Les âmes féroces – Marie Vingtras

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2024 – Éditions de l’Olivier
Genre : Roman noir
Personnages principaux :
Lauren Hobler, shérif – Benjamin Chapman, Professeur – Emmy Ellis, jeune fille de 17 ans – Seth Jenkins, père de Léo, jeune fille tuée

À Mercy, petite ville calme des États-Unis de 3974 habitants, on vient de découvrir au milieu des iris sauvages le cadavre d’une adolescente de 17 ans. C’est le premier meurtre de cette ville depuis de nombreuses années. La shérif Lauren Hobler veut mener une enquête sérieuse, mais un de ses adjoints, impulsif et impatient, la prend de vitesse et arrête un professeur de français au passé sulfureux. Aucune preuve de la culpabilité du professeur n’est retenue contre lui, mais curieusement l’accusé avoue tout. Malgré le scepticisme de la shérif sur les talents d’enquêteur de son adjoint et la rapidité des aveux, le professeur est envoyé en prison. Mais l’histoire ne s’arrête pas là car Mercy, ville trop calme, cache bien des secrets.

Le roman est découpé en quatre parties correspondant aux saisons de l’année. Chaque saison a un narrateur différent. Le printemps donne la vision de la shérif Lauren Hobler. Pour l’été, c’est le point de vue de Benjamin Chapman, le professeur inculpé. L’automne est raconté par Emmy, amie de la victime. Et enfin l’hiver est le témoignage de Seth, le père de la victime. Alors que la première partie, le printemps, laissait entrevoir un polar d’enquête classique : un(e) shérif, une victime, restait à trouver un coupable, les trois autres parties nous amènent bien loin de ce schéma classique : nous entrons alors dans la psychologie des personnages et dans la sociologie d’une petite ville, finalement pas si calme qu’elle le paraît.

Quatre personnages, qui sont aussi les narrateurs, dominent cette histoire : – Lauren Hobler, est un shérif femme, ce n’est déjà pas banal, mais un shérif femme lesbienne l’est encore moins. Lauren n’est pas très féminine, elle ressemble à un homme et se comporte souvent comme un homme : elle n’hésite pas à envoyer son poing dans la figure de son adjoint quand celui-ci l’insulte. Cependant Lauren est tendre envers sa compagne et perspicace dans sa fonction – Benjamin Chapman est un professeur qui a une grande classe, ce qui attire un peu trop les jeunes filles. Cela lui a déjà causé beaucoup d’ennuis dans le passé, alors quand il est de nouveau accusé de la même chose, il sait qu’il sera déclaré coupable quoi qu’il ait fait ou pas fait. Il est désenchanté et fataliste – Emmy était l’amie inséparable de Leo qui est morte. C’est une jeune fille de 17 ans déjà bien mature, qui n’a pas froid aux yeux et qui possède aussi une bonne dose de perversité – Seth, le père de la victime, a connu le bonheur auprès d’une belle Italienne et de sa fille Leo. Maintenant, il les a perdues toutes deux : l’Italienne est partie et Leo est morte. De plus ses difficultés financières le relèguent dans la marginalité.

À travers ces quatre personnages, nous découvrons la vie pas vraiment idyllique dans une petite ville qui est située dans ce roman aux États-Unis, mais qui pourrait être dans n’importe quel pays occidental. Amours passionnés, amours passés, tromperies, hypocrisies, fausses amitiés, jalousies … Tout cela est observé d’un œil aiguisé et décrit avec beaucoup de finesse.

Les âmes féroces est un magnifique roman noir.

Extrait :
J’ai acheté un ticket et j’ai sorti Livia de la voiture de force, en lui fourrant le papier et une poignée de billets dans les mains. Tire-toi. Tire-toi d’ici. Elle m’a craché au visage, elle m’a dit que jamais elle ne partirait en laissant sa fille. Je lui ai saisi la tête à deux mains, j’ai collé mon front contre le sien. Sentir son odeur c’était comme recevoir un coup de poignard. Monte dans ce bus et si tu reviens pour chercher Leo, je jure que je te tuerai. C’est comme ça que ça s’est fait, qu’on a fait disparaître en un claquement de doigts toutes ces années de vie à deux en devenant ce que l’autre pouvait haïr le plus au monde. Quand je suis rentré, il ne restait plus que son maudit buffet qui me narguait et j’ai ressenti tellement de rage que j’ai sorti ma hache et j’ai commencé à attaquer le bois. Chaque coup faisait jaillir mes larmes. Leo est sortie de sa chambre à moitié endormie, elle m’a demandé pourquoi j’abîmais le meuble de sa mère et je me suis soudain senti vide et inutile. J’ai lâché ma hache, j’ai pris ma fille dans mes bras et je lui ai dit de ne pas s’inquiéter, qu’il ne lui arriverait jamais rien et que je veillerais toujours sur elle, jusqu’à ce que la mort nous sépare.

Niveau de satisfaction :
4.5 out of 5 stars (4,5 / 5)
Coup de cœur

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