Pirate de lumière – Lily Brooks-Dalton

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2022 (The Light Pirate)
Date de publication française :
2024 – Gallmeister
Traduction (américain) :
Juliane Nivelt
Genres : Écologie, dystopie, utopie
Personnage principal :
Wanda, fille née pendant un ouragan du même nom

À Rudder, sur la côte est de la Floride, un terrible ouragan se prépare. Alors que Frida, enceinte, est terrorisée et voudrait fuir, son mari, Kirby, refuse et barricade la maison. Quand l’ouragan déferle, Frida accouche d’une petite fille et y laisse la vie. Le dernier souhait de Frida a été que le prénom de la petite fille qui vient de naître soit le même que celui de l’ouragan qui vient de frapper la région : Wanda. Alors que naissait Wanda, ce même jour, sa mère et son frère de huit ans mouraient. Wanda grandit en compagnie de son père et de son frère. Leur voisine, Phyllis, une ancienne professeure, est une survivaliste qui s’organise pour résister au dérèglement climatique. Elle apprend à Wanda les techniques pour s’adapter aux changements à venir. Cela leur sera bien utile alors que l’eau ne cesse de monter et la température de grimper.

L’autrice situe son roman dans un avenir indéterminé, qu’on devine assez proche. Le monde a commencé à sombrer : les océans montent, les températures deviennent caniculaires. Les tempêtes détruisent les lignes électriques que les lignards, comme Kirby le père de Wanda, s’efforcent chaque jour de réparer. Mais la lutte contre les éléments devient de plus en plus difficile, des régions entières sont abandonnées, les gens fuient vers le nord où ils espèrent trouver des conditions meilleures. La Floride tout entière est inondée et devient inhabitable. Wanda et Phyllis ne partent pas, elles vont s’adapter. Une autre vie commence pour elles, très différente de la précédente.

Au fil du récit, l’autrice montre comment Wanda finit par se retrouver seule et devient une sauvageonne, parfaitement adaptée à son environnement. Elle a un don extraordinaire : quand elle touche l’eau, celle-ci s’éclaire. C’est un phénomène de bioluminescence que Phyllis, en tant que scientifique, a essayé d’expliquer, mais n’y est pas parvenue. C’est comme si Wanda était une élue. La rencontre avec d’autres survivants est pour elle synonyme de danger, elle est extrêmement méfiante, mais elle est aussi attirée et fascinée par la façon dont les membres d’une communauté vivent et s’entraident. Elle va même découvrir des sentiments qu’elle n’avait encore jamais éprouvés. Le début d’une vie meilleure ?

Dans Pirate de lumière, Lily Brooks-Dalton nous montre dans un premier temps l’effondrement de la civilisation actuelle, c’est la partie dystopie du roman. Cependant, elle termine avec la note d’espoir d’une vie plus apaisée. C’est la partie utopie de ce roman à la fois inquiétant et réconfortant.

Extrait :
Les infrastructures de la Floride continuèrent à fonctionner tant bien que mal. Rudder était ruinée, Miami en cours d’évacuation, néanmoins certaines municipalités s’accrochaient. C’était une époque charnière. L’inondation provoquée par le lac Okeechobee avait précipité des changements qui, dans d’autres circonstances, auraient mis plusieurs décennies à survenir. Désormais, ils se succédaient plus vite qu’on ne l’avait anticipé. La Floride retournait à son état primal. Les marais qui avaient été asséchés puis cultivés réapparurent, remontant à la surface des parkings, des autoroutes et des résidences privées. Des sables mouvants engloutirent des quartiers entiers. Les maisons, les routes et les champs furent envahis par la nature, qui reprenait ses droits.

Niveau de satisfaction :
4.1 out of 5 stars (4,1 / 5)

Publié dans Américain, Écologie, Remarquable | Laisser un commentaire

L’agent Seventeen – John Brownlow

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2022 (Seventeen)
Date de publication française :
2023 (Gallimard)
Traduction (anglais) :
Laurent Boscq
Genres : Thriller, espionnage
Personnage principal :
agent Seventeen

 

Prix Ian Fleming du meilleur thriller 2023

C’est un roman d’espionnage (les commentateurs ont parlé de James Bond et de Jason Bourne) plutôt déconcertant par son sujet et par sa forme. D’abord, l’histoire nous est racontée, au fur et à mesure qu’elle se déroule, par l’agent Seventeen lui-même, comme s’il se confiait à nous. Puis, beaucoup d’action sans doute, mais ce qui se regarde bien ne veut pas dire que ça se lit bien. Un roman de Ian Fleming ne vaut pas un bon film de James Bond. Comme je n’ai pas d’aptitude particulière à visualiser ce que je lis, je n’étais pas certain d’embarquer. Et pourtant…

Au départ, Seventeen est sur le point d’accomplir une mission : quelques personnes à tuer à Berlin dans un immeuble d’analystes financiers. Ça se passe rondement, mais ce qui fait que j’ai accroché c’est que, pour déjouer l’enquête policière, il abandonne sur place son attaché-case qui contient un exemplaire de De la grammatologie de Derrida « parce que tant qu’à laisser un indice autant qu’il soit le plus déroutant et absurde possible ». Un agent secret à l’esprit si tordu doit être digne d’intérêt.

Cette tâche à peine terminée, on lui demande d’intercepter l’échange d’une carte mémoire entre deux espions, qui contiendrait des documents montrant que l’Iran projette une attaque nucléaire contre les États-Unis. Documents sans doute importants parce que, à peine confisqués par Seventeen, ils doivent être récupérés par une jolie espionne qui tente de le tuer.

Après quoi, Seventeen hérite de sa plus dangereuse mission qui est de tuer l’agent Sixteen, mystérieusement disparu de la circulation et qui, au cours de ses années de travail, a accumulé trop d’informations cruciales. Commence alors un impitoyable jeu de chat et de la souris, où on finit par ne plus trop savoir qui est le chat et qui est la souris. Et, à cause de l’intelligence de la composition, on ne sait plus très bien non plus quelle est la cible véritable. Le récit nous captive à cause de plusieurs problèmes inattendus qui font que le lecteur devient un peu perdu. Outre le fait de savoir qui va gagner entre les deux agents secrets, plusieurs rebondissements ont remis en question les premières données, et la situation exige d’être clarifiée.

Le suspense est réussi, et c’est donc plus qu’un roman d’action. On s’attache à Seventeen même si c’est un tueur parce que, en principe, il ne tue que des gens qui le méritent. Après tout, son patron, Handler, est un ancien de la CIA, qui protège les intérêts des États-Unis, donc les nôtres ?!   Et si ce n’était pas le cas. La ruse mensongère de Colin Powell[1] continue de hanter les consciences.  Et quels sont les véritables objectifs de la CIA ? Et un ancien de la CIA travaille pour qui maintenant ?  Seventeen  finit par se poser ces questions auxquelles le lecteur n’échappe pas.

Bref, c’est un roman intelligent, bien informé, agrémenté d’un humour discret.

[1] Le 5 février 2003, pour justifier l’intervention militaire des États-Unis en Irak, Colin Powell, secrétaire d’État américain parle, à la tribune de l’ONU, d’armes de destruction massive et d’armes bactériologiques présentes en Irak. Ce qui s’avèrera par la suite être un mensonge éhonté.

Extrait :
Tommy reconnut le tueur mort en deux secondes, et je vis bien que ça lui mettait un coup. Il s’appelait Zhuk et avait été formé par le renseignement militaire russe avant de faire cavalier seul. C’était la meilleure gâchette de Handler, et celui qui se rapprochait le plus d’un rival de Sixteen.
Que la mise à prix sur sa tête soit suffisante pour attirer un homme du calibre de Zhuk montrait clairement que la CIA était très, très sérieuse, dans son désir de voir Tommy passer de vie à trépas. Je pense que ce fut à ce moment-là qu’il comprit pour la première fois que, sans moi, il était un cadavre en sursis. Mais il y avait aussi autre chose.
« Tu sais ce que ça veut dire ? demanda-t-il en tapotant du pied le cadavre de Zhuk, dont le sang continuait de suinter de la jolie grappe d’impacts groupés sur sa poitrine.
Non.
− Ça veut dire que tu as pris la tête du peloton. »

Berlin

Niveau de satisfaction :
4.2 out of 5 stars (4,2 / 5)

Publié dans Britannique, Espionnage, Remarquable, Thriller | Laisser un commentaire

Sarek – Ulf Kvensler

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2022 (Sarek)
Date de publication française :
2023 (La Martinière)
Traduction (suédois) :
Rémi Cassaigne
Genres : Thriller, géographique
Personnage principal :
Anna Samuelsson, randonneuse

Prix du meilleur premier roman policier  (Académie suédoise)

Quatre jeunes gens dans la trentaine se lancent à l’assaut du parc sauvage du Sarek, un des plus hauts massifs du nord de la Suède. Peu de gens s’y risquent : c’est loin, c’est haut, c’est désert, peu de centres de dépannage, pas de réseau pour les cellulaires. La température change rapidement : de la pluie, de la neige, toujours l’humidité, toujours le froid. Sans parler des montées à pic et des crevasses profondes. Kvensler est lui-même un randonneur expérimenté; son récit est illustré de paysages à couper le souffle, de couleurs inédites, de contrastes entre plusieurs sortes de bleu (le ciel, les torrents, les étendues de neige…), mais il ne conseille pas l’excursion dans le Sarek : « Entrés cinquantenaires au Sarek nous en étions sortis quelques jours plus tard septuagénaires ».

C’est sans doute pourquoi Anna et Henrik hésitent à accepter la proposition de Jacob, le nouvel ami de Milena. Les trois vieux amis avaient planifié d’aller plutôt du côté d’Abisko, mais Jacob leur répète que le Sarek est le nec plus ultra des vrais randonneurs. Très entreprenant, Jacob semble les convaincre, mais il suscite en même temps une certaine méfiance : arrivé à la dernière minute dans la vie de Milena, confiant en ses initiatives sans trop tenir compte du point de vue des autres, peut-être impliqué dans des procès pour violence selon la mémoire incertaine d’Anna, en tout cas aux tendances nettement dominatrices. L’expédition semble donc s’engager du mauvais pied.

Au début du roman, un hélicoptère vient d’ailleurs de rescaper Anna à peine consciente, en hypothermie, le corps meurtri, un bras cassé, et des marques de strangulation au cou. Transportée à l’hôpital, elle est interrogée par l’inspecteur Anders Suhonen. Au cours de nombreuses séances, Anna racontera ses souvenirs de cette terrible excursion dont plusieurs ne reviendront pas vivants.

Tout le talent de l’auteur consiste à nous faire vivre un huis clos en plein air. Réplique après réplique, incident après incident, l’atmosphère devient inquiétante, puis nettement étouffante. Le problème pour le lecteur est de savoir comment Anna est arrivée là; et que sont devenus les autres ? Par une description précise de la façon d’agir des personnages, l’auteur parvient à nous faire partager leur angoisse. La lourdeur des sacs à dos, l’humidité des vêtements, l’épuisement du corps, l’esprit brouillé et les sautes d’humeur, tout ça prend le dessus et il n’est pas possible de revenir en arrière. Eux aussi savent bien que ça va mal finir, mais ignorent comment et pourquoi. Et nous, comme eux, nous avons hâte de nous en sortir.

C’est un roman qui peut causer des insomnies. Pourtant, les personnages ne sont pas si sympathiques et le dénouement nous est en partie connu. Mais c’est comme une partie d’échecs entre Fischer et Spassky qu’on suivrait jusqu’au quarantième coup mais qu’il faudrait interrompre parce que la page suivante s’est perdue ! Bref : très difficile à lâcher. Et un final inattendu et subtil.

Extrait :
J’ai été réveillée par du bruit en provenance de l’autre tente. Je n’ai pas tout de suite compris ce que j’entendais, mais j’ai bientôt deviné que c’était Milena qui sanglotait et geignait. J’entendais aussi des bruits rythmiques de tissus frottés les uns contre les autres. Des gémissements et des grognements.
Ils avaient un rapport sexuel.
Je me suis redressée sur un coude et j’ai tendu l’oreille, à nouveau sur le qui-vive. Henrik dormait à côté de moi.
Oui, un rapport sexuel. Mais on aurait plutôt dit qu’il la brutalisait. Les bruits produits par Milena étaient étouffés, comme si on pressait une main sur sa bouche. Ils n’exprimaient pas la jouissance, mais la douleur. Des appels et des cris à travers la main de Jacob, plaintifs et hoquetants. Jacob gémissait et râlait de plus en plus fort.
Maudit animal !
J’ai secoué Henrik, qui semblait lui aussi se trouver inconsciemment sur la défensive (…)
« Écoute, ai-je murmuré. Tu entends ? » (…)
« Avant, on aurait dit qu’elle pleurait et criait, mais qu’il lui fermait la bouche. » (…)
Quelqu’un est sorti de la tente avant de s’éloigner. Je n’en étais pas certaine, mais ça ressemblait plutôt à Jacob.
« Milena ? » ai-je appelé tout bas (…)
« Oui ? », a fait la voix de Milena. Elle semblait provenir de loin,très loin. Elle avait une intonation curieuse, absente.
« Ca va ? ai-je demandé.
Oui. Tout va bien.
− Sûre ?
− Oui. Bonne nuit. »

Sarek

Niveau de satisfaction :
4.3 out of 5 stars (4,3 / 5)

 

 

 

 

À noter que ce roman a déjà fait l’objet d’une chronique de la part de Raymond Pédoussaut: Sarek d’Ulf Kvensler

Publié dans Remarquable, Suédois, Thriller géographique | Laisser un commentaire

Point de rupture – Kevin Powers

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2023
(A Line in the Sand)
Date de publication française :
2024 – Éditions Stock
Traduction (américain) :
Emmanuelle et Philippe Aronson
Genres : Enquête, thriller
Personnages principaux :
Catherine Wheel, lieutenante de police – Sally Ewell, journaliste – Arman Bajalan, ancien interprète de l’armée américaine en Irak

Arman Bajalan, agent d’entretien dans un motel de Norfolk, a l’habitude tous les matins, d’aller nager dans l’océan. Un matin, sur la plage, il croise deux hommes à l’air à la fois détendu et menaçant. Peu de temps après, il découvre un homme mort. La lieutenante Catherine Wheel et son équipier, Amar Adams, appelés sur place, constatent que curieusement le mort n’est pas identifiable : pas de portefeuille, pas de pièce d’identité, pas d’argent, aucune étiquette à ses vêtements. Il n’avait sur lui qu’un billet d’autocar. Pendant ce temps, Sally Ewell, journaliste, reçoit à son journal une clé USB accompagnée d’un message sibyllin. Cet envoi est lié au fait que Sally enquête sur une armée privée intervenant en Irak et en Afghanistan, en passe actuellement de signer avec le gouvernement un contrat de plus de deux milliards de dollars. Suite à ces évènements, les cadavres vont s’accumuler et la lieutenante Catherine Wheel va avoir beaucoup de travail.

Ancien soldat qui a combattu en Irak, Kevin Powers, élabore dans ce roman une intrigue où il est souvent question de militaires, notamment les armées privées intervenant sur les lieux de conflit. Les contrats qui lient ces armées privées au gouvernement américain concernent des sommes très importantes. Il serait dommageable pour elles qu’une vidéo montrant des exactions commises en Irak mette en péril de nouveaux contrats actuellement en négociation. Mais une telle vidéo existe bel et bien, elle a été tournée par l’ancien interprète Arman Bajalan. Les dirigeants de Decision Tree International, armée privée mise en cause, vont tout faire pour récupérer cette vidéo et éliminer ceux qui la connaissent. D’autant plus que si les méthodes violentes de cette armée sont connues, aucune preuve autre que cette vidéo ne l’atteste. La traque et la protection des témoins donnent alors lieu à un thriller rythmé et tendu, tout à fait prenant.

Concernant les personnages, l’auteur essaie de leur donner de la profondeur en montrant non seulement leur rôle, mais aussi leurs problèmes, leurs failles : la solitude de l’interprète Arman Bajalan, l’alcoolisme de la journaliste Sally, les doutes de la lieutenante Wheel. Parfois certains personnages se laissent aller à des états d’âme et donnent des leçons de vie qui m’ont paru un peu barbantes et superflues.

Au chapitre des critiques, on peut reprocher à l’auteur d’être resté en surface, de ne pas avoir davantage creusé le problème des armées privées qui se substituent à l’armée nationale, de ne pas avoir analysé les raisons qui poussent les gouvernements à passer des contrats avec ces sociétés. D’autre part, le passé militaire de l’auteur l’incite à mettre en avant des personnages qui ont un comportement de soldat héroïque alors qu’ils ne sont que de simples civils : le vieillard, propriétaire de l’hôtel où travaille Arman, est armé jusqu’aux dents, il attend de pied ferme l’agresseur et il a la gâchette facile. De même le père de la journaliste Sally comprend en un clin d’œil la menace, il s’organise pour y faire face, il sera capable tout seul de dégommer un ancien des forces spéciales supérieurement armé et entraîné. D’autre part, la solution adoptée par la lieutenante Wheel pour mettre fin à l’engrenage des morts violentes est limite sur la vraisemblance, surtout venant d’un officier de police intègre et expérimenté.

Point de rupture a le mérite d’aborder un sujet original, celui des armées privées, de leur comportement sur les zones de conflit, des sommes colossales qui sont en jeu. Le thriller qui en découle n’est pas exempt de défauts, mais il réussit à bien capter l’attention du lecteur.

Extrait :
— Et si le contrat en cours de négociation est signé, quelle sera la valeur totale des contrats que Decision Tree International aura passés avec le gouvernement ?
Graves se pencha de nouveau vers l’arrière lentement et délibérément. Il gagnait du temps, remarqua Sally. Le contrat n’est pas encore signé.
— Seriez-vous d’accord pour dire que la valeur de ce contrat en cours de négociation avec le département de la Défense et le département d’État s’élève à plus de deux milliards de dollars ?
— Comme je l’ai dit, monsieur, les négociations sont en cours.
Le président de la commission croisa les bras et détourna les yeux. Il voulait que les caméras dans la salle saisissent ce geste d’indignation sous son meilleur profil.
Sally trouvait cet échange aussi crédible qu’un spectacle de marionnettes pour enfants. Ils savaient quels personnages ils incarnaient et les interprétaient plutôt bien. Ils avaient répété toute leur vie pour ces rôles.

 Niveau de satisfaction :
4.1 out of 5 stars (4,1 / 5)

Publié dans Américain, Enquête, Remarquable, Thriller | Laisser un commentaire

Mort sur le Transsibérien – C. J. Farrington

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2021 (Death on the Trans-Siberian Express)
Date de publication française :
2021 (Hugo Thriller)
Traduction (anglais) :
Valéry Lameignère
Genres : Enquête, thriller
Personnage principal :
Olga Pouchkine, employée des chemins de fer

Largué du Transsibérien, la gorge tranchée, la bouche pleine de pièces de dix roubles, un passager heurte Olga. Tout est en place pour une enquête qui se passe dans un petit village de Sibérie occidentale, Roslazny, où les hommes passent leur temps à boire de la vodka et à profiter de leur femme et de leur fille.

Olga travaille comme cheminote pour la compagnie de chemins de fer et elle passe le reste de son temps à s’occuper de son père, ivrogne et paresseux. C’est son ami d’enfance Vassily Marouchkine qui mène l’enquête, avec l’agent de police Anatoly Glazkov, sous les ordres du lieutenant-colonel Babikov, chef de police qui se présente comme candidat à la mairie de Kamerovo, tout en louchant vers Moscou.

Première nouvelle : Vassily se retrouve en prison, accusé du meurtre du touriste américain égorgé et d’une employée du Transsibérien, retrouvée pendue chez elle. Olga décide donc d’enquêter elle-même, aidée de son grand frère qui vient d’être viré de l’armée à cause de son homosexualité.

Bonne mise en place, mais cela a pris 200 pages pour en arriver là, c’est-à-dire la moitié du bouquin. Et, à partir de là, c’est comme si l’auteur avait fait exprès pour utiliser tous les procédés qui rebutent le lecteur. D’abord, le nombre de personnages est démesuré et la plupart n’ont pas rapport avec l’intrigue. Les digressions n’en finissent plus. Ensuite, les démarches d’Olga sont invraisemblables, compte tenu des moyens dont elle dispose. Puis, c’est en raisonnant dans sa cellule que Vassily déduit qui est le véritable assassin et dénonce ses motifs. Enfin, le hasard joue un rôle considérable dans la révélation de la machination, et le rebondissement ultime tient pratiquement de la magie ou d’une histoire de sorcière, du genre Baba Yaga, « qui se cache dans l’immensité gelée de la taïga ».

Pour couronner le tout, les aventures d’Olga se terminent en queue de poisson, ce qui est suffisant pour empêcher ceux et celles qui ont apprécié l’histoire d’en recommander la lecture.

Extrait :
Alors qu’elle faisait volte-face en direction des rails, quelque chose la frappa avec une extraordinaire violence au niveau de l’épaule, la projetant contre le vert défraîchi du mur de sa cabane comme une poupée de chiffon catapultée par un enfant en colère. Sa tête cogna contre les branches, et le monde explosa en une multitude d’étoiles étincelantes. Elle atterrit durement sur le sol gelé, sonnée mais toujours consciente. À travers un brouillard, elle distingua un homme jeune pour autant qu’elle pouvait en juger gisant à côté d’elle. Il avait dû tomber du train et la frapper à la manière d’un projectile. Il avait les dents blanches et régulières, de longs cheveux châtains et des yeux d’un bleu profond. Ses vêtements élégants, visiblement coûteux, semblaient le désigner comme un touriste.

Le Transsibérien

Niveau de satisfaction :
3 out of 5 stars (3 / 5)

Publié dans Britannique, Enquête, Moyen, Thriller | Laisser un commentaire

Dix âmes, pas plus – Ragnar Jónasson

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2019 (Porpio)
Date de publication française :
2022 (La Martinière)
Traduction (islandais) :
Jean-Christophe Salaün
Genre : Suspense
Personnage principal :
Una, enseignante

J’ai qualifié de géographiques les romans de Jónasson que j’ai lus. C’est peut-être encore plus vrai dans ce cas-ci : l’action se passe à Skálar, à l’extrémité nord-est de l’Islande : ancien village de pêcheurs, il ne reste qu’une dizaine d’habitants, isolés par la mer, le froid et la neige. C’est ici qu’aboutit la jeune Una, après avoir quitté Reykjavik et accepté un contrat d’un an pour enseigner à deux fillettes de sept et neuf ans.

Jónasson décrit surtout l’isolement de ce bled et la solitude d’Una d’autant plus difficile à supporter que les habitants sont solidaires et se méfient des étrangers. Una elle-même n’a pas une personnalité qui attire la sympathie : elle est mal dans sa peau (c’est pour changer le mal de place qu’elle a accepté le poste d’enseignante au diable vert); elle déplore que ses amies ne communiquent pas avec elle, mais il ne lui  viendrait pas à l’esprit d’essayer de les rejoindre; son remède contre la solitude et l’insomnie c’est l’alcool; enfin, elle est plutôt rigide et ne brille pas par son intelligence.

Des lecteurs la trouveront peut-être attachante et sympathiseront avec ses cauchemars causés vraisemblablement par le fait qu’on lui a dit qu’elle habitait une maison hantée où une fillette était morte mystérieusement il y a plusieurs années. Son esprit est confus et elle imagine entendre des comptines d’enfants et percevoir des espèces de fantômes. Ces hallucinations lui semblent d’autant plus réelles que les habitants  partagent un secret dont elle est exclue. Le fait que la petite fille de sa logeuse meure subitement, sans cause apparente, n’améliore pas la situation.

Parallèlement à cette histoire se déroule une série d’événements où un criminel commet un meurtre pour lequel seront condamnés trois jeunes qui sont probablement innocents. Ces épisodes finiront par recouper plus ou moins habilement l’histoire principale. Quand Una constatera la relation entre ces crimes et certains habitants de Skálar, elle deviendra encore plus confuse.

Jónasson a du plaisir à décrire l’atmosphère étouffante dans laquelle se morfond Una. Les personnages sont aussi bien circonscrits, de même que leur solidarité et leur méfiance vis-à-vis de tout ce qui n’est pas eux. L’intrigue policière, s’il en est une, est bien secondaire par rapport au problème de savoir si Una parviendra à s’intégrer ou finira par retourner à Reykjavik. Cet aspect du roman est captivant.

Pour moi, ça s’est gâté vers la fin : la scène où Thor et Hjördis confient leur secret à Una est franchement invraisemblable, car ils ont eu le temps, comme tout le monde, de constater sa fragilité. Mais la dernière page montre que l’auteur apprécie l’invraisemblable. C’est bien dommage.

Extrait :
Il faut que j’essaie de comprendre ce village un peu mieux, dit Una.
─ Comment tu t’y sens ?
Una hésita. Elle voulait mentir, éviter un long débat, dire que sa vie ici ressemblait à un rêve, décrire à quel point c’était merveilleux d’habiter au cœur de la nature, de bénéficier d’une telle tranquillité. Cela aurait été la réponse la plus facile.
─ C’est … c’est assez horrible, en fait, admit-elle finalement. Je ne m’entends pas avec les habitants, et je crois qu’ils ne m’aiment pas. C’est un lieu étrange, il y a beaucoup de chagrin. Et trop de secrets. Je ne suis pas sûre de tenir jusqu’à la fin de l’année.
Sara mit un petit temps à répondre.
─ Je … je ne m’attendais pas à ça. Je croyais que tu étais heureuse là-bas.
─ Je ne le suis plus. Je ne l’ai peut-être jamais été (…) Je ne me sentais pas bien à Reykjavik non plus. J’avais besoin d’un changement de décor. Ce n’est tout simplement pas le bon endroit.

Skalar

Niveau de satisfaction :
3.4 out of 5 stars (3,4 / 5)

Publié dans Islandais, Moyen, Suspense | Laisser un commentaire

Les fils de Shifty – Chris Offutt

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2022 (Shifty’s Boys)
Date de publication française :
2024 – Gallmeister
Traduction (américain) :
Anatole Pons-Reumaux
Genres : Roman noir, grands espaces
Personnage principal :
Mick Hardin, militaire en congés de convalescence

Mick Hardin, militaire, se remet d’une blessure de guerre contractée en Afghanistan. Il s’est installé chez sa sœur Linda, à Rocksalt dans le Kentucky. Linda est shérif du comté, elle est en pleine campagne électorale pour sa réélection. Lorsque le cadavre d’un jeune, connu pour être un dealer, est identifié, la police n’est pas particulièrement motivée pour découvrir le coupable. C’est pour cela que Shifty Kissick, la mère du jeune qui a été tué, demande à Mick, qu’elle connaît depuis longtemps, de retrouver celui qui a assassiné son fils. Contrairement aux déductions de la police, Mick s’aperçoit que ce meurtre n’est pas lié au trafic de drogue, comme on a voulu le laisser croire. Quand un deuxième fils de Shifty est lui aussi abattu, Mick est convaincu qu’une affaire bien plus importante que le trafic local de stupéfiant est en jeu. Quelque chose de bien plus dangereux aussi.

Dans ce roman il y a des meurtres et une enquête, mais il y a aussi de belles descriptions des collines du Kentucky et des gens qui y vivent. Les collines sont magnifiques en toutes saisons. Les gens, eux, sont austères, rudes, parlent peu : la culture des collines ne prévoit pas de bavardages cordiaux, un signe de tête, une poignée de main vaut pour un accord entériné. Rocksalt est une petite ville où tout le monde se connaît. Les trafiquants de drogue font partie du paysage, tout le monde sait qui ils sont, personne n’entrave leurs affaires à part les concurrents.

Côté personnages, Mick est un militaire, c’est aussi un policier, un agent spécial de la Division des enquêtes criminelles de l’armée. Sa jambe a été amochée par une bombe en Afghanistan. Il est en convalescence dans la maison familiale dont a hérité sa sœur, fille un peu revêche et préoccupée par sa réélection au poste de shérif. Mick va s’avérer être un combattant efficace, bien aidé par Raymond, un troisième fils de Shifty, lui-même militaire et expert dans le maniement des armes et la reconnaissance. D’autres personnages pittoresques apparaissent : – Albin, un chauffeur de taxi qui se rêvait pilote de course – Oncle Merle a planté un érable pour abriter les nids des merles et pouvoir les observer à sa guise – Un faux preneur d’otages essaie désespérément de trouver l’argent pour payer un collier à sa copine. Il y a aussi de vrais méchants qui ne respectent ni la nature ni la vie, ceux-là ne font pas partie de la communauté de Rocksalt, ils viennent d’ailleurs, ils sont différents, ce sont de vrais prédateurs.

Dans ce beau roman Chris Offut décrit avec tendresse et nostalgie les collines du Kentucky, une région belle et sauvage, avec ses habitants taiseux et rigides. Les trafics font partie de l’économie d’une région déshéritée. C’est encore le vieux monde, mais c’est par le nouveau monde que le véritable péril va arriver, il vient de l’extérieur.

Extrait :
Elle opina, et il comprit qu’elle savait déjà tout ça. Elle était sans doute aussi au courant pour sa femme et le bébé. Il se demanda si elle savait pour le percocet. Il resta assis en silence, attendant la suite. La culture des collines ne prévoyait pas de bavardages cordiaux. Elle l’avait fait venir. Il était là. C’était à elle de parler, et il patienterait jusqu’à ce qu’elle lui donne la raison de cette convocation.

— J’ai besoin d’aide, dit-elle.
Il la considéra d’un air surpris. Elle avait perdu un garçon, mais Mick n’allait pas combler le vide dans le trafic de drogue laissé par la mort de Fuckin’ Barney. Il jeta un regard à Mason, le benjamin, un homme qui avait besoin d’instructions précises. Peut-être voulait-elle qu’il fasse des travaux sur son terrain. Ça lui ferait de l’exercice, et Mason pourrait lui servir de chauffeur.
— Quel genre d’aide, madame Kissick ?
— Trouver qui a tué Barney.
— Il faut parler aux municipaux.
— Je leur ai parlé, dit-elle. Autant pisser dans un violon. Ils se sont déjà fait leur idée.
Ses pupilles s’étaient contractées de rage. Son œil droit s’était concentré sur l’œil droit de Mick, un signe d’agressivité. Mick étudia sa tasse de café.
— Qu’est-ce que vous a dit la police ? demanda-t-il.
— D’arrêter de les harceler.

Niveau de satisfaction :
4.2 out of 5 stars (4,2 / 5)

Publié dans Américain, Grands espaces, Remarquable, Roman noir | Laisser un commentaire

Hurlements – Alexis Laipsker

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2023 (Michel Lafon)
Genre : Enquête
Personnages principaux :
Commissaire Victor Venturi – Olivia Montalvert, psychologue

D’abord, quelques mises en garde : ne vous laissez pas influencer par l’image de la couverture, ni par le titre; c’est vrai qu’on a affaire à un méchant sadique qui découpe quelques femmes en morceaux, mais le lecteur n’assiste pas à ces scènes. Les amateurs de littérature gore n’auront pas de quoi se réjouir ici. Deuxio, le problème posé par cette intrigue n’est pas de découvrir le but du tueur : on le connaît déjà puisque le meurtrier lance officiellement un défi au commissaire Venturi en lui confessant les cinq enlèvements de femmes qu’il fera souffrir lentement avant de les tuer. Il s’agira donc de découvrir ce qui relie ces cinq femmes, puis l’identité de l’assassin.

Le commissaire Venturi, alias le Cow-boy, a la réputation d’être agressif, violent, chauvin, démodé selon les plus jeunes, qui veulent moins se salir les mains. Sa coéquipière est la jeune psychologue et criminologue Olivia Montalvert; poignardée dès le début par le psychopathe, elle se remet rapidement, et s’efforce d’empêcher les assassinats promis. Sensible mais entêtée, elle est la seule qui n’hésite pas à rembarrer le commissaire. L’interaction de cet étrange binôme est un atout majeur de cette histoire.

En même temps que Venturi charge ses hommes de monter un dossier sur les femmes récemment portées disparues, le lieutenant Justin Dastray trouve une des victimes affreusement mutilée dans une cage sur la scène d’un théâtre. Au lieu de collaborer avec les autres policiers, il se jette dans une traque personnelle, alors qu’il est déjà rudement amoché : peinant à se relever d’un coup dur, il ne s’est pas lavé et n’a pas dormi depuis des lustres. Devenu suspect, il échappe à Venturi tout en croyant savoir où se cache le Monstre.

Montalvert est parvenue également à découvrir son identité mais, se sachant découvert, le Monstre la capture et s’apprête à lui crever un œil. Dastray aimerait bien venir à son secours mais il traîne la patte. Les forces policières arriveront-elles à temps pour empêcher le pire ?

Bon sens du suspense allié à une discrète touche d’humour. Les principaux personnages frisent un peu la parodie, pourraient penser certains, mais on aime croire qu’ils sont réels. La composition est habile : l’auteur s’amuse à déjouer le lecteur.

Extrait :
Il sentit son téléphone vibrer dans sa poche. Pour la troisième fois ce matin, Olivia Montalvert tentait de le joindre (…).
Il décrocha.
Quelle obstination ! Vous avez quelque chose d’important à m’annoncer ? Vous n’êtes plus végétarienne ?
Discuter avec Menthe-à-l’eau[1] lui ferait du bien. Il appréciait cette jeune femme à l’intelligence vive et à l’humour cinglant (…).
Mais elle ne répondit pas.
─ Montalvert ? relança-t-il.
─ Bonjour, commissaire.
C’était une voix d’homme. L’intonation était étrange. Le son avait probablement était trafiqué.
─ Qui êtes-vous ?
─ La partie vient de commencer.
Venturi  fronça les sourcils. Cela ne ressemblait pas à Menthe-à-l’eau de faire ce genre de plaisanterie.
La voix reprit :
─ J’ai enlevé cinq femmes, commissaire. Je les fais souffrir. Lentement. Avec une savante cruauté. Et ce n’est que le début.

[1]  Surnom de Montalvert.

 Niveau de satisfaction :
4.2 out of 5 stars (4,2 / 5)

Publié dans Enquête, Français, Remarquable | Laisser un commentaire

L’Île de Yule – Johana Gustawsson

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2023 (Calmann-Lévy)
Genre : Thriller
Personnage principal :
Emma Lindahl, experte en art

C’est probablement la plus suédoise des auteures françaises. Née à Marseille, Gustawsson a vécu à Paris et à Londres, puis a épousé un Suédois et s’est installée près de Stockholm où elle vit maintenant.

Ce roman se passe justement près de Stockholm, sur une petite île tranquille où résident environ 300 habitants, l’île de Storholmen. Un riche manoir a été construit sur cette île où vit maintenant la famille Gussman. On y a convié l’experte évaluatrice Emma Lindahl pour procéder à l’inventaire des biens de la famille, quatrième grande fortune de Suède.

L’île a une mauvaise réputation depuis que, neuf ans plus tôt, on y a découvert le cadavre horriblement mutilé d’une jeune femme. Emma est peu à peu gagnée par cette ambiance oppressante, travaillant plusieurs jours par semaine dans de grandes pièces où elle ne rencontre personne. Le fait qu’on découvre un autre cadavre de jeune femme vidée de son sang dans la mer près du rivage n’améliore pas l’atmosphère.

Le commandant Karl Rosén, qui avait déjà enquêté sans succès sur l’assassinat de Sofia, la première victime, est chargé d’éclaircir le meurtre de la jeune Maria. Troublé par le fait que son épouse Freyja n’est plus là pour l’épauler, il est aidé par Emma qui a fait d’étonnantes découvertes. Ils ne seront pas trop de deux pour élucider ces assassinats qui s’apparentent à des sacrifices.

Presque jusqu’à la fin, j’avais l’impression d’avoir déniché la perle rare parmi les jeunes écrivaines françaises. L’ambiance est bien rendue : les images et les odeurs nous captivent; les personnages, peu nombreux, sont typiques et intéressants; la composition manifeste le plaisir qu’a l’auteure de jouer avec le lecteur. Et c’est écrit avec simplicité et précision.

Malheureusement, la solution de l’énigme implique une sorte d’irrationalité que, comme lecteur de roman policier, je tolère mal. Un peu comme si un extraterrestre avait commis ces meurtres. En lisant un polar, on cherche à découvrir les motifs qui ont conduit aux crimes. Si cette recherche est inutile parce que l’assassin est un malade mental qui n’a pas besoin de motif pour agir, ça devient frustrant. Ici, ce n’est pas tout à fait  le cas, sauf que ça s’y apparente un peu trop : il a fallu que la psy explique à Karl les « raisons » de ces meurtres. Par ailleurs,  il a aussi fallu qu’Emma soit favorisée par le hasard pour trouver le lieu des mises à mort et que Karl tombe aussi par hasard sur un des deux meurtriers.

Bref, un roman pour ceux qui cherchent à simplement  se distraire ou  qui raffolent des labyrinthes psychologiques sophistiqués.

Extrait :
Je colle mon visage à la vitre.
C’est là.
Là qu’on a retrouvé « la pendue ».
Là qu’elle a été traînée. Hissée. Accrochée toute nue (…)
Je n’arrive plus à respirer. Je recule brusquement et me heurte à la desserte derrière moi. Je trébuche et m’y retiens pour garder l’équilibre. Le meuble bascule avec son drap, qui ondule (…) Une cascade de bruits métalliques rompt soudain le silence. Je plisse les paupières malgré moi, consciente du drame qui se déroule.
Je les rouvre sur une série de brosses par terre, une à cheveux, deux à habits. La coque en argent s’est détachée de la brosse ronde (…) J’essaie de reloger la partie métallique qui s’est détachée du manche lorsque j’aperçois un bout de papier plié à l’intérieur.
Je le retire par automatisme. Il s’agit d’une note.
Une note dont les mots hérissent mon corps de chair de poule :
AIDEZ-MOI JE SUIS ENFERMÉE ICI

L’île de Storholmen

Niveau de satisfaction :
3.5 out of 5 stars (3,5 / 5)

Publié dans Français, Moyen, Thriller | Laisser un commentaire

Au nord de la frontière – R.J. Ellory

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2023
(The Last Highway)
Date de publication française :
2024 – Sonatine Éditions
Traduction (anglais) :
Fabrice Pointeau, révisé par Pierre Delacolonge
Genres : Enquête, Thriller
Personnage principal :
Victor Landis, shérif en Géorgie

Victor Landis, shérif dans le comté d’Union en Géorgie, apprend que son frère, également shérif dans un autre comté, est mort assassiné. Dans un premier temps, Victor est peu affecté par la mort d’un frère avec qui il était brouillé et qu’il n’avait plus revu depuis plusieurs années. Il n’avait pas l’intention de se mêler à l’enquête, mais sa nièce, la fille de son frère, une gamine de onze ans, vive et effrontée, le secoue et lui demande avec force de découvrir ce qui est arrivé à son papa. Finalement, Victor décide d’en savoir un peu plus, pensant, dans un premier temps, que son frère a été mêlé à une affaire illégale qui justifierait son meurtre. Son enquête va prendre une ampleur insoupçonnée avec la découverte d’une série de meurtres d’adolescentes qui avaient disparu. Ses investigations vont alors devenir dangereuses.

L’enquête de Landis concernant la mort de son frère commence lentement, c’est une série de consultations et de rencontres sans qu’il en ressorte de preuves évidentes ni de découverte importante. Landis en tire juste quelques suppositions et des intuitions, rien de bien concluant. Cette partie est un long et lent cheminement d’une enquête qui piétine. Tout change quand sa nièce à laquelle il s’est beaucoup attaché est menacée. Alors le shérif débonnaire se transforme alors en chasseur impitoyable n’hésitant pas à sortir des procédures légales pour obtenir les renseignements qui lui sont nécessaires.

Au niveau des personnages, le shérif Victor Landis tient le rôle principal. C’est quelqu’un de droit et juste, mais ce n’est pas un marrant. Il a 46 ans, veuf, sans enfant. C’est un solitaire et un taiseux. Sa secrétaire Barbara, pas du tout impressionnée par le bonhomme, l’asticote souvent amicalement car ils s’entendent parfaitement tous les deux, leurs dialogues sont souvent savoureux. On se demande longtemps ce qui s’est passé entre Victor et son frère Frank pour qu’il y ait une telle froideur devant l’annonce de la mort du frère. Il faudra atteindre la dernière partie du livre pour l’apprendre. Landis présente deux faces dans cette enquête : d’abord, celle d’un homme placide, respectueux, calme, et puis quand sa nièce est en danger, il devient implacable et même cruel. Victor s’est pris d’affection pour cette nièce dont il ignorait l’existence il y a seulement quelques jours. Il faut dire qu’elle est craquante la petite Jenna. Elle est très mature pour son âge et elle a une volonté féroce, elle n’arrêtera pas de cogner sur les choses tant qu’elles n’auront pas la forme qu’elle désire, dit d’elle sa mère. Elle a vite adopté Victor, cet oncle tombé du ciel, qui ressemble à son père de loin, moins de près, selon ses mots. Mais elle le bouscule ce tonton qui ne voulait pas s’occuper de l’enquête concernant son père : c’était mon papa et tu es mon oncle, et je veux que tu découvres ce qui lui est arrivé. Voilà, Victor n’a plus le choix ! Il fera finalement ce que sa nièce lui demande, mais ce sera périlleux.

Au nord de la frontière est un roman d’enquêtes (il y en a deux : l’assassinat du frère du shérif et les meurtres d’adolescentes) et c’est aussi un thriller haletant dans sa seconde partie. Un très bon cru dans la production déjà bien fournie de R.J. Ellory.

Extrait :
– Écoute, Jenna, je comprends que tu sois bouleversée, etc., mais je ne peux vraiment jouer aucun rôle dans ce…
– Si. Tu es son frère. C’était mon papa et tu es mon oncle, et je veux que tu découvres ce qui lui est arrivé.
– La police s’en chargera. Il y a un inspecteur nommé Mike Fredericksen, et il s’occupe de tout ça.
– Eh bien, je ne suis pas idiote. Je sais déjà deux choses. Mike Fredericksen n’est pas le frère de mon papa, et Mike Fredericksen n’est pas venu ici pour nous poser des questions.
– Je suis sûr qu’il va le faire. »
Jenna ne répliqua pas immédiatement. Elle se contenta de fixer Landis avec ces yeux comme des projecteurs. Il se retrouva à détourner le regard malgré lui. Il y avait chez elle un côté intrusif et direct. Comme l’avait dit Eleanor, elle était prête à cogner sur une chose jusqu’à obtenir la forme qu’elle voulait.
« Si c’était mon frère, déclara-t-elle finalement, les yeux bordés de larmes, et quoi qu’il se soit passé entre nous, je voudrais savoir pourquoi quelqu’un l’a écrasé avec une voiture et l’a mis dans cet état. »
Sa lèvre inférieure tremblait. Son corps était aussi tendu qu’un ressort d’horloge.
« Et si je ne voulais pas savoir, je me demanderais sérieusement pourquoi. »

Niveau de satisfaction :
4.3 out of 5 stars (4,3 / 5)

Publié dans Britannique, Enquête, Remarquable, Thriller | Laisser un commentaire

Sel – Jussi Adler-Olsen

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2021 (Natrium Chlorid)
Date de publication française :
2022 (Albin Michel, LP)
Traduction (danois) :
Caroline Berg
Genres : Thriller, enquête
Personnage principal :
Carl Morck, Département V

C’est la neuvième enquête du Département V. J’en ai lu 4 ou 5; c’est bien fait, en gros, mais il y a toujours quelque chose qui me frustre dans les romans d’Adler-Olsen : trop long, un peu tiré par les cheveux, personnages qui frisent la caricature, trop d’intrigues en même temps … Malgré tout, l’auteur a le sens du suspense et finit toujours par me captiver. Ce roman ne fait pas exception.

Le Département V a été créé pour analyser des cold cases (des affaires classées), auxquelles personne ne s’intéresse plus. On a confié ce Département à des policiers dont on voulait plus ou moins se débarrasser : l’intelligent mais imprévisible et indiscipliné Carl Morck; l’irascible et fonceuse Rose Knudsen; l’ingénieux mais bizarre Assad; et le dynamique mais inexpérimenté Gordon.

Ils enquêtent aujourd’hui (décembre 2020) sur un cas qui s’est produit dans les années 1980 : l’explosion d’un garage automobile avait tué une dizaine de personnes dont un petit garçon; et on avait découvert un tas de sel près des débris. La présence du sel rappelle à Marcus (le patron de Carl)  d’autres scènes de crimes ou de suicides apparents où du sel de cuisine avait été répandu. Comme s’il s’agissait d’une signature. L’équipe se met à l’œuvre et il apparaît que, depuis trente ans, un tueur aurait déguisé ses meurtres en accidents ou en suicides. À tous les deux ans. En déposant du sel sur les lieux. Et, chaque fois, l’exécution a lieu au moment de l’anniversaire de la naissance d’un grand criminel qui a sévi dans l’Histoire : Milosevic, Idi Amin Dada, Mao, Staline, Duvalier, Saddam Hussein …  On observe enfin que les victimes étaient des personnes peu recommandables qui, le plus souvent, avaient acquis leur fortune en exploitant autrui.

Une bonne partie des recherches s’effectuent dans des dossiers; et les entrevues passent par le téléphone, parce  qu’on est en période de covid; ce qui rend l’enquête peu palpitante. Pour changer le mal de place, l’auteur intercale des chapitres qui décrivent les victimes et les criminels impliqués dans cette série d’assassinats. Par ailleurs, ce qui rend aussi l’enquête difficile, c’est que Morck est poursuivi pour une possible possession de drogues, et son équipe est recherchée pour complicité après le fait. Adler-Olson est friand de ces petits problèmes à l’intérieur d’un gros problème.

Mais quand l’affrontement se produit (les cent dernières pages), il devient difficile de lâcher le roman.

Donc, encore une fois et malgré tout, on finit par être pris au jeu. Dans ce cas-ci, cependant, pour connaître la solution d’un petit problème, il faut se procurer le roman suivant. Ça, j’ai bien de la difficulté à l’accepter. C’est comme lire un roman sans savoir que pour connaître l’issue des problèmes, il faudra acheter le roman suivant ! La dixième et dernière enquête du Département V vient d’ailleurs de paraître, mais je ne suis pas certain que je vais l’acheter : on proteste comme on peut !

Extrait :
« Plus je creuse le sujet, plus je suis étonnée de voir l’importance du sel dans l’histoire du monde, et aussi avec quelle violence les représentants du pouvoir ont utilisé ce condiment essentiel pour asservir l’homme de la rue. À la fin du XVIIIe siècle, le monopole du sel a joué un rôle dans la Révolution française. Même chose aux États-Unis, lorsque les Américains se sont révoltés contre les Anglais. En Inde, en 1930, avec sa longue marche pour la paix, Gandhi s’insurgeait contre le monopole du sel de l’Empire britannique. Avec ses disciples, ils avaient obtenu du sel par évaporation de l’eau de mer, transgressant ainsi la loi édictée par l’Angleterre. Le Mahatma fut emprisonné, la révolte éclata en Inde et l’Angleterre perdit le pouvoir. Une fois de plus, à cause du sel. Même dans la Bible, le sel a une signification. »

Niveau de satisfaction :
3.5 out of 5 stars (3,5 / 5)

Publié dans Danois, Enquête, Moyen, Thriller | Laisser un commentaire

L’or maudit – Mireille Calmel

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2024 – XO Éditions
Genre : Thriller médiéval
Personnage principal :
pas de personnage principal mais de nombreux personnages d’égale importance

Mars 1313 – Vallée du Haut-Razès[i].
Sept ans auparavant, le roi Philippe le Bel a fait arrêter tous les Templiers. Mais la fortune immense de l’ordre des moines-soldats n’a toujours pas été récupérée. Guillaume de Nogaret est chargé par le roi de retrouver l’or des Templiers. Ce trésor aurait été transféré dans le Haut-Razès. Quand un berger découvre une de ses brebis éventrée à côté d’un tas de pièces d’or templières au milieu duquel est plantée une épée tenue par un gant d’armure enveloppant une main tranchée, cela sonne comme un avertissement donné à ceux qui cherchent l’or disparu. Alors qu’à Carcassonne sévit le grand inquisiteur Geoffroy d’Ablis qui terrorise les populations en pourchassant les hérétiques, d’étranges feux apparaissent au sommet d’anciennes tours, signe de ralliement des cathares. Le bruit court que l’or du Temple sert à réveiller l’activité cathare. Dans cette ambiance, la châtelaine Margaux de Dente a des raisons d’être inquiète : son frère a fait partie de ceux qui ont convoyé l’or du Temple jusqu’au Razès et son beau-père Othon d’Aure exerce sur elle un ignoble chantage.

Ce roman s’appuie sur la vérité historique concernant les Templiers, les Cathares et l’Inquisition. Sur ces faits historiques, l’autrice a tissé une intrigue dense et touffue où se mêlent personnages ayant existé et personnages imaginaires. Ils sont nombreux et il est parfois difficile de s’y retrouver, d’autant plus qu’entre eux existent souvent des liens de parenté qui sont difficiles à retenir. La présence de nombreuses jumelles ne simplifie pas les choses : Margaux à une sœur jumelle, elle a aussi deux filles qui sont jumelles. Guillaume de Nogaret a deux sœurs jumelles. Ça fait beaucoup de jumelles pour un seul roman ! À l’époque, la gémellité était considérée comme une malédiction et l’œuvre du diable pour les catholiques, il fallait donc cacher les jumelles pour ne pas subir les foudres de l’Inquisition.

Malgré une complexité due au nombre de personnages, l’autrice utilise parfaitement l’histoire et les légendes attachées aux Templiers, aux Cathares et à Rhedae (aujourd’hui Rennes le Château) pour bâtir un roman plein de suspense, de mystères et de poésie. J’ai moins apprécié une fin inattendue et très frustrante qui ne finit pas l’histoire commencée. Il faut acheter le tome 2 pour connaître un dénouement dont on n’est même pas certain qu’il se produise dans ce livre. D’ailleurs L’or maudit est le prolongement d’une précédente suite de l’autrice : Le Templier de l’ombre. Le genre feuilleton en littérature qui a pour but de garder le lecteur captif me rebute. Dommage, car c’est un bon roman pour se distraire et rêver au trésor que certains continuent de chercher.

[i] Le Razès est une région d’Occitanie dont le centre est Rennes le Château (ex Rhedae) dans l’Aude, à 45 kilomètres au sud de Carcassonne et à 20 kilomètres de Limoux.

Extrait :
Bientôt un chant s’éleva, comme une seule voix dans la froideur du silence. Un chant bercé par le hurlement des loups. Malgré sa terreur, Margaux sentit sa gorge, son cœur se nouer. Ce chant, elle le connaissait. Sa mère le fredonnait. Puis, après sa mort, quelquefois, son père. Avec une émotion douloureuse. Elle eut l’impression qu’un poing lui percutait le ventre. Elle sentit des larmes couler sur ses joues. C’était son enfance. Ses racines. C’était son histoire, l’histoire de sa grand-mère, de sa mère, de sa tante, l’histoire de la persécution, de l’exil, que ces gens en marche racontaient. Comment aurait-elle pu ne pas en être touchée, elle que son père avait élevée dans l’esprit des philosophes, dans le respect des autres et de leurs croyances ?

Hymne des cathares – Lo Boièr (Le bouvier)

Monnaie templière

Niveau de satisfaction :
3.9 out of 5 stars (3,9 / 5)

Publié dans Français, Historique, Moyen, Thriller | Laisser un commentaire