Gracier la bête – Gabrielle Massat

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2025 -Éditions du Masque
Genres : Roman noir, social
Personnage principal :
Till Aquilina, éducateur dans un foyer d’accueil d’urgence pour mineurs

Till Aquilina est éducateur spécialisé dans un foyer d’accueil d’urgence pour mineurs. Sous ce nom ronflant se cache un endroit où atterrissent les jeunes dont plus personne ne veut et où les éducateurs en sous-nombre font ce qu’ils peuvent et finissent par craquer, totalement épuisés. C’est ce qui est arrivé à Till : il a violenté Audrey, une adolescente de 14 ans lorsqu’elle est revenue au foyer après sa énième fugue. Audrey va finir à l’hôpital, en coma artificiel, pas à cause du geste brutal de Till, mais parce qu’après cela Audrey s’est enfuie et elle a été renversée par un chauffard non identifié. Submergé par la culpabilité, Till s’installe devant la chambre de la fille, mais il n’a pas le droit de la voir. Pour se racheter, il ne voit qu’une solution : retrouver la mère d’Audrey disparue, mais que l’adolescente cherchait à retrouver. Tâche particulièrement difficile puisque la mère a été déclarée présumée morte sans qu’aucune preuve de sa mort ne soit fournie.

L’intrigue se base sur deux thèmes : – le sentiment de culpabilité d’un homme qui sait qu’il a commis une faute et son désir de rédemption – la protection de l’enfance et les foyers d’accueil d’urgence. Les deux thèmes sont liés par l’intermédiaire de l’éducateur Till. Les choses ont dégénéré pour plusieurs raisons : Till a travaillé soixante heures par semaine depuis des mois, il a enchaîné une nuit après une journée entière de boulot, cette nuit il était seul pour gérer le centre, en plus on venait de lui envoyer un gamin trop jeune et en état de choc, Audrey est revenue en pleine nuit en possession d’un téléphone qui ne lui appartenait pas. Épuisé et sur les nerfs il a n’a pas supporté les insultes, il a plaqué l’adolescente contre un mur et avec ses cent trois kilos le choc a été rude. Il ne se pardonne pas la suite : la gamine qui s’enfuit, se fait percuter, se retrouve à l’hôpital. Et bien sûr sa hiérarchie qui n’a pas hésité à le mettre dans des conditions de travail insupportables et d’abuser de sa disponibilité va l’accuser de violence et d’abandon de poste. Seule son amie Anya, pédopsychiatre et représentante syndicale, en tant que grande prêtresse des causes perdues, lui apporte un soutien sans faille.

Quand Till apprend qu’Audrey recherchait sa mère et qu’elle aurait été en contact avec elle, son obsession sera de ramener sa mère à la fille. Ses recherches vont l’amener à fréquenter un autre monde où l’on trouve un policier ripou, un ancien légionnaire et des trafiquants de drogue. Un monde dangereux où il risque sa vie. Mais Till persiste et poursuit sa quête.

L’autrice situe son roman dans la région où elle vit : le Tarn entre Albi et Gaillac. Un territoire de forêt et de pluie qui contribue à installer une atmosphère de morosité en accord avec l’humeur du personnage principal.

À travers le personnage de Till, Gabrielle Massat nous décrit la souffrance des enfants et des éducateurs dans les foyers d’accueil. Gracier la bête est édifiant sur le naufrage de la protection de l’enfance en France. C’est un roman noir poignant.

Extrait :
— Ce que vous n’avez pas compris, Lucille, et que personne ici n’a compris, c’est qu’en condamnant M. Aquilina, vous permettez que rien ne change. Il a violenté Audrey Marty et personne ici ne nie les faits. Cet acte n’aurait jamais dû se produire. Vous savez pourquoi ? Parce qu’il n’aurait pas dû être là ce soir-là. Il n’aurait pas dû enchaîner une nuit après une journée entière de boulot, ni bosser soixante heures par semaine depuis des mois, ni devoir gérer seul toute la villa. Regardez-moi bien en face et osez me dire que dans ces conditions, ce qui est arrivé aurait pu être évité.

Niveau de satisfaction :
4.2 out of 5 stars (4,2 / 5)

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La nuit n’est jamais complète – Niko Tackian

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2016,  réédition en poche 2023
Genres : Noir, thriller
Personnages principaux :
Arielle et Jimmy

Le vaillant Jimmy et sa fille Arielle, jolie jeune femme, roulent dans un désert de rocaille au volant de leur vieille Ford. Un barrage de police, vraiment inattendu dans ce paysage où il n’y a rien, les empêche de poursuivre leur route et les oblige à passer la nuit sur place avec trois autres automobilistes : le colossal et colérique Juan, l’impulsif Victor et le quasi-intellectuel Florencio.

Ils doivent donc passer la nuit dans leur automobile. Le lendemain matin, le policier est disparu, la batterie de leur automobile est à plat, et ils ont l’impression d’avoir été drogués par le café qu’on leur avait servi. Comme la route devant eux semble s’être mystérieusement effondrée, ils s’orientent autrement et découvrent une sorte de village minier inactif depuis des lustres. Une dizaine de maisons tiennent encore debout : on y trouve des boîtes de nourriture, mais aussi une demeure où des enfants semblent avoir été tués. Victor souffre de coups de soleil et veut retourner à sa voiture. La tension grimpe dans le groupe. D’autant plus que le soleil est étouffant et que les nuits sont froides. Au cours de la nuit, on entend des hurlements, et une grosse bête semble avoir rôdé autour de certaines maisons. Florencio finira d’ailleurs par être blessé, mais on ne parvient pas à savoir si l’agresseur était un animal ou un être humain.

Les problèmes deviennent de plus en plus étranges. Les vivres diminuent. Pas de nouvelles de Victor et Juan disparaît. Les blessures de Florencio mettent sa jambe en péril. L’eau paraît contaminée et on n’aura bientôt plus la possibilité de la faire bouillir. En désespoir de cause, Jimmy décide de descendre dans la mine. La situation dans laquelle il se retrouve devient de plus en plus incompréhensible.

Cette histoire est vraiment angoissante et il est difficile de dormir en paix tant qu’on ne l’a pas terminée, c’est-à-dire tant qu’une brillante élucidation rationnelle ne sera pas venue percer le sens de cette série d’insupportables énigmes.

Dans mon compte rendu de La lisière, j’avais déjà observé que « Il me semble évident que, pour Tackian, la description du problème est plus importante que sa solution ». À une nuance près, c’est encore le cas ici. La description de ce voyage au bout de la nuit est si implacable et les événements vécus par les cinq personnages sont si troublants que le lecteur éprouve un impérieux besoin de revenir enfin sur le plancher des vaches. Je dois pourtant avouer que ma frustration fut aussi élevée que mes espérances.

Puis, j’ai lu le compte rendu de mon collègue Raymond Pédoussaut qui donne 4.5 à ce roman qui hérite d’un « coup de cœur ». Comme nous ne sommes pas souvent en désaccord, il m’a fallu en trouver la raison : c’est certain que l’explication de l’auteur est astucieuse, mais c’est un type d’explication que, personnellement, je n’accepte pas : étant sans doute un lecteur plus traditionnel, je lis tout polar comme un roman policier qui devrait obéir à certaines  règles de Van Dine. Je m’attendais donc à une explication rationnelle  brillante comme celles de Poirot ou de Holmes. Or, on en est très éloigné. À mon sens, l’explication fournie relève plutôt de la littérature fantastique. Donc, je n’enlève rien au talent de l’auteur ni au jugement de mon collègue. C’est le type de roman qui est en question. Et le type d’attente du lecteur.

Extrait :
Le groupe électrogène était composé d’un petit moteur alimenté par un large réservoir de mazout. On pouvait le démarrer manuellement à l’aide d’une manivelle en acier sur laquelle était rivetée une poignée en bois. Ce genre d’unité portable découverte par Juan aux abords de la mine devait être emporté par les mineurs pour leur permettre d’éclairer les galeries les plus lointaines. La cuve du réservoir à mazout était quasiment vide et Jimmy fixait le niveau avec inquiétude. Cela faisait presque trois jours qu’ils avaient découvert le pillage de leurs réserves et ils n’auraient bientôt plus d’électricité. Qui avait bien pu s’introduire dans la maison et leur voler ainsi leurs derniers espoirs de survie ? Jimmy se rappelait les théories de Juan, persuadé que quelqu’un les observait depuis la mine. Ce quelqu’un pouvait-il être celui qui avait attaqué Victor, Florencio puis finalement s’en était pris à Juan ? Tant de questions restaient sans réponses.

Un village minier

Niveau de satisfaction :
3.9 out of 5 stars (3,9 / 5)

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Les saules – Mathilde Beaussault

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2025 – Éditions du Seuil
Genre : Roman noir rural
Personnage principal :
Marguerite, 10 ans, petite fille un peu attardée

Marie, 17 ans, a la réputation d’une Marie-couche-toi là, parce qu’elle s’offre à beaucoup de garçons. Marguerite, 10 ans, parle très peu, alors quand elle annonce tranquillement : Marie est morte, dans la coulée, près de la rivière, c’est la stupéfaction. Le père de Marguerite confirme les propos de sa fille : il a vu aussi la fille morte, il n’a rien dit, il attend que d’autres la découvrent, on ne veut pas d’embêtements dans la famille. L’enquête établira que c’est un meurtre, l’adolescente a été étranglée. Dans le hameau breton de La Motte, c’est à la fois la consternation et l’excitation : Marie était la fille des pharmaciens qui habitent la Haute Motte, ils n’étaient pas bien vus par ceux qui habitent la Basse Motte. Les gendarmes vont interroger tous les habitants du hameau pour tenter de trouver le coupable.

A priori, ce roman se présente comme un roman d’enquête classique : une adolescente assassinée dans un bourg rural, la gendarmerie ne devrait pas tarder à identifier le coupable. Mais ici l’enquête est quasi inexistante, c’est seulement une suite de dépositions des habitants devant les gendarmes. C’est le prétexte pour décrire l’ambiance et les relations qu’ont les gens entre eux dans ce coin de campagne bretonne. Le meurtre de la jeune fille est le révélateur des rumeurs, des petits secrets, des jalousies, des non-dits. Il montre tout aussi bien la rivalité que la solidarité paysanne. C’est donc davantage une étude de mœurs qu’une enquête.

Les témoignages se succèdent devant les gendarmes. Les questions ne sont pas formulées, on les devine dans les réponses qui sont révélatrices de la personnalité de chacun, de leur culture, de leurs affinités et de leurs antipathies. Le témoignage le plus fort est celui de Mimi, la patronne du seul bar du coin qui est devenu le centre névralgique du bourg, depuis que l’église est désertée. On a progressivement troqué la passion du Christ pour la passion du comptoir. Dans sa déposition, Mimi montre un sens de l’observation affûté, de la finesse psychologique, une belle sensibilité et une grande humanité. Elle a été la seule à percevoir derrière les multipes aventures de Marie, la douleur qui habitait l’adolescente.

Le personnage le plus touchant est la petite Marguerite. C’est un souillon, mal lavé et mal peigné. Ses camarades de classe l’appellent la petite bête. Elle est leur souffre-douleur, ils multiplient envers elle les agressions et les humiliations. Elle ne se défend pas, les maîtres ne la défendent pas. Seule Marie était gentille avec elle. Simplette et négligée, c’est ainsi que la plupart des gens la voient. Marguerite parle très peu, mais quand elle parle elle ne ment jamais. Ses rares paroles auront un poids considérable dans cette affaire.

Les saules est un excellent roman noir rural. Un premier roman impressionnant de maîtrise et d’originalité.

Extrait :
Alors qu’on attendait son père et qu’elle devait se douter qu’elle allait passer un sale quart d’heure, elle a posé sa joue contre mon épaule quand je me suis accroupie à côté d’elle. Et elle m’a dit : « Tu sais Mimi comment on fait pour être aimée toi ? » Je n’ai pas compris sur le moment et je lui ai répondu des banalités. Qu’elle était aimée, qu’elle avait des parents aimants, des amis. J’ai pensé sur le moment que c’était une gosse de riches et qu’elle s’inventait des problèmes pour faire cas de son nombril. Je ne vaux pas mieux que les autres. Mais elle a réfréné un rot et le visage crispé elle a ajouté plus fort : « Non, pas mal aimée comme ça. Aimée par l’homme qu’on aime, qu’on aime tellement qu’on pourrait se jeter dans le vide si ses bras nous attendaient tout en bas. » J’ai ri à ce moment-là, je l’avoue. Non seulement parce que je prenais cela pour des paroles de gamine qui ne connaissait rien à l’amour mais surtout parce que je n’y connais rien. Je connais bon nombre d’histoires d’amour, j’en connais des Pénélope, des Iseult, des Juliette et des Emma dépitées par leur vie. Alors j’ai ri. J’ai ri platement en lui ébouriffant les cheveux comme si elle était un épagneul qui rentrait bredouille de la chasse. J’ai juste ri d’un rire vain alors que dans les vapeurs de l’alcool qui menaçait de passer par-dessus bord, cette gosse cherchait une réponse qui l’aurait peut-être gardée en vie.

Bande annonce des Éditions du Seuil

Niveau de satisfaction :
4.5 out of 5 stars (4,5 / 5)
Coup de cœur

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Les nuits de la peur bleue – Éric Fouassier

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2023 (Albin Michel)
Genres : Enquête, thriller historique
Personnage principal :
Valentin Verne, inspecteur à Paris

C’est le troisième épisode du Bureau des affaires occultes dirigé par l’inspecteur Valentin Verne. Malgré une certaine continuité entre les principaux personnages, chaque roman jouit d’une autonomie certaine. Le contexte historique est le même : nous sommes en 1832 à Paris, sous Louis-Philippe, toujours contesté par les Républicains. Vidocq et Verne devront travailler main dans la main. Et Verne finira peut-être par fondre sous la chaleur d’Aglaé.

1832 : c’est aussi l’année où l’épidémie de choléra (la peur bleue) gagne Paris. La population panique : les classes pauvres s’imaginent que les riches veulent se débarrasser d’elles; les riches s’imaginent être contaminées par les pauvres. On découvre dans le quartier pauvre de Saint-Merri une série de meurtres atroces : les victimes, atteintes par ailleurs du choléra, ont été poignardées et amputées d’un organe. L’affaire n’est pas occulte à proprement parler, mais ça reste mystérieux d’assassiner des gens voués à la mort et de prélever un de leurs organes. Verne, Aglaé, promue policière, et Vidocq commenceront donc par enquêter sur ces cas.

Ça ne s’arrêtera pas là : trois académiciens, engagés dans la lutte contre le choléra, disparaissent et seront retrouvés morts. Pourquoi ? Est-ce que ça fait partie du conflit entre les classes démunies et les classes riches, qui s’efforceraient de faire disparaître les  plus pauvres ? Et qu’adviendra-t-il de l’affrontement entre Aglaé et son père ? Et faut-il prendre au sérieux  la dispute entre ceux qui estiment que le choléra est un phénomène de contagion et ceux qui croient, au contraire, qu’il s’agit d’une maladie infectieuse. Et si les relations intimes ne s’améliorent pas entre Valentin et Aglaé, celle-ci se laissera-t-elle séduire par Georges Sand ?

On le voit, ce roman développe en même temps plusieurs problématiques et emprunte énormément à l’histoire des sciences (Fouassier a reçu le prix Griffe noire du meilleur polar historique en 2021); c’est à la fois un avantage et un inconvénient.  C’est un plus, en effet, pour ceux et celles qui aiment se désennuyer en enrichissant leur culture; un moins, par contre, pour ceux et celles qui préfèrent vibrer à la lecture d’un thriller trépidant où on tremble pour les déconvenues de notre héros. Alternent ainsi des pages d’informations intéressantes et des petits chapitres où se déroulent des scènes d’action d’où Valentin sort amoché mais toujours vainqueur. L’enrichissement culturel risque donc de ralentir l’action, de briser le rythme de l’intrigue principale, et de transformer notre plaisir de jouer en plaisir d’apprendre.

Extrait :
À mesure que la nuit avançait, un froid humide gagnait le sous-sol de la clinique. Dehors, la pluie s’était mise à tomber. Une pluie de printemps fine et régulière. À travers la porte de la desserre, Vidocq parvenait à distinguer le clapotement que faisaient entendre les gouttes en trouant les frondaisons du jardin et leur martèlement sur le gravier des allées. Ces bruits lancinants tissaient un fond sonore empreint de mélancolie et offraient une morne orientation à ses pensées. Il ne pouvait s’empêcher de penser aux sacoches renfermant les archives de Fouché qui l’attendaient dans son bureau, à la préfecture. Pour éviter toute difficulté avec le président Pöerson, il lui faudrait les renvoyer dès le lendemain à Melun. Or, si rien ne se passait cette nuit, s’il veillait inutilement jusqu’à l’aube, il n’aurait jamais le temps d’examiner les précieux documents. Le simple fait d’avoir à envisager pareil gâchis lui  provoquait un afflux de bile.
Pour atténuer sa frustration et tenter de se réchauffer, il sortit un flasque d’armagnac de sa redingote et en engloutit une généreuse lampée. L’alcool en descendant le long de son œsophage le réconforta.

Le choléra à Paris en 1832

Niveau de satisfaction :

4.2 out of 5 stars (4,2 / 5)
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Chiens des Ozarks – Eli Cranor

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2023 (Ozarks Dogs)
Date de publication française :
2025 – Sonatine
Traduction (américain) :
Emmanuelle Heurtebize
Genre : Roman noir
Personnages principaux :
Jeremiah Fitzjurls, patron d’une casse automobile – Joanna, sa petite-fille

Taggart, Arkansas.
Jeremiah, vétéran de la guerre du Vietnam, vit dans une casse automobile avec sa petite-fille, Joanna (Jo). Jake, le père de Jo, est en prison pour meurtre, Lacey, sa mère toxicomane, a disparu. Malgré le cadre pas très folichon, Jeremiah et Jo mènent une vie tranquille faite de petits bonheurs et d’un fort attachement réciproque. Mais à presque dix-huit ans, la jeune fille pense à autre chose, notamment à Colt, son petit ami. Après avoir passé la nuit avec lui, sur le chemin du retour, Jo se fait enlever par les Ledford, des suprémacistes blancs trafiquants de drogue qui ont pour projet de l’échanger avec un cartel mexicain contre vingt kilos de meth[i]. C’est ainsi que la spirale de la violence va reprendre à Taggard.

Le cœur du roman est le lien très fort qui unit le grand-père à sa petite-fille. Le père en prison et la mère inexistante, ce sont les grands-parents qui ont pris la petite en charge. Son épouse étant décédée très tôt, c’est finalement Jeremiah qui a élevé seul la gamine. Jo est aussi très attachée à son grand-père et bien qu’elle s’intéresse à un autre homme, elle le ménage, fait attention de ne pas le contrarier ou lui faire de la peine, mais à dix-huit ans, elle ne se laisse pas enfermer dans les murs épais de la casse de son papy, elle veut vivre sa propre vie. Elle est mature et elle sait prendre des décisions. Pour Jeremiah, Jo est la prunelle de ses yeux, c’est tout ce qu’il lui reste. Alors quand elle est menacée, Jeremiah, ancien sniper de la guerre du Vietnam, ne voit pas d’autre façon de lui venir en aide que de ressortir son vieux fusil.

Le cadre du roman est une petite ville des monts Ozarks, frappée par le chômage, après la fermeture de la centrale électrique qui était le principal employeur. Jeremiah, de retour du Vietnam s’est trouvé comme job l’exploitation d’une casse automobile. Il revend des pièces détachées que certains essaient de lui voler, c’est d’ailleurs ce qui a provoqué le drame qui a envoyé son fils en prison. Pour protéger son butin, Jeremiah a dû installer des verrous, des alarmes et des caméras. Il s’est barricadé. D’autres ont trouvé un autre filon, celui de la production et du commerce de la drogue. Pour se diversifier, les mêmes s’essaient au commerce des êtres humains : une belle femme blanche contre vingt kilos de meth. C’est le prix de Jo. La prostitution qui va de pair avec la consommation de drogue est une autre façon d’essayer de survivre.

Dans ce roman l’auteur nous dépeint sans concession un coin d’Amérique où malgré la violence, l’amour entre un grand-père et sa petite-fille adoucit l’austérité de la vie dans ces lieux déshérités.

Avec Chiens des Ozarks, Eli Cranor s’inscrit dans la lignée des écrivains de romans noirs américains tels que Ron Rash, David Joy et S.A. Cosby.

[i]meth : méthamphétamine, drogue de synthèse

Extrait :
Jake cependant avait laissé l’autre s’échapper, celui au prénom diabolique. Evail. Sur l’instant, Jeremiah avait su que le prix à payer serait colossal.

Après le procès, on avait frappé trois coups à la porte, et Jo était entrée dans sa vie. Pendant des mois, il s’était fait du mouron pour le bébé. Mais elle était suffisamment petite pour ne se sou­venir de rien. Peu après, Jeremiah avait installé tout son petit monde à la casse pour de bon. Vendu leur maison en périphérie de la ville avec les deux hectares accolés, afin d’acheter davan­tage de caméras, de verrous et d’armes. Il les avait barricadés dans cet endroit où tout avait fini par mourir. Les murs en béton étaient si épais qu’on n’aurait su dire s’il flottait ou s’il neigeait ou si une tornade sévissait dehors.

Niveau de satisfaction :
4.2 out of 5 stars (4,2 / 5)

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Post mortem – Olivier Tournut

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2024 (Fayard)
Genres : Enquête, thriller
Personnage principal :
capitaine Isabelle Le Peletier (Paris)

Dans un grand appartement parisien, le corps nu d’un homme affreusement mutilé est découvert à côté d’un tableau de Van Gogh (Le peintre sur la route de Tarascon) disparu depuis la Seconde Guerre mondiale. L’enquête échoit entre les mains du capitaine Le Peletier et de son assistante Blanche Charon. Un deuxième cadavre du même genre viendra bientôt stimuler l’équipe du capitaine, qui frise la crise de nerfs. On découvrira bientôt que ces deux crimes semblent liés à un trafic de faux tableaux. Mais la lutte entre les forces policières, les faussaires corrompus et le pouvoir politique est loin d’être gagnée d’avance.

C’est le premier roman d’Olivier Tournut, qui lui a valu le Prix du Quai des Orfèvres. Non sans raison. C’est sans complaisance que Tournut décrit les deux enquêtrices principales : elles sont sans doute persévérantes mais elles ne sont pas des intelligences supérieures et leurs réactions sont souvent enfantines. Le suspense est bien construit et le dénouement désappointera peut-être un peu, parce qu’il est plus réaliste qu’idéaliste.

Réalistes aussi les salles d’autopsie, les relations plus ou moins conflictuelles entre les policiers et leurs supérieurs, le contraste entre les quartiers mal famés et les beaux quartiers. Mais ce souci du réalisme n’empêche pas qu’on se pose des questions sur ces bizarres de meurtres et sur l’identité pas évidente de l’assassin. L’enquête est bien menée et les fils finissent tous par se relier; on n’en demandait pas tant.

Bref, un premier roman plutôt réussi et un avenir prometteur.

Extrait :
Je suis peut-être un sans couilles comme vous le pensez, énonce Bosquet en tripotant un crayon qui risque de ne pas résister longtemps, mais je sais soutenir mes équipes. Surtout quand elles déconnent. Hier soir, quand le chef de cabinet a appelé le parquet pour savoir quel magistrat pouvait intervenir en toute discrétion, j’étais seul avec Goncourt. Il m’a raconté comment vous l’avez cogné sur le bureau. Au début, je ne l’ai pas cru mais quand il a dit vouloir porter plainte, je lui ai dit : soit tu balances et je te plombe avec ton trafic de shit qui entachera la carrière de ton père, soit tu fermes ta gueule sur ce geste indélicat et j’enterre ton petit trafic. L’affaire est donc close. Mais, la prochaine fois, faites gaffe.

Van Gogh, Le peintre sur la route de Tarascon

Niveau de satisfaction :
4 out of 5 stars (4 / 5)

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Un trou dans le cœur – Nicolas Zeimet

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2024 – Denoël
Genres : Enquête, thriller psychologique
Personnage principal :
Loïc Stephan, père d’intention et mari d’une épouse disparue

Camille et Loïc forment un couple uni, ils s’aiment, mais ils souffrent d’un douloureux manque : ils n’arrivent pas à avoir d’enfant malgré tous les traitements possibles. Après mûre réflexion, ils décident de tenter une GPA (Gestation Pour Autrui). C’est aux États-Unis qu’ils trouvent la femme porteuse idéale : Lorna, une femme épanouie, mère de deux enfants, dont le mari est partie prenante dans la démarche. Les premiers contacts entre les deux couples se passent formidablement bien, le projet est lancé, tout se passe très bien. Quelques mois plus tard, Lorna est enceinte, c’est merveilleux pour Camille et Loïc, leur rêve d’être parents va se réaliser. C’est à ce moment que Camille disparaît. La police déploie de gros moyens pour la retrouver, mais rien n’y fait, la jeune femme reste introuvable. Pendant ce temps, aux États-Unis, la naissance du bébé approche.

L’intrigue est un savant mélange d’enquête, de suspense et de chronique familiale. La disparition brutale de Camille intrigue. Fugue ? Enlèvement ? Féminicide ? La police ne lésine pas sur les moyens, mais sans résultats probants. Le mari, Loïc, est soupçonné d’avoir fait disparaître son épouse, mais aucune preuve ne vient étayer ces soupçons. La presse ne sait rien, mais elle invente et elle se déchaîne contre Loïc qui vit alors un enfer.

Si la disparition de Camille et l’enquête qui s’en suit sont une part importante du roman, nous en apprenons aussi beaucoup sur les épreuves que doivent traverser les parents d’intention, ceux qui ne peuvent pas avoir d’enfant naturellement, mais dans l’intention de devenir mère ou père d’un enfant à sa naissance, concluent un accord avec une femme qui s’engage à porter cet enfant. La GPA étant interdite en France, c’est aux États-Unis que Camille et Loïc trouveront leur bonheur. L’auteur nous fait partager les angoisses, les doutes, les espoirs, le bonheur, de ce père qui se retrouve finalement seul pour prendre en charge son bébé. Il y a de très belles pages, pleines d’humanité et de délicatesse, sur l’amour paternel.

Un trou dans le cœur amalgame une enquête tendue et pleine de suspense avec les affres et les joies d’une parentalité difficile. C’est un roman aussi captivant qu’émouvant.

Extrait :
D’un ton calme, doucereux, la deuxième OPJ, qui a pris le relais de Villain, informe Loïc qu’ils peuvent exiger des restrictions concernant ses déplacements, afin de prévenir tout risque de fuite à l’étranger durant le reste de l’instruction. En clair, ils font peser sur lui la menace de ne pas pouvoir aller chercher son enfant à sa naissance aux États-Unis, et ça, Loïc ne le supporte pas. Le voyant s’effondrer, Me Agostini tente une interruption, mais elle se fait gentiment rembarrer et devra attendre la fin de cette troisième audition, à 19 h 45, pour formuler ses observations. Elle dénonce alors une atteinte au droit fondamental de son client de circuler librement, rappelant que seule la juge d’instruction peut recourir à ce genre de mesures coercitives dans le cadre d’une mise en examen. Or, rappelle l’avocate, il n’existe aucune preuve réelle justifiant une telle décision à l’encontre de Loïc Stephan, constat auquel Renaud Villain, au terme de cette longue journée de confrontation, est bien obligé de se rallier, avec toutefois le sentiment d’être tout près de la vérité.

Niveau de satisfaction :
4.3 out of 5 stars (4,3 / 5)

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Ouragans tropicaux – Leonardo Padura

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2022 (Personas decentes)
Date de publication française :
2023 (Métailié)
Traduction (espagnol) :
René Solis
Genre : Enquête, historique
Personnage principal :
Mario Conde, ex-policier

J’avais lu il y a une dizaine d’années Adios Hemingway, roman plus historique que policier. Cette fois-ci, Padura croit que c’est peut-être «  l’histoire la plus policière de toutes celles que j’ai écrites », « une histoire avec plusieurs morts et beaucoup de crimes ». Roman d’enquête sans doute, mais ça ne suffit pas pour faire un bon polar.

D’abord, on a deux romans pour le prix d’un. Conde mêle à l’enquête qu’il mène actuellement sur l’assassinat de Reynaldo Quevedo (en 2016) le récit qu’il est en train d’écrire sur la vie et la mort d’Alberto Yarini y Ponce de León, grand maître de la prostitution à Cuba, et de son ami policier Arturo Saborit, au début du XXe siècle (Yarini est mort en 1910). Ces deux récits ont en commun une histoire sur l’assassinat de deux puissants criminels, le sympathique et distingué Yarini et l’affreux exploiteur Quevedo qui a profité de sa position privilégiée à partir des années 70 (période stalinienne dogmatique et impitoyable à Cuba) pour voler, torturer, pousser au suicide et jeter le discrédit sur tout individu qui osait manifester un tant soit peu de liberté, tout en s’enrichissant à leurs dépens (vol de tableaux, de bijoux…).

La publicité laissait entendre que l’histoire était centrée sur la visite d’Obama et des Stones en 2016. En réalité, ce n’est qu’un détail qui illustre le court moment d’espérance euphorique dont ont profité les Cubains. Ce qui intéresse Padura c’est l’inépuisable description des multiples personnages, des rues de Cuba, des maisons riches et des taudis, des injustices du régime communiste, des magouilles de toutes sortes, de l’exploitation des femmes, domestiques ou prostituées, des problèmes personnels de Conde vieillissant : il n’a que 62 ans (retraité de la police à 36 ans, devenu libraire et, à l’occasion, détective) mais il est usé. Bien sûr, il finira par découvrir qui a tué et mutilé Quevedo, mais c’est une mort tellement méritée et dont la solution est précédée de tellement de démarches, d’entrevues et de discussions que ça nous est assez égal.

Au fond, ce qui manque, c’est le rythme. On lit ça un peu comme un livre d’histoire ou de géographie. C’est instructif, et je suis heureux d’avoir vu ça de près. Mais j’avoue n’avoir ressenti aucune émotion semblable à celles qu’on éprouve en lisant un bon polar.

Extrait :
Quand tu étais flic, il y avait combien de touristes à Cuba ? Cinq ! Un Bulgare, un Tchèque et trois frères soviétiques… Aujourd’hui, il y a du fric et, derrière le fric, les problèmes. Je crois bien qu’il y a plus de putes que de feux rouges à La Havane… et des deux sexes, je voudrais pas faire de discrimination.
─ Et tu sais si ce problème (neige, pilules pétards), il se pose pour toi ?
─ Je n’en sais rien… je ne crois pas… mais je voudrais pas me faire choper avec ce genre de merde…
Conde ne résista pas plus longtemps et alluma une cigarette (…) Dans les derniers temps où il avait été dans la police, trente ans plus tôt, l’apparition d’une simple cigarette de marijuana avait déclenché l’alerte générale. Et même s’il ne pouvait nier que le monde dans lequel ils vivaient à présent valaient à bien des égards mieux que l’état de surveillance, de paranoïa, de répression et de censure implacable sous lequel il avait gâché ses meilleures années, la dégradation en train de se répandre ne pouvait manquer de le troubler.

Le soleil couchant à La Havane

Niveau de satisfaction :
3.5 out of 5 stars (3,5 / 5)

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Les stripteaseuses ont toujours besoin de conseils juridiques – Iain Levison

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2024 (The Whistleblower)
Date de publication française :
2024 – Éditions Liana Levi
Traduction (américain) :
Emmanuelle et Philippe Aronson
Genres : Thiller, humour
Personnage principal :
Justin Sykes, avocat de l’aide juridictionnelle

Justin Sykes est avocat de l’aide juridictionnelle. Avocat commis d’office, il défend des petits délinquants, des cambrioleurs, des alcooliques, des drogués, des sans-abri, des exhibitionnistes … Sa défense consiste la plupart du temps à marchander des réductions de peine avec les procureurs. Mais un jour il reçoit une offre pas banale et fort intéressante: il s’agit de donner, une heure par semaine, des conseils juridiques à des stripteaseuses et de passer la nuit dans un motel qui appartient au patron de la boîte de striptease. Tarif : mille dollars pour une heure de conseils et une nuit à ne rien faire dans un motel. La bizarrerie de la proposition n’échappe pas à Justin, mais la rémunération pour le peu de travail qu’elle demande le convainc. Cet argent si facilement gagné l’aidera à payer quelques factures, alors il ne se pose pas trop de questions. Il devrait.

L’intrigue, quelque peu alambiquée, décrit un avocat consciencieux qui fait son maximum pour aider des gens démunis qui ont affaire à la justice et qui a pour une fois à l’occasion de gagner plus en faisant moins. C’est une anomalie, d’autant plus qu’il va constater que les stripteaseuses ne sont pas vraiment demandeuses de ses conseils, il y a probablement anguille sous roche, mais Justin espère que ce travail temporaire lui permettra de ramasser facilement un peu de fric, sans conséquence préjudiciable.

Justin Sykes, même s’il ne défend que des pauvres qui ne peuvent pas le payer, est un avocat brillant : il a été formé dans une école prestigieuse, la Faculté de droit de Columbia, il a travaillé dans un grand cabinet, il gagnait alors 250 000 dollars par an, il a été lanceur d’alerte. Bref, c’est une pointure. Les procureurs, avec qui il négocie des réductions de peine, le savent, ils se méfient de lui. Son chef le sait : il lui refile en supplément les dossiers qu’un autre avocat incompétent n’arrive pas à traiter. Il a en permanence plus de cinquante affaires sur les bras, il y passe même ses week-ends. Il y a un côté chevaleresque chez Justin : il défend ardemment de pauvres bougres, ce qui ne l’empêche pas d’être lucide et désenchanté sur le fonctionnement du système juridique.

Plus que l’intrigue et les personnages, ce qui distingue les romans d’Iain Levison, c’est l’ironie et la façon sarcastique de décrire la société américaine. Ici, c’est la justice qui en prend pour son grade : un système avant tout incohérent et chaotique favorisant les ego démesurés. Il y a de savoureux passages concernant les négociations de marchands de tapis entre procureur et avocat de la défense, les sentences qui dépendent essentiellement de la personnalité du juge et les lois qui sont différentes d’un côté à l’autre de la rivière qui traverse la ville. L’incompétence n’empêchant pas l’ambition, l’auteur montre aussi les magouilles d’un procureur adjoint médiocre propulsé par son papa vers le poste de procureur général.

Les stripteaseuses ont toujours besoin de conseils juridiques est grinçant, irrévérencieux, mais jubilatoire. Du Iain Levison pur jus !

Extrait :
D’où l’importance de connaître le juge.
Et je connais tous ceux à qui j’ai affaire. J’alterne entre cinq. Le juge Weaver est trop âgé pour être encore en activité. Il aurait dû partir à la retraite il y a dix ans, et c’est un vieux vicieux qui condamne à des peines incroyablement légères les jolies femmes. La juge Theresa Kelly est chaleureuse et bienveillante. L’atmosphère dans sa salle d’audience est toujours très détendue ; elle parle d’une voix apaisante et je pense qu’elle tamiserait les lumières du tribunal pour allumer des bougies si cela n’enfreignait pas une quelconque loi municipale. En règle générale c’est elle qui prononce les sentences les plus clémentes. La juge Jennifer Bales se montre d’ordinaire juste, mais parfois elle semble haïr certains clients, surtout les jeunes hommes qui ne lui témoignent pas assez de respect. Si vous rampez devant elle comme si elle était une reine médiévale, elle est douce et maternante. Le juge Anthony Caesari est un connard arrogant qui se croit meilleur que tout le monde, mais il est intelligent, rapide et équitable la plupart du temps. Le juge Chester Wiley déteste l’humanité parce que sa femme s’est tirée avec un avocat de la défense ; par conséquent il prend un malin plaisir à détruire la vie des gens.

Niveau de satisfaction :
4.3 out of 5 stars (4,3 / 5)

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Le nid du coucou – Camilla Läckberg

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2022 (Gökungen)
Date de publication française :
2024 (Actes Sud)
Traduction (suédois) :
Susanne Juul et Andreas Saint-Bonnet
Genres : Noir, enquête
Personnage principal :
Erica Falck, écrivaine

Je n’avais pas été très impressionné par L’Enfant allemand il y a une dizaine d’années. Mais comme le succès de Läckberg ne cesse de croître, j’ai voulu voir ce qu’elle faisait de bon de ce temps-ci.

Comme dans les autres romans de Läckberg qui mettent en scène l’écrivaine Erica Falck, l’action se passe aux alentours de la petite ville suédoise de Fjällbacka, plus précisément ici dans l’île privée de Skjälerö où le couple Bauer (Elisabeth et Henning) fête ses noces d’or en grande pompe. Parents et amis sont invités : entre autres les fils Bauer, Peter et Rickard, leurs épouses Louise et Tilde, les amis Ole et Susanne Hovland, Erica et son conjoint Patrick Hedström (commissaire de police à Fjällbacka), Vivian, l’épouse du photographe Rolf (qui préfère continuer à préparer son exposition plutôt qu’à participer à la fête), et quelques autres.

Au cours de la nuit, Rolf est assassiné. Le lendemain, Peter et ses deux fils sont massacrés. Le mystère est total : on ne voit vraiment pas qui aurait eu intérêt à tuer Peter et ses fils. Et quel rapport, s’il en est un, avec la mort de Rolf ? Les policiers n’y comprennent rien. Pendant ce temps, Erica est allée à Stockholm enquêter sur la mort de Lola, un transgenre, et sur son fils Pytte, dans les années 80. Lola et Rolf étaient bons amis, mais on ne voit pas de rapport entre la mort de l’un et de l’autre. D’autant moins que l’enquête sur l’assassinat de Lola a été bâclée. On finira par découvrir que l’arme qui a servi à tuer Lola et Peter est la même. Loin de clarifier la situation, ce rapprochement nous jette davantage dans la confusion. Et, pour achever le plat, les parents de Louise se font sauvagement poignarder.

Les mystères se multiplient et captivent le lecteur. Ils seront résolus l’un après l’autre de façon satisfaisante, même si dans certains cas, le motif est plutôt alambiqué. Le suspense est mené avec ruse et intelligence. Les personnages sont nombreux mais Läckberg les décrit avec précision et les rattache habilement les uns aux autres pour éviter qu’on s’y perde. L’intrigue à dénouer est centrale et n’est pas occultée par la défense des transgenres, la critique des classes sociales privilégiées ou les problèmes de couple vieillissant.

Bref, un roman complexe et captivant. [1]

[1] À la page 290, ligne 24, il faut lire Rickard plutôt que Rolf dans la phrase « Selon Louise, Rolf faisait chanter Blanche. »

Extrait :
Le coucher du soleil au large de Fjällbacka était déchirant de beauté. Des rayons orange, roses, rouges et violets se mélangeaient en de larges coups de pinceau sur le ciel tandis que l’astre descendait tout doucement derrière les îles nues de l’archipel. Pourtant, il était encore bien plus spectaculaire lorsqu’on l’observait depuis Skjälerö. Rien n’était plus beau que cela.
Il était bientôt temps d’y retourner. Louise était presque prête. C’était tout un processus, ça l’avait toujours été. Tant de personnes n’étaient pas capables de voir les choses dans leur ensemble, elles vivaient leur vie le regard fixé sur des fragments isolés. Elle, Louise, était douée pour appréhender l’ensemble du puzzle.
Patience. Le mot d’ordre de toute sa vie. Jamais elle n’avait pris de décision hâtive à la suite d’une impulsion, d’une faiblesse ou de quoi que ce soit d’autre. Elle était restée fixée sur son but, qu’elle approchait pas à pas.

Fjällbacka

Niveau de satisfaction :
4.4 out of 5 stars (4,4 / 5)

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Une locataire si discrète – Clémence Michallon

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2024 (The Quiet Tenant)
Date de publication française :
2024 – Fayard
Traduction (américain) :
Nathalie Bru
Genres : Thriller psychologique, roman noir
Personnages principaux :
Rachel, prisonnière d’un tueur en série – Aidan Thomas, tueur en série

Une femme est retenue prisonnière dans un cabanon de jardin. Elle s’appelle Rachel, ce n’est pas son vrai prénom, c’est celui qu’à choisi pour elle son geôlier. Ça fait cinq ans qu’elle est captive. Un jour, son ravisseur lui annonce qu’il doit déménager. Changer de maison ne veut pas dire retrouver la liberté, mais simplement de changer de conditions de détention : plus de cabanon, une chambre, un lit, une salle de bain et des repas pris en commun avec son gardien et sa fille. Le reste du temps, elle le passe dans sa chambre attachée au radiateur. Elle découvre que celui qui l’a enlevée s’appelle Aidan Thomas et qu’il a déjà assassiné plusieurs femmes. Elle observe, guette, mémorise, pour éventuellement utiliser ce qu’elle voit et entend pour tenter de s’échapper un jour peut-être, mais la moindre erreur signifie la mort assurée. La prudence que cela impose limite les initiatives, mais l’espoir demeure.

L’intrigue nous permet d’abord de découvrir la vie d’une femme séquestrée depuis cinq ans. Entre elle et l’homme qui la tient enfermée s’est installé une sorte de rituel : le repas dans le tupperware, l’eau dans la gourde en métal, ses besoins dans un seau, une fois par mois un shampoing antipoux, le coupe-ongles toutes les trois semaines … et régulièrement l’acte sexuel, là aussi avec son rituel : c’est lui qui doit défaire les fermetures éclair, déboutonner, effeuiller. Pas une seule fois, il ne pose le regard sur toi. Le sujet, ce n’est pas toi. C’est toutes les femmes et toutes les filles. Rachel sait que l’homme a déjà tué plusieurs fois et que pour survivre elle doit être obéissante et soumise, elle a appris les règles pour rester en vie, la première est : c’est toujours lui qui gagne. C’est une survivante, contrairement aux autres femmes le tueur l’a gardée en vie parce qu’il a besoin de partager des choses qu’elle est la seule à pouvoir entendre. Cependant, malgré sa peur, Rachel n’a pas totalement abdiqué, elle garde l’espoir de pouvoir s’évader.

Aidan Thomas est un père et un homme exemplaire. C’est un jeune veuf, sa femme est morte d’un cancer, il élève seul une fille de treize ans. C’est un homme méritant, apprécié de tous, qui inspire confiance : dans la queue de l’épicerie, les mères lui collent leur bébé dans les bras, Vous voulez bien me la garder une minute ? Bref, Aidan Thomas est un homme charmant, poli et amical, toujours prêt à rendre service. Il est aussi séduisant. Emily, la patronne du restaurant local en tombe follement amoureuse. Le seul problème, ignoré de tous, sauf de Rachel, c’est que c’est aussi un tueur en série.

La peur de la prisonnière est finement décrite ainsi que son sentiment de culpabilité de ne pas être capable de se révolter et de sauver ainsi les autres femmes qui ont été victimes après elle. La double vie du tueur, sa maîtrise et la volonté de tout prévoir et de tout contrôler sont très bien rendues.

Une locataire si discrète est un roman angoissant, imprégné d’une forte tension. L’analyse psychologique des personnages est bien réalisée.

À noter que l’autrice, Clémence Michallon, est française, elle vit à New York. Elle a longtemps caressé le projet d’écrire un roman en anglais. Avec Une locataire si discrète son projet s’est réalisé de la meilleure façon qui soit.

Extrait :
C’est son espace. Tu apprendras plus tard qu’il a commencé de le préparer pour le cas où se présenterait la très hypothétique et très vague possibilité de quelqu’un comme toi. Quelqu’un qu’il aimerait garder. Il l’a insonorisé. Recouvert le sol de caoutchouc, bouché au mastic le moindre trou sur les murs. Mais il n’a pas fini. Ce n’était pas toi qu’il comptait garder. Tu es une décision prise sur un coup de tête, un achat impulsif.

Il reviendra le lendemain terminer son ouvrage. Il vissera une chaîne au mur. Il videra l’endroit de ses affaires. Il fera de ce lieu ton chez-toi. Pour l’heure, il te menotte les mains derrière le dos. Te ligote les chevilles et attache la corde à la poignée de la porte.

Niveau de satisfaction :
4.3 out of 5 stars (4,3 / 5)

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Reykjavik – Ragnar Jónasson & Katrin Jokobsdóttir

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2022 (Reykjavik)
Date de publication française :
2023 (La Martinière)
Traduction (islandais) :
Jean-Christophe Salaün
Genres : Enquête, thriller
Personnage principal :
Sunna Robertsdottir

Lara, âgée de 15 ans, est engagée pour l’été par Olöf Blöndal et son épouse Ottar, qui habitent une des rares maisons de l’île de Videy. Puis, un jour, selon le témoignage de ses employeurs, elle fait ses bagages et décide de rentrer chez elle à Reykjavik. On est en août 1956. Or, ses parents ne l’ont pas vue; personne ne l’a aperçue quitter l’île; personne ne l’a croisée sur l’île non plus. Bref, on est sans nouvelles de Lara. Fugue ? Accident ? Ou pire ? Après trente années d’enquêtes, d’entrevues, de reportages, on ne le sait toujours pas.

En 1986, le jeune journaliste Valur Robertson reprend l’enquête. Il examine toute la littérature qui a été publiée sur le sujet, réinterroge les personnes qui auraient eu quelque contact avec elle, et bénéficie d’un coup de téléphone anonyme qui le met sur une piste sérieuse. Comme il s’apprête à publier le résultat de ses recherches, il est brutalement écarté de l’enquête, et c’est sa sœur Sunna qui  décide de poursuivre son œuvre. Une heureuse hypothèse lui permet de localiser Lara; de là, l’explication de sa disparition s’éclaire davantage et un témoin improbable lui fait découvrir le pot aux roses.

Les lieux et les personnages principaux  sont décrits minutieusement. Les habitants de la capitale islandaise retrouveront leur ville avec plaisir. Et, pour qu’on ne s’égare pas parmi les personnages, un lexique permet de les identifier rapidement. Pour les auteurs, comme c’est le cas habituellement pour Jónasson, la description géographique des lieux, la caractérisation psychosociologique des personnages et la référence aux événements importants qui se passent en Islande à cette époque (comme la rencontre entre Reagan et Gorbatchev, ou le deux centième anniversaire de Reykjavik))  me paraissent plus importantes que la trame policière proprement dite. Elle est au fond très simple, mais ce n’est pas évident à cause du temps passé à raconter la vie de plusieurs personnages.

Au total, le roman est donc intéressant en soi, mais l’intrigue policière comme telle ne casse pas des briques.

Extrait :
Saisie par la solitude des lieux, Sunna se demandait ce qu’avait éprouvé Lara la première fois qu’elle avait posé le pied sur Videy cet été-là. À quinze ans, ce n’était encore qu’une enfant. Ses parents avaient dit qu’elle était venue en mai, l’île avait dû lui paraître plus vibrante dans la clarté du printemps que dans ce crépuscule automnal; une atmosphère d’espoir, d’optimisme. Bien que Videy soit visible depuis la ville, une jeune fille ayant grandi à Reykjavik comme Lara avait dû se sentir totalement dépaysée, infiniment plus proche de la nature, et en même temps tellement libre. Elle était sûrement fière d’acquérir un peu d’autonomie, de gagner son propre argent, de côtoyer des personnes importantes. Aux yeux de la société, Ottar et Olof étaient des citoyens modèles. Personne n’aurait hésité à envoyer son enfant travailler chez eux. Un avocat si respecté, une femme d’excellente famille…

Île de Videy

Niveau de satisfaction :
4 out of 5 stars (4 / 5)

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