Le crime du garçon exquis – Ronald Lavallée

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2024 (Fides)
Genres : Enquête, historique
Personnage principal :
Matthew Callwood, policier

Lavallée nous avait conquis en 1922 avec Tous des loups. Dans ce cas-ci, très loin du Grand Nord canadien, l’atmosphère ne peut pas être plus différente : 1915, en Flandre, dans des tranchées boueuses et malodorantes, Canadiens, Français et Britannique font face aux Allemands. Les obus volent bas, les balles traversent des corps, les cadavres se décomposent. Aucune complaisance au gore, cependant. Ce qui intéresse Lavallée, me semble-t-il, c’est de peindre une immense fresque exposant les horreurs de la guerre des tranchées, l’agonie de milliers de jeunes hommes dont plusieurs se demandent ce qu’ils font là, l’absurdité et l’horreur de ces affrontements insensés.

Le jeune Matthew Callwood (il a maintenant environ 26 ans), héros malgré lui de Tous des loups, se retrouve au front. Entassé avec d’autres soldats dans la promiscuité et la puanteur, s’efforçant de dormir après une semaine en première ligne, il est convoqué par le général de brigade Harold Punter qui lui confie une mission spéciale : un jeune soldat, Bertie Quilliams, est accusé d’avoir tué son rival amoureux à la sortie d’une maison close pour hommes. Callwood a pour mission de trouver des preuves permettant de condamner le suspect le plus tôt possible pour que le déshonneur ne s’empare pas du régiment.

Le général promeut (momentanément) Callwood de caporal à lieutenant, et lui affecte comme adjoint Henry Pudding (sic), un grand gars intéressé particulièrement par les chevaux, et qui sera son homme à tout faire. Pas facile d’enquêter sur un champ de bataille ou dans une bourgade reconnue pour ses maisons closes. Surtout quand le cadavre semble est disparu et que l’arme du crime n’a pas été retrouvée. Callwood finit par se persuader que Quilliams n’est pas vraiment l’assassin, mais il se rend compte aussi que ça n’intéresse pas grand monde; ce qui compte, c’est qu’on en finisse avec cette affaire.

L’enquête est malaisée : entre les galopades de Callwood et Pudding, les randonnées en moto du lieutenant, la visite des bordels, la parenthèse amoureuse de Matthew, et les escapades dans la boue et entre les balles, les hypothèses se multiplient jusqu’à un dernier rebondissement qui fera tomber Bertie de Charybde en Scylla.

C’est certain qu’on a hâte de savoir comment Callwood se sortira de cette enquête tarabiscotée. Mais il ne me semble pas que ce soit l’essentiel. Pas plus que les réflexions sur l’homosexualité, la conception de l’homme de Pascal, la justice. Même les personnages m’apparaissent comme des figurants et l’enquête comme une sorte de prétexte pour nous présenter cette fresque grandiose de la barbarie humaine. Dans sa fresque précédente sur le Grand Nord canadien, on côtoyait les grands espaces, les rivières imprévisibles, la densité des forêts, les animaux sauvages, et on en sortait abasourdi mais heureux. Cette fresque-ci est tout aussi grandiose, mais elle expose la barbarie humaine dans ce qu’elle a de plus cruel.
On en ressort impressionné mais plutôt triste.

Extrait :
Il pleut à torrents. Callwood et Quilliams longent la voie ferrée qui les mène vers Zillebeke. Leurs manteaux détrempés pèsent vingt livres, Ils en ont un autre cinquante sur le dos, en vivres, cartouches, fusils et grenades. Ils cheminent avec la deuxième division. Dans la brume et la pluie, loin devant eux, des éclats lumineux illuminent la boucaille. Les déflagrations les secouent déjà jusqu’aux entrailles.
Les Allemands ont attaqué aux Bois du Sanctuaire. On aurait pu voir venir. Depuis quelque temps, les aviateurs du Royal Flying Corps signalaient une forte concentration des troupes ennemies à l’arrière. La nuit, les tranchées allemandes poussaient des sapes dans le no man’s land comme un escargot qui allonge les tentacules. Le QG a préféré croire à une feinte. On a laissé quatre bataillons inexpérimentés devant l’ennemi, des types qui arrivaient tout juste des camps d’instruction. Ils ont été balayés. Cédant à son réflexe coutumier, le QG a ordonné qu’on reprenne coûte que coûte les hauteurs perdues, comme si tout cela était la faute des hommes.

La guerre des tranchées

Niveau de satisfaction :
4.2 out of 5 stars (4,2 / 5)

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