Les fils de Shifty – Chris Offutt

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2022 (Shifty’s Boys)
Date de publication française :
2024 – Gallmeister
Traduction (américain) :
Anatole Pons-Reumaux
Genres : Roman noir, grands espaces
Personnage principal :
Mick Hardin, militaire en congés de convalescence

Mick Hardin, militaire, se remet d’une blessure de guerre contractée en Afghanistan. Il s’est installé chez sa sœur Linda, à Rocksalt dans le Kentucky. Linda est shérif du comté, elle est en pleine campagne électorale pour sa réélection. Lorsque le cadavre d’un jeune, connu pour être un dealer, est identifié, la police n’est pas particulièrement motivée pour découvrir le coupable. C’est pour cela que Shifty Kissick, la mère du jeune qui a été tué, demande à Mick, qu’elle connaît depuis longtemps, de retrouver celui qui a assassiné son fils. Contrairement aux déductions de la police, Mick s’aperçoit que ce meurtre n’est pas lié au trafic de drogue, comme on a voulu le laisser croire. Quand un deuxième fils de Shifty est lui aussi abattu, Mick est convaincu qu’une affaire bien plus importante que le trafic local de stupéfiant est en jeu. Quelque chose de bien plus dangereux aussi.

Dans ce roman il y a des meurtres et une enquête, mais il y a aussi de belles descriptions des collines du Kentucky et des gens qui y vivent. Les collines sont magnifiques en toutes saisons. Les gens, eux, sont austères, rudes, parlent peu : la culture des collines ne prévoit pas de bavardages cordiaux, un signe de tête, une poignée de main vaut pour un accord entériné. Rocksalt est une petite ville où tout le monde se connaît. Les trafiquants de drogue font partie du paysage, tout le monde sait qui ils sont, personne n’entrave leurs affaires à part les concurrents.

Côté personnages, Mick est un militaire, c’est aussi un policier, un agent spécial de la Division des enquêtes criminelles de l’armée. Sa jambe a été amochée par une bombe en Afghanistan. Il est en convalescence dans la maison familiale dont a hérité sa sœur, fille un peu revêche et préoccupée par sa réélection au poste de shérif. Mick va s’avérer être un combattant efficace, bien aidé par Raymond, un troisième fils de Shifty, lui-même militaire et expert dans le maniement des armes et la reconnaissance. D’autres personnages pittoresques apparaissent : – Albin, un chauffeur de taxi qui se rêvait pilote de course – Oncle Merle a planté un érable pour abriter les nids des merles et pouvoir les observer à sa guise – Un faux preneur d’otages essaie désespérément de trouver l’argent pour payer un collier à sa copine. Il y a aussi de vrais méchants qui ne respectent ni la nature ni la vie, ceux-là ne font pas partie de la communauté de Rocksalt, ils viennent d’ailleurs, ils sont différents, ce sont de vrais prédateurs.

Dans ce beau roman Chris Offut décrit avec tendresse et nostalgie les collines du Kentucky, une région belle et sauvage, avec ses habitants taiseux et rigides. Les trafics font partie de l’économie d’une région déshéritée. C’est encore le vieux monde, mais c’est par le nouveau monde que le véritable péril va arriver, il vient de l’extérieur.

Extrait :
Elle opina, et il comprit qu’elle savait déjà tout ça. Elle était sans doute aussi au courant pour sa femme et le bébé. Il se demanda si elle savait pour le percocet. Il resta assis en silence, attendant la suite. La culture des collines ne prévoyait pas de bavardages cordiaux. Elle l’avait fait venir. Il était là. C’était à elle de parler, et il patienterait jusqu’à ce qu’elle lui donne la raison de cette convocation.

— J’ai besoin d’aide, dit-elle.
Il la considéra d’un air surpris. Elle avait perdu un garçon, mais Mick n’allait pas combler le vide dans le trafic de drogue laissé par la mort de Fuckin’ Barney. Il jeta un regard à Mason, le benjamin, un homme qui avait besoin d’instructions précises. Peut-être voulait-elle qu’il fasse des travaux sur son terrain. Ça lui ferait de l’exercice, et Mason pourrait lui servir de chauffeur.
— Quel genre d’aide, madame Kissick ?
— Trouver qui a tué Barney.
— Il faut parler aux municipaux.
— Je leur ai parlé, dit-elle. Autant pisser dans un violon. Ils se sont déjà fait leur idée.
Ses pupilles s’étaient contractées de rage. Son œil droit s’était concentré sur l’œil droit de Mick, un signe d’agressivité. Mick étudia sa tasse de café.
— Qu’est-ce que vous a dit la police ? demanda-t-il.
— D’arrêter de les harceler.

Niveau de satisfaction :
4.2 out of 5 stars (4,2 / 5)

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Hurlements – Alexis Laipsker

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2023 (Michel Lafon)
Genre : Enquête
Personnages principaux :
Commissaire Victor Venturi – Olivia Montalvert, psychologue

D’abord, quelques mises en garde : ne vous laissez pas influencer par l’image de la couverture, ni par le titre; c’est vrai qu’on a affaire à un méchant sadique qui découpe quelques femmes en morceaux, mais le lecteur n’assiste pas à ces scènes. Les amateurs de littérature gore n’auront pas de quoi se réjouir ici. Deuxio, le problème posé par cette intrigue n’est pas de découvrir le but du tueur : on le connaît déjà puisque le meurtrier lance officiellement un défi au commissaire Venturi en lui confessant les cinq enlèvements de femmes qu’il fera souffrir lentement avant de les tuer. Il s’agira donc de découvrir ce qui relie ces cinq femmes, puis l’identité de l’assassin.

Le commissaire Venturi, alias le Cow-boy, a la réputation d’être agressif, violent, chauvin, démodé selon les plus jeunes, qui veulent moins se salir les mains. Sa coéquipière est la jeune psychologue et criminologue Olivia Montalvert; poignardée dès le début par le psychopathe, elle se remet rapidement, et s’efforce d’empêcher les assassinats promis. Sensible mais entêtée, elle est la seule qui n’hésite pas à rembarrer le commissaire. L’interaction de cet étrange binôme est un atout majeur de cette histoire.

En même temps que Venturi charge ses hommes de monter un dossier sur les femmes récemment portées disparues, le lieutenant Justin Dastray trouve une des victimes affreusement mutilée dans une cage sur la scène d’un théâtre. Au lieu de collaborer avec les autres policiers, il se jette dans une traque personnelle, alors qu’il est déjà rudement amoché : peinant à se relever d’un coup dur, il ne s’est pas lavé et n’a pas dormi depuis des lustres. Devenu suspect, il échappe à Venturi tout en croyant savoir où se cache le Monstre.

Montalvert est parvenue également à découvrir son identité mais, se sachant découvert, le Monstre la capture et s’apprête à lui crever un œil. Dastray aimerait bien venir à son secours mais il traîne la patte. Les forces policières arriveront-elles à temps pour empêcher le pire ?

Bon sens du suspense allié à une discrète touche d’humour. Les principaux personnages frisent un peu la parodie, pourraient penser certains, mais on aime croire qu’ils sont réels. La composition est habile : l’auteur s’amuse à déjouer le lecteur.

Extrait :
Il sentit son téléphone vibrer dans sa poche. Pour la troisième fois ce matin, Olivia Montalvert tentait de le joindre (…).
Il décrocha.
Quelle obstination ! Vous avez quelque chose d’important à m’annoncer ? Vous n’êtes plus végétarienne ?
Discuter avec Menthe-à-l’eau[1] lui ferait du bien. Il appréciait cette jeune femme à l’intelligence vive et à l’humour cinglant (…).
Mais elle ne répondit pas.
─ Montalvert ? relança-t-il.
─ Bonjour, commissaire.
C’était une voix d’homme. L’intonation était étrange. Le son avait probablement était trafiqué.
─ Qui êtes-vous ?
─ La partie vient de commencer.
Venturi  fronça les sourcils. Cela ne ressemblait pas à Menthe-à-l’eau de faire ce genre de plaisanterie.
La voix reprit :
─ J’ai enlevé cinq femmes, commissaire. Je les fais souffrir. Lentement. Avec une savante cruauté. Et ce n’est que le début.

[1]  Surnom de Montalvert.

 Niveau de satisfaction :
4.2 out of 5 stars (4,2 / 5)

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L’Île de Yule – Johana Gustawsson

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2023 (Calmann-Lévy)
Genre : Thriller
Personnage principal :
Emma Lindahl, experte en art

C’est probablement la plus suédoise des auteures françaises. Née à Marseille, Gustawsson a vécu à Paris et à Londres, puis a épousé un Suédois et s’est installée près de Stockholm où elle vit maintenant.

Ce roman se passe justement près de Stockholm, sur une petite île tranquille où résident environ 300 habitants, l’île de Storholmen. Un riche manoir a été construit sur cette île où vit maintenant la famille Gussman. On y a convié l’experte évaluatrice Emma Lindahl pour procéder à l’inventaire des biens de la famille, quatrième grande fortune de Suède.

L’île a une mauvaise réputation depuis que, neuf ans plus tôt, on y a découvert le cadavre horriblement mutilé d’une jeune femme. Emma est peu à peu gagnée par cette ambiance oppressante, travaillant plusieurs jours par semaine dans de grandes pièces où elle ne rencontre personne. Le fait qu’on découvre un autre cadavre de jeune femme vidée de son sang dans la mer près du rivage n’améliore pas l’atmosphère.

Le commandant Karl Rosén, qui avait déjà enquêté sans succès sur l’assassinat de Sofia, la première victime, est chargé d’éclaircir le meurtre de la jeune Maria. Troublé par le fait que son épouse Freyja n’est plus là pour l’épauler, il est aidé par Emma qui a fait d’étonnantes découvertes. Ils ne seront pas trop de deux pour élucider ces assassinats qui s’apparentent à des sacrifices.

Presque jusqu’à la fin, j’avais l’impression d’avoir déniché la perle rare parmi les jeunes écrivaines françaises. L’ambiance est bien rendue : les images et les odeurs nous captivent; les personnages, peu nombreux, sont typiques et intéressants; la composition manifeste le plaisir qu’a l’auteure de jouer avec le lecteur. Et c’est écrit avec simplicité et précision.

Malheureusement, la solution de l’énigme implique une sorte d’irrationalité que, comme lecteur de roman policier, je tolère mal. Un peu comme si un extraterrestre avait commis ces meurtres. En lisant un polar, on cherche à découvrir les motifs qui ont conduit aux crimes. Si cette recherche est inutile parce que l’assassin est un malade mental qui n’a pas besoin de motif pour agir, ça devient frustrant. Ici, ce n’est pas tout à fait  le cas, sauf que ça s’y apparente un peu trop : il a fallu que la psy explique à Karl les « raisons » de ces meurtres. Par ailleurs,  il a aussi fallu qu’Emma soit favorisée par le hasard pour trouver le lieu des mises à mort et que Karl tombe aussi par hasard sur un des deux meurtriers.

Bref, un roman pour ceux qui cherchent à simplement  se distraire ou  qui raffolent des labyrinthes psychologiques sophistiqués.

Extrait :
Je colle mon visage à la vitre.
C’est là.
Là qu’on a retrouvé « la pendue ».
Là qu’elle a été traînée. Hissée. Accrochée toute nue (…)
Je n’arrive plus à respirer. Je recule brusquement et me heurte à la desserte derrière moi. Je trébuche et m’y retiens pour garder l’équilibre. Le meuble bascule avec son drap, qui ondule (…) Une cascade de bruits métalliques rompt soudain le silence. Je plisse les paupières malgré moi, consciente du drame qui se déroule.
Je les rouvre sur une série de brosses par terre, une à cheveux, deux à habits. La coque en argent s’est détachée de la brosse ronde (…) J’essaie de reloger la partie métallique qui s’est détachée du manche lorsque j’aperçois un bout de papier plié à l’intérieur.
Je le retire par automatisme. Il s’agit d’une note.
Une note dont les mots hérissent mon corps de chair de poule :
AIDEZ-MOI JE SUIS ENFERMÉE ICI

L’île de Storholmen

Niveau de satisfaction :
3.5 out of 5 stars (3,5 / 5)

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Au nord de la frontière – R.J. Ellory

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2023
(The Last Highway)
Date de publication française :
2024 – Sonatine Éditions
Traduction (anglais) :
Fabrice Pointeau, révisé par Pierre Delacolonge
Genres : Enquête, Thriller
Personnage principal :
Victor Landis, shérif en Géorgie

Victor Landis, shérif dans le comté d’Union en Géorgie, apprend que son frère, également shérif dans un autre comté, est mort assassiné. Dans un premier temps, Victor est peu affecté par la mort d’un frère avec qui il était brouillé et qu’il n’avait plus revu depuis plusieurs années. Il n’avait pas l’intention de se mêler à l’enquête, mais sa nièce, la fille de son frère, une gamine de onze ans, vive et effrontée, le secoue et lui demande avec force de découvrir ce qui est arrivé à son papa. Finalement, Victor décide d’en savoir un peu plus, pensant, dans un premier temps, que son frère a été mêlé à une affaire illégale qui justifierait son meurtre. Son enquête va prendre une ampleur insoupçonnée avec la découverte d’une série de meurtres d’adolescentes qui avaient disparu. Ses investigations vont alors devenir dangereuses.

L’enquête de Landis concernant la mort de son frère commence lentement, c’est une série de consultations et de rencontres sans qu’il en ressorte de preuves évidentes ni de découverte importante. Landis en tire juste quelques suppositions et des intuitions, rien de bien concluant. Cette partie est un long et lent cheminement d’une enquête qui piétine. Tout change quand sa nièce à laquelle il s’est beaucoup attaché est menacée. Alors le shérif débonnaire se transforme alors en chasseur impitoyable n’hésitant pas à sortir des procédures légales pour obtenir les renseignements qui lui sont nécessaires.

Au niveau des personnages, le shérif Victor Landis tient le rôle principal. C’est quelqu’un de droit et juste, mais ce n’est pas un marrant. Il a 46 ans, veuf, sans enfant. C’est un solitaire et un taiseux. Sa secrétaire Barbara, pas du tout impressionnée par le bonhomme, l’asticote souvent amicalement car ils s’entendent parfaitement tous les deux, leurs dialogues sont souvent savoureux. On se demande longtemps ce qui s’est passé entre Victor et son frère Frank pour qu’il y ait une telle froideur devant l’annonce de la mort du frère. Il faudra atteindre la dernière partie du livre pour l’apprendre. Landis présente deux faces dans cette enquête : d’abord, celle d’un homme placide, respectueux, calme, et puis quand sa nièce est en danger, il devient implacable et même cruel. Victor s’est pris d’affection pour cette nièce dont il ignorait l’existence il y a seulement quelques jours. Il faut dire qu’elle est craquante la petite Jenna. Elle est très mature pour son âge et elle a une volonté féroce, elle n’arrêtera pas de cogner sur les choses tant qu’elles n’auront pas la forme qu’elle désire, dit d’elle sa mère. Elle a vite adopté Victor, cet oncle tombé du ciel, qui ressemble à son père de loin, moins de près, selon ses mots. Mais elle le bouscule ce tonton qui ne voulait pas s’occuper de l’enquête concernant son père : c’était mon papa et tu es mon oncle, et je veux que tu découvres ce qui lui est arrivé. Voilà, Victor n’a plus le choix ! Il fera finalement ce que sa nièce lui demande, mais ce sera périlleux.

Au nord de la frontière est un roman d’enquêtes (il y en a deux : l’assassinat du frère du shérif et les meurtres d’adolescentes) et c’est aussi un thriller haletant dans sa seconde partie. Un très bon cru dans la production déjà bien fournie de R.J. Ellory.

Extrait :
– Écoute, Jenna, je comprends que tu sois bouleversée, etc., mais je ne peux vraiment jouer aucun rôle dans ce…
– Si. Tu es son frère. C’était mon papa et tu es mon oncle, et je veux que tu découvres ce qui lui est arrivé.
– La police s’en chargera. Il y a un inspecteur nommé Mike Fredericksen, et il s’occupe de tout ça.
– Eh bien, je ne suis pas idiote. Je sais déjà deux choses. Mike Fredericksen n’est pas le frère de mon papa, et Mike Fredericksen n’est pas venu ici pour nous poser des questions.
– Je suis sûr qu’il va le faire. »
Jenna ne répliqua pas immédiatement. Elle se contenta de fixer Landis avec ces yeux comme des projecteurs. Il se retrouva à détourner le regard malgré lui. Il y avait chez elle un côté intrusif et direct. Comme l’avait dit Eleanor, elle était prête à cogner sur une chose jusqu’à obtenir la forme qu’elle voulait.
« Si c’était mon frère, déclara-t-elle finalement, les yeux bordés de larmes, et quoi qu’il se soit passé entre nous, je voudrais savoir pourquoi quelqu’un l’a écrasé avec une voiture et l’a mis dans cet état. »
Sa lèvre inférieure tremblait. Son corps était aussi tendu qu’un ressort d’horloge.
« Et si je ne voulais pas savoir, je me demanderais sérieusement pourquoi. »

Niveau de satisfaction :
4.3 out of 5 stars (4,3 / 5)

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Sel – Jussi Adler-Olsen

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2021 (Natrium Chlorid)
Date de publication française :
2022 (Albin Michel, LP)
Traduction (danois) :
Caroline Berg
Genres : Thriller, enquête
Personnage principal :
Carl Morck, Département V

C’est la neuvième enquête du Département V. J’en ai lu 4 ou 5; c’est bien fait, en gros, mais il y a toujours quelque chose qui me frustre dans les romans d’Adler-Olsen : trop long, un peu tiré par les cheveux, personnages qui frisent la caricature, trop d’intrigues en même temps … Malgré tout, l’auteur a le sens du suspense et finit toujours par me captiver. Ce roman ne fait pas exception.

Le Département V a été créé pour analyser des cold cases (des affaires classées), auxquelles personne ne s’intéresse plus. On a confié ce Département à des policiers dont on voulait plus ou moins se débarrasser : l’intelligent mais imprévisible et indiscipliné Carl Morck; l’irascible et fonceuse Rose Knudsen; l’ingénieux mais bizarre Assad; et le dynamique mais inexpérimenté Gordon.

Ils enquêtent aujourd’hui (décembre 2020) sur un cas qui s’est produit dans les années 1980 : l’explosion d’un garage automobile avait tué une dizaine de personnes dont un petit garçon; et on avait découvert un tas de sel près des débris. La présence du sel rappelle à Marcus (le patron de Carl)  d’autres scènes de crimes ou de suicides apparents où du sel de cuisine avait été répandu. Comme s’il s’agissait d’une signature. L’équipe se met à l’œuvre et il apparaît que, depuis trente ans, un tueur aurait déguisé ses meurtres en accidents ou en suicides. À tous les deux ans. En déposant du sel sur les lieux. Et, chaque fois, l’exécution a lieu au moment de l’anniversaire de la naissance d’un grand criminel qui a sévi dans l’Histoire : Milosevic, Idi Amin Dada, Mao, Staline, Duvalier, Saddam Hussein …  On observe enfin que les victimes étaient des personnes peu recommandables qui, le plus souvent, avaient acquis leur fortune en exploitant autrui.

Une bonne partie des recherches s’effectuent dans des dossiers; et les entrevues passent par le téléphone, parce  qu’on est en période de covid; ce qui rend l’enquête peu palpitante. Pour changer le mal de place, l’auteur intercale des chapitres qui décrivent les victimes et les criminels impliqués dans cette série d’assassinats. Par ailleurs, ce qui rend aussi l’enquête difficile, c’est que Morck est poursuivi pour une possible possession de drogues, et son équipe est recherchée pour complicité après le fait. Adler-Olson est friand de ces petits problèmes à l’intérieur d’un gros problème.

Mais quand l’affrontement se produit (les cent dernières pages), il devient difficile de lâcher le roman.

Donc, encore une fois et malgré tout, on finit par être pris au jeu. Dans ce cas-ci, cependant, pour connaître la solution d’un petit problème, il faut se procurer le roman suivant. Ça, j’ai bien de la difficulté à l’accepter. C’est comme lire un roman sans savoir que pour connaître l’issue des problèmes, il faudra acheter le roman suivant ! La dixième et dernière enquête du Département V vient d’ailleurs de paraître, mais je ne suis pas certain que je vais l’acheter : on proteste comme on peut !

Extrait :
« Plus je creuse le sujet, plus je suis étonnée de voir l’importance du sel dans l’histoire du monde, et aussi avec quelle violence les représentants du pouvoir ont utilisé ce condiment essentiel pour asservir l’homme de la rue. À la fin du XVIIIe siècle, le monopole du sel a joué un rôle dans la Révolution française. Même chose aux États-Unis, lorsque les Américains se sont révoltés contre les Anglais. En Inde, en 1930, avec sa longue marche pour la paix, Gandhi s’insurgeait contre le monopole du sel de l’Empire britannique. Avec ses disciples, ils avaient obtenu du sel par évaporation de l’eau de mer, transgressant ainsi la loi édictée par l’Angleterre. Le Mahatma fut emprisonné, la révolte éclata en Inde et l’Angleterre perdit le pouvoir. Une fois de plus, à cause du sel. Même dans la Bible, le sel a une signification. »

Niveau de satisfaction :
3.5 out of 5 stars (3,5 / 5)

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L’or maudit – Mireille Calmel

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2024 – XO Éditions
Genre : Thriller médiéval
Personnage principal :
pas de personnage principal mais de nombreux personnages d’égale importance

Mars 1313 – Vallée du Haut-Razès[i].
Sept ans auparavant, le roi Philippe le Bel a fait arrêter tous les Templiers. Mais la fortune immense de l’ordre des moines-soldats n’a toujours pas été récupérée. Guillaume de Nogaret est chargé par le roi de retrouver l’or des Templiers. Ce trésor aurait été transféré dans le Haut-Razès. Quand un berger découvre une de ses brebis éventrée à côté d’un tas de pièces d’or templières au milieu duquel est plantée une épée tenue par un gant d’armure enveloppant une main tranchée, cela sonne comme un avertissement donné à ceux qui cherchent l’or disparu. Alors qu’à Carcassonne sévit le grand inquisiteur Geoffroy d’Ablis qui terrorise les populations en pourchassant les hérétiques, d’étranges feux apparaissent au sommet d’anciennes tours, signe de ralliement des cathares. Le bruit court que l’or du Temple sert à réveiller l’activité cathare. Dans cette ambiance, la châtelaine Margaux de Dente a des raisons d’être inquiète : son frère a fait partie de ceux qui ont convoyé l’or du Temple jusqu’au Razès et son beau-père Othon d’Aure exerce sur elle un ignoble chantage.

Ce roman s’appuie sur la vérité historique concernant les Templiers, les Cathares et l’Inquisition. Sur ces faits historiques, l’autrice a tissé une intrigue dense et touffue où se mêlent personnages ayant existé et personnages imaginaires. Ils sont nombreux et il est parfois difficile de s’y retrouver, d’autant plus qu’entre eux existent souvent des liens de parenté qui sont difficiles à retenir. La présence de nombreuses jumelles ne simplifie pas les choses : Margaux à une sœur jumelle, elle a aussi deux filles qui sont jumelles. Guillaume de Nogaret a deux sœurs jumelles. Ça fait beaucoup de jumelles pour un seul roman ! À l’époque, la gémellité était considérée comme une malédiction et l’œuvre du diable pour les catholiques, il fallait donc cacher les jumelles pour ne pas subir les foudres de l’Inquisition.

Malgré une complexité due au nombre de personnages, l’autrice utilise parfaitement l’histoire et les légendes attachées aux Templiers, aux Cathares et à Rhedae (aujourd’hui Rennes le Château) pour bâtir un roman plein de suspense, de mystères et de poésie. J’ai moins apprécié une fin inattendue et très frustrante qui ne finit pas l’histoire commencée. Il faut acheter le tome 2 pour connaître un dénouement dont on n’est même pas certain qu’il se produise dans ce livre. D’ailleurs L’or maudit est le prolongement d’une précédente suite de l’autrice : Le Templier de l’ombre. Le genre feuilleton en littérature qui a pour but de garder le lecteur captif me rebute. Dommage, car c’est un bon roman pour se distraire et rêver au trésor que certains continuent de chercher.

[i] Le Razès est une région d’Occitanie dont le centre est Rennes le Château (ex Rhedae) dans l’Aude, à 45 kilomètres au sud de Carcassonne et à 20 kilomètres de Limoux.

Extrait :
Bientôt un chant s’éleva, comme une seule voix dans la froideur du silence. Un chant bercé par le hurlement des loups. Malgré sa terreur, Margaux sentit sa gorge, son cœur se nouer. Ce chant, elle le connaissait. Sa mère le fredonnait. Puis, après sa mort, quelquefois, son père. Avec une émotion douloureuse. Elle eut l’impression qu’un poing lui percutait le ventre. Elle sentit des larmes couler sur ses joues. C’était son enfance. Ses racines. C’était son histoire, l’histoire de sa grand-mère, de sa mère, de sa tante, l’histoire de la persécution, de l’exil, que ces gens en marche racontaient. Comment aurait-elle pu ne pas en être touchée, elle que son père avait élevée dans l’esprit des philosophes, dans le respect des autres et de leurs croyances ?

Hymne des cathares – Lo Boièr (Le bouvier)

Monnaie templière

Niveau de satisfaction :
3.9 out of 5 stars (3,9 / 5)

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Le Huitième Registre-2. La Quête de l’Inquisiteur – Alain Bergeron

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2024 (Alire)
Genres : Historique, enquête
Personnage principal :
Siméon Monocrate, Inquisiteur

C’est avec un grand plaisir que j’ai traversé le premier tome du Huitième Registre. Ce deuxième tome se présente de la même façon : près de 700 pages, dont une cinquantaine indiquant les Dramatis Personae et le Glossaire. Pour mieux comprendre les particularités du récit, j’encourage le lecteur à parcourir ces sections, ne serait-ce que pour connaître les propriétés du caveh, cette infusion étonnante qui plonge nos personnages dans des transes pas toujours mystiques. On notera aussi la carte géographique des pages 644-645, qui nous permet de suivre l’itinéraire complexe de Siméon.

Siméon, Calixte et Sophia sont toujours recherchés pour avoir supposément participé aux attentats terroristes d’Aristopolis. Par ailleurs, les troubles politiques opposent les fidèles de l’Empereur aux autonomistes, dont un des plus redoutables est le général Arbitus Clemens, commandant suprême des forces d’Arcadie, qui réclame la totale indépendance des provinces du Nouveau Continent à l’égard de Constantinople, ce qui constitue une raison supplémentaire pour que Siméon et ses deux amis s’enfuient dans l’Ancien Continent.

Avant de regagner Rome, où monseigneur d’Orcanne, vieil adversaire de Siméon, vient d’être nommé Pape (Sixte Sévère), Siméon décide de faire un détour par la Britannie, où il rencontre, à Oxenberry, l’historiosophe Seymour de Glencoe, qui le renseigne sur la fameuse faille du 7e siècle,  l’existence du prophète Muhammad, et le rôle du Très Saint Ordre qui aurait fait en sorte que Muhammad devienne un prosélyte du christianisme plutôt que de fonder une nouvelle religion.

Les dernières paroles de Muhammad auraient été colligées dans le Noble Livre, à la recherche duquel Siméon se lance, tout en tentant de résoudre le problème des inquisiteurs disparus. Mais, pendant ce temps, les attentats se multiplient contre Nicomède IV. Le Clibanaire, alias Maxime Helios Callus, devenu chef des Spartaquistes, rêve de réduire en cendres l’édifice entier du Saint-Empire romain byzantin. C’est lui qui avait causé le massacre d’Aristopolis, tuant du même coup le père de Sophia, et rejetant la responsabilité sur le dos de Siméon, dont il aimerait bien, d’ailleurs, se débarrasser.

Le dernier chapitre mettra définitivement fin à ces conflits; il s’intitule Que l’on eût préféré voir se clore d’une plus heureuse façon. Façon pour le moins ambigüe, en effet. Mais qui révèle clairement où réside l’intérêt de l’auteur: il ne s’agit pas d’un roman d’aventures où, après bien des épreuves, notre héros finit pas s’en sortir victorieux. Ce n’est pas non plus un roman policier où des mystères sont éclaircis avec brio (ce à quoi pouvait toujours ressembler le premier tome); ici, trop de problèmes sont encore loin d’être réglés. Mais ça n’a pas trop d’importance. Le plaisir de l’auteur est plutôt, me semble-t-il, de nous attacher à ses principaux personnages et surtout de nous décrire dans le détail la vie dans ces villes importantes du Saint-Empire romain byzantin, particulièrement Oxenberry, Rome, Alexandrie, Bagdad et surtout Constantinople. L’historien, et même le géographe, prend le pas sur le créateur de thrillers, même s’il s’agit de villes imaginées dans une uchronie, où se répercutent des problèmes que nous connaissons bien : l’opposition entre les partisans de la science et ceux de la religion, la préférence accordée à l’expérimentation ou à la foi, la démocratie ou le despotisme plus ou moins éclairé, le fanatique et le philosophe…

Extrait :
Wu (représentante de la Sublime Alliance) :
Nos érudits considèrent que la civilisation sinanienne est infiniment supérieure à la vôtre.
─ Nos propres scholarques, répliqua Siméon, s’indigneraient d’une pareille affirmation !
─ Les nôtres leur brandiraient l’exemple des plus grandes inventions, celle du papier, de l’acier, de la poudre explosive et de la typogravure (…)  Et que dire de nos anciennes machines logiques qui ont inspiré la construction tardive de vos orgues à traitement de signes ? (…) Qui fut donc le premier explorateur à atteindre les rives du Nouveau Continent, quatre siècles avant votre Bartholomeo Die ? Le navigateur Jeng Hai, celui qui a donné son nom à l’océan qui baigne notre Sublime Alliance. Et au moment même où nous nous parlons, lequel de nos deux empires est-il sérieusement engagé dans la conquête des terres du ciel ?
─ Des quoi ?
─ Des terres du ciel. Je parle de la Lune qui nous regarde si gentiment de là-haut ce soir, mais aussi de tous les autres astres que vous vous contentez de contempler la nuit avec de risibles lunettes.

La bibliothèque d’Alexandrie

Niveau de satisfaction :
4.1 out of 5 stars (4,1 / 5)

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Le Magnat – Vish Dhamija

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2018 (The Mogul)
Date de publication française :
2024 – Mera Editions
Traduction :
Iris le Guinio
Genre : Thriller judiciaire
Personnages principaux :
Prem Bedi, magnat des affaires – Tej Malhotra, ami et associé de Prem – Rohan Malhotra, fils de Tej et avocat – Ranjeet Dutta, commissaire adjoint de police – Manish Desai, beau-frère de l’ex-épouse de Prem Bedi

Prem Bedi, surnommé le Magnat, est une des plus grandes fortunes de l’Inde. Au retour d’un voyage d’affaires en Corée du Sud, il apprend que son ex-femme et son nouveau mari ont été assassinés. L’enquête révèle que l’arme du crime est un club de golf. Prem Bedi pratique le golf, il est même président d’un prestigieux club de golf de Mumbai. Autre élément que les enquêteurs ont trouvé sur la scène de crime : l’empreinte d’une semelle de chaussure taille 42. La même taille que les chaussures portées par Bedi. L’arme et l’empreinte relient Bedi au crime. Son ami et associé Tej Malhotra est inquiet, il voit le piège se refermer sur Bedi, alors que celui-ci reste parfaitement serein et confiant en la police et la justice. Il sera cependant obligé de se justifier devant un tribunal. S’engage alors une féroce bataille juridique très médiatisée.

Cette histoire se présente sous la forme d’un roman choral à voix multiples. Interviennent dans la narration : l’ami du Magnat, son avocat, le commissaire adjoint chargé de l’enquête, le beau-frère qui veut faire condamner Bedi, son avocat, un commissaire de police corrompu et quelques autres encore. Outre la diversité des points de vue, cela donne du rythme au roman.

Le roman judiciaire indien n’est pas très différent du roman judiciaire occidental, d’ailleurs Vish Dhamija a été qualifié de John Grisham indien. Cependant le riche homme d’affaires a rarement le beau rôle dans le roman occidental. Ici, Prem Bedi possède une immense fortune, il est de sang royal, mais il est aussi très humain, modeste et aimé non seulement de ses associés, mais aussi de ses employés. C’est un patron que tout le monde adore. Dans la difficulté il garde le sourire et une grande maîtrise de lui. Toujours confiant en ses amis, en la police et la justice. Bref, un ange ! On finit par se demander si une telle personnalité pleine de bonté et de bienveillance est compatible avec sa position de puissant homme d’affaires. Il est très loin des requins de la finance que nous rencontrons souvent dans les romans ou films occidentaux. Mais Vish Dhamija est un malin, il utilise ingénieusement la personnalité de Bedi pour construire un roman plein de suspense et de rebondissements.

Au passage, l’auteur montre la corruption de la police. Il semblerait aussi qu’en Inde des policiers n’hésitent pas à balancer des informations confidentielles aux avocats des deux camps.

Le Magnat est un thriller judiciaire prenant par ses péripéties et astucieux par son intrigue basée sur une faille dans les analyses de sang et d’ADN qui existait avant 2005 et qui a été corrigée depuis. L’auteur réussit à mener en bateau le lecteur tout le long de cette histoire. Un lecteur finalement ravi de s’être fait mystifier.

Extrait :
— Monsieur Desai, laissez-moi vous expliquer les choses simplement. Si monsieur Bedi était condamné pour le meurtre de madame Rea Desai, il perdrait le droit de toucher l’argent qui a été présenté par l’accusation comme le mobile du meurtre. Dans ce cas-là, vous et vous seul pourriez recevoir l’argent de l’assurance de madame Rea Desai et aussi de celle de monsieur Prem Bedi. Donc, bien que vous soyez en deuil, et je suis vraiment navré que cet acte horrible ait été commis, qui qu’en soit l’auteur, vous avez une excellente raison de vouloir que monsieur Bedi soit condamné pour ces meurtres, vous ne croyez pas ? Je lui lançai un regard noir.

Arme du crime

Niveau de satisfaction :
4.2 out of 5 stars (4,2 / 5)

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L’Accompagnateur – Sebastian Fitzek

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2020 (Der Heimweg)
Date de publication française :
2022 (L’Archipel)
Traduction (allemand) :
Céline Maurice
Genre : Thriller, noir
Personnage principal :
Jules Tannberg, accompagnateur – Klara, l’accompagnée

Fitzek passe pour l’auteur de thrillers le plus populaire en Allemagne. C’est la première fois que j’ai l’occasion de le lire.

Tempête de neige à Berlin. Jules est responsable d’un service d’accompagnement téléphonique qui vient en aide aux femmes en danger. Il tente actuellement d’entrer en contact avec Klara, qui ne parle pas beaucoup, mais qui finit par lui apprendre qu’elle est une femme violentée par son mari et par son amant, qui lui a ordonné de tuer son mari sans quoi il la ferait mourir dans d’atroces souffrances tel jour à telle heure. Elle juge sa situation désespérée et, malgré qu’elle ait une fille de 6 ans, Amélie, elle cherche à se suicider. Et elle avertit Jules que, comme elle lui a communiqué ces informations, Yannick voudra le tuer lui aussi. Le téléphone s’éternise; Klara s’efforce maladroitement de se tuer sans y parvenir; Jules persiste inlassablement à lui faire la conversation; et on ne comprend pas très bien pourquoi Klara ne ferme pas la ligne.

Bon ! La femme battue pas très futée qui en redemande, et le bon samaritain qui éprouve un besoin maladif de s’occuper des autres, c’est un refrain connu et, après 100 pages, on se demande ce qui a pu faire la réputation de Fitzek.

Puis, des événements apparemment anodins se produisent : un couteau accroché au mur de la cuisine est disparu. Jules semble tellement mêlé dans ses papiers que ça n’a peut-être pas d’importance. Mais il entend du bruit et quitte Klara momentanément pour s’occuper d’une fillette qui dort dans sa chambre. Or, comme lui fait remarquer Klara, sa fille Fabienne est supposée être morte, d’après ce qu’il lui aurait dit. Elle a sans doute mal compris.

Klara, malgré une cheville amochée, court encore dans la tempête et se fait heurter par un homme déguisé en Père Noël. Il semble vouloir l’aider, mais, méfiante, elle le menace d’une arme pour lui voler son automobile. Hendrik se défend et la ligote, mais son mari Martin surgit et entreprend de la livrer à quelques hommes sadiques.

Jules est toujours au téléphone avec Klara, mais il a des problèmes de saignements de nez et il a l’impression que quelque chose cloche dans l’appartement. Il parle aussi sur un autre téléphone avec son père pour des raisons peu claires. Chose étrange également, il découvre des médicaments dans son verre de jus d’orange.

Bref, on n’est plus du tout dans la petite histoire banale d’un bon samaritain qui vient en aide à une pauvre femme. En fait, on ne sait plus du tout dans quelle histoire on est rendus. Et, au cas où le lecteur ne serait pas suffisamment mêlé, quelques rebondissements se produisent : Klara devra affronter Yannick et Jules découvrira un jeune homme sous le lit de la fillette.

Au début, on tourne rapidement les pages parce qu’on veut en finir tôt avec cette histoire banale. Puis, on tourne rapidement les pages parce qu’on veut voir le dessous des cartes, comprendre enfin le sens caché (fort habilement) de ces événements.

Bref, c’est un récit bouleversant, si on veut dire par là une intrigue qui nous oblige à changer complètement notre point de vue au cours de la lecture, avec l’impression d’avoir été roulé copieusement dans la farine. Chapeau !

Extrait :
Klara se demanda si, malgré la douleur, elle serait capable de se relever pour regagner la forêt au pas de course, mais le temps de formuler cette pensée, il était déjà trop tard. L’ombre grandit au-dessus d’elle. Les pas se rapprochèrent.
Elle réussit à rouler de côté, à se remettre debout et même à repousser la main qui venait de lui saisir le bras. Puis elle trébucha sur un caillou, une branche, ou était-ce ses propres pieds ? Son propre corps lui paraissait étrangement engourdi; de nouveau étendue sur le dos, elle articula à grand peine :
Fiche-moi la paix, Yannick ! Dégage, espèce de salopard !
Mais le tueur ne recula pas d’un centimètre. Il se pencha au-dessus d’elle, l’air de l’observer à la lueur des phares. Elle plissa les paupières, éblouie.
─ Finis-en vite, au moins, supplia Klara.
Elle rouvrit les yeux aussi grand qu’elle le pouvait.
Et ce qu’elle vit la fit définitivement douter d’avoir encore toute sa raison.

Berlin sous la neige

Niveau de satisfaction :
4.3 out of 5 stars (4,3 / 5)

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Norferville – Franck Thilliez

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2024 – Fleuve noir
Genres : Enquête, roman noir
Personnages principaux :
Teddy Schaffran, criminologue et père d’une fille assassinée – Léonie Rock, lieutenante de police à Baie-Comeau (Québec)

Teddy Schaffran, détective et criminologue à Lyon, apprend que sa fille est morte et qu’elle a été sauvagement mutilée. C’est arrivé à Norferville, un bled paumé au milieu du Grand Nord canadien. Rien que des forêts et des milliers de lacs autour, aucune autre agglomération à moins de plusieurs centaines de kilomètres. Sans réfléchir, Teddy confie son agence de détectives à son associée et prend un vol pour le Québec. Pendant ce temps Léonie Rock, lieutenante de police à Baie-Comeau, est envoyée à Noferville pour enquêter sur la mort de Morgane Schaffran, la fille de Teddy. Pour Léonie c’est le retour en enfer : elle est née dans cette ville et lorsqu’elle était adolescente, elle et une de ses copines ont été violées par trois individus cagoulés. Ce retour vers sa ville natale pour enquêter sera aussi pour elle l’occasion de régler quelques comptes. Teddy et Léonie vont se retrouver dans un territoire inhospitalier où les températures peuvent descendre jusqu’à – 50°C.

Ce roman c’est d’abord un cadre et une ambiance. L’auteur a choisi de placer l’action dans une ville éloignée de tout, dans un climat extrême. Norferville ne vit que par sa mine dans laquelle huit cents mineurs arrachent le fer des entrailles de la Terre, dans le froid et la douleur. C’est une ville de quatre mille habitants, en incluant les mineurs et les autochtones innus de la réserve Papakassik. C’est un caillou de fer dans un désert de glace. Aucune route ne mène à Norferville qui est seulement accessible par un unique train qui circule deux fois par semaine et par de petits avions réservés aux allers-retours des mineurs. L’isolement, le froid, la neige, la fumée de mer arctique, cette brume glaciale très dangereuse, installent une ambiance oppressante de danger permanent.

Mais le danger ce n’est pas que le climat, des prédateurs agissent dans l’ombre. Les Innus invoquent le Windigo, une créature mi-homme mi-animal qui vit dans la forêt et se rapproche lorsqu’elle est en colère pour se nourrir de tout ce qui vit et de préférence de chair humaine. Léonie et Teddy, eux, ne croient pas au Windigo, ils savent que les meurtres sont dus à des humains et ils font tout pour découvrir les coupables.

Les deux protagonistes sont des personnes en souffrance. Teddy a perdu sa femme et un œil dans un accident de voiture dont il s’attribue la responsabilité. Depuis, sa fille s’est éloignée, physiquement et sentimentalement. Quand il la retrouve, elle est morte. Quant à Léonie, elle n’a jamais pu oublier l’agression sexuelle qu’elle a subie dans sa jeunesse.

La présence des autochtones innus dans l’intrigue donne l’occasion à Franck Thilliez de dénoncer les pratiques abusives de la police envers eux, telle la cure géographique : les représentants de l’ordre emmenaient les autochtones qui avaient un peu trop bu ou qui étaient drogués à l’écart de la ville et les abandonnaient au milieu de nulle part pour les punir. Parfois, ça allait même jusqu’au viol. Autre sujet abordé : les disparitions de filles amérindiennes qui se sont évanouies dans la nature sans que personne, à part leur famille, ne s’en inquiète. D’ailleurs Morgane, la fille de Teddy, enquêtait sur ces disparitions avant d’être assassinée.

Norferville est un roman dense qui se déroule dans un cadre austère et un climat extrême, avec des personnages marqués par les épreuves endurées. Les pratiques arbitraires subies par les tribus amérindiennes et l’indifférence devant les disparitions inexpliquées de jeunes filles sont aussi dénoncées. C’est un roman noir magistral.

Extrait :
Les monstres étaient partout, même dans les coins les plus reculés. Le Mal n’avait pas de frontière, pas de hiérarchie, il frappait tout le monde, il habitait tout le monde. Paul Liotta, tout comme Sid Nikamu, faisait partie de ces prédateurs. De ces hommes qui avaient décidé de se laisser guider par leurs obsessions, leurs déviances. Et aujourd’hui, Léonie comptait bien les faire passer à la caisse. Chacun leur tour.

Niveau de satisfaction :
4.3 out of 5 stars (4,3 / 5)

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Le soleil rouge de l’Assam – Abir Mukherjee

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2019 (Death in the East)
Date de publication française :
2023 (Liana Levi)
Traduction (anglais) :
Gonzalez Battle
Genres : Enquête, historique
Personnage principal :
Sam Wyndham, policier

C’est un roman plutôt inhabituel parce que l’auteur est un écrivain peu commun. Ses parents sont arrivés de l’Inde en Angleterre dans les années 50, à une époque où l’immigration paraissait avantageuse pour tous. Né en Écosse en 1974, où il a grandi, Mukherjee a été amèrement déçu par la montée du populisme en Europe, particulièrement en Grande-Bretagne, comme aux États-Unis. Il retrouve une forme de racisme comme l’Inde a connu sous l’occupation anglaise après la Première Guerre mondiale. C’est en grande partie pourquoi le fantasme d’écrire son mystère de la chambre close s’est vu intégré dans une description sociale critique de l’Angleterre de 1905 et de l’Inde de 1922.

Le policier qu’on retrouve dans ses histoires, l’anglais Sam Wyndham, est jeune en 1905. Il arpente les ruelles de Whitechapel, de sinistre mémoire, en compagnie du sergent Whitelaw, son supérieur immédiat. Il assiste, impuissant, à une bataille de rue entre deux hommes, alors qu’une femme reste étendue au sol. C’est une femme qu’il connaît; elle sera assassinée quelques jours plus tard dans sa chambre, fermée de l’intérieur, la clé dans la porte, et une fenêtre par laquelle il ne serait pas facile de s’évader.

Le récit de cette enquête alterne avec l’histoire d’une tranche de vie de Wyndham, alors qu’il est maintenant, en 1922, capitaine de police à Calcutta depuis la fin de la guerre. Plus précisément, on le retrouve en cure de désintoxication  dans les collines de Cachar, au fin fond de la province de l’Assam, à trois jours de train de Calcutta : il séjourne dans un ashram, dirigé par un vieux sage, pour se défaire de son intoxication à l’opium. Après une quinzaine de jours, il ira terminer sa convalescence dans le village de Jatinga chez un ami de frère Shankar, l’ingénieur Charles Preston. Et alors qu’il s’apprête à arrêter une vieille connaissance qui vient d’engager deux types pour le tuer, l’instigateur en question décède dans son lit d’une mort qui semble naturelle, d’autant plus que la porte de sa chambre est barrée et que les fenêtres sont fermées. L’enquête se poursuit et aboutira à une conclusion doublement  inattendue : l’identité de l’assassin et le sort qui lui est réservé.

En réalité, je viens de décrire la colonne vertébrale du roman. J’ai omis ce qui est peut-être le principal pour Mukherjee : le racisme contre les immigrés, surtout les Juifs, à Londres en 1905, qui conduit d’ailleurs à une condamnation injuste; et le manque de respect pour les Indiens en Inde après la guerre de 14, où les riches Anglais ne tolèrent pas d’être interrogés par un policier indien et supportent mal que ce même policier s’adresse à une dame anglaise. Il est certain que cette dimension sociale donne plus de chair aux personnages.[1] C’est dans ce contexte que sont subtilement décrits les rapports entre le policier anglais et son second indien, de même que les contradictions de Wyndham lui-même, épris de justice sans doute, mais pas moins anglais pour autant. Ces critiques ne sont pas négatives pour l’auteur parce qu’elles sont indissociables de l’espoir d’un retour au fair-play britannique.

[1] L’auteur plante son décor de la même façon dans L’Attaque du Calcutta-Darjeeling, dont mon collègue a ici fait le compte rendu le 28 octobre 2020.

Extrait :
« J’ai insulté le pasteur ? » Sat recule d’un pas. « Je n’ai employé aucune épithète désobligeante. Lui, m’a traité d’avorton païen et de subalterne prétentieux. Vous n’avez rien à dire là-dessus Il s’est fait payer pour régler une affaire impliquant deux Indiens morts, mais c’est moi qui suis insultant ?
─ Ce n’est pas ce que …
─ Le docteur Deakin m’a appelé noiraud et M. Preston s’est moqué de moi en m’appelant le Mahatma. Vous ne les avez pas jugés insultants ? Ou bien croyez-vous qu’un Anglais peut dire à un Indien ce qui lui plaît, mais que lorsqu’un Indien a la témérité de contester un Anglais c’est une insulte au sahib ? » (…)
Je me rends compte avec une clarté douloureuse qu’il a raison. Mais je ne suis pas assez honnête pour admettre quoi que ce soit de la sorte devant lui.

Suicide des oiseaux à Jatinga

Niveau de satisfaction :
4.2 out of 5 stars (4,2 / 5)

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Comment voyager dans les Terres oubliées – Sarah Brooks

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2024 (The Cautious Traveller’s Guide to the Wastelands)
Date de publication française :
2024 – Sonatine
Traduction (anglais) :
Héloïse Esquié
Genre : Aventures fantastiques
Personnages principaux :
Weiwei, fille du train – Elena, fille des Terres oubliées

Pékin, 1899.
Après les incidents qui ont marqué sa dernière traversée, le Transsibérien va reprendre ses voyages allant de Pékin à Moscou. La Compagnie Transsibérienne assure que tout est désormais sécurisé. Le train est une forteresse blindée capable de traverser sans dommages les Terres oubliées, ce territoire inconnu, vaste et hostile, dont on dit qu’il y a un prix que doit payer tout voyageur s’aventurant dans ces terres, un prix dépassant le simple coût d’un billet de train. Ce qui ne décourage pas les voyageurs nombreux et animés de motivations diverses : goût de l’aventure, cartographie des Terres oubliées, étude des spécimens présents en ces lieux, ou découverte de la vérité sur la mort d’un père. Commence alors un voyage qui va s’avérer mouvementé et plein d’imprévus.

Après avoir présenté les voyageurs et membres de l’équipage, l’autrice installe une ambiance de mystère et de menace diffuse qui plane à l’extérieur et à l’intérieur du train. Ce qui se présentait jusqu’alors comme un roman d’aventures vire progressivement au fantastique. Les Terres oubliées ne sont plus une région inexplorée et impénétrable, cela devient une autre planète qui nécessite une combinaison hermétique, un casque, des bottes et des gants épais pour s’y aventurer. Elle est peuplée d’animaux, oiseaux et plantes inconnus. Bizarrement la seule créature qui se rapproche d’un humain est une jeune fille, certes un peu étrange, mais ressemblant quand même beaucoup à Weiwei, la fille qui est née dans le train. D’ailleurs, toutes les deux vont développer des liens d’amitié forts. À part cette fille, aucune autre présence humaine où ce qui y ressemble n’existe dans les Terres oubliées.

Ce basculement dans le fantastique m’a fait décrocher de l’histoire, je suis resté en marge de l’intrigue sans vraiment me sentir concerné. Je me suis fait violence pour terminer un livre devenu ennuyeux. Je n’ai pas du tout ressenti ce que d’autres ont trouvé dans ce roman : le frisson de l’aventure, un avertissement, un message écologique, une morale … Peut-être y a-t-il de ma part un manque d’attrait pour ce mélange des genres sans aucune logique ? Peut-être une quatrième de couverture qui m’a laissé penser que c’était un livre d’aventures plein de mystères et de suspense, alors que c’est essentiellement un roman fantastique.

Ce livre est d’une grande originalité, mêlant aventures, post-apocalypse, fantastique, horreur, cependant la recette a eu un goût si déconcertant pour moi que je n’ai pas pu l’apprécier.

Extrait :
Les soldats ont quitté le hall d’exposition. Les hommes de la Compagnie ont été engloutis par la foule.

Elle se retourne vers le train, comme si elle le voyait pour la première fois ; sauvage, couvert de végétation, un peu forêt, un peu montagne, un peu train. Plein de toutes les traversées qu’il a accomplies. Plein de toutes les traversées à venir.
Elle entend son moteur revenir à la vie dans un rugissement.

Niveau de satisfaction :
3 out of 5 stars (3 / 5)

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