Par Michel Dufour
Date de publication originale : 2024 (Hugo Roman)
Genres : Enquête, historique, thriller
Personnage principal : Joseph Laflamme, journaliste
C’est avec plaisir que j’ai retrouvé le journaliste Joseph Laflamme (qui travaille pour La Patrie), sa fiancée Mary, et sa sœur Emma, liée à l’ex-agent de Scotland Yard George McCreary. Et c’est aussi avec une bonne dose de nostalgie positive que, en tant que Montréalais, j’ai retrouvé le Montréal de 1895, l’ouverture du Château Ramezay, la construction de la Grande Loge, la lutte triomphante contre la scarlatine grâce aux soins dispensés par la Maison de désinfection et le Civic Contagious Hospital, à l’abri des interventions du clergé catholique qui, dix ans auparavant, avait interdit le vaccin contre la variole (3 000 victimes, contrairement aux 700 victimes de la scarlatine). Les Laflamme habitent sur la rue Delorimier au nord de la rue Dorchester, et on se promène de Saint-Henri au Faubourg à m’lasse.
J’insiste un peu sur ces références parce qu’il ne faut pas oublier que Gagnon est un historien et que c’est pour lui une louable préoccupation que de situer les aventures qu’il raconte dans un contexte historico-géographique. Dans ce roman, par exemple, la lutte entre l’Église catholique et les francs-maçons est au cœur du drame. Côté catholique, l’abbé Breton dont les prédications à l’église Saint-Henri-des-Tanneries stimulent les exaltés et les hystériques, Mgr Fabre responsable de l’archevêché de Montréal et son bras droit l’abbé Trépanier qui effectue le travail de terrain (d’autres diraient les jobs de bras !). De l’autre, les francs-maçons dont John Noyes, les athées Joseph et George, et un autre gars bien débrouillard dont je tairai le nom pour ne pas gâter l’effet de surprise.
Sur le chantier de la Grande Loge en construction (boulevard Dorchester), on découvre un premier cadavre, mutilé et agenouillé devant le petit autel où les francs-maçons prêtent serment. D’autres victimes se succèdent. Le bâtiment des francs-maçons est incendié. Pendant ce temps, quelqu’un asperge d’acide les prostituées du Red Light. Les manifestations se multiplient, particulièrement contre La Patrie, et on s’en prend même personnellement à George et à Joseph. Le chef de police est enlevé et on lui sauve la vie de justesse.
La police et nos héros réagissent; on met la main sur le mutilateur des jeunes prostituées, deux des ravisseurs du chef de police se suicident. Ils appartenaient à la Ligue du labarum antimaçonnique. Cette ligue, catholique et ultranationaliste, comprenait même quelques francs-maçons !? Considérablement affaiblie, elle cherchera probablement à se reconstituer dans l’avenir.
Malgré les meurtres affreux, l’ensemble reste plutôt léger, peut-être à cause des pitreries continuelles de Joseph et de l’amitié à toute épreuve qui lie les principaux personnages. La charge contre l’autoritarisme religieux et contre le nationalisme d’extrême-droite ne devrait pas indisposer le lecteur qui se rendra compte que, depuis 1895, les choses ont changé, mais qu’il est toujours prudent de demeurer vigilant.
Extrait :
Breton posa les deux mains sur la balustrade, balaya l’assistance du regard d’une façon théâtrale et se racla la gorge. Puis il laissa tomber sa tête sur sa poitrine et resta dans cette position assez longtemps pour qu’un murmure interdit parcoure l’assemblée. Il la releva enfin et sa voix fut comme un coup de feu dont l’écho se répercuta dans la nef.
─ Dieu a dit : Ne t’irrite pas contre les méchants, n’envie pas ceux qui font le mal. Car ils sont fauchés aussi vite que l’herbe, et ils se flétrissent comme le gazon vert ! lança-t-il d’une voix forte et vibrante.
─ Dieu soit loué ! s’écria une femme déjà au bord de l’hystérie.
Il laissa passer quelques secondes tandis que d’autres reprenaient le cri.
─ Mes frères, mes sœurs ! Dieu est bien présent dans notre ville et il y punit les pécheurs. Et nous savons tous que les plus grands pécheurs de Montréal sont les francs-maçons ! Aussi a-t-il tourné son ire contre eux et leurs pratiques contraires à la morale et à la nation, comme il le fit pour punir les mœurs dissolues de Sodome et de Gomorrhe !. Jeudi, vous appreniez l’assassinat de l’un d’entre eux, dans l’infâme temple en construction où la secte commettra bientôt ses sacrilèges. Et hier, un second de ces hérétiques a trouvé la mort au même endroit ! (…)
Oui, mes frères et mes sœurs, les francs-maçons sont enfin punis pour l’impudence avec laquelle ils aident depuis plus de cent trente ans le conquérant anglais à maintenir notre nation sous sa botte !
Niveau de satisfaction :
(4 / 5)