Par Michel Dufour
Le polar québécois: un survol
Quand nous avons envisagé la mise sur pied d’un site sur les romans policiers, en septembre dernier, Jacques Henry et moi avions prévu une petite place pour les polars québécois. En entreprenant des recherches systématiques, j’ai vite été, toutefois, submergé par l’abondance et surpris par la qualité de la production. Rien à comparer avec les publications anglo-saxonnes ni même françaises, sans doute, mais trop pour la bonne volonté d’un amateur à qui manquaient l’expérience et les outils élémentaires pour déterminer un bilan passable et tracer une carte d’orientation utile. Depuis six mois, les choses ont changé : en me familiarisant un peu avec le milieu, en ingurgitant livres et comptes rendus, en jasant avec quelques libraires et représentants d’éditeurs, je suis parvenu à déblayer le terrain, assez pour me frayer un chemin dans cette jungle méconnue. Et, comme sommeille probablement en chaque amateur de polars un redresseur de torts, je vais tenter de mettre à notre disposition quelques moyens pour pouvoir connaître et apprécier davantage nos produits du terroir.
Avancez en arrière!
Dans son minutieux travail historique sur Le roman policier en Amérique française, Norbert Spehner distingue cinq étapes;
1. Période archaïque (1837-1920).
Si on prend roman policier au sens très large de récit autour d’une enquête criminelle, le polar québécois naîtrait en 1837 avec les romans de deux auteurs qu’on connaît habituellement pour d’autres raisons : Philippe-Aubert de Gaspé (L’Influence d’un livre) et François-Réal Angers (Les Révélations du crime ou Cambray et ses complices). A recommander aux sociologues et historiens de la littérature. Puis, à la fin du siècle, dans le sillage des Mystères de Paris, Hector Berthelot publie Les Mystères de Montréal (1898).
2. Période Édouard Garand (1920-1940).
Édouard Garand est le principal éditeur de la littérature populaire qui connaît, à cette époque, un essor étonnant. Représentant 40% de la publication romanesque, dont une dizaine de polars, Garand tire à 10 000 (sic!) exemplaires par roman, alors qu’on se contente d’environ 400 aujourd’hui. Une bonne partie de l’influence anglo-saxonne date de cette période : en 1937, en effet, Garand publie la revue mensuelle Romans Détective (25 000 exemplaires/numéro) qui multiplie les traductions de romans anglais et américains.
3. L’Age des fascicules (1940-1960).
J’ai connu cette période glorieuse alors que, âgé de 11 ou 12 ans, avant les Bob Morane, et en même temps que les Signes de piste, j’achetais ma dose hebdomadaire d’IXE-13, l’as des espions canadiens, d’Albert Brien détective, de l’aventureux Domino noir et de Guy Verchères. Ce n’était pas vraiment de la littérature pour la jeunesse quoique, sous la suprématie idéologique de l’Église et de l’Union nationale, on ne pût pas s’attendre à des scènes audacieuses : combien semblait platonique l’amour de Gisèle Tuboeuf pour l’extraordinaire Jean Thibault. Peu importe : en 32 pages, nous étions transportés dans un univers d’espions (guerre oblige) ou de méchants garnements (conséquences de l’urbanisation et de l’industrialisation), ce qui nous préparait aux livres de poche des classiques américains traduits qui commençaient à envahir le marché : Hammett, Chandler, Queen, Stout, puis des Anglais Christie, Doyle… Coupés des importations françaises pendant la guerre, nous nous étions rapprochés de la culture américaine qui, d’ailleurs, s’exportait maintenant massivement même en Europe. Les fascicules ont exercé une influence considérable : seulement pour IXE-13, entre 1947 et 1966, il s’est publié 970 numéros. Ce n’était certes pas de la grande littérature, mais ça stimulait le goût de lire et ça ouvrait l’imaginaire à tout un nouveau monde.
4. Révolution tranquille, puis psychédélique (1960-1980).
Quand on regarde cette période à partir d’aujourd’hui, on a l’impression que c’est une période d’absorption et d’incubation : on se gorge de polars anglo-saxons et français facilement accessibles grâce au coût minime des livres de poche. Le feuilleton radiophonique de Maurice Gagnon (L’Inspecteur Tanguay) a du succès, de même que, de 64 à 69, le radioroman quotidien : Marie Tellier, avocate, avec l’extraordinaire Dyne Mousso. On lit, on écoute, mais on n’écrit pas beaucoup.
5. L’Envol (1980-aujourd’hui).
Fin des années 70, des maisons d’édition ambitieuses se constituent; bien sûr, le roman policier reste un parent pauvre, mais on va tâter prudemment le terrain. En 1982, le sérieux André Major constitue une anthologie d’une dizaine de nouvelles policières. Puis, Claude Jasmin entreprend une série de cinq polars mettant en vedette l’inspecteur Asselin (84 à 96). En France, Denoël publie Chrystine Brouillet et Monique La Rue, J’ai lu réédite L’Amour venin de Sophie Scallingher. Rien n’arrêtera plus notre prolifique et sympathique Chrystine Brouillet; déjà chroniqueur de polars à Nuit Blanche, elle publie Chère voisine en 82 (Les Quinze), crée l’inspectrice très québécoise Maud Graham en 87 (Le Poison dans l’eau, Denoël/Lacombe) et produit presque un polar par année depuis ses premiers méfaits, sans compter ses écrits pour les jeunes et ses incursions dans le monde gastronomique. Pour moi, au début des années 90, le polar québécois c’était elle : une thématique horrible servie par une écriture décontractée. Et pourtant, c’est aussi en 87 que le vent commence à tourner : mine de rien, dans une maison d’édition peu connue, Le Préambule, à Longueuil, Jean-Jacques Pelletier publie un premier roman qui marque une rupture : L’Homme trafiqué. Si Brouillet répand le charme de la singularité québécoise (la ville d’abord, bien sûr, mais aussi la province), Pelletier nous plonge dans l’universel à travers pourtant la singularité indéniable de ses personnages, comme le fait Michel Tremblay à sa façon et selon ses propres thématiques; non pas tellement parce que l’intrigue a une dimension internationale; mais parce que, tout en développant avec précision et pertinence une histoire qui nous bouscule sans répit, il a le don de construire chaque détail apparemment le plus anodin comme une pièce significative d’un puzzle qui, une fois achevé, révèle rétroactivement son sens caché. A partir de là, son oeuvre personnelle atteindra une qualité et une ampleur inédites, et le monde du polar québécois verra pointer plusieurs grandes étoiles, celles justement dont je vais parler plus loin. A partir de l’an 2000, on publie de 40 à 50 polars québécois par année, dont plusieurs sont excellents.
Quelques ressources utiles
D’abord, il existe deux livres de Norbert Spehner absolument indispensables pour un chroniqueur ou un amateur distingué de polars québécois : Scènes de crimes et Le Roman policier en Amérique française. Avec un cœur léger et quelques dents dures, cet homme infatigable déploie depuis plus de vingt ans une énergie diabolique pour réfléchir sur le fantastique, la science-fiction, le roman d’espionnage, le roman policier, et pour partager ses informations sous forme de guide de lecture analytique stimulant et intelligent (sans parler de ses bulletins bibliographiques, les Marginalia).
Puis, la revue trimestrielle Alibis, fondée en 2001 par Stanley Péan, Jean Pettigrew, Jean-Jacques Pelletier et Norbert Spehner, unique en son genre, publie des nouvelles policières, des analyses thématiques et des commentaires critiques sur les dernières parutions, de quoi maintenir à vif notre intérêt. Les revues Voir, Spirale, Lettres québécoises, Nuit blanche, L’actualité y mettent aussi leur grain de sel. Les grands journaux de Montréal (La Presse, Le Devoir), de Québec (Le Soleil), de Sherbrooke (La Tribune), d’Ottawa (Le Droit) et de Trois-Rivières (Le Nouvelliste), entre autres, consacrent de temps en temps, un certain espace pour le commentaire d’un polar.
Les bibliothèques publiques regorgent de romans policiers qu’on aurait bien du mal à découvrir ailleurs : l’été dernier, j’ai trouvé à la Bibliothèque de La Minerve des auteurs depuis longtemps disparus des librairies de Montréal.
Sur le net, Nos signets policiers préférés ont de quoi orienter l’amateur de polars en général, mais le polar québécois reste méconnu à l’étranger sauf dans quelques cas exceptionnels. Signalons, à cet effet, un site francophone étonnant qui fait la part belle aux auteurs québécois, mais qui est beaucoup plus que cela, un lieu de rencontres dynamique, et une mine d’informations bio-bibliographiques. Plusieurs de nos auteurs ont aussi un site personnel. Je soupçonne, enfin, à côté de l’inestimable Filière québécoise bio-bibliographique de la revue Alibis, l’existence de quelques blogues québécois pertinents, et j’invite les artisans-pionniers à nous les faire connaître.
Les maisons d’édition
Elles constituent une autre source d’informations; au moins, une sorte de résumé des romans de leurs protégés, la quatrième de couverture. Dans bien des cas, l’éditeur regroupe les polars dans une petite collection qui ne représente qu’une infime partie de son volume de ventes. Ce n’est cependant pas toujours facile de s’y retrouver. A certains moments, les maisons d’édition se multiplient comme des champignons. À d’autres, elles meurent ou se font absorber. Les auteurs publient où ils peuvent et déménagent souvent.
Points de repère (éditeurs) :
1. Alire
Créée en 1996 par Jean Pettigrew, Louise Alain et Lorraine Bourassa, cette dynamique entreprise est consacrée aux romans policiers, aux récits fantastiques et de science-fiction. Elle compte un grand nombre d’auteurs de talent : Jean-Jacques Pelletier, Patrick Senécal, Maxime Houde, Michel Jobin, Robert Malacci, Lionel Noël, Jacques Côté…2. La Courte Échelle
On a l’impression que depuis 30 ans c’est une maison pour enfants et adolescents. En 1995, cependant, elle a ouvert une collection adulte, et des auteurs de qualité y ont trouvé refuge : Chrystine Brouillet, Hélène Desjardins, Jean Lemieux, André Marois, Sylvain Meunier…3. Empire Québécor
Depuis 1975-76, trois divisions ont fait oeuvre de pionniers : Stanké, qui a eu le mérite de publier un Camille Bouchard (qui se retrouve maintenant à La Veuve noire); puis, VLB, avec Jacques Bissonnette et Benoît Dutrizac (passés respectivement à Alire et à Libre Expression); et surtout
Libre Expression qui, en plus de Bissonnette et Dutrizac, a enrôlé Pauline Vincent, Mario Bolduc, François Barcelo, Luc Bertrand…4. Québec-Amérique
Une maison de haute réputation depuis 35 ans. Dès 1981, les éclaireurs ont dépisté Pierre Billon et Michel Brodeur; plus tard, un Dutrizac et un Stanley Péan; plus récemment, Robert Malacci (passé à Alire), André Jacques, Sylvain Meunier, Maryse Rouy et Fabien Ménar…5. La Veuve noire
Fondée à Longueuil en 2003, la Veuve noire a attiré dans sa toile des proies de premier choix : Luc Baranger, Laurent Chabin, Camille Bouchard, François Canniccioni…6. JCL
Depuis 1977, au Saguenay, le travail de cette maison d’édition lui a valu une bonne réputation qui attire, en les rassurant d’avance, beaucoup de bons écrivains de Laurent Laplante à Benoît Bouthillette : Michel Bergeron, Roger Delisle, Gérard Galarneau, François Guérin, Carol Néron…7. Triptyque
Triptyque apparaît en même temps que la Revue Moebius en 1977. Elle a mis la main sur quelques écrivains dignes de mention depuis la fin des années 90 : Claude Forand, François Harvey, Paule Turgeon, Nando Michaud…8. Coups de tête
Michel Vézina conçoit, en 2007, ce créneau original et inégal pour des romans courts et percutants. S’y côtoient des auteurs qui ont publié des romans plus consistants ailleurs : Laurent Chabin, Frédérick Durand, Alain Ulysse Tremblay…9. Vents d’Ouest
Important lieu de rencontre de la région de Gatineau depuis 1993, Vents d’Ouest a rassemblé dans la collection Azimuts (romans) quelques auteurs de polars de choix, dont deux prix Arthur-Ellis et un Saint-Pacôme : Jean-Pierre Charland, Ann Lamontagne (Arthur-Ellis 2005), Anne-Michèle Lévesque (Arthur-Ellis 2002), Gilles Massicotte, Frédérick Durand, Sylvain Meunier (Saint-Pacôme 2008)…Nos cousins français publient parfois quelques romanciers québécois : Denoël (Chrystine Brouillet et Monique La Rue), Gallimard (François Barcelo et Luc Baranger), Le Masque (Danielle Charest), Flammarion (Bernard Claveau), Le Seuil (Jacques Godbout), Baleine (Michel Dolbec), Du Rocher (Sophie Scallingher)…
Les prix littéraires
1) Prix Saint-Pacôme du roman policier
Ce prix est attribué chaque année par la Société du roman policier de Saint-Pacôme pour récompenser le meilleur roman policier québécois; il est accompagné d’un montant de 3 000$.
Lauréats2002 Laurent Laplante Des clés en trop, un doigt en moins (L’Instant même) 2003 Maryse Rouy Au nom de Compostelle (Québec-Amérique) 2004 Jean-Jacques Pelletier Le Bien des autres (Alire) 2005 Benoît Bouthillette La Trace de l’escargot (JCL) 2006 Jacques Côté La Rive noire (Alire) 2007 Patrick Senécal Le Vide (Alire) 2008 Sylvain Meunier L’Homme qui détestait le golf (La Courte échelle)
2) Prix Arthur-Ellis
La Crime Writers of Canada est une association importante; le prix qu’elle décerne est aussi prestigieux que le Prix Edgar américain et le Grand Prix du mystère français. Depuis 2000, elle a créé un volet francophone qui honore le meilleur roman policier de langue française de l’année (ou exceptionnellement : le meilleur livre consacrée à la littérature policière).
Lauréats | ||
2000 | Lionel Noël | Louna (De Beaumont) |
2001 | Norbert Spehner | Le roman policier en Amérique française (Qué-Amér) |
2002 | Anne-Michèle Lévesque | Fleur invitait au troisième (Vents d’Ouest) |
2003 | Jacques Côté | Le rouge idéal (Alire) |
2004 | Jean Lemieux | On finit toujours par payer (La Courte échelle) |
2005 | Ann Lamontagne | Les douze pierres (Vents d’Ouest) |
2006 | Gérard Galarneau | Motel Riviera (JCL) |
2007 | Non attribué | |
2008 | Mario Bolduc | Tsiganes (Libre Expression) |
Le polar québécois: mes recommandations
Quelques pistes fraîches
Maintenant que vous disposez de certaines armes pour vous débrouiller efficacement, encore faut-il vaincre le préjugé de la médiocrité des polars québécois comparés aux plus grands anglo-américains, français et scandinaves. Pour ce faire, l’attaque sera plus risquée mais plus directe : voici quelques arguments sous forme de romans qui devraient vous convaincre. J’ai choisi des auteurs québécois même s’ils publient en France ou en Ontario, et des auteurs francophones qui ont vécu et publié au Québec même s’ils demeurent aujourd’hui à l’étranger. Je m’en tiens aussi à des écrivains qui ont publié au moins deux polars, dont un depuis 10 ans; j’ai parfois brisé cette règle quand un jeune auteur prometteur n’avait publié qu’un seul roman. Pour des informations supplémentaires sur la biographie et la bibliographie de ces auteurs, consultez les deux sites internet mentionnés plus haut. Souvent les auteurs ont leur propre site. Si j’en ai oublié quelques-uns encore meilleurs, que les éditeurs me fassent parvenir leurs livres plutôt que leurs reproches.
Les niches actuelles du polar se définissent assez bien, mais ce n’est pas aussi facile d’y faire entrer quelqu’un parfaitement. Et certains romanciers aiment bien changer de genre de temps en temps. Malgré tout, ça reste vrai qu’on n’est pas dans le même monde quand on lit Pelletier, puis Senécal, ou Houde, puis Bouthillette.
Le polar noir
Pour le moment, le maître du polar noir au Québec, c’est Patrick Senécal. On peut s’amuser à le comparer à Stephen King, au sens où ceux qui aiment King devraient aimer Senécal, bien que ce dernier situe ses drames d’horreur dans un contexte de critique sociale ironique très réaliste. Mise en garde : les récits de Senécal sont horribles, bien sûr, mais certains relèvent plus du fantastique que du polar à proprement parler. Dans un polar, la solution de l’énigme est rationnelle. Dans le fantastique, la tension demeure à la fin et la solution admet le recours au parapsychologique ou à d’autres formes d’irrationalisme (la migration des âmes, par exemple, est populaire de ce temps-ci). Regardez donc où vous mettez les pieds.
Pas aussi noir mais un pied aussi dans le fantastique, Joël Champetier, qui écrit aussi beaucoup pour la jeunesse, a commis deux romans pour adultes où se mêlent le fantastique, l’enquête et le suspense. Je le recommande aux amateurs de polars qui ont soudain une fringale de fantaisie.
Luc Baranger est difficile à cerner. C’est peut-être le plus américain des Français. On pourrait le prendre pour un personnage de road movie. Les amateurs de polars américains ne seront pas dépaysés. Traducteur du dernier Anne Perry : Buckingham Palace Gardens.
Le journaliste Benoît Dutrizac est connu pour ses coups de gueule. C’est un homme de métier qui échappe au politiquement correct et il en est fier. Son énergie virulente colore aussi ses polars pour le plaisir des uns et l’agacement des autres.
Pas certain que le dernier roman de Laurent Chabin est un polar noir mais, en tout cas, c’est noir. Le lecteur est dérouté, écœuré ou convaincu.
Encore trop jeune pour prendre sa retraite, François Landry écrit relativement peu et tire depuis une quinzaine d’années dans bien des directions. Son récent polar, Moonshine, n’est pas passé inaperçu : hommage à Poe, qu’il aimait bien dans sa jeunesse?
Mes recommandations Patrick Senécal Le vide (Alire, 2007) Joël Champetier La mémoire du lac (Alire, 2001) Luc Baranger La balade des épavistes (Alire, 2006) Benoît Dutrizac Kafka Kalmar, crois ou crève (Les Intouchables, 2008) Laurent Chabin Écran total (Triptyque, 2006) François Landry Moonshine (La Courte Échelle, 2007)
Le pol’art
C’est la façon de désigner des romans policiers à forte teneur d’ingrédients artistiques, le plus souvent la littérature et la peinture. C’est un genre risqué dans la mesure où la dimension artistique relègue parfois l’intrigue au second plan; mais les polarophiles en herbe, qui craignent le pur divertissement dispensé par un polar classique, hésitent moins à se lancer à l’abordage d’un de ces romans. Poète et littéraire italien qui a passé 30 ans au Québec et vit maintenant en France, Fulvio Caccia a écrit une trilogie à saveur littéraire, dont le troisième tome, relativement indépendant, a été bien accueilli par les critiques.
Original par ses thèmes comme par son écriture, Benoît Bouthillette vient d’écrire un deuxième roman (La mue du serpent de terre) qui remet en scène son enquêteur montagnais aux méthodes peu orthodoxes, Benjamin Sioui. Dans son premier roman, prix de Saint-Pacôme 2005, sévit un tueur en série qui s’inspire des toiles de Francis Bacon. Aucun rapport avec le film Anamorph de Henry S Miller (2007), dont le tueur s’inspire aussi de Bacon.
Mes recommandations Fulvio Caccia Le secret (Triptyque, 2006) Benoît Bouthillette La trace de l’escargot (JCL, 2005)
Le polar cynique ou satirique
Nous avons tous eu du plaisir, je crois, à lire de temps en temps un San-Antonio ou un Exbrayat. Les auteurs qui suivent ne les imitent pas mais chacun à sa façon nous incite à rire, à sourire ou à grincer des dents, sans que, pour autant, la trame policière soit réduite au prétexte. Écrivain d’expérience, François Barcelo est le premier québécois qui arrive à se faire publier au Masque (Gallimard). Son roman Cadavres vient d’être porté à l’écran. Humour grinçant garanti.
Sylvain Meunier, dans son quatrième polar qui lui vaut le Prix Saint-Pacôme 2008, révèle ce qui se cache derrière la décapitation d’un sportif à temps partiel par une balle de golf explosive qui porte la signature de Jean Chrétien. Ça vous rappelle quelque chose?
C’est à travers une critique sociale débridée que Nando Michaud récidive : son journaliste-détective François Langlois enquête sur le meurtre d’une femme victime d’un tampon hygiénique piégé : encore pire qu’une balle de golf!
Michel Châteauneuf, avec un seul polar, s’est fait la réputation d’un iconoclaste qui tire sur tout ce qui bouge; on pourrait croire qu’il se donne la partie facile en rassemblant pour une même balade des Hell’s Angels, un psychopathe nécrophile, une naine infanticide, et un enquêteur pédophile : peu commun en tout cas.
Mes recommandations François Barcelo Chroniques de Saint-Placide-de-Ramsay (Fayard, 2007) Sylvain Meunier L’homme qui détestait le golf (La Courte Échelle, 2008) Nando Michaud La guerre des sexes ou… (Triptyque, 2006) Michel Châteauneuf La balade des tordus (Veuve Noire, 2006)
Le polar d’enquête
Cette catégorie est plus large que celle de procédure policière; l’enquêteur peut être un policier, mais aussi un détective, un journaliste, un simple particulier empêtré bien malgré lui dans une situation menaçante qu’il s’efforce de comprendre. La forme de ces romans est connue; les contextes, les atmosphères, les types de personnages, les rythmes, les écritures marquent la différence. A tout seigneur, tout honneur : la sympathique Chrystine Brouillet et sa détective Maud Graham ont gagné un fidèle public au roman policier québécois depuis plus de vingt ans. Le contraste entre les crimes affreux et la belle et paisible ville de Québec est saisissant. Brouillet écrit beaucoup; son oeuvre est inégale; mais elle a réussi des polars classiques irrésistibles.
L’inspecteur Duval de Jacques Côté travaille aussi à Québec et dans les environs. Côté est inventif au niveau de l’intrigue, mais ses personnages et ses paysages sont ancrés dans la réalité québécoise de la fin des années 70/début 80. Bien documentés, ses romans captivent par leur réalisme.
Montréal connaît aussi sa part de crimes : Maxime Houde, sans doute influencé par les classiques américains, situe ses drames à la fin des années 40 et décrit les hauts et les bas du privé Stan Coveleski. Ses romans ne sont pas tous convaincants, mais il n’a pas encore 40 ans, âge d’éclosion de beaucoup d’auteurs que j’apprécie.
En un sens, les romans de Claude Belcourt se passent aussi à Montréal mais, plus précisément, dans la tête des principaux personnages sous la forme de monologues intérieurs.
Déconcertant et original. Claude Forand, dans un deuxième polar qui se lit bien, revient avec l’inspecteur Roméo Dubuc, chef de police de Chesterville, un coin perdu du Québec, dans lequel il ne se passe pas habituellement grand chose sauf que, quand quelque chose d’inhabituel arrive, c’est gros.
Ceux qui se souviennent des excellents documentaires de Laurent Laplante peuvent maintenant le lire, à défaut de le voir. Ses quatre polars n’ont pas fait l’unanimité. Le premier remporta le Prix Saint-Pacôme, Spehner préfère le deuxième, plusieurs préfèrent le dernier. Je ne les ai malheureusement pas lus : prenez une chance! Ça ne doit manquer ni d’application ni d’intelligence.
Les plus âgés d’entre vous qui vous ennuyez des deux polars de Monique Lepage publiés il y a plus de 25 ans, et qui tournaient autour des enquêtes d’Onésime Gagnon, journaliste à Police-Hebdo, retrouveront avec plaisir leur héros, maintenant retraité, et qui enquête justement dans une maison de retraite. L’auteure s’appelle maintenant Monique Le Maner.
Dans un style très différent, Anne-Michèle Lévesque, très impliquée dans le milieu littéraire et artistique de l’Abitibi, écrivaine impénitente, vient de publier un cinquième polar qui décrit la vie quotidienne d’un groupe de policiers qui mènent de front trois ou quatre enquêtes dans leur petite ville : un vrai document sociologique.
Robert Malacci, plus décontracté, s’incarne lui-même en un photographe-journaliste qui a le don, comme dirait l’autre, de se fourrer le nez dans les plats! Thématiques connues, mais écriture singulière.
Les romans de Jean Lemieux se passent aux Îles de la Madeleine où il a vécu et pratiqué la médecine avant de s’établir à Québec. Un décor bien campé et des personnages étoffés n’enlèvent rien à des intrigues bien ficelées; quand le sergent Surprenant mène l’enquête, les criminels doivent se méfier.
Plusieurs autres auteurs n’ont écrit qu’un roman policier mais semblent prometteurs : celui de Marie Laberge a été reçu de façon hétérogène car, pour plusieurs, la beauté de l’écriture ne parvient pas à racheter une centaine de pages de trop qui ralentiraient le rythme. Je veux bien, mais j’espère que cela n’empêchera pas l’auteure de récidiver. Les critiques ont souvent la dent dure pour un auteur bien établi dans un domaine autre que policier.
Peu connu, au contraire, le lauréat du Prix Arthur-Ellis 2006, Gérard Galarneau, n’a pas convaincu tout le monde avec son premier roman. Je l’incorpore quand même dans cette liste des meilleurs auteurs, à cause du Prix Arthur-Ellis, quitte à le faire disparaître après avoir lu Motel Riviera.
Pierre Saint-Arnaud Caron, directeur littéraire des éditions Fides, a beaucoup publié mais vient de commettre son premier polar, classé par Spehner dans les biblio-mysteries. Les amateurs ont été satisfaits et attendent le deuxième avec avidité.
Un dernier, enfin, mais non le moindre, Michel Bergeron (pas celui du hockey) a écrit quelque chose d’apparemment assez unique, qui a fasciné ceux qui l’ont lu, et passablement intrigué ceux qui ne l’ont pas encore lu, parce que ceux qui l’ont lu ne peuvent pas en parler.
Mes recommandations Chrystine Brouillet Le collectionneur (La Courte Échelle, 1995) Jacques Côté Le chemin des brumes (Alire, 2008) Maxime Houde Le salaire de la honte (Alire, 2003) Claude Belcourt Le grand baveux (Trait d’union, 2000) Claude Forand Ainsi parle le saigneur (David (Ottawa), 2006) Laurent Laplante Vengeances croisées (JCL, 2006) Monique Le Maner La dernière enquête (Triptyque, 2008) Anne-Michèle Lévesque Crapules & cie ( Éditions Z’ailées, 2008) Robert Malacci Lames sœurs (Alire, 1997) Jean Lemieux On finit toujours par payer (La Courte Échelle, 2003) Marie Laberge Sans rien ni personne (Boréal, 2007) Gérard Galarneau Motel Riviera (JCL, 2005) Pierre Saint-Arnaud – Caron Letendre et l’homme de rien (Fides, 2008) Michel Bergeron L’homme de neige (JCL, 2006)
Le suspense
Dans le suspense, le lecteur a tendance à s’identifier à la victime et à partager son angoisse. C’est moins l’accumulation des événements extérieurs qui nous tombe dessus, que l’infiltration d’un sentiment de perdition qui nous gruge par en dedans. Hélène Desjardins a publié deux polars, dont le deuxième est nettement un suspense, bien construit et captivant.
C’est surtout par des recueils de nouvelles noires que s’est fait connaître André Marois, ce qui ne l’a pas empêché d’écrire un suspense particulièrement déconcertant.
Éditorialiste au Quotidien de Chicoutimi, Carol Néron, 14 ans après, se lance dans une sorte de suite à Rosalie. Certains se sont demandé, et c’est souvent le problème dans un suspense, si l’auteur faisait exprès pour allonger la sauce. Ce qui n’empêche pas la recette d’être efficace.
Mes recommandations Hélène Desjardins Le Dernier roman (La Courte Échelle, 2001) André Marois Accidents de parcours (La Courte Échelle, 1999) Carol Néron Rebecca (JCL, 2003)
Le thriller
Forme de roman très populaire ici et ailleurs, le thriller est devenu une catégorie plutôt fourre-tout, pourvu que l’action y règne et que le lecteur soit bousculé par une tornade de rebondissements. Selon le contexte dominant, on le qualifiera de juridique, politique, médical, psychiatrique, historique (cf. Les niches actuelles du roman policier). En réalité, plusieurs de ces dimensions sont souvent présentes dans un polar. La classification suivante sera donc prise avec un grain de sel… et un scotch. Nombreux sont nos écrivains qui s’inscrivent dans la mouvance thriller international/politique/espionnage, dont le grand maître est indubitablement Jean-Jacques Pelletier, l’auteur qui me donne actuellement le plus de satisfaction, tous pays confondus (cf. mes auteurs 5 Étoiles). Comme il est préférable (surtout pour Les Gestionnaires de l’apocalypse) de respecter l’ordre chronologique de ses productions, j’indiquerai ici le premier de la série qui met en scène la mystérieuse F.
Michel Jobin n’a pas encore beaucoup publié, mais ses deux romans jouent avec nos nerfs de la bonne façon (cf. mon compte rendu de La Nébuleuse insième). En simplifiant outrageusement, je le distinguerais de Pelletier en disant que ce dernier se meut dans un univers affreusement possible, alors que Jobin nous plonge dans les magouilles actuelles de la finance.
Deux très bons romans aussi de Lionel Noël, le premier un thriller de politique-fiction autour du troisième référendum québécois; le second, un roman d’espionnage (conférence de Québec, 1943) comme il ne s’en fait presque plus, hélas! aussi bien documenté que les Le Carré et aussi dynamique que les Forsythe. Les critiques ont rapproché ce roman, eu égard au contexte historique et à la qualité, de La Femme de Berlin de Pauline Vincent, publié la même année (2004). On qualifie parfois d’historiques les thrillers de Noël et de Vincent, parce que les histoires ne se passent pas aujourd’hui et que les auteurs ont soigné le contexte politico-social.
Plus carrément historiques, les romans de Maryse Rouy et de Jean-Pierre Charland nous transportent à l’époque des troubadours (Rouy) ou cernent des moments historiques comme le début de la IIe Guerre Mondiale ou le terrorisme irlandais à la fin du XIXe siècle (Charland). Même si ces auteurs ont reçu des formations en histoire, la trame proprement policière n’est pas qu’un prétexte. A surveiller : Antoine Yaccarini, qui a écrit un seul roman, dont l’histoire se passe à Québec à la fin du XIXe siècle, et que les critiques ont encouragé.
D’autres auteurs développent leur intrique à l’époque actuelle mais dans un contexte géographique plus exotique. Jacques Bissonnette, par exemple, joue sur le péril islamiste; Mario Bolduc, pour sa part, nous conduit dans les mondes étranges de l’Inde ou des Tsiganes de Roumanie. Avec un oeil critique, particulièrement pour le sort que la guerre et la pauvreté imposent aux enfants, Camille Bouchard nous entraîne en Thaïlande, au Soudan et dans d’autres points chauds de la planète.
Plus classique, André Jacques a publié sa troisième aventure de l’antiquaire Alexandre Jobin, ex-agent des Services secrets canadiens. Intrigues corsées, personnages sympathiques et méchants perfides, écriture aisée : cet auteur nous promet de bons moments.
Faisant un peu bande à part dans le thriller politico-techno, Normand Lester et Corinne De Vailly ont fait leur possible pour que nous n’oubliions pas le verglas de 1998; bien documenté, le roman n’a pas séduit tout le monde par son intrigue. Plus divertissant quand même que les Dossiers noirs.
Bon écrivain, prolifique, mais un peu marginal par rapport à mon projet dans la mesure où ses thrillers scientifiques flirtent trop avec la science-fiction, et publiant surtout en France, Mornevert mérite néanmoins d’être découvert.
Mes recommandations Jean-Jacques Pelletier L’homme trafiqué (Alire, 2000) Michel Jobin La nébuleuse insième (Alire, 2005) Lionel Noël Opération Iskra (Alire, 2004) Pauline Vincent La femme de Berlin (Libre Expression, 2004) Maryse Rouy Au nom de Compostelle (Québec-Amérique, 2003) Jean-Pierre Charland La rose et l’Irlande (HMH, 2007) Antoine Yaccarini Meurtre au soleil (VLB, 2008) Jacques Bissonnette Badal (Libre Expression, 2006) Mario Bolduc Tsiganes (Libre Expression, 2007) Camille Bouchard Les démons de Bangkok (La Veuve noire, 2005) André Jacques La tendresse du serpent (Québec-Amérique, 2008) Normand Lester et Corinne De Vailly Verglas (Libre Expression, 2006) Mornevert Passerelle Bankovski (Campoamor, 2005)
D’après mon expérience et celle des critiques que j’estime, voilà donc une quarantaine d’écrivains susceptibles d’agrémenter vos loisirs. Toute suggestion d’amélioration sera accueillie avec bienveillance : le domaine est si vaste que plusieurs doivent mettre l’épaule à la roue.
Bonjour,
J’ai découvert récemment que les polars étaient un excellent moyen de découvrir une époque un peuple et une culture. J’ai « découvert » l’Afrique du Su post-apartheid grâce aux polars de Deon Meyer. J’ai découvert un pan de l’Ecosse contemporaine grâce à la Trilogie de Lewis de Peter May et je suis en train de découvrir le Mali grâce à Moussa Konaté et le Gabon grâce à Janis Otsieni.
Ma question est donc la suivante : quels sont les polars que vous recommandez pour découvrir la société québécoise contemporaine, ses non-dits et ses secrets ?
Merci de vos conseils.
Denys
On pourrait dire: de découvrir les villes aussi: Venise via Donna Leon, Oslo via Jo Nesbo, Édimbourg et l’Écosse via Ian Rankin. Pour le Québec, allons-y par villes et par régions: Québec avec Chrystine Brouillet (Louise est de retour); Montréal avec Anna Raymonde Gazaille (Traces, Déni) et Martin Michaud (Je me souviens); les Îles de la Madeleine avec Jean Lemieux (On finit toujours par payer); la Gaspésie avec Roxanne Bouchard (Nous étions le sel de la mer); un petit village québécois avec Isabelle Grégoire (Sault-au-Galant); entre Montréal et Québec, la région d’Arthabaska avec Maureen Martineau (Le jeu de l’ogre); notre bâtardise franco-américaine avec Andrée A Michaud (Bondrée); notre bâtardise franco-anglaise avec Eric Wright (La nuit de toutes les chances).
Amusez-vous bien, Denys.