Par Raymond Pédoussaut
Date de publication originale : 2024 – Les presses de la cité
Genres : Enquête, historique
Personnages principaux : Constance Mouchadou, jeune bonne – Victor Chastel, lieutenant de louveterie et juge de paix
Lozère, 1835.
Le corps du jeune Anatole Bousquet, étudiant en médecine, vient d’être trouvé au pied du château de Saint-Alban. Dans un premier temps, on pense que le jeune homme se serait perdu de nuit dans la tempête de neige qui vient d’avoir lieu. Cependant, Victor Chastel, juge de paix et lieutenant de louveterie, trouve surprenant que la victime qui connaissait très bien les lieux se perde au pied du château où il logeait. Avec l’aide d’une infirmière particulièrement perspicace, il procède à un examen détaillé du corps qui révèle des détails troublants et des incohérences. Son enquête se poursuit jusqu’au canton de Langogne où habite la famille de la victime. Là, il rencontre une belle et séduisante domestique, Constance, qui elle-même cherche à en savoir plus sur la mort du jeune homme qu’elle connaissait. Elle propose à Chastel de mener conjointement l’enquête en nouant entre eux un partenariat inédit entre gens de classes sociales si différentes. Ensemble ils vont découvrir que des morts étranges ont frappé d’autres jeunes gens.
L’autrice nous restitue parfaitement le contexte historique d’une époque et d’une région marquée par le souvenir terrifiant de la Bête du Gévaudan[i] qui aurait fait entre 82 et 124 victimes dans les années 1764 – 1767. Le nom du juge de paix, Chastel, évoque immanquablement celui de Jean Chastel, l’homme qui tua la Bête. Ce serait le grand-père de Victor. Cécile Baudin nous éclaire également sur le remplacement militaire qui tient une grande place dans le roman. C’est une politique de circonscription basée sur un tirage au sort qui désignait ceux qui devaient faire le service militaire pour partir à la guerre. Les notables et les riches avaient pour habitude de payer un remplaçant pour servir et souvent mourir à leur place.
Concernant les personnages, Victor Chastel cumule les fonctions de juge de paix et de lieutenant de louveterie. Cette dernière fonction qui consiste à chasser et, comme on dit maintenant, réguler le nombre de loups (en langue de bois on ne tue pas, on régule) est en complète contradiction avec l’attirance qu’il a pour ces animaux. Le juge de paix, lui, a pour mission de régler les conflits et les litiges de la vie quotidienne. Ici, Victor Chastel endosse le rôle d’enquêteur, normalement réservé aux gendarmes. Il est solitaire, ténébreux et accompagné d’un impressionnant chien-loup. Finalement, Victor, sous un aspect rugueux a un cœur tendre. Le personnage le plus étonnant est Constance. Une fille drôlement en avance sur son époque, sûre d’elle, de son charme et de son intelligence. Son modeste emploi de bonne ne l’empêche pas d’avoir une grande liberté, d’action et d’expression. C’est une belle femme qui rend dingue les hommes : un fils de bonne famille veut à tout prix en faire son épouse et le juge de paix est si éperdument amoureux d’elle qu’il en perd sa superbe et ses moyens. Constance est une féministe avant l’heure.
J’émettrai quelques réserves sur ces personnages qui me paraissent plus contemporains que d’époque : en 1835, il devait être rare de trouver un représentant de la loi aussi beau joueur et compréhensif que l’est Victor envers une domestique comme Constance. C’est aussi un louvetier qui aime les loups, ce qui dans une région traumatisée par les attaques de la Bête, devait être insolite. Victor un écologiste avant l’heure ? De même des femmes aussi indépendantes, libres et éduquées que le sont Constance et Marianne ne devaient pas être nombreuses dans les classes modestes du fond de la Lozère. Donc, des personnages un brin anachroniques, à mon avis.
Les femmes ont un rôle de premier plan dans ce roman. Outre la troublante Constance, l’infirmière Marianne fait preuve d’un sens de l’observation, de connaissances et d’une compétence digne d’un médecin légiste d’aujourd’hui avec les moyens modernes en moins. Elle aussi est en avance sur son temps. Celles qu’on a appelées, les trois louves sont des femmes plus âgées qui ont su faire preuve de patience et d’imagination pour concevoir une vengeance à long terme. Elles sont de celles qui restent dans l’ombre, qui n’oublient pas et ne pardonnent pas.
Dans ce roman, Cécile Baudin recrée une belle ambiance historique et mystérieuse d’une Lozère marquée par le souvenir de la Bête et par les injustices du remplacement militaire.
[i] Voir l’article de Wikipédia Bête du Gévaudan. Voir aussi sur ce site La Bête du Gévaudan d’Abel Chevalley
Extrait :
— Alors, si je comprends bien, vous prétendez que les décès d’Anatole Bousquet, Léopold de Rozasse et Albert Guérin ne sont pas des accidents, mais des meurtres. Pire ! Que ces assassinats seraient liés, et seraient le fruit d’un coupable unique, avec ses complices. Dont une femme avec des dessins sur le corps qu’on surnommerait « la Fougère ». Que ces gens s’amuseraient à attirer leurs jeunes victimes dans des guets-apens cruels, les trucidant dans des sortes de… mises en scène pointues et élaborées. Et qu’ils signeraient leurs forfaits d’objets symboliques, de portée affective pour les familles, ces objets renvoyant à un numéro précis qui serait la clé de ce mystère. Enfin, ces… messages s’adresseraient vraisemblablement aux pères de ces jeunes garçons, qui, pour d’obscures raisons, n’en auraient rien dit à personne. J’ai tout compris ?
— C’est merveilleusement bien résumé, brigadier, vraiment ! s’extasia Constance avec sincérité.
Lozère sous la neige
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(4,1 / 5)