambiance du hameau reculé de montagne avec ses mystères et ses secrets est particulièrement bien rendue. Des touches d’humour par-ci par-là éclairent la noirceur de l’histoire.

Les enfants loups est un excellent roman, noir et lumineux à la fois.

Extrait :
Je hoche la tête, hésitante. J’ai pas le temps en réalité. Mais je sais que Freigeist est très important pour Jesse. Et qu’en plus, ce ne serait pas une mauvaise chose du tout que quelqu’un le surveille et le dresse un peu pour qu’il ne mange pas tout le temps les chèvres du papa de Jesse.
— Ensuite, je vais seul en classe et je passe ici après les cours pour te récupérer, qu’est-ce que tu en dis ? Et les après-midi où mon père n’a pas besoin de moi, je te montre ce qu’on a étudié, pour que, toi aussi, tu aies école. Ici, sous les arbres.
Il montre du doigt autour de lui. La lumière du soleil tombe à travers les branches et sur son visage. Jesse a un beau visage. Tout y est doux et lisse. Tout le contraire de mon papa. Voilà qu’il m’offre carrément le loup, je me dis, et je me rapproche un peu de lui.
C’est toujours différent de recevoir un cadeau que de devoir le prendre soi-même. Quand on le prend soi-même, ça chatouille dans le ventre. Mais quand on le reçoit, ça chatouille le cœur.

Hameau de Jakobsleiter

Niveau de satisfaction :
4.4 out of 5 stars (4,4 / 5)

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Les Confessions d’Arsène Lupin – Frédéric Lenormand

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2024 (Éditions du Masque)
Genre : Enquête, humour
Personnage principal :
Arsène Lupin

Les romans de Lenormand sont d’agréables compagnons de vacances. Les pastiches d’Arsène Lupin, comme ceux du Juge Ti ou  de Voltaire, se parcourent avec le sourire.

Lupin « se confesse » au sens où il met le grappin sur son psychologue pour lui raconter une histoire troublante dans laquelle il est impliqué; officiellement, c’est pour que le Dr Kloucke complète l’idée qu’il se fait de lui; officieusement, c’est pour le plaisir de se raconter.

Dans ce cas-ci, l’intérêt de Lupin est suscité par un article de journal traitant d’un meurtre survenu à l’hôtel Drouot lors d’une vente aux enchères : un amateur d’art, un certain Cherpoulet, s’était arrêté devant une vitrine et, pointant du doigt un objet, s’était écrié :
« C’est ça que je veux ! » Après quoi il s’était écroulé, poignardé.

Lupin rend visite à la veuve de Cherpoulet qui lui dit devant quelle vitrine son mari s’est arrêté mais qui est incapable de désigner l’objet convoité parce que, pour elle, il ne s’agissait que d’un tas de vieilleries sans intérêt. Le lendemain, Lupin se rend à l’hôtel Drouot : les objets exposés ne l’inspirent vraiment pas, mais il désire surtout observer les enchérisseurs. Tout est calme jusqu’au moment où l’encanteur présente le contenu de la fameuse vitrine : les enchères s’envolent alors avec fracas jusqu’à ce qu’une jeune femme (Eulalie) a l’audace de proposer une somme inégalable. L’inspecteur principal Ganimard confisque momentanément le lot tant convoité et le commissaire-priseur confirme qu’il n’y a là que matériaux vulgaires et artéfacts de bas de gamme.

Déguisé en Hippolyte Roubagnol-Durand, expert en inutilitémologie, Lupin rend visite aux dames qui ont acheté le lot de « vieilleries ». Or, au cours de la nuit, leur manoir a été victime d’un intrus mais rien n’a apparemment été volé. Les dames ne sont pas vraiment riches, mais Eulalie aura bientôt accès à son héritage.

C’est alors que les événements se précipitent : le serviteur disparaît. La plus âgée des dames semble avoir succombé à l’amour et suivi son amant éventuel à Istanbul, bien qu’il soit supposément mort. Puis, une jeune femme, Charlotte, se présente comme étant la fille légitime des propriétaires du manoir, donc l’héritière du manoir et de l’argent qui lui est lié. Quelle est donc la fille véritable qui a survécu à l’incendie qui fut fatal à la famille ? Des témoins susceptibles d’identifier la jeune femme en question sont éliminés. Lupin lui-même, longtemps abusé, vient près d’y laisser la peau.

Malgré le grand nombre de morts, le roman reste léger et amusant. On retrouve le Lupin spécialiste en déguisements et en évasions. Et on comprend pourquoi son psychologue le considère comme « un hypermimique cyclothymique maniaco-compulsif à tendances paraphréniques ».

Extrait :
Arsène Lupin estima qu’il importait de procurer à Eulalie un refuge où elle serait en sécurité, catégorie dans laquelle son manoir n’entrait pas. Quelqu’un avait tenté de la tuer, et les manigances de Mlle Maloches avec son détective n’avaient rien de rassurant.

Il lui avait donné rendez-vous pour déjeuner dans un restaurant italien, De Lupo. C’était un endroit sûr. De là, ils fileraient dans un endroit où nul ne pourrait l’atteindre (…)
− Depuis que vous êtes entré dans ma vie, je n’ai plus que cela, des soucis. On m’espionne, ma gouvernante s’enfuit, on cherche à me ruiner, et maintenant on me tire dessus.
Il resta silencieux quelques minutes pour la laisser refroidir.
− Pardonnez-moi, reprit-elle. Tout dans cette affaire est agaçant. Mon avocat a une audience au Palais tout à l’heure, le juge d’instruction l’a convoqué pour une confrontation avec la traînée qui voudrait se faire passer pour ma pauvre sœur. Il m’a déconseillé de m’y montrer. Du coup, je reste assise entre deux chaises.

Hôtel Drouot

Niveau de satisfaction :
4 out of 5 stars (4 / 5)

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La chambre du fils – Jorn Lier Horst

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2018
(Det Innerste Rommet)
Date de publication française :
2022 (Gallimard)
Traduction (norvégien) :
Aude Pasquier
Genre : Enquête
Personnage principal :
Inspecteur William Wisting

L’inspecteur William Wisting est le personnage fétiche de J. L. Horst. C’est mon troisième roman de la série et j’avais bien aimé les deux autres, complexes et bien faits. Horst est un ancien policier et il n’hésite pas à s’attarder sur le travail minutieux de l’enquêteur et sur la collaboration entre les divers paliers de la hiérarchie, du simple flic au procureur.

C’est justement le procureur général de Norvège qui confie à Wisting une mission confidentielle, parce qu’elle touche un ancien ministre important du gouvernement travailliste, Bernhard Clausen, qui vient de mourir d’une crise cardiaque. Or, on a découvert dans une chambre de son chalet plusieurs dizaines de millions de couronnes norvégiennes en euros, livres sterling et dollars. Qu’est-ce que ça fait là ? Wisting et Mortensen réussissent à sortir l’argent de là avant que, le lendemain, le chalet passe au feu en totalité.

Ces billets datent du début des années 2000, et on finit par établir un lien entre cet argent et un braquage qui a eu lieu en 2003 à l’aéroport de Gardenmoen lors d’un transport de fonds destinés aux coffres-forts de la banque de DNB et de la Poste à Oslo.

Cet événement s’est produit en même temps que la disparition du jeune Simon Meier qui était allé pêcher près du lac Gjersjoen. L’hypothèse retenue par la police est qu’il se serait noyé mais on n’a jamais retrouvé le corps. Par ailleurs, il semble qu’il ait été témoin de quelque chose de compromettant. Et un message anonyme parvient au procureur, selon lequel Bernhard Clausen aurait été vu sur les lieux. On apprend, enfin, que c’est dans une station de pompage près du lac que l’argent volé aurait été entreposé.

Wisting travaille en équipe avec Mortensen, sa fille Line qui est journaliste, Audun Thule qui a mené l’enquête sur le braquage et Adrian Stiller, responsable des affaires classées. L’inspecteur coordonne l’ensemble comme un chef d’orchestre. Chaque personnage est décrit avec minutie; ça serait facile de déterminer les comédiens et comédiennes qui les incarneraient dans une série. L’action est complexe et les rebondissements ne manquent pas, mais la trame est habilement structurée de sorte que l’intérêt est maintenu tout du long.

Bref, un roman policier très classique et de grande classe.

Extrait :
Ton double jeu a rendu toute cette histoire personnelle, poursuivit l’homme cagoulé. J’ai un message à faire passer à ton père.
Il poussa Line vers la chaise de bureau.
− Et c’est toi qui vas lui écrire, dit-il en relâchant la prise sur son cou.
Il posa une feuille devant elle et lui fit signe de prendre un stylo. Elle obéit.
− Laisse tomber, dit-il.
− Comment ça ? bégaya Line.
− C’est le message pour ton père : « Laisse tomber. » C’est assez clair pour qu’il comprenne ? Il doit laisser tomber cette affaire. Ça va très mal finir s’il s’obstine (…) Tiens, et puis tu peux dessiner un chat, toi qui es tellement douée pour ça, ajouta-t-il. Ton père sait comment il a fini ton chat, j’imagine.
La main de Line se mit à trembler de manière incontrôlable et à raturer le dessin qu’elle venait d’entamer.
Elle fit tout de même au chat des oreilles, puis une queue, et s’immobilisa soudain, pointe du stylo contre la feuille, ne sachant pas si l’homme cagoulé avait entendu la même chose qu’elle.
− Maman ! s’écria une nouvelle fois Amalie depuis sa chambre.

Niveau de satisfaction :
4.3 out of 5 stars (4,3 / 5)

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Le dernier roi de Californie – Jordan Harper

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2022
(The Last King of California)
Date de publication française :
2024 – Actes Sud
Traduction (américain) :
Laure Manceau
Genre : Roman noir
Personnage principal :
Luke Crosswhite, fils d’un chef de gang

Luke Crosswhite, 19 ans, revient à Devore en Californie après 12 ans d’absence. Ce retour a un goût de défaite : il a laissé tomber l’université et abandonné son appartement de Colorado Springs avec deux mois de loyer impayés. Ses maigres possessions sont empilées sur la banquette arrière de sa voiture. Il revient dans la maison familiale alors que son père est en prison et que son oncle gère les affaires. Les affaires, ce sont les activités illégales du Combine de Devore : trafics de drogue, de médicaments, d’alcool, vols de voitures, revente de pièces détachées volées … Luke est angoissé de revenir dans cette maison, mais il n’a pas d’autre endroit où aller. Il se sent un étranger, il est admis uniquement parce que c’est le fils du chef emprisonné. Son ancienne chambre est occupée par un colosse tout en muscles et en tatouages, lui, on l’a logé dans un mobil homme à côté de la maison. Il ne fait pas partie du gang dont la devise est Sang et amour, jusqu’à ce qu’un incident le révèle à lui-même et aux autres.

Ce roman est l’histoire de la transformation d’un homme. Luke est grand, maigre, dégingandé, craintif et sujet à des crises d’angoisse. Il détonne par sa fragilité parmi les mâles du Combine pleins de testostérone. Ils ont tous un cœur noir tatoué à l’encre de macchabée sur la poitrine. C’est un mélange de cendres tirées de l’incinération d’un mort et d’encre, elle sert à graver le cœur noir qui est le signe d’appartenance à la famille mafieuse. Mais un jour Luke va trouver le courage de s’opposer au grand costaud de l’équipe. Il va prendre une raclée mémorable, mais son entêtement va impressionner. Il va être admis, il aura son cœur noir tatoué sur la poitrine et il criera Sang et amour à tout bout de champ. Le garçon faible, discret, pas sûr de lui, va devenir un criminel endurci, drogué et violent.

Mais dans ce qui est devenu sa famille, Luke va s’apercevoir que le mensonge et la lâcheté existent et que pour se protéger certains n’hésitent pas à en sacrifier d’autres pourtant très proches. C’est la désillusion. La dernière partie prend des airs d’apocalypse avec une sauvage guerre des gangs dans un pays ravagé par les incendies.

Le dernier roi de Californie est un roman noir corsé comme savent les faire les Américains. Il est déconseillé aux âmes sensibles, il est violent et plein de fureur, mais heureusement l’auteur a réussi à inclure une dose non négligeable d’humanité.

Extrait :
Luke regarde le cœur noir tatoué sur son torse. Les cendres de John mêlées à l’encre. Tout ce qu’il voulait à une époque, c’était avoir ce cœur tatoué dans la peau. Voir son père, mais pas avant de s’en sentir digne. Pas avant d’arborer le cœur noir familial, d’avoir fait ses preuves. Maintenant, tout ce qu’il voit, c’est le mensonge mêlé aux cendres et à l’encre. Tout ce qu’il voit, c’est la lâcheté de sa famille.

Niveau de satisfaction :
4.1 out of 5 stars (4,1 / 5)

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La baignoire de Staline – Renaud S. Lyautey

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2022 (Seuil)
Genres : Enquête, historique
Personnage principal :
René Turpin, diplomate

Lyautey est mort prématurément dans la jeune cinquantaine. Il était d’abord un diplomate et son travail en Géorgie de 2012 à 2016 lui a inspiré deux romans policiers : Les saisons inversées (2018, au Seuil) et La baignoire de Staline dont il est question aujourd’hui. C’est « un modeste hommage au peuple indocile et bagarreur de Géorgie », confie-t-il, mais la trame policière n’est pas à dédaigner, même si elle sert surtout à exposer la relation ambigüe entre la Russie et la Géorgie.

Un ressortissant français, Sébastien Rouvre, vingt-six ans, qui se livrait à des recherches universitaires sur la période de la guerre froide en Russie, est retrouvé mort à l’hôtel Marriott de Tbilissi, la capitale de la Géorgie. Suicide ou meurtre sexuel ? Les circonstances ne sont pas claires. L’ambassade de France, pour prévenir un éventuel scandale, délègue le diplomate René Turpin pour assister les inspecteurs locaux, Nougo Shenguelia et Lacha Bregvadze. La légiste Lika Batiachvili confirme qu’il s’agit d’un meurtre par strangulation. Et, même si la victime était nue, rien n’indique un crime sexuel. Par ailleurs, son ordinateur et son cellulaire sont disparus.

Quelques interrogatoires ne mènent nulle part. L’enquête prend une nouvelle tournure quand un ancien chef du KGB de Géorgie (1967-1972), Levan Rapava, est retrouvé dans son garage asphyxié par les gaz d’échappement de sa Mercedes. Comme dans le cas de Rouvre, on a tenté de faire croire à un suicide mais la légiste n’a pratiquement trouvé aucune trace de monoxyde de carbone dans les poumons; de plus, elle a encore détecté des marques de strangulation. L’appartement de Rapava n’a cependant pas été fouillé, contrairement à celui de Rouvre. Turpin ne voit vraiment pas le rapport entre le sort d’un étudiant français de vingt-six ans et celui d’un tchékiste octogénaire.

Pour compliquer encore la situation, la traductrice-interprète Natela Grigorichvili est assassinée à son tour, apparemment de la même façon que Rouvre et Rapava. Turpin peine à s’en remettre et, ce qui l’achève, un message de ses amis Kartadze lui annonce qu’ils partent à Gorki pour un certain temps. Or, Nina Sergueïvna est l’amie de Natela, et son conjoint Irakli initie régulièrement son jeune ami Turpin aux joies de la gastronomie géorgienne. Serait-ce possible qu’ils craignent pour leur vie ? Quel est le lien entre Rouvre, Rapava, Natela et Nina ? Leur nom n’apparaît-il pas dans la banque du cellulaire de Rouvre ? Et que vient faire dans cette galère le personnage de Kim Philby, cet espion britannique devenu agent double et, peut-être, triple ?

C’est certain que cette histoire peut paraître un peu tarabiscotée. Et Turpin joue plus le rôle d’un témoin des drames qui l’entourent que d’un grand enquêteur qui va éclairer et régler les problèmes. Mais l’intrigue est intéressante et la gastronomie géorgienne séduisante. L’hommage aux Géorgiens est réussi. On serait tenté de visiter Tbilissi, si la Russie n’était pas si près.

Extrait :
Quand les Russes ont entamé la conquête des nations du Caucase aux dépens des Persans, au début du XIXe siècle, ils ont, en quelque sorte, découvert le Sud… Oui. C’était ça. Le Midi. Des pays ensoleillés, où poussaient la vigne et les arbres fruitiers. Des contrées aux coutumes ancestrales, où l’on cachait les jeunes filles, la nuit, de peur qu’elles ne soient enlevées par des guerriers à cheval. Des forteresses crénelées. Des terres habitées par des brigands. On retrouve des traces de ces récits folkloriques dans toute la littérature russe, au siècle de Pouchkine et de Tolstoï. Les artistes de Saint-Pétersbourg venaient ici pour s’initier à la lumière du Sud, comme vos peintres célèbres, qui allaient en Provence, en Algérie, ou en Toscane… Dans l’imaginaire collectif des Russes, la Géorgie, c’est un peu tout cela à la fois. À l’époque soviétique, ce fut une destination de vacances. La mer Noire. Les plages d’Abkhazie, de Batoumi. Les sources d’eau chaude…

Tbilissi

Niveau de satisfaction :
4 out of 5 stars (4 / 5)

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