Le Journal de ma disparition – Camilla Grebe

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2017 (Husdjuret)
Date de publication française :
2018 (Calmann-Lévy), 2022 (Livre de poche)
Traduction (suédois) :
Anna Postel
Genres : Enquête, sociologique
Personnages principaux :
Malin, policière – Manfred, son collègue

L’action se passe dans la ville d’Ormberg, à vingt minutes de Stockholm, désertée depuis que les principales industries ont été vendues et relocalisées. Restent quelques vieilles familles et des immigrés qui ont été logés dans des centres d’accueil. Malin et ses amis, il y a huit ans, ont découvert dans la forêt qui entoure la ville, le cadavre d’une jeune fille en grande partie enterrée. À l’époque, l’enquête n’avait pas donné grand-chose.

Aujourd’hui, on reprend l’enquête. Se joint à Manfred, Peter et Hanne (qui apparaissent dans les œuvres antérieures), la jeune Malin, devenue policière, parce qu’Ormberg est la ville où elle a vécu depuis toujours. Une nouvelle victime est retrouvée là où la première avait été enterrée. Puis, Peter disparaît et Hanne est découverte hagarde et amnésique. Un seul témoin, le jeune Jake, met la main sur le journal que tenait Hanne pour conserver des brins de son passé, et entreprend de le lire. Il comprend à peu près ce qui s’est passé mais hésite à se confier à la police parce que, lorsque Hanne et lui se sont entrevus, il était habillé et maquillé en femme, comportement qui lui fait honte. Tout le monde est interrogé. Le seul qui se doute de la réalité véritable et qui comprend qu’on cherche maintenant à se débarrasser de Hanne est Jake, qui n’est pas personnellement équipé pour intervenir avec succès.

Selon son habitude, Grebe confie à certains de ses personnages le soin de raconter l’histoire : Jake, Malin et Hanne. Les suspects se multiplient, plusieurs histoires se recoupent et un bon nombre de petits mystères entretiennent notre attention. Par ailleurs, c’est un polar, aucun doute, mais la portée éthico-politique est importante. Parlant des immigrés de Bosnie qui habitent le refuge, Andreas dit à Malin : « Tu aurais pu être celle qui fuit la guerre et la famine ». Et Grebe commente : « C’est ce message simple, mais essentiel, que je veux transmettre à travers mon roman ». Le roman est long mais il vaut mieux le lire assez rapidement pour être capable de retenir tous les fils. Et, en fin de compte, notre patience est récompensée.

Extrait :
À qui dois-je me fier ? La situation est bien trop absurde : je me trouve au sommet d’un mont, au milieu des bois, avec de la neige jusqu’aux genoux, flanquée de deux personnes que je ne connais ni d’Ève ni d’Adam.

L’histoire du garçon est invraisemblable, et j’ignore tout ce qui est arrivé à Peter. Il a pu être victime d’un crime. Mais qu’il ait été assassiné ? (…)
Tournant le visage vers la femme, je croise ses petits yeux ronds.
Pourquoi m’a-t-elle traîné au bord de cet abysse ? Peut-il y avoir une once de vérité dans les allégations de cet adolescent ?
La femme s’adresse à moi d’une voix douce, comme si elle parlait à un enfant :
─ Hanne. Vous l’entendez vous-même, ce qu’il raconte est aberrant.
Le garçon me tire par un bras, la femme par l’autre. Je dérape dans la neige.
Lentement, nous approchons du bord de la corniche.

Corniche de neige

Niveau de satisfaction :
4.5 out of 5 stars (4,5 / 5)

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Au bord du précipice – Robert Cappadoro

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2023 – Éditions Ex Æquo
Genres : thriller, romance
Personnage principal :
Arnold Clerc, écrivain et père d’un fils travailleur humanitaire tué en Syrie

Arnold Clerc, soixante ans, écrivain, est dévasté et en colère : son fils, travailleur humanitaire, a été pris en otage et assassiné par des membres de l’État islamique en Syrie. C’est d’autant plus absurde que le garçon participait à un programme d’éducation pour les enfants syriens. Pour répondre à sa façon, Arnold prend en otage sa femme de ménage musulmane et sa fille âgée de six mois. Tout en précisant qu’il n’a rien contre cette femme et le bébé ni contre les musulmans en général, il veut montrer que les prises d’otages des islamistes et leurs assassinats d’innocents sont absurdes. Démonstration par l’absurde d’un comportement absurde. Arnold exige que la vidéo dans laquelle il s’explique soit diffusée sous quarante-huit heures par huit des plus grandes chaînes de télévision sur la planète. S’il n’obtient pas satisfaction, il se fera exploser en compagnie de sa femme de ménage et de son bébé. Décision aussi risquée que résultat incertain.

Ce roman est un curieux mélange de thriller et de romance. Car Arnold en plus de sa prise d’otages et de ses revendications tient à raconter à son fils mort son impossible histoire d’amour entre lui, Occidental athée, et une musulmane trente ans plus jeune que lui. Il a élevé un autel chez lui à la mémoire de son fils et régulièrement il se met face à un grand portrait du fils, il allume une bougie et il lui parle. Il lui raconte notamment la grande passion qu’il a éprouvée pour Radhia, une musulmane, jeune et pratiquante. Cette construction qui permet de faire entrer l’histoire d’amour dans l’intrigue me paraît quelque peu artificielle.

Ce cérémonial du portrait et de la flamme se répète si souvent que le roman en devient verbeux au détriment de la partie thriller de la prise d’otages. D’autant plus que l’auteur en profite pour nous donner son opinion sur les religions, la musulmane en particulier. C’est certes intéressant, mais j’ai trouvé qu’Arnold était bavard, probablement frappé par la déformation professionnelle de l’écrivain. Même au milieu de l’action, face aux hommes du Raid, Arnold trouve le moyen de philosopher sur ce qu’il appelle les « trous », c’est-à-dire les imprévus de la vie, sur la réalité et les illusions aussi. Arnold tient à faire savoir qu’il ne veut pas se venger, il veut démontrer l’absurdité de la mort de son fils. Il s’étonne de ne pas être compris par la majorité de la population.

Cependant, l’auteur arrive bien à captiver le lecteur, le roman est prenant tout en n’ayant pas la noirceur et le suspense qu’on trouve généralement dans ce genre de livre. Il y a beaucoup de bons sentiments, mais on appréciera l’ouverture d’esprit et l’humanisme de l’auteur. En outre le ton chaleureux et spontané donne au livre un aspect rafraîchissant bien agréable.

Cette fiction hybride, entre thriller et roman sentimental, a de grandes chances de satisfaire un large public, mais les amateurs de littérature noire seront peut-être un peu agacés par la couleur rose qui imprègne beaucoup ce roman plein d’amour et de tendresse.

Extrait :
— Je m’appelle Arnold Clerc. Je suis français, j’ai soixante ans. Le soi-disant État Islamique en Syrie a pris en otage mon fils, Mathias, qui était travailleur humanitaire dans ce pays où il participait à un programme d’éducation pour les enfants. Puis ils lui ont tranché la tête. Et moi, pour leur répondre, j’ai pris en otages Madame Leila Boualem, ma femme de ménage, et sa fille Nadira, âgée de six mois. Les islamistes ont pris en otage et tué un innocent qui n’avait rien fait d’autre qu’être occidental et moi, pour leur répondre, j’ai pris en otages deux innocentes qui n’ont rien fait d’autre qu’être musulmanes. Ce que j’ai fait est absurde. M’en prendre à ces deux innocentes est absurde. Je ne l’ai pas fait parce que je voulais me venger, mais justement parce que c’était absurde, pour agir comme les islamistes afin de montrer que leurs prises d’otages et leurs assassinats d’innocents sont absurdes et pour crier qu’ils doivent y mettre fin. Je n’ai absolument rien contre cette femme et cette petite fille, je ne demande pas mieux que de les relâcher. Je n’ai rien contre les musulmans. Je n’en ai pas après l’islam, mais après ceux qui croient juste de tuer des innocents au nom de leur Dieu. Surtout quand ces innocents viennent aider leurs enfants.

Niveau de satisfaction :
3.8 out of 5 stars (3,8 / 5)

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Déshonneur au Camp 133 – Wayne Arthurson

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2021  (Dishonour in Camp 133)
Date de publication française :
2023 (Alire)
Traduction (anglais Canada) :
Pascal Raud
Genres : Enquête, historique
Personnage principal :
Sergent Neumann

Ce n’est pas indispensable d’avoir déjà lu Les Traîtres du Camp 133 (cf. mon compte rendu publié ici le 30 0ctobre 2018) pour s’aventurer dans cette deuxième enquête du sergent Neumann, qui se passe aussi au Camp de prisonniers allemands, près de Lethbridge en Alberta. Nous sommes en décembre 1944, donc six mois plus tard, et ça sent la fin de la guerre. Nous retrouvons les mêmes personnages principaux, dont le sergent Neumann, chef de la sécurité civile du Camp et le caporal Aachen, son fidèle adjoint. Les deux sont plus ou moins remis de leurs contusions survenues au moment de l’enquête sur l’assassinat du capitaine Mueller. Ils doivent maintenant élucider un nouveau meurtre : qui a tué le chef cuisinier Splichal d’un coup de couteau dans le dos, et pour quelle raison ?

Neumann se doutait depuis un bout de temps que Splichal manigançait quelque chose, détournement de marchandises par exemple. Cette hypothèse n’est pas facile à vérifier parce qu’aussi bien les autorités canadiennes que certains haut placés allemands lui mettent les bâtons dans les roues. Ce qui l’amène à penser que l’éventuel trafic de marchandises est peut-être l’arbre qui cache la forêt. De fait, Neumann ne l’aura pas facile, d’autant moins qu’il aime bien se tirer d’affaire tout seul. Contre un lieutenant SS impitoyable et contre un sergent allemand qui manipulait une grande partie des prisonniers par la violence et le chantage, Neumann sera contraint de recourir à la violence lui aussi. Une violence définitive.

L’enquête précédente de Neumann se déroulait dans un contexte historique peu connu, celui des camps de prisonniers allemands en Alberta au cours de la Deuxième Guerre mondiale. D’où un intérêt certain pour cette tranche d’histoire inusitée où plus de 10 000 prisonniers allemands sont  détenus dans un camp, encadrés par un certain nombre de soldats canadiens. L’auteur accorde autant d’importance aux relations entre les hommes qu’à l’enquête proprement dite. Son approche est nuancée, humaniste, loin de la mystique du western. L’enquête elle-même fait plus penser à des polars d’action qu’à des œuvres où brille le génie du policier.

Extrait :
Neumann espéra que les Canadiens comprendraient et sauteraient le comptage du matin. La guerre tournait en leur faveur et la plupart des prisonniers ayant accepté que l’Allemagne allait perdre à court terme, les gardes étaient un peu plus laxistes dans les horaires. Il y avait toujours des comptages, mais pas chaque jour. Et il n’y avait eu aucune tentative d’évasion depuis plusieurs semaines. Il savait que, même s’il existait toujours officiellement, le Comité d’évasion se réunissait rarement. Personne ne creusait plus de tunnels sous les baraquements.
Il faisait froid dehors, avec un vent mordant, mais Neumann l’accueillit avec plaisir. La fraîcheur de ce matin d’hiver l’aidait à éclaircir un peu ses idées, aussi respira-t-il profondément pour apporter le maximum d’oxygène dans ses poumons. Lorsqu’il entra dans le mess, son mal de tête avait presque complètement disparu et sa nausée s’était transformée en faim.

Camp 133

Niveau de satisfaction :
4 out of 5 stars (4 / 5)

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Trust – Hernan Diaz

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2022 (Trust)
Date de publication française :
2023 – Éditions de l’Olivier
Traduction (américain) :
Nicolas Richard
Genres : roman sociétal, thriller financier
Personnages principaux :
Benjamin Rask, magnat de la finance – Helen Brevoort, fille d’aristocrates et surdouée en mathématiques – Ida Partenza, confidente et plume de Benjamin Rask

Prix Pulitzer 2023

Benjamin Rask, héritier d’une famille qui s’est enrichi dans le commerce du tabac, devient financier de haut vol. Le krach de l’année 1907 provoque l’effondrement de la bourse et la faillite de beaucoup d’établissements financiers, mais Rask en profite pour augmenter sa fortune. Il devient une référence mondiale de la finance. De son côté, Helen Brevoort suit une éducation originale conçue par son père. Elle a une mémoire phénoménale et un don pour les mathématiques. Helen et Benjamin ont en commun d’être des solitaires et des taiseux, c’est ce qui les attire l’un vers l’autre quand ils se rencontrent. Ils se marient et à partir de ce moment les affaires de Benjamin Rask deviennent encore plus florissantes. La crise financière de 1929 ruine beaucoup de monde alors que Rask en tire des bénéfices considérables. Les succès de ce génie de la finance lui valent l’admiration, mais aussi de la jalousie et des ressentiments. Pendant ce temps, son épouse Helen s’implique dans de nombreuses œuvres philanthropiques, elle soutient des hôpitaux, des musées, des bibliothèques, des universités et des clubs sportifs. Benjamin et Helen deviennent des créatures mythiques de la société new-yorkaise, mais tous les deux n’y accordent pas la moindre importance. Tout va pour le mieux jusqu’à la maladie d’Helen.

Le roman repose sur une construction originale et étonnante. Il est composé de quatre livres différents : une fiction, une autobiographie, une enquête et un journal. Chaque livre a un auteur différent. Le passage de la première à la deuxième partie est si brutal qu’on se demande si l’éditeur n’a pas fait une bévue en mélangeant deux ouvrages qui n’ont rien à voir ensemble. D’autre part, chaque partie modifie la perception que l’on a acquise dans la partie précédente et la dernière partie remet en cause l’image que l’on s’est faite des principaux personnages. Cette composition déroute souvent le lecteur, mais maintient un intérêt sans cesse renouvelé.

Le cadre du roman c’est les États-Unis dans les années de 1900 à 1930. L’auteur nous immerge dans le monde de l’argent et de la bourse. À une période de prospérité et d’enrichissement succède un krach qui ruine les gens. De rares individus, comme Rask, réussissent à en sortir plus forts. En outre Rask est convaincu et essaie de convaincre les autres que ses intérêts personnels convergent avec ceux de la nation. Il se voit comme le sauveur de la patrie. L’auteur montre la puissance de l’argent qui influence la plupart des interactions sociales, aux États-Unis plus qu’ailleurs. L’argent est aussi une fiction, affirme Rask : on ne peut pas le manger ou s’en vêtir, mais il remplace toute nourriture et tout vêtement du monde.

Hernan Diaz montre aussi la force du récit : la façon dont une histoire est racontée influence considérablement l’opinion de ceux qui la lisent. Ainsi Rask n’est pas satisfait du roman d’un auteur qui retrace sous forme de fiction sa vie et celle de son épouse Helen. Il décide alors de se faire écrire son autobiographie pour mettre en avant son mérite et les bienfaits de son action. Finalement c’est la fiction qui s’avère la plus proche de la vérité.

Les personnages principaux sont en constante évolution. Rask, le brillant financier n’est pas exactement ce qu’il paraît être, pas plus que la gentille et généreuse Helen. Tous les deux avancent masqués. Seuls, Ida, la jeune femme qui réussit à se faire embaucher par Rask, et son père immigré italien, typographe et anarchiste, sont réellement des personnes authentiques.

Roman foisonnant, aux multiples facettes, à la construction originale, Trust est le portrait d’une Amérique des années 1930 soumise aux puissances de l’argent. C’est aussi un roman sur la tromperie des apparences. Roman virtuose mais souvent déroutant.

Extrait :
Chaque homme et chaque femme se sentait en droit de prendre part à la prospérité qui régna au cours des dix années suivant la guerre et de profiter des miracles technologiques qui l’accompagnèrent. Et Rask contribuait à alimenter cette idée de possibilités illimitées en créant de nouveaux établissements de crédit et des banques qui fournissaient de l’argent liquide à des conditions alléchantes. Ces banques (entre lesquelles d’occasionnelles rivalités fictives étaient entretenues pour attirer les clients) ne ressemblaient nullement aux augustes institutions de marbre, avec leurs employés aux chemises amidonnées qui avaient intimidé les clients pendant des générations. C’étaient au contraire des lieux accueillants avec des caissiers chaleureux – et il y avait toujours moyen d’obtenir un prêt pour une automobile, un réfrigérateur ou un poste de radio. Rask se lança aussi dans le financement de lignes de crédit et de plans de versements échelonnés en partenariat avec des magasins et des fabricants, afin qu’ils puissent proposer ces options de paiement directement à leurs clients. Ces dettes innombrables et parfois insignifiantes (contractées auprès de services de prêt, de banques plus modestes et de diverses entreprises de crédit lui appartenant) étaient regroupées sous forme de valeurs mobilières, lesquelles étaient ensuite négociées en Bourse. Il voyait, en bref, que la relation avec le consommateur ne se terminait pas avec l’achat d’une marchandise ; il y avait davantage de bénéfices à tirer de cet échange.

Niveau de satisfaction :
4.3 out of 5 stars (4,3 / 5)

 

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Le mois des morts – Chrystine Brouillet

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2023 (Druide)
Genres : Enquête, sociologique
Personnage principal :
Maud Graham, policière

C’est la vingt et unième enquête de Maud Graham. Indépendamment de l’enquête policière, le lecteur doit s’attendre à devoir se familiariser avec les collègues et les amis de Maud. Ça fait bien du monde. Mais c’est précisément entre eux que se déroulent les conversations et réflexions qui élaboreront les principales hypothèses. Grâce à eux aussi qu’on continuera à se familiariser avec les meilleurs restaurants de Québec et les plus récentes inventions culinaires de Grégoire.

Malgré l’importance accordée au développement des relations amicales autour de Maud et malgré le souci de témoigner contre la répression de l’homosexualité et la violence faite aux femmes,  une véritable intrigue policière se déroule à deux niveaux : d’abord, on recherche un arnaqueur et beau parleur, André Roy, qui a charmé et extorqué de petites fortunes  à un grand nombre de jeunes femmes; on finira peut-être par le rattraper, du moins en partie. Puis, l’enquête principale se déroule autour du parvenu réactionnaire Marc-Aurèle Jutras : son fils Jacob disparaît; Lucien, l’ami de Jacob, est dangereusement visé, mais il semble que ce soit une de leurs connaissances qui fréquentait le refuge Lauberivière, Mathis Godin, qui sera atteint. Pendant ce temps, un vieil ami de Marc-Aurèle, est victime d’un cancer du pancréas, mais paraît défaillir prématurément. Nombre de discussions entre Maud et ses amis seront nécessaires pour que ces possibilités s’éclaircissent.

Les enquêtes de Maud Graham constituent une véritable saga. On n’entre pas de plain-pied dans une intrigue; on s’immerge plutôt dans l’univers très québécois (la ville) de Maud et on est témoin de son sentiment de culpabilité qui l’assaille souvent, de son maternalisme par rapport aux jeunes agents de police, de ses amitiés, parfois de son amour (mais dans ce roman Alain est le plus souvent absent), et de ses heureuses intuitions. Certains trouveront que ça ralentit l’action. D’autres estimeront que ça rend la situation plus réaliste. En étant devenue célèbre par ses intrigues bien ficelées, Brouillet accorde de plus en plus d’importance à des causes qu’elle souhaite défendre : contre la violence faite aux femmes, contre la répression des homosexuel(le)s, pour la régression de l’itinérance, pour la suppression des drogues dures et mortelles comme le fentanyl.

Extrait :
Maud Graham aurait dû refuser de suivre Tiffany McEwen au marché de Noël après leur rencontre avec Jacob chez Denis Dupuis, mais sa collègue avait insisté. Elles devaient se changer les idées, oublier ne serait-ce qu’une heure tout ce qu’elles avaient entendu dans la journée, Elles avaient besoin de recul, elles grignoteraient des bretzels et des pâtisseries, boiraient du vin chaud et rentreraient ensuite chacune chez elles. De toute manière, elles n’allaient pas traîner Jacob au poste de police pour enregistrer ses déclarations ni le confronter à Marc-Aurèle Jutras. Celui-ci n’avait pas bougé de l’avenue De Bourlamarque, Jacob était maintenant à l’abri, et le mieux qu’elles pouvaient faire était de respirer l’air froid à pleins poumons, de s’oxygéner le corps comme l’esprit (…) L’image d’un bretzel croquant, chaud, saupoudré de sel avait balayé la résistance de Maud. Et la joie que suscitait le marché allemand en plein cœur de Québec l’apaisait après ces mois de pandémie. Les gens avaient besoin de gaieté et, même si des travaux d’envergure compliquaient l’accès au marché, personne n’allait bouder ce plaisir, se priver de cette ambiance festive, de toutes ces lumières vives qui invitaient les passants à s’arrêter aux étals qui regorgeaient de tentations salées et sucrées.

Lauberivière

Niveau de satisfaction :
4 out of 5 stars (4 / 5)

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La nuit des fous – Anouk Shutterberg

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2023 – Éditions Récamier
Genres : Enquête, Thriller
Personnages principaux :
Élise, jeune femme atteinte d’une grave maladie – le commandant de police Stéphane Jourdain

Mai 2022, ville de Dole, dans le Jura.
Sur un chantier d’un promoteur immobilier, une pelleteuse déterre cinq caisses de bois. À l’intérieur de chaque caisse se trouve un cadavre dont le corps a été façonné dans une pause particulière à l’aide d’un gros fil de fer, les têtes sont orientées dans un même sens. Il semble que le tueur ait voulu délivrer un message. L’autopsie révèle que la mort remonte entre 1973 et 1975. Le commandant Stéphane Jourdain est chargé de cette enquête particulièrement difficile à cause de l’ancienneté des faits.
Pendant ce temps, Élise, jeune femme atteinte d’une grave maladie ankylosante, se rend à l’hôpital pour assister à la mort de son père, qui, avant de mourir, lui demande de prendre contact avec sa sœur, la tante d’Élise, dont celle-ci ignorait l’existence. Élise fait connaissance de sa tante Jeanne qui est ravie de retrouver une nièce perdue de vue. Le courant passe bien entre les deux femmes, les contacts se multiplient, puis petit à petit, s’installent le doute et la méfiance.

L’intrigue reprend la recette éprouvée du thriller du tueur en série : on découvre par hasard une ou plusieurs victimes avant de s’apercevoir que d’autres ont subi le même sort et que bien sûr, comme dans tout roman de ce genre, le tueur a laissé un message. Vieille recette donc, mais traitée d’une façon personnelle : – il y a une sorte d’escalade dans l’horreur, une scène en particulier, vraiment horrible, n’a été ajoutée que pour impressionner le lecteur, elle n’est pas du tout indispensable – les protagonistes, quand ils ne sont pas complètement cinglés, sont fragiles et vulnérables – le message du meurtrier est assez hermétique et totalement invraisemblable.

Les personnages principaux sont la jeune Élise et le commandant de police Jourdain. Tous les deux sont en position de faiblesse : Élise est handicapée par sa maladie, elle a mal partout, se déplace difficilement. Il n’y a qu’une chose qu’Élise fait sans douleur et même avec plaisir, c’est baiser. C’est comme ça qu’elle se retrouve enceinte alors que les médecins lui avaient affirmé qu’avec sa maladie c’était impossible. Être enceinte avec son handicap va lui compliquer encore plus la vie. Le commandant Jourdain, lui, est dépressif et il culpabilise, il se sent responsable de la mort de sa fille. Il est souvent perdu dans des pensées noires et absent. Heureusement qu’il a une équipe efficace qui fait le boulot pour lui et le ramène à la réalité. Côté « méchants », ce sont des malades mentaux qui ont été détruits par les épreuves subies dans leur jeunesse. On apprend aussi qu’il faut se méfier des mauvais joueurs (dans tous les sens du terme) de scrabble. Ce jeu tient une place importante dans cette histoire.

Malgré une intrigue conventionnelle, l’autrice a réussi à donner à ce roman une patte personnelle qui va dans le sens du toujours plus : plus de violence, d’horreur, de folie. Mais la recherche du spectaculaire et du sensationnel se fait au détriment de la rigueur. Le titre du livre reflète parfaitement son contenu.

Roman rythmé, plein d’action et de suspense, La nuit des fous ravira surtout les amateurs de thrillers haletants prêts à accepter toutes sortes d’invraisemblances pourvu qu’ils aient leur dose de frissons.

Extrait :
Une scène morbide et malsaine.

Devant eux, un tronc puissant, accidenté de multiples excroissances. Autant d’anciennes vierges avalées par l’arbre au fil des ans. Mais ce ne sont pas ces détails qui les glacent.
Non.
Comme fondues, prêtes à être digérées, des chairs flasques font désormais partie du végétal. L’arbre semble avoir déjà commencé à aspirer la putréfaction.
Le corps est dénudé, la poitrine et le ventre devenus informes par la vieillesse sont à l’image du végétal. Flétri, le cadavre se tient pourtant parfaitement droit, enlacé par une corde épaisse qui remonte des chevilles aux épaules.
Comme si le meurtrier avait voulu figer sa victime pour l’éternité.
Qu’elle reste debout face à la sentence du Créateur.
Dernier détail morbide : la tête manque.

Autant d’anciennes vierges avalées par l’arbre au fil des ans (Photo incluse dans le livre).

Niveau de satisfaction :
3.9 out of 5 stars (3,9 / 5)

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Son nom sur la liste – John Grisham

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2021 (The Judge’s List)
Date de publication française :
2023 (J-C Lattès)
Traduction (américain) :
Carole Delporte
Genres : Enquête, judiciaire
Personnage principal :
Lacy Stoltz, Bureau de l’Inspection Judiciaire (BIJ)

Je connais Grisham surtout par les films qu’il a inspirés (La Firme, avec Tom Cruse, L’Affaire Pélican, avec Julia Roberts, Le Client, avec Susan Sarandon…). Depuis plus de trente ans, il publie un roman par année. Grâce à sa formation d’avocat, il est bien placé pour écrire des romans judiciaires. Lacy Stoltz s’ennuie au Bureau de l’Inspection Judiciaire. Une femme mystérieuse, Jeri Crosby, s’adresse à elle : depuis 20 ans, elle traque un juge au-dessus de tout soupçon qui aurait assassiné une douzaine de personnes dont son père. Pas de preuves évidentes, mais une façon de procéder identique. La police de plusieurs États où ces crimes auraient eu lieu a plus ou moins abandonné les enquêtes. Mais Jeri Crosby a amassé des centaines de documents, depuis 20 ans, pour montrer la ressemblance entre tous ces crimes et pour trouver un lien entre les victimes et le juge en question. Lacy est loin d’être convaincue mais Jeri la harcèle littéralement. La fonction du BIJ est justement d’examiner les cas de magistrats contre qui on aurait porté plainte.

Finalement, Lacy décide de voir les choses de plus près. Pendant ce temps, le juge apprend qu’on enquête sur les meurtres qu’il a commis. Il retrace Jeri et inscrit son nom sur sa liste. Jeri le recherche pour lui empoisonner la vie; le juge la recherche pour se débarrasser d’elle. Il la capture et donne rendez-vous à Lacy. Lui qui a toujours été favorisé par la chance se heurtera à quelques beaux hasards.

L’histoire est bien composée et c’est intéressant de voir les deux adversaires se rechercher l’un l’autre. Les personnages sont bien définis sans être pour autant très attirants : Jeri est obsédée et harcelante; Lacy se réfugie souvent dans la procrastination.  Comme dans bien des romans contemporains, le rôle joué par les espions électroniques me paraît trop important et contribue à limiter la force du thriller. On se retrouve plutôt face à une sorte de document sur le fonctionnement de la magistrature américaine.

Travail impeccable, donc, que j’aurais le goût de qualifier d’académique.

Extrait :
Le lendemain matin, Lacy convoqua les employés dans la salle de conférences et leur annonça qu’elle prenait la direction du BJC pour les mois à venir. La nouvelle enchanta tout le personnel, et pour la première fois depuis des mois, des sourires éclairèrent les visages. Elle mit en place plusieurs nouvelles règles : 1) Travaillez de chez vous tant que vous le souhaitez du moment que le boulot est fait; 2) Les vendredis après-midi d’été sont chômés tant que tout le monde est joignable par téléphone; 3) Pas de réunions du personnel à moins d’une absolue nécessité; 4) Création d’un fonds mutualisé pour acheter du bon café; 5) Abolition de la règle de la porte ouverte; 6) Une semaine supplémentaire de congé, officieusement. Elle leur promit aussi de chercher des financements et de réduire le niveau de stress.

Double-demi-clé

Niveau de satisfaction :
4.1 out of 5 stars (4,1 / 5)

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L’enfant rivière – Isabelle Amonou

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2023 – Éditions Dalva
Genres : dystopie, roman noir
Personnage principal :
Zoé, mère d’un garçon disparu

Zoé et Thomas étaient mariés, ils avaient un fils Nathan. Un jour Nathan a disparu, alors qu’il était sous la surveillance de sa mère. Zoé l’a quitté des yeux à peine quelques minutes lorsqu’elle était occupée à peindre la coque de son bateau. La police a enquêté sans résultat. Les parents ont continué la recherche pendant des mois, sans retrouver l’enfant. Le couple n’a pas résisté à ce drame, Thomas s’est installé en France alors que Zoé est restée dans la marina qu’ils occupaient à Deschênes dans la province du Québec. Six ans après, Thomas est de retour au Québec, pour régler les formalités après le décès de son père. Il ne peut s’empêcher de se demander si chaque garçon d’une dizaine d’années qu’il aperçoit ne serait pas son fils et d’être irrésistiblement attiré vers la marina de Deschênes. Pourtant Zoé et Thomas sont devenus chacun pour l’autre non seulement des inconnus, mais des personnes hostiles, se rejetant la responsabilité du drame. Ils oscillent en permanence entre attirance réciproque et répulsion.

Le cadre de ce roman est le Québec, entre Gatineau et Ottawa, le long de la rivière des Outaouais, qui sépare le Québec et l’Ontario. Nous sommes en 2030, tout a changé. Les tempêtes, les inondations et la canicule se succèdent, le changement climatique s’est accéléré. Les États-Unis ont été dévastés par la guerre civile et le dérèglement du climat. Les Américains se réfugient en masse au Canada qui ne peut pas faire face à un tel afflux de migrants. Le gouvernement a décidé d’envoyer en Alaska tous les Américains qui ont réussi à migrer au Canada. Un mur a été érigé entre le Canada et l’Alaska pour qu’ils ne s’échappent pas, une fois qu’ils seront bouclés là-bas. Des gamins qui ont perdu leurs parents se sont réfugiés dans les forêts, se sont regroupés, ont appris à chasser, pêcher, cueillir, voler et tuer. Ces enfants perdus, en bandes plus ou moins organisées, sont imprévisibles, instables et souvent dangereux.

Zoé est née d’une mère algonquine et d’un père descendant français. Elle fonctionne à l’instinct, ce qui lui permet de sentir les animaux de la forêt avant de les voir, les maladies avant qu’elles surviennent, les orages avant qu’ils éclatent. Zoé sent que son fils n’est pas mort, elle sait qu’il est vivant et rien ne peut la convaincre du contraire, elle continue donc de le chercher. Son drôle de métier lui permet de conjuguer ses recherches et son emploi : elle est chasseuse de prime. Elle est payée par le gouvernement pour capturer des enfants qui vivent dans les forêts et les remettre ensuite aux autorités qui les envoient ensuite dans des pensionnats. En fait, Zoé espère retrouver son fils parmi ces enfants sauvages. Zoé est habitée d’une violence due à sa jeunesse au sein d’une famille dysfonctionnelle, père incestueux, mère alcoolique, sœur intellectuellement déficiente et un frère qui est parti en claquant la porte. Seul, Thomas, son mari, a su lui apporter un peu d’apaisement et de quiétude. C’était avant la disparition de Nathan.

La belle écriture de ce livre, imagée et précise, facilite la lecture et la rend agréable.

Dans une ambiance d’un monde en train de s’écrouler, l’histoire d’une mère qui cherche obstinément à retrouver son enfant disparu il y a six ans nous tient en haleine tout au long de ce beau roman.

Extrait :
Il y avait quelques centaines de milliers de gosses perdus à travers le pays. Les gouvernements, Canada et Québec, essayaient de les disperser, car il était dangereux de les laisser survivre en bandes. Les flics ne suffisant pas, ils embauchaient des chasseurs de primes. Qui les remettaient aux autorités.

— Des chasseurs de primes ! Bon Dieu, on se croirait dans un vieux Sergio Leone. Et tu trouves ça normal ?
— Non, je ne trouve pas ça normal, je t’explique. Pourquoi le gouvernement en est arrivé à employer des gens comme Zoé.
Thomas secoua la tête.
— Comme au bon vieux temps, hein. Les chasser et les vendre. Comme des bêtes. L’histoire bégaye. C’est dégueulasse. Elle les vend et ils les collent dans des pensionnats, comme les autochtones au siècle passé. Comme sa propre mère ! C’est juste monstrueux. Est-ce qu’on leur apprend le français de force, dans les pensionnats ?
— C’est probable.

Enfants sauvages

Niveau de satisfaction :
4.4 out of 5 stars (4,4 / 5)

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Le dernier manège – Guillaume Morrissette

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2022 (Saint-Jean Éd.)
Genre : Enquête
Personnages principaux :
sergent Antoine Déry et sergente Emma Teasdale

Dans un roman d’enquête, pour éviter la lourdeur et la banalité d’une suite d’interrogatoires, l’auteur s’arrange habituellement pour intercaler quelques intrigues secondaires, multiplier quelques apparents mystères ou  prêter à l’enquêteur des qualités rares ou une personnalité captivante. Rien de tel chez Morrissette, qui semble vouloir relever le défi d’intéresser le lecteur avec une succession d’interrogatoires qui, pour la plupart, ne mènent pas à grand-chose, et en mettant en scène deux inspecteurs bien ordinaires. Dans mon cas, ça n’a pas tellement marché et je me suis plutôt ennuyé, comme ce fut le cas dans les deux romans précédents, alors que, il y a une dizaine d’années, je considérais Morrissette comme un de nos plus grands écrivains de polars québécois.

L’action se passe dans un ranch isolé de la région de Varennes. On découvre le cadavre d’un homme dans une stalle : Pascal Gauthier, ex-champion de reining, discipline de compétition d’équitation de western où le cheval est dressé pour accomplir certaines figures (cercles grands et petits, rapides et lents, changements de pied, pivots rapides, arrêts nets), alors que les rênes du cavalier sont tenues d’une seule main et sans tension. Il s’occupait de conseiller les cavalières qui confiaient leur cheval à ce ranch, donnait un coup de main pour dresser les chevaux et, selon les rumeurs, aimait bien également passer du temps avec quelques jeunes écuyères.

Les enquêteurs appliquent la méthode : « On va parler avec tout le monde jusqu’à tant qu’on trouve qui a fait ça ». Ça implique beaucoup de monde et le lecteur est un peu perdu d’autant plus que l’auteur appelle chaque témoin tantôt par son prénom et tantôt par son nom de famille. Chacun a quelque chose à cacher et on n’en finit plus de vérifier les alibis. Les policiers ne manifestent pas de qualités particulières : Emma, plus nuancée, calme l’impulsivité d’Antoine, souvent irrité par une réponse qu’il ne désirait pas ou fasciné par une paire de fesses.

On est presque rendu à interroger les chevaux lorsqu’on découvre, plutôt par hasard, un élément qui livrera la solution aux policiers.

Extrait :
Être enquêteur, c’est comme peinturer, explique Déry. Y a des bouts qui vont vite, d’autres qui sont plus durs. Et t’es obligé de passer partout. Tout le monde finit par parler, tôt ou tard, rappela-t-il d’un ton désinvolte. À un certain moment, il reste une, deux personnes de suspectes. Et là, on ne les lâche plus. C’est pas comme ce que vous voyez dans les films. Comme là, en ce moment, y a peut-être une de vous trois qui sait quelque chose et qui  me l’a pas dit.
Les femmes se regardèrent, suspicieuses, pendant quelques secondes, avant d’éclater de rire. Heureusement que la conjointe de Gauthier n’était pas dans les parages, elle aurait sans doute passé le tracteur en plein centre de la table. Antoine ne riait pas. Il profitait certainement du moment pour se rincer l’œil, mais il avait surtout l’intention de délier les langues.

Niveau de satisfaction :
3 out of 5 stars (3 / 5)

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Objectif Zéro – Anthony McCarten

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2023 (Going Zero)
Date de publication française :
2023 – Éditions Denoël
Traduction (anglais Nouvelle-Zélande):
Frédéric Brument
Genres : Thriller, technopolar, espionnage
Personnages principaux :
Kaitlyn Day, bibliothécaire et participante au bêtatest Objectif Zéro – Samantha Crewe, infirmière – Cy Baxter, patron du réseau WorldShare et de la société Fusion

Ils sont dix candidats au Bêtatest Objectif Zéro. Cinq civils représentatifs et cinq professionnels. Le but du jeu est de disparaître complètement pendant un mois. Le jour J, ils auront deux heures pour s’évaporer avant que les équipes de recherche ne se lancent à leur poursuite. Ceux qui, après trente jours, n’auront pas été arrêtés, empocheront une prime de trois millions de dollars. Le test est piloté par Fusion, une entreprise privée, en partenariat avec le gouvernement des États-Unis et la CIA en particulier. Il s’agit de démontrer que personne ne peut se soustraire à une recherche menée par des équipes utilisant les moyens d’information et de surveillance développés par Fusion. Si le test est probant, cette boîte bénéficiera d’un financement gouvernemental. Aussi elle déploie les gros moyens pour débusquer les candidats : ordinateurs puissants, drones, toutes sortes de caméras, de capteurs, des algorithmes de reconnaissance faciale, d’analyse de la démarche … Cy Baxter, patron de Fusion est très confiant : personne ne leur échappera.

L’intrigue comporte deux phases distinctes. Dans la phase I, la société Fusion recherche les dix participants qui essaient de se cacher. Elle arrive à les arrêter tous, sauf la candidate Zéro 10 qui leur donne du fil à retordre. Bizarrement, c’était pourtant celle qui paraissait la moins armée pour gagner, c’est une simple bibliothécaire sans les compétences requises pour réussir ce genre d’épreuve. L’explication de cette prouesse inattendue est surprenante. On s’aperçoit alors que la participante Zéro 10 n’est pas celle qu’elle paraît être. C’est un vrai coup de théâtre.
Dans la phase II, le roman d’aventures tourne au roman d’espionnage. Il est alors question d’un agent de la CIA prisonnier en Iran, d’une société écran qui a permis de vendre du matériel de surveillance aux Russes et aux Chinois en cachette du gouvernement américain, du piratage massif de la base de données de la NSA et du rôle particulier tenu par un membre de la CIA. Tout cela devient complexe, mais aussi totalement invraisemblable. Il suffit à Fusion de vouloir prendre le contrôle de n’importe quel élément électronique, alors elle le fait. Que ce soit les basses de données hypersécurisées des agences de renseignement américaines ou le système interne de caméras de surveillance d’une prison en Iran, rien ne résiste à Cy Baxter et à Fusion … sauf la candidate Zéro 10. L’auteur se garde bien d’expliquer comment de tels exploits sont réalisés, contrairement à Jakub Szamalek beaucoup plus explicite et documenté dans la Triologie du dark net.

Dans ce roman on a l’impression que les infiltrations et les intrusions informatiques tiennent de la sorcellerie ou de la baguette magique. Ce qui est particulièrement stupide c’est que le grand chef de cette entreprise à la pointe de la technologie et rompu aux techniques de piratage a lui-même son ordinateur infiltré par un espion numérique qui dévoile toutes les opérations qu’il fait sur sa machine. Et comment a-t-il attrapé ce virus ce super-expert ? Par une simple clé USB branchée, sans aucun contrôle, sur son ordinateur comme le ferait le premier débutant en informatique venu ! C’est quand même assez ballot de tomber dans un piège aussi grossier quand on est à la tête d’une boîte leader mondial en technologies du numérique. Bref, on n’y croit pas du tout.

La première partie concernant le jeu de cache-cache des participants au Bêtatest Objectif Zéro est captivante, mais dans la deuxième partie l’auteur s’est laissé emporter par le sens du spectacle, il en a fait trop et perd toute crédibilité.

Ce n’est pas de la grande littérature, mais ce livre se lit facilement et il est prenant. On l’appréciera plus ou moins selon la place qu’on accorde à la vraisemblance dans un roman.

Extrait :
— Ah, voyons voir… alors Sam est venue me voir, avec son dossier de candidature et d’autres choses téléchargées sur Internet, pour me dire qu’elle voulait participer à cette épreuve, et me demander si je voulais l’aider à baiser le gouvernement et les capitalistes de la surveillance qui envahissent la vie privée des gens et influencent secrètement l’opinion publique. Ce genre de trucs. Si vous me connaissiez, vous sauriez que ma réponse était acquise. Ce genre de chose est vraiment une sorte de bête noire pour moi, alors j’ai répondu « Et comment ! », parce que j’aime mon pays ; je veux dire que j’aime vraiment mon pays, monsieur Baxter, ce qu’il pourrait et ce qu’il devrait être, et certainement pas ce qu’il est actuellement ni ce qu’il est en passe d’être, vu la direction qu’il prend. L’idée de ce pays. Mais le gouvernement fait des choses tellement affreuses et idiotes, des conneries pour décérébrés d’une stupidité sans nom, contre lesquelles, tout au long de ma vie d’adulte, j’ai protesté, ou au moins j’ai essayé, et écrit des lettres et des lettres, mais ça n’a rien changé, rien.

Niveau de satisfaction :
3.9 out of 5 stars (3,9 / 5)

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Le transfuge – Chris Hadfield

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2023 (The Defector)
Date de publication française :
2023 (Libre Expression)
Traduction (anglais Canada) :
Rachel Martinez
Genre : Espionnage
Personnage principal :
Kaz Zemeckis, pilote de chasse et contrôleur de vol de la NASA

C’est impressionnant de commenter le deuxième roman d’un homme de terrain, vétéran de trois vols spatiaux, pilote pendant la guerre froide, commandant de la Station spatiale internationale, directeur des opérations de la NASA en Russie, et j’en passe. Auteur de plusieurs livres également, dont le fameux roman d’espionnage Apollo, mission meurtrière (compte rendu publié dans ces pages le 30 décembre 2021). C’est avec beaucoup d’émotion qu’on l’a vu et entendu chanter le Space Oddity de David Bowie dans sa capsule, lors de son troisième vol dans l’espace.

Nous sommes en octobre 1973, à la veille du Yom Kippour : alors que les armées israéliennes se détendent un peu (on a pu observer un phénomène semblable au moment de l’attaque du Hamas dernièrement), la Syrie et l’Égypte s’apprêtent à attaquer Israël. Au même moment, le pilote soviétique Griff, bien attaché sur son MiG-25 Foxbat, pénètre dans l’espace aérien israélien. Le contrôleur de vol de la NASA et ancien pilote d’essai américain, Kaz Zemeckis, en vacances avec sa conjointe Laura, contemple un cerf-volant qui virevolte dans le ciel de Tel-Aviv. Il croit alors apercevoir un Phantom israélien qui tire un missile AIM-7 en direction d’un MiG-25 de reconnaissance soviétique. Finies les vacances !

Griff a manœuvré afin que des observateurs puissent conclure qu’il a été abattu par des avions israéliens. Après son atterrissage à Lod, près de Tel-Aviv, et après s’être livré aux armées israéliennes, Griff demande qu’on simule l’écrasement de son avion. Son plan est de faire défection et d’échanger sa sécurité contre l’avion soviétique le plus perfectionné et la compétence d’un pilote d’expérience. Israël et les États-Unis examinent le dossier.

C’est Kaz qui est désigné pour accompagner le Russe aux États-Unis sur un site d’essai hautement confidentiel. Il lui servira de guide et d’ombre. Les autres pilotes, au début réticents, auront du plaisir à profiter de ses compétences et de ses récits. Des événements inquiétants laissent entendre que la lune de miel sera difficile à avaler.

Au petit matin, le camp flambe. Griff emprunte un hélicoptère pour aller dérober pièces et documents importants. Plusieurs soldats sont empoisonnés, d’autres meurent. Griff tente de gagner le Mexique dans le MiG-25. Kaz le poursuit dans son F-15. Griff avait eu le temps de saboter cet avion. Mais la première rafale de Kaz réduit la puissance du MiG-25. Blessés et diminués, les pilotes et les avions s’affrontent dans un ultime combat.

On retrouve certains personnages du roman précédent, mais ça n’a pas beaucoup d’importance. Tout tourne autour du Soviétique Griff et de l’Américain Kaz. Les informations techniques prennent beaucoup de place sans ralentir l’action pour autant; mais celle-ci est plus lente que dans le roman précédent, qui était un roman d’enquête. Ici, ça ressemble plus à un documentaire. Et faut admettre qu’un duel aérien est plus spectaculaire dans un film que dans un livre.

Extrait :
Le MiG-25 Foxbat demeurait le meilleur au monde de sa catégorie. En 1959, en pleine guerre froide, les ingénieurs concepteurs de Mikoyan-Gourevitch s’étaient vus confier la tâche d’intercepter et d’abattre les nouveaux bombardiers supersoniques et avions-espions américains volant à haute altitude. Cet objectif létal est à la base des caractéristiques de l’appareil : l’énorme antenne parabolique sur le nez, les ailes surdimensionnées optimisées pour la portance dans l’air raréfié, les supports sous les ailes pour transporter de nombreux missiles air-air, puis des réservoirs de carburant suffisamment gros pour assurer un long rayon d’action. Mikhaïl Gourevitch lui-même s’était chargé de sa conception, vers la fin de sa carrière. Sa création était le sommet de sa gloire; le Foxbat pouvait voler haut dans la stratosphère à la vitesse de Mach 2.8, soit à peu près de trois fois la vitesse du son. Il pouvait aller plus vite encore en cas d’urgence.

David Bowie – Space Oddity

MiG-25 Foxbat

Niveau de satisfaction :
4.3 out of 5 stars (4,3 / 5)

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Top 10 de l’année 2023

Sélection des meilleurs livres de littérature noire que nous avons chroniqués en 2023, publiés en français entre 2022 et 2023.
Nous nous sommes limités à 10 livres, 5 livres par chroniqueur.
Il n’y a pas d’ordre de préférence, pas de classement de 1 à 10.
Un clic sur l’image ou le titre renvoie à la chronique correspondante.

Et vous passerez comme des vents fous
de Clara Arnaud
Septembre avant l'Apocalypse
de Lionel Noël
Nos cœurs disparus
de Celeste Ng
Minuit moins une
de Sébastien Le Jean
La maison dans les nuages
de Nickolas Butler
L'énigme de la stuga
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de Ash Davidson
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de Jean-Jacques Pelletier
Déconnexion
de F.C. Mary
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de J.L. Blanchard
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