La Casse – Eugenia Almeida

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2022 (Desarmadero)
Date de publication française :
2024 – Éditions Métailié
Traduction (espagnol Argentine) :
Lise Belperron
Genre : Roman noir
Personnage principal :
Aucun mais beaucoup de personnages de second plan

Durruti, patron d’une casse qui désosse et revend des voitures volées, est mécontent parce qu’un de ses hommes a buté sans son accord deux jeunes qui foutaient un bordel monstre. En faisant cela, l’homme a rompu le fragile équilibre qui régnait entre les mafieux, les policiers et les politiques. C’est mauvais pour le business. Durriti va devoir calmer le jeu le temps que les choses se remettent à leur place. Mais le calme et la reprise des affaires vont être de courte durée : une succession d’erreurs fait six morts dans la police. La guerre est déclenchée, les morts violentes se multiplient. Ceux qui ne sont pas abattus doivent fuir. Le système s’effondre.

L’autrice nous décrit un système de corruption généralisée allant des hautes autorités politiques aux hommes de main qui obéissent aux ordres sans rechigner, en passant par les intermédiaires qui discutent entre eux et passent les accords qui font que tout le monde y trouve son compte. Le procédé fonctionne tant que rien ne s’ébruite. Mais il suffit d’une initiative malheureuse d’un subalterne pour ruiner la stabilité du dispositif. Quand on ne peut plus cacher les morts, policiers de surcroît, et que les journaux se déchaînent sur la corruption, le système s’écroule sur lui-même faisant une hécatombe.

Dans ce roman il n’y a toute une palette de personnages d’égale importance sans qu’aucun ne soit prédominant. Nous y trouvons un certain nombre de corrupteurs et de corrompus, à tous les niveaux de la hiérarchie, du ministre au petit voyou. Cependant l’autrice a quelque peu atténué la noirceur du tableau en y intégrant des touches d’humanité. Rita, par exemple, sait déchiffrer le corps des gens : le corps dit des choses, elle écoute, elle sait traduire, elle dit aux gens ce qu’elle voit, c’est un don. Rita voudrait se rapprocher de sa sœur qui la méprise. Saravia, lui, est un mari malheureux qui soupçonne sa femme de le tromper depuis qu’on lui a collé des messages anonymes sur le pare-brise de son magnifique coupé. Brandán est un vieux médecin légiste désabusé à qui on fait appel uniquement quand le légiste officiel de la police n’est pas là, celui dont les rapports vont exactement dans le sens que souhaite le chef de la police.

Le style d’Eugenia Almeida va bien avec son propos : il est simple, efficace, cru et incisif. Il y a beaucoup de dialogues souvent percutants ou amusants.

La Casse est un roman sombre et désenchanté dans le propos et tonique dans la forme. Un bon roman noir.

Extrait :
Cette fois-là, Durruti avait pensé que c’était peut-être juste. Que lui n’avait jamais demandé qui était le gars de la capitale et pourquoi on lui avait fait endosser le meurtre du Chilien. Qu’il avait accepté sans broncher. Sortir de prison, récupérer Nene.

Par la suite, les choses s’étaient enchaînées. La deuxième, la troisième fois. Se demander quand il aurait fini de payer.
Et un soir où il avait posé la question, le ton de Tapia avait changé, et il avait compris qu’il ne s’agissait pas de payer pour le passé. C’était autre chose : il payait pour le présent, comme un crédit. Pour ce qu’il avait désormais. Pour ce qu’il pouvait perdre.

Niveau de satisfaction :
4.2 out of 5 stars (4,2 / 5)

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Le fugitif, le flic et Bill Ballantine – Éric Forbes

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2024 (Héliotrope)
Genre : Thriller
Personnages principaux :
Denis Leblanc, ex-flic – Étienne Chénier, fugitif

Ce deuxième roman de Forbes est la suite d’Amqui, où étaient apparus pour la première fois le policier Denis Leblanc et le libraire-criminel Étienne Chénier. Ça se terminait par l’hospitalisation de Leblanc et la fuite de Chénier. Cela dit, ce n’est pas nécessaire de lire Amqui pour comprendre et apprécier l’intrigue de ce roman-ci.

Forbes prend soin de nous renseigner sur la fuite de Chénier après qu’il eût tué Pelletier et se soit installé à Paris. Quant au policier Leblanc, il a perdu un bras dans la fusillade où il était impliqué, s’est égaré dans la boisson pendant un bout, mais là il a retrouvé Chénier à Paris où il est venu pour le tuer. La femme de Pelletier (un des chefs de la mafia montréalaise), Catherine Desbiens, a aussi pour objectif d’éliminer Chénier; elle est d’arrivée à Paris avec son homme de confiance, Thomas Girard, et s’est liée à quelques complices français. Elle a fait suivre Leblanc, qui a retrouvé Chénier. Et, avant même que Leblanc s’attaque au libraire, les tueurs de Desbiens cernent la librairie, des coups de feu éclatent, Chénier et Langlois décampent et sont obligés de s’entraider.

Dans leur fuite, ils tombent sur un petit gars bizarre, Axel, qui rêve de devenir Bill Ballantine (le fidèle compagnon de Bob Morane)[1], qui leur donne un coup de main avec plaisir, d’autant plus qu’il estime qu’il y a de l’argent à faire dans cette aventure. La mère d’Axel, voleuse occasionnelle pour arrondir les fins de mois, se joint au petit groupe en y mettant le prix. Quand Axel est enlevé, l’action prend une étrange tournure, les poursuivants devenant les poursuivis. C’est un an plus tard, à Baie-Saint-Paul, que sera asséné le coup final, et fatal, de cette histoire.

Ça ferait un très bon scénario de film. L’action ne manque pas : les cinquante premières pages décrivent une poursuite dans les rues de Paris. Ce rythme affolant se poursuivra jusqu’à la fin du roman. Les personnages sont un peu excessifs, mais l’étrange camaraderie entre Chénier et Leblanc est intéressante; Axel est un petit surdoué exceptionnel, Catherine est une méchante acharnée mais elle trouve à qui parler quand elle touche à un cheveu d’Axel : sa mère Alice. Des notes d’humour détendent  l’atmosphère de temps en temps et des références littéraires permettent au lecteur de s’évader quelques secondes. Mais c’est pratiquement impossible de remettre la lecture au lendemain.

[1] Cf. les romans d’Henri Vernes.

Extrait :
─ Envoyez le fric ! leur enjoint la mère d’Axel, sur un ton un brin agressif, en se tournant vers eux, main tendue.

Début trentaine, cheveux bruns coiffés à la garçonne, anneau transperçant la narine gauche. Ce sont les premières paroles qu’elle prononce lorsqu’ils sont à peine installés dans l’automobile.
Étienne Chénier échange un regard avec Denis Leblanc.
─ Quoi ?
─ Le fric, le pognon, l’oseille, la thune, le flouze, éructe-t-elle, comme si elle venait d’avaler un dictionnaire de synonymes. Édouard m’a dit que vous étiez plein aux as.
─ Qui ?
─ É-dou-ard, articule-t-elle lentement, d’un ton exaspéré.
Chénier hausse les épaules.
─ Connais pas d’Édouard.
Elle le dévisage.
─ Non, mais merde, vous vous foutez de ma gueule ? (D’un geste de la tête elle désigne son fils, qui fixe l’horizon comme si cette discussion ne le concernait pas.) Édouard, mon fils, celui que vous avez kidnappé depuis cet après-midi.
─ Kidnappé ? s’offusque Chénier, qui n’aime pas la direction que prend cette conversation. On essaie de se débarrasser de lui depuis qu’on l’a croisé dans le Quartier latin ! Un vrai pot de colle ! Il nous a dit qu’il s’appelait Axel, pas Édouard !

Baie-Saint-Paul

Niveau de satisfaction :
4 out of 5 stars (4 / 5)

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Le refuge – Alain Beaulieu

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2022 – Druide
Date de publication française :
2024 – Liana Lévi
Genre : Psychologique
Personnages principaux :
Antoine et Marie, couple de retraités

Antoine et Marie, couple de retraités, ont vendu leur maison pour s’installer en forêt dans un refuge de trente-cinq mètres carrés, sans eau courante ni électricité. Malgré la rusticité de leurs conditions de vie, ils s’épanouissent, libérés de toute technologie dans le rapport direct à la nature. Leur temps est partagé entre l’observation des animaux, des oiseaux, du ciel et des étoiles, la lecture, l’écoute de la radio et la sieste. Cette vie paisible a été interrompue brutalement une nuit de juin quand quelqu’un est venu frapper à leur porte pour les prévenir qu’un incendie faisait rage près d’ici et qu’il fallait sortir. Il n’y avait d’incendie nulle part, c’était le prétexte utilisé par deux hommes portant une cagoule et habillés de noir pour entrer. Ils en voulaient à leur économie. Peu après cette agression, Antoine, dans une réaction impulsive, va commettre un acte qui va définitivement faire basculer leur existence. Finie la quiétude, une autre vie commence.

Le tout début du roman, quand l’auteur présente le retour à la nature du couple de retraités, l’amateur de polars et de thrillers pourrait penser que cette lecture ne se présente pas de façon passionnante. Mais très rapidement, un incident va faire basculer l’intrigue et sortir de cette histoire de vieux hippies en mal de félicité. L’auteur a monté fort habilement une intrigue à plusieurs niveaux qui donne souvent l’impression que tout est expliqué et résolu avant qu’un rebondissement ne donne une vision totalement différente des évènements.

L’auteur montre aussi comment un cas tenant du fait divers peut faire basculer de façon irrémédiable des existences. C’est ainsi qu’après l’agression qu’ils ont subie et la réaction d’Antoine, les deux retraités passent d’une vie bucolique et contemplative à la culpabilité et la crainte que quelqu’un d’autre ne découvre la vérité. Ils doivent maintenant vivre avec l’image de ce qu’ils sont devenus qui n’est plus en accord avec leurs principes. Ce qui est également mis en lumière c’est jusqu’où peuvent aller des personnes aussi paisibles et inoffensives que de tranquilles retraités sous la pression des circonstances.

L’histoire est racontée alternativement par le mari et l’épouse. Le ressenti et l’angle de vision varient en fonction du narrateur ou de la narratrice. C’est ainsi qu’Antoine nous apparaît impulsif et d’une grande sensibilité, plus fragile aussi que Marie qui, elle, est plus sauvage mais maîtrise mieux ses sentiments. C’est clairement Marie le plus fort de ces deux personnages.

Le refuge est un roman psychologique abordant avec subtilité les thèmes de la culpabilité et du basculement fortuit de l’existence humaine.
Prix du livre France/Québec 2023.

Extrait :
Je me suis approchée à mon tour pour jouer mon va-tout.
— Une nuit, je dormais, mon mari aussi. Deux hommes sont entrés chez nous, prétextant un incendie. Ils étaient cagoulés, un petit et un grand. Le grand, on sait qui c’était.
Je me suis tue, laissant à mes mots le temps de produire leur effet. Sans bouger la tête, il a détourné les yeux, reclus dans ses pensées. Puis il m’a toisée de nouveau.
— Pourquoi vous êtes là ?
J’ai secoué la tête machinalement.
— Pour connaître la vérité.
Il a souri comme s’il me prenait en pitié.
— La vérité… a-t-il lâché dans un souffle. C’est un concept flou, ça, la vérité.
Ce mot, dans sa bouche, détonnait comme un bistouri dans la main d’un bûcheron.

Niveau de satisfaction :
4.2 out of 5 stars (4,2 / 5)

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La Femme Papillon – J.L. Blanchard

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2024 (Fides)
Genres : Thriller, enquête
Personnages principaux :
Bonneau et Lamouche

Quatrième polar de Blanchard, un auteur qui se caractérise par le courant d’air frais qu’il insuffle dans la littérature policière québécoise grâce au tandem Bonneau et Lamouche. Sauf que, dans ce roman-ci, Lamouche ne corrige pas, comme d’habitude, les gaffes de Bonneau parce qu’ils ne travaillent pas sur le même terrain.

De fait, suite à ses succès dans l’affaire du Radeau de la Méduse, Bonneau a été invité par le Président de la France, qui tenait à lui rendre hommage personnellement. À peine arrivé à Paris, cependant, Bonneau est kidnappé et se retrouve dans un monastère désaffecté en Suisse, près du Lac Léman. Lamouche est envoyé à son secours, mais par où commencer ? Aucune rançon n’est demandée : quel est le motif de l’enlèvement de Bonneau ? Toute la police française est sur le qui-vive. Un indice l’amène à soupçonner une sorte de secte, l’Ordre des Monarques, très ambitieuse (dominer le monde !), très riche, et dont les membres sont infiltrés à tous les niveaux dans bien des domaines, dont celui  des autorités policières. Si bien que Lamouche ne sait plus à qui se fier. Le chauffeur qui devait accueillir Bonneau à l’aéroport est tué; d’autres cadavres seront découverts et il est possible que Bonneau soit parmi eux. Et si l’ADN relevé sur un cadavre décapité ne le démontre pas, il est possible qu’il soit mort calciné après avoir mis le feu à la chambre-bibliothèque où il était enfermé. Ne croyant pas à sa mort, Lamouche finit par se rendre au monastère où se morfondait Bonneau, mais ce dernier semble s’en être évadé; et c’est Lamouche qui se retrouve en mauvaise posture.

On a l’impression de lire deux types de romans : un genre suspense, quand on assiste à la séquestration de Bonneau et à ses efforts pour s’évader; et un genre thriller, quand on suit la trajectoire de Lamouche autour de qui les gens se déguisent, se trahissent, se livrent à des rites initiatiques étranges et cherchent à le tuer.

Finalement, la pire épreuve pour  Bonneau, c’est peut-être le soir où il est invité à dîner avec le Président de la République, se méfiant par avance « des plats aux noms certainement farfelus qu’on allait lui servir ». Le tête-à-tête entre Bonneau et le Président, qui clôt cette aventure trépidante, est un morceau de choix que les lecteurs apprécieront.

C’est sans doute le plus sérieux des quatre romans de Blanchard, même si l’atmosphère reste détendue : on ne sait pas comment, mais on sent bien que nos deux héros vont s’en sortir. C’est donc un autre roman de Blanchard qu’on lit sourire aux lèvres.

Extrait :
Il n’était pas tout à fait mort. C’est du moins la conclusion qui s’imposait peu à peu à son esprit. Déjà, en se réveillant, quelques manifestations de nature physiologique lui avaient suggéré cette étonnante révélation. D’abord, le fait de se retrouver couché sur le côté, tout recroquevillé sur lui-même. Or, il se souvenait qu’il était allongé sur le dos quand on avait refermé le linceul mortuaire. Les morts ne se tournent pas dans leur tombe. Ensuite, une sensation de froid et d’humidité lui transperçait le corps, d’où sans doute la position fœtale adoptée instinctivement. Mais surtout : il avait pris conscience de l’effroyable gouffre qui s’était sournoisement installé derrière sa paroi abdominale. Il était affamé.

Acrylique d’Alain Bedu

Niveau de satisfaction :
4 out of 5 stars (4 / 5)

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Châtiment – Percival Everett

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2021 (The Trees)
Date de publication française :
2024 – Actes Sud
Traduction (américain) :
Anne-Laure Tissut
Genres : Roman noir sociétal, historique, enquête policière
Personnages principaux :
Ed Morgan et Jim Davis, agents spéciaux du MBI (Mississippi Bureau of Investigation) – Herberta Hind, agent spécial du FBI

À Money dans le Mississipi, les adjoints du shérif sont appelés sur une scène de crime sidérante : un homme blanc baigne dans son sang, un long fil de fer barbelé rouillé fait plusieurs fois le tour de son cou, son pantalon est baissé et ses testicules arrachés, à trois mètres de ce corps gît un homme noir de petite taille, le visage défoncé avec dans une main les testicules de l’homme blanc. La suite de cette découverte est encore plus effarante : à la morgue où les deux cadavres ont été amenés, celui du noir a disparu. Plus étonnant encore, on retrouve la même scène de crime avec à chaque fois le mort noir qui disparaît. Ed Morgan et Jim Davis, agents spéciaux du MBI (Mississippi Bureau of Investigation) sont chargés de mener cette enquête extraordinaire. Devant la multiplication des assassinats dans tout le pays répétant la même mise en scène, ils reçoivent le renfort du FBI en la personne de l’agent spécial Herberta Hind. Tous les agents spéciaux (Ed, Jim et Herberta) sont noirs.

D’entrée, l’auteur place l’intrigue dans le domaine de l’étrange et du fantastique avec des morts qui disparaissent pour ressurgir sur une autre scène de crime. L’auteur joue sur des situations grotesques qui laissent les autorités désemparées. En fait, les meurtres et l’enquête sont un prétexte pour dénoncer une autre sorte de crimes : les lynchages dont ont été victimes aux États-Unis les noirs entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle. Pour un noir, à l’époque, il en fallait peu pour être lynché : un regard, une parole que l’homme blanc jugeait provocant suffisait, ou même un prétexte purement inventé comme celui de Carolyn Bryant accusant le jeune noir Emmett Till de lui avoir fait des avances, suite à quoi Till a été enlevé et torturé avant d’être assassiné par R. Bryant et J.W Milam. Tous les deux ont ensuite été acquittés par un jury, composé de douze hommes blancs[i]. C’est donc en se basant sur des faits et des personnages historiques que Percival Everett a construit une œuvre de fiction dans laquelle des morts-vivants viennent demander des comptes aux descendants des assassins de l’époque. On ressent dans ce roman toute la rage qu’a dû éprouver l’auteur devant la haine raciale et l’injustice qui ont frappé la population noire.

Les personnages sont de deux sortes : les personnages historiques qui apparaissent sous leurs vrais noms (Till, Bryant, Milam …), on y trouve même une caricature du Président Donald Trump. Les personnages fictifs sont les policiers Morgan, Davis et Hind. Pour contrebalancer l’horreur historique, l’auteur a créé des policiers qui ont le sens de l’humour, qui sont cools, caustiques et adeptes des blagues et des réflexions au second degré.

En mêlant l’histoire et la fiction, Percival Everett a créé un roman édifiant sur la haine raciale et les exécutions sans jugement dont a été victime la population noire des États-Unis les siècles précédents.

[i] Voir l’article de Wikipédia sur Emmett Till

Extrait :
Les journaux et les réseaux sociaux essayaient de relier les incidents violents survenus à travers le pays. Fox News parlait de “guerre raciale, pure et simple”. On en était à vingt-cinq morts blancs. Le score était de vingt-cinq contre cinq. À l’évidence, il s’agissait d’une conspiration noire et asiatique, au fonctionnement secret, com­plexe et bien organisé. Il y avait des espions partout. On ne pouvait se fier à personne. Comment cet homme noir avait-il pu s’introduire dans la Maison-Blanche pour tuer Razorback Reynolds ? Il avait forcément des complices à l’intérieur. Les personnels de ménage et de cuisine de la Maison-Blanche étaient retenus en garde à vue dans un camp de fortune improvisé dans l’enceinte de la Maison-Blanche, au milieu de l’Ellipse.

Niveau de satisfaction :
4.2 out of 5 stars (4,2 / 5)

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Le Huitième Registre 1. Le Silène Assassiné – Alain Bergeron

Michel Dufour

Date de publication originale : 2024  (Alire)
Genres : Uchronie, thriller, aventures, historique
Personnage principal :
Siméon Monocrate, « inquisiteur »

L’action se passe en 2015 à Providence, principalement, jusqu’à Mont-Boréal, dans le Nouveau Continent du Saint-Empire romain byzantin. Dans notre monde, on pourrait dire que ça se passe au nord-est des États-Unis jusqu’à Montréal. Mais ce roman est une uchronie, c’est-à-dire que l’action se passe dans un monde qui procède d’une réécriture de l’Histoire à partir d’une modification du passé. Dans ce cas-ci, imaginons que la prise de Constantinople par les Ottomans en 1453 n’a jamais eu lieu. Les Croisades n’ont pas vraiment affaibli Constantinople et le Saint-Empire Romain byzantin a, au contraire, conquis la plus grande partie de l’Europe et une bonne part du Moyen-Orient. Ce qui a permis aux relations commerciales de s’étendre d’Est en Ouest, retardant ainsi la découverte et l’exploitation du Nouveau Continent (= l’Amérique) jusqu’au début du XIXe siècle. Une seule autre grande puissance partage le monde avec le Saint-Empire romain byzantin, c’est la Sublime Alliance du Soleil Levant, dont la capitale est Beijing[1]. Il s’agit de deux systèmes politiques autoritaires (l’Église de Rome jouant un grand rôle dans le premier Empire); les démocraties n’ont pas encore commencé d’exister. Le développement des sciences ne s’est pas non plus déroulé de la même façon : les sources d’énergie sont assez différentes et l’électronique est loin d’être connue, même si des appareils comme l’orgue à traitement de signes préfigurent l’ordinateur. L’orgue fonctionne par registres, c’est-à-dire par degrés de complexité mécanique dans le but de régler des problèmes de plus en plus difficiles, le huitième registre étant celui qui convient à l’historiosophie. Dans ce qu’on pourrait appeler les sciences humaines, à une conception religieuse dominante qui interprète l’histoire comme le fruit de la volonté divine (le monochronisme) s’oppose l’historiosophie qui se définit comme l’étude mathématique des relations de causes à effets en histoire. Au centre de ce récit vit et meurt André Antonikas (surnommé le silène), sauvagement assassiné, expert en sémiologie, chaud partisan de l’historiosophie, et qui s’apprête à faire une formidable découverte grâce  au huitième registre de l’orgue à traitement de signes.

Car il s’agit bel et bien, d’une enquête policière sur un meurtre, avec de vrais suspects, un vrai coupable et tout un détective, Siméon Monocrate, délégué sur les lieux du crime par la curie pontificale de Rome. Antonikas est retrouvé la gorge tranchée dans son bureau de travail (son scriptuaire, comme on disait alors), férocement saccagé y compris son orgue. Il s’agit presque d’un assassinat en chambre close, parce que très peu de gens ont pu avoir accès au silène et que la villa était gardée par deux officiers devant une grille solidement barrée. Cette scène ressemble étrangement à un autre assassinat commis vingt ans plus tôt pendant le premier synode sur l’historiosophie tenu au monastère de Mont-Boréal.

Quel est le sens de cette ressemblance ? Et quel rapport avec le fait que les recherches d’Antonikas étaient subventionnées par un général aux tendances autonomistes; qu’elles étaient aussi convoitées par monseigneur d’Orcanne qui s’attendait à devenir le futur pape et qui luttait ardemment contre l’historiosophie; et on peut soupçonner également les spartaquistes (groupe contestataire qui lutte contre la domination des riches, pour l’émancipation des femmes) de s’intéresser aux recherches du silène qui aboutiront peut-être à la fabrication d’une arme d’une puissance inouïe. Peut-être le motif est d’une tout autre nature : Antonikas avait la réputation d’un être aux mœurs légères; n’avait-il pas corrompu le fils de la famille richissime des Vivarini ? Or, l’assistant du silène était fiancé à Sophia, la fille des Vivarini. Tuer Antonikas permettrait à Léon Gaïus Mellior d’être bien vu des parents de Sophia.

Siméon, et son fidèle Calixte, chercheront à y voir plus clair, alors que les autonomistes spartaquistes et autres s’efforcent d’ébranler les bases de cette société autoritaire en Arcadie et même jusqu’au Mont-Boréal. Ce sera une tâche d’autant moins facile que le principal suspect semble s’être pendu après voir été soumis à la torture.

Plusieurs seront peut-être hésitants à s’engager dans cette longue lecture qui met en scène un monde qui n’est pas tout à fait le nôtre. Mais l’effort vaut la peine parce que c’est un très grand roman, construit avec intelligence et sensibilité, un suspense qui nous attire et nous déroute, assaisonné d’un humour subtil, où la rigueur et l’imagination vont de pair. Autre atout majeur : la création d’un enquêteur qui ressemble à Holmes par sa puissance inductive, son intuition surprenante et sa personnalité tenace et incorruptible. Enfin, la lettre du dernier chapitre que Siméon envoie à Labinien Estradice, premier préfet de Providence, où il expose ses raisonnements et leur conclusion, produit le même genre de satisfaction que la démonstration à laquelle se livre Poirot après avoir convoqué au salon les principaux suspects.

[1]  On reconnaît ici la ville de Pékin. L’auteur nous livre continuellement des indices pour qu’on ne soit pas trop perdu. Ainsi, on a déjà vu Mont-Boréal, transformation de Montréal. Ça joue également dans le cas des personnages : Candide Le Roué pour Voltaire, AEdegar Dupinius pour Dupin, le détective d’Edgar Poe, ou encore Émile Helvetius pour Rousseau … À la fin du tome 1, des Annexes et un Glossaire permettent de mieux s’y retrouver.

Extrait :
Essir Labinien Estradice ne s’était pas beaucoup calmé depuis son arrivée au Prétoire tôt le matin. La nouvelle du suicide de Léon Gaïus Mellior l’avait d’abord fortement irrité (…) Mais ce qui enrageait encore davantage le préfet, ce qui l’avait vraiment mis hors de lui, était l’impardonnable irruption de ce soi-disant « missionnaire plénipotentiaire de la Curie pontificale », la veille, dans l’aile carcérale du Prétoire. Que cet importun eût été le premier à découvrir le corps de Léon était déjà fort embarrassant. Mais qu’il eût l’audace en plus de donner des instructions à des officiers du corps de vigiles dépassait toutes les bornes. Ce n’était pas la première fois (hélas!) que des abus semblables se produisaient (…) L’Arkadie constituait peut-être officiellement une province à part entière de l’Empire, mais ses habitants éprouvaient trop souvent le sentiment que l’on continuait de la traiter comme une simple colonie. Qui pouvait s’étonner après cela que grondât la rébellion à Providence et que prospérassent les courants autonomistes ?

Constantinople

Niveau de satisfaction :
4.8 out of 5 stars (4,8 / 5)
Coup de cœur

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Les ombres de Oak Island – Wiley Cash

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2021 (When Ghosts Come Home)
Date de publication française :
2024 – Seuil
Traduction (américain) :
Jacques Collin
Genres : social, enquête
Personnage principal :
Winston Barnes, shérif du comté de Brunswick, Caroline du Nord

Octobre 1984, comté de Brunswick Caroline du Nord.
En pleine nuit, le shérif Winston Barnes entend le bruit d’un avion qui vole très bas au-dessus de sa maison. Intrigué, il se lève et se rend à l’aéroport proche pour voir si l’avion y a atterri. Sur place, il constate qu’un gros aéronef s’est arrêté en catastrophe en bout de piste. Son train arrière est cassé, mais surtout il y a un cadavre d’un homme qui gît à côté. Winston connaît bien ce jeune noir tué par balle puisqu’il s’agit du fils d’un ancien professeur, vétéran de guerre et membre influent de la communauté noire de Oak Island. Curieusement, le zinc est vide et il n’y a pas une seule empreinte. La cargaison a été évacuée et tout a été nettoyé. Le trafic de drogue est suspecté, le FBI est appelé. C’est le début d’une période difficile pour Winston Barnes qui tombe particulièrement mal, car les élections au poste de shérif arrivent dans une semaine.

Le début du roman laisse supposer que l’intrigue sera surtout constituée de l’enquête autour de l’atterrissage et du meurtre qui a suivi. En fait les investigations du shérif n’occupent qu’une partie, pas la plus importante, de l’intrigue. L’essentiel est constitué autour de la personnalité de Winston, de toutes les difficultés qui s’accumulent autour de lui, de la vie pas si tranquille dans la petite ville de Oak Island. En effet, à une semaine de l’élection du shérif, Winston doit faire face non seulement à l’évènement imprévu que constitue l’atterrissage sauvage d’un gros DC-3 dans un petit aéroport, mais aussi à un meurtre d’un jeune noir, aux provocations de son rival au poste de shérif, aux manifestations racistes des nostalgiques du Ku Klux Klan visant à terroriser les quartiers noirs, aux trahisons de certains membres de son équipe, aux problèmes familiaux : sa femme a un cancer et sa fille dépressive revient s’installer chez eux, sans compter qu’il doit aussi héberger un membre du FBI. Quand il lui reste un peu de temps Winston continue une enquête qui finira par aboutir, plus par chance que par travail d’investigation.

Winston a 63 ans, il occupe le poste de shérif depuis 12 ans, il voudrait bien être réélu pour continuer à profiter de l’assurance maladie qui permet de payer les soins nécessaires à son épouse. Il estime avoir peu de chances d’être réélu à moins qu’il boucle avec brio ces dernières affaires, mais les choses se présentent mal pour lui. Cependant il fait face avec détermination et stoïcisme.

Il ne faut pas s’attendre à une enquête trépidante, le rythme du récit est lent et peut même paraître ennuyeux par moment tellement l’auteur se perd dans des détails insignifiants. Cependant Wiley Cash nous réserve une belle surprise en conclusion de son livre. La qualité principale de ce roman vient de la description saisissante d’une petite ville de Caroline du Nord soumise à la ségrégation sociale et au racisme et de l’atmosphère à la fois paisible et tendue qu’il s’en dégage.

Extrait :
Winston resta un moment assis en silence, en s’efforçant d’évaluer la différence entre ce qui était juste et ce qui était légal, et quelque part, juste hors de sa portée, se trouvait une réponse qui couvrait tout ce qui était arrivé jusqu’ici – le meurtre de Rodney, le mystère de l’avion, les incendies, Frye se faisant abattre sous ses yeux – et rendait l’ensemble, sinon satisfaisant, du moins plus facile à envisager sans causer plus de souffrances. Mais Winston n’aurait su l’exprimer, alors il se contenta de hocher la tête en direction de Jay, et Bellamy se leva et se dirigea vers la porte.

Douglas DC-3

Niveau de satisfaction :
4 out of 5 stars (4 / 5)

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L’Ombre des innocents – René Manzor

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2024 (Calmann-Lévy)
Genre : Thriller
Personnage principal :
Marion Scriba, romancière

Marion Scriba est une romancière de polars et, mariée à Vincent, elle est mère de trois enfants. Vie de famille bien ordinaire. C’est pourquoi, lorsque des policiers l’arrêtent et l’accusent du meurtre de trois jeunes enfants, la surprise ébranle tout le monde.

Le principal argument contre elle, c’est que son ADN s’est retrouvé sur l’arme du crime. En sa faveur : Marion est une maman qui semble au-dessus de tout soupçon, la distance qui la sépare du lieu du meurtre paraît impossible à franchir en si peu de temps, et le fait qu’elle aurait quitté le lieu du crime en sautant en bas d’une falaise équipée d’un planeur individuel est pratiquement impensable.

Son avocat la défend mal et Marion est sur le point d’être écrouée; elle s’évade alors audacieusement et commence pour elle une folle escapade afin de découvrir le véritable auteur de l’assassinat sordide de ces trois enfants. À ses trousses, la commandante Nayla Kassar, cinquante ans, qui a acquis une forte réputation dans l’armée, puis dans la police; et Wim Haag, agent néerlandais dans la quarantaine, spécialisé dans la traque des fugitifs, profondément affecté par la mort de son épouse dans l’attentat du Trans-Jungle express en Colombie.

Kassar est persuadée de la culpabilité de Marion; Haag trouve que quelque chose cloche. Les deux enquêteurs la suivent de près, mais Marion a toujours un pas d’avance sur eux. L’arme du crime est un revolver de collection; Marion suit la piste des acheteurs de ce revolver pour savoir qui l’a abandonné sur les lieux du crime en y collant son ADN. Au moment où Marion atteint son but, c’est elle qui est retrouvée et capturée par celui sur qui elle voulait mettre la main.

Mais alors, tous les visages se découvrent : celui qu’on prenait pour le meurtrier des enfants travaillait pour un autre; Haag était manipulé et ignorait son rôle véritable; la présidente d’Europol avait mis au point un stratagème risqué; et Marion était liée à un passé qui la rendait moins naïve qu’elle en avait l’air.

Quel bon film ça ferait ! Le lecteur qui aime être embrouillé pendant un bon moment en a pour son argent. Les personnages principaux sont bien décrits et l’action qui n’arrête pas leur sert de toile de fond efficace. On pourrait trouver que Marion est bien chanceuse et que les revirements se multiplient un peu trop systématiquement, mais ne boudons pas notre plaisir et admettons que l’auteur connaît bien son métier, qui consiste à ébranler les émotions de ses lecteurs.

Extrait :
─ Pavel Vanek ?
─ Tu ne vois pas que je reprends des forces, là ? Va te faire mettre en face par quelqu’un d’autre. Y a plein de queues disponibles, en matinée aussi.
La réaction de Wim ne tarda pas. Il agrippa Pavel par sa coiffe d’Iroquois et lui planta son visage dans son kébab. Puis il sortit la photo de Marion  et la lui présenta en bord d’assiette.
─ Écoute-moi attentivement, trouduc. Avec l’œil qui te reste, regarde bien cette femme et répète-moi exactement ce que tu lui as dit.
─ Je ne … lui ai … rien dit, bafouilla Pavel. Elle m’a braqué avec un revolver et …
Wim lui plongea le second œil dans la sauce harissa et l’y laissa quelques secondes. Pavel se débattit sans parvenir toutefois à dégager sa tête de son assiette. Juste avant de l’asphyxier, Wim le souleva par la crête.
─ Je t’écoute et sois précis … (…)
─ Deux hommes … des hommes de main, des pros. Ils m’ont payé pour que je la neutralise et que je les appelle quand ce serait fait.
─ Ils l’ont emmenée où ?
Avant que Pavel puisse répondre, une balle explosive lui perfora la poitrine.

Niveau de satisfaction :
4.3 out of 5 stars (4,3 / 5)

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De neige et de vent – Sébastien Vidal

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2024 – Le mot et le reste
Genre : Roman noir
Personnages principaux :
Nadia et Marcus, gendarmes – Victor, voyageur – Basile Gray, maire du village de Tordinona

Dans les Alpes, dans un lieu proche de la frontière entre la France et l’Italie, un homme et son chien marchent sous une tempête de neige. Ils arrivent au petit village de Tordinona espérant y trouver refuge. L’inscription sur le panneau annonçant le village laisse le voyageur perplexe : Vous pouvez encore faire demi-tour. Ce n’est pas le jour pour demander l’hospitalité dans ce village déjà peu accueillant : la fille du maire vient d’être retrouvée morte et peut être violée. Basile Gay, un colosse, maire tout puissant de Tordinona, d’abord fou de douleur, va transformer sa souffrance en désir de vengeance. Cet étranger qui vient juste d’arriver est le coupable tout trouvé. Comme au bon vieux temps du western, les hommes du village décident de pendre le présumé criminel. Nadia et Marcus, gendarmes en patrouille, s’interposent et protègent l’individu. Devant la colère des habitants, ils sont obligés de se réfugier dans la mairie qui est cernée par les chasseurs aux ordres du maire et comme l’électricité a été coupée et qu’une avalanche a emporté le seul pont reliant Tordinona au reste du monde, ils sont bloqués dans le village. Commence alors un long siège.

L’auteur met d’abord en place une belle ambiance sombre et angoissante. Le blizzard hurle sans interruption de jour comme de nuit, la neige tombe dru et recouvre tout. Le froid s’installe, l’extérieur est dangereux. Au climat hostile s’ajoute l’animosité des villageois envers tout ce qui est différent d’eux. Même avant l’arrivée de l’étranger, le maire et ses acolytes ne supportaient pas un groupe de six jeunes venus s’installer en périphérie du village, dans une ferme où ils faisaient de l’élevage et produisaient des fromages bio appréciés pour leur qualité par les gens de la région qui venaient les acheter en cachette du maire. Ces jeunes sont trop dissemblables des villageois pour être admis. D’ailleurs à Tortinona on n’aime pas les étrangers, même les touristes de passage ne sont pas bienvenus. Ce n’est pas parce qu’ils détestent les étrangers que les locaux s’apprécient entre eux. Certains vont même profiter du désordre engendré par l’assassinat de la fille du maire pour régler de vieux comptes : mettre le feu à la grange d’un rival avec les bêtes dedans ou liquider l’amant de sa femme ou encore se débarrasser d’un vieux père à l’agonie. Bref, à Tordinona l’ouverture d’esprit et la joie de vivre n’ont pas cours.

Côté personnages, les gendarmes Nadia et Marcus ne sont pas des redresseurs de torts sans peur et sans reproche, ce sont deux rescapés. Elle, amputée d’un sein suite à un cancer, lui, amputé de sa propre estime suite à son comportement lors d’un attentat quand un camion a foncé sur la foule. Cependant leur sens de l’honneur et du devoir sauvera la vie de Victor, le voyageur malchanceux. Victor a l’habitude d’écrire ses impressions de voyage dans un carnet. Ça l’aide aussi à lutter contre le stress. Curieusement, il devient le confident de Nadia et de Marcus qui vont finir par lui dire ce qu’ils n’ont jamais avoué à leurs proches. Même Vosloo, un ancien militaire qui devient un allié aussi inattendu qu’efficace, lui confiera ses obsessions héritées de ses campagnes. Victor se fait beaucoup de soucis pour son chien, Oscar, qui a réussi à s’échapper quand son maître a été pris à parti. Basile Gray, le maire, est un géant de près de deux mètres. C’est un meneur d’hommes charismatique et persuasif. Il a été complètement dévasté lorsqu’il a appris la mort de sa fille chérie. La seule façon qu’il a trouvé pour continuer à vivre c’est de transformer sa douleur en haine envers cet étranger dont il est certain qu’il est l’assassin de sa fille, car personne ici n’aurait osé s’en prendre à elle, tant son autorité sur les 112 habitants du village n’est contestée par personne.

L’écriture est vraiment admirable, elle donne au roman toute sa force en montrant la violence, que ce soit celle de la nature ou celle des hommes.

De neige et de vent est un roman qui se distingue par la façon dont Sébastien Vidal montre la nature déchaînée, la xénophobie et les préjugés des habitants d’un petit village de montagne, il est aussi remarquable par la qualité des personnages et de l’écriture. C’est un excellent roman noir.

Extrait :
La sidération recouvre la place. Il n’y a soudain plus un son, à l’exception du tracteur dont le moteur continue de tourner en tremblant de toute sa structure. Personne ne bouge, tout le monde espère que c’est un cauchemar et qu’il en verra bientôt le bout. Repliés dans le bar, derrière les bouleaux, retirés dans les venelles, les assaillants déchantent. Il ne s’agit plus de hurler avec la meute et de se défouler sur un individu seul et sans arme, il est question de se battre avec deux gendarmes bien armés et déterminés, qui rendent les coups. Nadia, collée au mur qui jouxte la fenêtre, observe l’extérieur tout en plaquant sur son gilet ses mains qui tremblent atrocement. Ce qu’elle vient de voir est de l’ordre de la guerre, la scène repasse en boucle dans sa tête. Elle sait, d’une manière immanente, qu’elle est déjà stockée dans un coffre de sa mémoire et qu’il sera impossible de l’en déloger, qu’elle viendra la hanter à n’importe quel moment de sa vie.

Niveau de satisfaction :
4.5 out of 5 stars (4,5 / 5)
Coup de cœur

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Civilisés – Patrick Senécal

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2024 (Alire)
Genre : Thriller
Personnage principal :
Bernard Sean, psychologue

J’ai lu tous les Senécal, sauf la série Malphas, et je continue de trouver ses récits captivants même si ses finales me frustrent parfois : j’aime bien les explications rationnelles des phénomènes apparemment incohérents ou abracadabrants. Or, Senécal nous laisse souvent dans le doute ou mieux, comme diraient les commentateurs de hockey, dans un double doute. Il lui arrive aussi de frôler le gore, qui est loin de me fasciner parce que trop facile et souvent inutile. Et bien, dans ce roman-ci, bien que le drame mis en scène soit assez effrayant, j’ai été victime d’un fou rire à quelques reprises; pas un sourire, non, un fou rire incontrôlable qui nous étouffe presque. Cela pour dire que ce Senécal mêle le cocasse, l’absurde et le drame d’une main de maître. Le charme joue à plein et on ne veut pas sortir de ce monde même si, à bien y penser, ce qui s’y passe est assez épouvantable.

Une équipe de psychologues choisit une douzaine de personnes  de 18 à 70  ans pour participer à une expérience qui rapportera à chaque participant 3 000$ au bout d’une dizaine de jours. Aucune communication avec l’extérieur ne sera autorisée (pas de téléphone cellulaire svp !). Le but est d’analyser les comportements d’un groupe hétérogène de personnes, isolées du reste du monde, face à des situations pas toujours faciles.

De fait, les douze personnes embarquent sur un bateau et on leur propose de vivre comme s’ils étaient en vacances les deux premiers jours. Madeleine, la plus âgée (62 ans) et plutôt traditionnelle,  travaille dans le textile; Laurence, la plus jeune (22 ans), est étudiante en psycho et s’efforce d’être woke, ce qui la mêle un peu; Anissa est une Arabe de 45 ans, agronome et particulièrement gaffeuse; Philomé, 43 ans, est ingénieur, noir, homosexuel, et aime bien fumer un joint de temps en temps ; Catherine est noire également; elle a 35 ans, est avocate, et se méfie des hommes, tous abuseurs en puissance; Charles-Émile, 27 ans, est un jeune comédien peu connu, incapable de supporter les conflits et le silence; Édouard est un prof de philo de 49 ans, divorcé parce qu’il aime trop les jeunes femmes; Elsa est une policière de 34 ans qui traverse une dépression suite au suicide de son frère il y a 4 ans; Frédéric-Alexandre, 40 ans, souffre d’un trouble obsessionnel et est accompagné de Patricia, son médecin; Joseph, 57 ans,  est un prêtre de la vieille école, un peu frustré de ne pas être pris au sérieux; Lucie est une écrivaine narcissique de 37 ans, qui écrit toujours sur elle-même; et Yvan est un médecin de 55 ans, plus ou moins cloué sur une chaise roulante, spécialiste des jokes de mononcle.

Après deux jours sur le bateau, on leur explique que le bateau coule et qu’ils vont se retrouver naufragés sur une île déserte. On leur fournit un minimum de nourriture et un matelas, deux pelles, une hache et un couteau : à eux maintenant de subvenir à leurs besoins; et chaque soir, ils devront voter pour éliminer un des leurs. Le « jeu » s’arrêtera quand il ne restera plus que trois personnes considérées comme la base d’une communauté idéale.

Déjà le fait de s’organiser pour construire une cabane et pour trouver de la nourriture (les collets de Madeleine, la pêche de Frédéric-Alexandre, les noix de coco et les petits fruits et légumes cueillis par Anissa) entraîne certaines tensions; le fait d’éliminer un des leurs à la fin de la journée accroît les conflits; les mauvaises nuits n’aideront pas. Mais, surtout, d’autres menaces beaucoup plus dangereuses, et imprévisibles, les poussent à bout. C’est ici qu’on retrouve le bon vieux Senécal machiavélique.

Et le rire là-dedans ? D’abord, l’auteur intervient souvent pour nous dire un mot, présenter une situation, commenter le geste d’un participant, nous tirer la pipe, nous avertir qu’on n’a pas tout vu… En un sens, ça devrait dédramatiser l’histoire qu’il raconte, et pourtant, par une étrange complicité, on est porté à jouer le jeu davantage et on prend les personnages et les scènes plus au sérieux. Par ailleurs, même si les personnages sont présentés avec minutie, l’auteur insiste sur un trait particulier de leur caractère qui nous empêche de nous lier à eux de façon inconditionnelle : les gaffes d’Anissa, incorrigible; les contradictions de Laurence qui s’efforce d’être ce qu’elle n’est pas; les malheurs d’Yvan, victime bien malgré lui; la paranoïa de Catherine qui finit par l’aveugler elle-même; la lâcheté de Charles-Émile, dont il prendra conscience trop tard; la mauvaise foi d’Édouard… Ces traits de caractère engendrent des scènes quasi surréalistes, irrésistibles. Et pourtant, ce sont ces mêmes traits qui détermineront la plupart des drames qui ne manqueront pas d’advenir.

Pratiquant ce style surprenant, Senécal s’est payé la traite; on ne s’en plaindra pas.

Extrait :
Philomé jauge son œuvre.

─ Je suis sûr que l’abri n’est pas trop petit …
─ Couchons-nous en-dessous, pour voir. Tous sauf une personne. Disons la plus petite.
─ C’est Laurence, fait Anissa.
─ Non, c’est toi, Anissa, je suis un peu plus grande que toi.
─ Un le peu, mais je être plus torche que toi.
─ Voyons, dis pas ça ! hoquette l’étudiante.
─ Torche, c’est péjoratif, explique Charles-Émile. On dit grosse.
─ Non plus ! s’énerve Laurence. Y a personne de gros ! Ni ici, ni ailleurs !
─ T’es pas au courant, Anissa ? se moque Yvan. Il n’y a plus aucune femme grosse, ou laide, ou conne. Elles sont toutes parfaites. On a de la chance, hein ?
─ C’est pas le cas de tous les hommes, on dirait, marmonne Catherine.
─ Je parle pas juste des femmes, je parle de tout le monde ! rétorque l’étudiante. (Elle revient à Anissa.) Y a personne de gros, Anissa, d’accord ? Il y a de la variété corporelle, mais personne est gros.

Niveau de satisfaction :
4.6 out of 5 stars (4,6 / 5)
Coup de cœur

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Duel – Franck Leduc

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2024 – Belfond
Genre : Thriller
Personnages principaux :
Talia Sorel, négociatrice du Raid – Gérald Mansour, chef des ravisseurs

Deux cars scolaires transportant 66 enfants partant en classe de neige ont disparu. Pas de revendications ni de demande de rançon. L’enquête de police ne donne rien. C’est la stupéfaction, comment deux cars pouvaient-ils se volatiliser en France à notre époque ? Le commissaire Thomas Shepherd est chargé de cette difficile affaire. Il est dans le brouillard le plus complet jusqu’à ce message : CE SOIR, 19 HEURES. À 19 heures précise, un homme appelle la police et la première chose qu’il exige c’est d’avoir Talia Sorel, négociatrice du Raid[i], comme interlocutrice. La deuxième exigence est 10 millions d’euros par enfant, soit 660 millions d’euros au total. Sous la pression des parents des enfants kidnappés et de l’opinion publique, une lutte serrée s’engage entre des ravisseurs parfaitement organisés et les forces de police.

La première caractéristique de ce thriller est une intrigue qui maintient un suspense permanent de bout en bout. En effet à plusieurs moments dans le déroulement du scénario, on semble s’acheminer vers une fin prématurée, on pense que l’affaire est pliée, que les ravisseurs sont faits comme des rats, c’est alors qu’un rebondissement relance astucieusement toute l’histoire. Cette bonne maîtrise de l’intrigue rend le roman addictif, c’est un vrai page-turner (ou accrolivre suivant les préconisations de la Commission d’enrichissement de la langue française). Bref, c’est un roman qui nous tient en haleine.

La deuxième caractéristique du roman est la qualité des personnages. Talia Sorel, négociatrice du Raid, est nommément demandée comme interlocutrice par le chef des ravisseurs. Ce qui interroge déjà : comment cet homme peut-il connaître une commandante du Raid dont l’identité est secrète ? Si Talia est commandante dans cette unité d’élite de la police à l’âge de 34 ans, ce n’est pas en raison de son expérience, c’est grâce à ses diplômes en sciences comportementales et en psychologie criminelle. Côté bandits, leur chef Gérald Mansour, est un homme qui a un don pour convaincre, c’est un habile manipulateur. C’est aussi quelqu’un de très organisé qui veut tout prévoir. C’est un mégalomane qui ne doute jamais de lui, la négociation avec Talia Sorel est une sorte de jeu pour lui, une confrontation des intelligences. Outre ces deux personnages principaux, les personnages secondaires, notamment le commissaire Thomas Shepherd et son adjointe Ève Melville, sont aussi intéressants.

Duel est un roman intense avec une intrigue parfaitement élaborée et des personnages charismatiques. C’est un bon thriller pour se distraire.

[i] RAID : Recherche, Assistance, Intervention, Dissuasion. Le RAID est une unité d’intervention spécialisée de la police nationale qui contribue à la lutte contre toutes les formes de criminalité sur l’ensemble du territoire.

Extrait :
Une pochette rouge sur les genoux, Talia observait l’entrée de l’immeuble désaffecté. Un kidnapping hors du commun, douze policiers tués et presque autant de blessés, soixante-six enfants pris en otage et échangés contre une rançon pharaonique, c’était du jamais-vu ! La presse se déchaînait contre la police, le Raid, les politiques et le paiement qui, même s’il n’avait pas été officialisé, ne faisait aucun doute. La République était donc à la merci du premier malfaiteur venu et, dans l’opinion, la conscience de cette vulnérabilité était un poison lent.

Niveau de satisfaction :
4.3 out of 5 stars (4,3 / 5)

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Le Bureau des Affaires occultes – Éric Fouassier

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2021 (Albin Michel)
Genres : Enquête, historique
Personnage principal :
Inspecteur Valentin Verne (Paris)

Prix Maison de la Presse 2021
Prix Griffe noire du meilleur polar historique 2021

J’ai commencé par lire Le Bureau des Affaires occultes, t. 2 : Le Fantôme du Vicaire. Et j’ai voulu savoir comment tout cela a commencé. Dans ce roman-ci, le Bureau des Affaires occultes n’est pas encore créé. Mais l’enquête menée par Valentin Verne porte sur une affaire quand même assez mystérieuse : un gentil garçon qui respirait la joie de vivre une seconde avant son geste malheureux se suicide avec un grand sourire. Dans ce roman, on retrouve, comme dans le premier, ce souci de l’auteur d’inscrire l’intrigue dans un contexte historique précis : 1830, les débuts du règne de Louis-Philippe, où se disputent encore royalistes et républicains. L’insertion historique est développée avec précision comme dans les romans de Jean-François Parot (les enquêtes de Nicolas Le Floch) avec une insistance particulière  sur l’histoire de la médecine et de la pharmacie (que Fouassier enseigne à l’université), ce qui est d’autant plus pertinent qu’au XIXe siècle criminels et policiers emprunteront beaucoup à ces disciplines.

À la Brigade de la sûreté, fondée par Vidocq, Verne est chargé d’élucider quelques morts étranges susceptibles d’ébranler le nouveau régime, tout en poursuivant sa chasse au Vicaire, cet assassin sadique et pédophile qui a toujours un pas d’avance sur lui. Fouassier nous entraîne des bas-fonds de Paris les plus délabrés jusqu’aux milieux bourgeois les plus riches et proches du pouvoir, en passant par un groupuscule républicain dont les membres se réunissent en secret au cabaret Les Faisans couronnés.

Verne, au péril de sa vie, car il réussit à échapper à cinq attentats dirigés contre lui, parvient à relier les suicides de Lucien Dauvergne et du sieur Tirancourt à un complot dirigé contre la monarchie de Louis-Philippe au profit d’une clique de républicains bien nantis. Ceux-ci jouissent d’une nouvelle arme apparemment efficace : un mélange de drogues et d’hypnose rendant aisée la manipulation d’un individu. Fouassier en profite pour nous résumer les premiers pas de la suggestion hypnotique, de Mesmer au marquis de Puységur; en même temps qu’il explique l’effet perturbateur des trois diaboliques, la belladone, la jusquiame et le datura, dont on isole l’alcaloïde à la fin du siècle : la scopolamine. On pourrait sans doute parvenir ainsi à persuader le vicomte de Champagnac, chargé d’instruire le procès des ministres de Charles X, de commettre un acte ignoble qui aurait pour effet de dresser davantage la population contre le pouvoir royal.

L’écriture agréable et l’information pertinente précise permettent au lecteur d’oublier les fils blancs qui cousent bien des scènes d’action : le duel, entre autres, et les divers attentats dont est victime l’inspecteur Verne, qui n’a pourtant rien d’un James Bond. L’intrigue capte toutefois sans effort notre attention et les multiples rebondissements nous incitent à nous tenir aux aguets. L’addition de certains personnages qui ont bien existé, comme Vidocq, le professeur Pierre Joseph Pelletier, le dramaturge Étienne Arago, le mathématicien Évariste Galois, et la danseuse Madame Saqui, dans la troupe de laquelle joue la jeune Aglaé Marceau, voisine de George Sand…,  ajoutent au réalisme de l’intrigue.

Bref, bien que dans ce premier roman d’une nouvelle série Fouassier ait rempli la coupe à ras bord, c’est un véritable plaisir de se laisser mener et même quelque peu malmener par son enthousiasme.

Extrait :
Valentin s’était déplacé l’air de rien vers le centre de la salle. Parvenu au niveau de la table d’examen, il souleva un coin du drap mortuaire pour dévoiler la tête et le tronc du gisant.
Mazette ! s’exclama-t-il. Voilà qui n’est pas banal.
Quoi donc encore ?
Avez-vous noté l’expression de son visage ?
Rigor mortis, laissa tomber le Dr Tusseau en haussant les épaules avec une apparente indifférence. Comme les autres tissus, les muscles de la face se sont rigidifiés. C’est le processus normal. Si vous avez lu Orfila, il n’y a rien là qui soit de nature à vous intriguer.
Valentin ne répondit pas immédiatement. Il ne parvenait pas à détacher son regard des traits de Lucien Dauvergne. Car ce cadavre souriait !

Delacroix, La liberté guidant le peuple, 1830

Niveau de satisfaction :
4.2 out of 5 stars (4,2 / 5)

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