Chute libre – T. J. Newman

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2021 (Falling)
Date de publication française :
2022 (Albin Michel)
Traduction (américain) :
Valérie Le Plouhinec
Genres : Thriller
Personnage principal :
Bill Hoffman, pilote d’avion

Roman très simple et pourtant très prenant : pas facile de le laisser de côté pour un moment. Bill Hoffman pilote un avion vers New York avec plus d’une centaine de passagers. En plein vol, on lui apprend que sa femme et ses deux enfants ont été enlevés, que leur corps est entouré d’explosifs, et qu’ils exploseront si Bill ne crashe pas l’avion. Il peut d’ailleurs les voir et les entendre. Avant de faire écraser l’avion, il doit aussi tuer le copilote et empoisonner les passagers de l’avion, équipage compris. Et s’il transmet ces informations à qui que ce soit, sa famille sera détruite. On apprend qu’il y a un complice dans l’avion, ce qui accroît la terreur des hôtesses qui s’efforcent  de sauver les passagers. Pendant ce temps, au sol, le FBI cherche la famille de Bill et le terroriste qui tient Carrie est ses enfants en otages.

Ce n’est peut-être pas de la grande littérature (pas de psychologie subtile des personnages, pas de références culturelles édifiantes…), mais le suspense est irrésistible. Ça ferait un excellent film. Newman a été hôtesse à bord d’un avion et elle a été élevée dans une famille de pilotes. Elle connaît bien son sujet et ses descriptions sont minutieuses et très réalistes. Les membres de la famille de Bill et ceux de l’équipage sont très crédibles, de même que les comportements des passagers, des plus hystériques aux plus serviables. De nombreux rebondissements accentuent le suspense.

Sans être moralisatrice, Newman se plaît à illustrer en même temps les tendances destructrices et généreuses de ses personnages. Mine de rien, elle dénonce aussi l’indifférence de ses concitoyens face à ce qui se passe de cruel et d’injuste dans le monde. Ça reste avant tout, cependant, un roman d’action mené d’une main de maître.

Une seule réserve : ce serait une bonne idée pour une maison d’édition de trouver un traducteur qui sache traduire le vocabulaire d’une partie de baseball !

Extrait :
« Coastal 416, ici le lieutenant général Sullivan de l’US Air Force, qui vous parle au nom du président des États-Unis d’Amérique. »
La voix agressive qui aboyait dans le cockpit fit tressaillir les deux pilotes. « Sachez que nous sommes informés que le copilote, Ben Miro, constitue une menace. Si vous ne répondez pas immédiatement, nous sommes prêts à utiliser une frappe militaire contre votre appareil. Ceci est un avertissement. »

Stade des Yankees

Niveau de satisfaction :
4.2 out of 5 stars (4,2 / 5)

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Un plan simple – Scott Smith

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 1993
(A single Plan)
Date de publication française :
1995, Albin Michel – 2024, Les éditions du Typhon (nouvelle traduction)
Traduction (américain) :
Éric Chédaille
Genre : Roman noir
Personnage principal :
Hank Mitchell, comptable

Hank Mitchell, son frère Jacob et Lou, un ami, découvrent dans la clairière d’une forêt un petit avion recouvert de neige. À l’intérieur, outre le cadavre du pilote, se trouve un sac rempli de billets de cent dollars qui représente un total d’un peu plus de quatre millions de dollars. Après discussion, ils passent un accord : Hank va garder et cacher l’argent jusqu’à ce qu’on découvre l’avion. Si, une fois l’épave retrouvée, personne ne parle des quatre millions de dollars, le magot sera partagé entre les trois acolytes, et si, au contraire, quelqu’un mentionnait la présence de l’argent dans l’avion, Hank alors brûlerait tous les billets afin qu’ils ne soient pas inculpés pour vol. Entre eux ils conviennent d’un délai de six mois avant de pouvoir utiliser l’argent. C’est un plan simple. L’avenir va montrer que ce n’est pas si simple que ça.

L’auteur a concocté un bijou d’intrigue en décrivant la dérive de gens ordinaires fascinés par la possibilité de passer d’une condition modeste à une richesse tombée du ciel. C’est d’autant plus tentant pour eux, qu’au départ ils ont l’impression de ne faire de mal à personne, simplement ils entendent profiter de leur chance. Où l’auteur est très habile, c’est pour montrer l’enchaînement inéluctable des évènements qui vont pousser le trio, et Hank en particulier, à commettre des actes inimaginables pour eux en temps normal. À un moment donné, Hank constate avec effroi qu’il ne peut prévoir les réactions de ceux qui l’entourent, pas plus que les siennes. Tous sont emportés dans une spirale infernale, embarqués dans un territoire inconnu où ils ne maîtrisent plus rien.

Hank, le narrateur et personnage principal du roman est comptable dans un magasin d’aliments pour bétail dans la banlieue de Toledo dans l’Ohio. Cet homme on ne peut plus ordinaire va se transformer en un individu dangereux et sans scrupules. Tout en ne décidant de rien, simplement en réagissant pour éviter d’être découvert et se protéger de la prison, il va devenir un monstre. Sa femme, Sarah, qui au début voulait brûler l’argent pour éviter les ennuis s’est ensuite prise à rêver, à envisager une nouvelle vie pleine d’espoirs et de promesses et elle est la première à se réjouir des actes terribles qu’est amené à commettre son mari pour préserver le butin et leur impunité. Jacob, le frère de Hank, est obèse et marginal. Il n’a pour seuls amis qu’un chien et Lou un autre paumé comme lui. Jacob est poignant dans sa détresse et sa solitude.

Un plan simple est remarquable par son intrigue ciselée et par ses personnages aussi sordides que pathétiques. C’est terrible et déchirant, c’est un roman noir de grand cru.

Ce livre a été adapté au cinéma par Sam Raimi en 1999, avec comme principaux interprètes : Bill Paxton, Billy Bob Thornton et Bridget Fonda.

Extrait :
« Oui, oui, ça va », dis-je. C’est alors que j’eus la surprise de sentir un sourire commencer de s’épanouir sur mon visage. Je dus me concentrer pour le réprimer, serrer les dents, crisper la mâchoire. C’était un effet de mon soulagement, et j’étais étonné de sa puissance. II éclipsait la tristesse que m’inspirait la mort de Jenkins; sa disparition en devenait presque salutaire, c’était le prix que l’on peut s’attendre à payer pour décrocher la timbale. Pour la première fois depuis le soir où nous avions décidé de garder 1’argent, je me sentais absolument tranquille. Sarah avait vu juste : tout était parfait maintenant qu’il n’y avait plus personne pour faire le lien entre nous et l’avion. lls étaient tous morts. Les frères Bokovsky, Cari, Lou, Nancy, Jacob, Sonny, Pederson. Il n’en restait plus un.
Et l’argent était à nous.

Bande annonce des Éditions du Typhon

Niveau de satisfaction :
4.4 out of 5 stars (4,4 / 5)

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Les 30 meilleures façons d’assassiner son mari – Seo Mi-Ae

Par Michel Dufour

Date de publication originale :
2006 à 2022
Date de publication française :
2022 (Matin Calme)
Traduction (coréen) :
Kwon Jihyun et Rémi Delmas
Genres : Thriller
Personnage principal :
Jeong Mi-yeon, femme au foyer

Seo-Mi-Ae est une des brillantes écrivaines de la Corée du Sud. Elle est aussi scénariste et plusieurs de ses écrits ont été adaptés à la télévision et au cinéma. La présentation visuelle de ce roman est, cependant, pour le moins ambigüe : d’abord, il ne s’agit pas d’un court roman de 150 pages, mais de 5 nouvelles; deuxio, le titre correspond à la première nouvelle mais, dans les autres cas, il ne s’agit pas toujours de l’assassinat d’un mari.

Ceci dit, c’est écrit avec simplicité et humour. La première nouvelle (Trente façons d’assassiner son mari) inclut une finale assez prévisible, mais les autres sont plus originales. La deuxième (Si c’est comme ça, je vais te manger) met en évidence la résistance d’enfants menacés. La troisième (Un choix atroce) dresse un portrait impitoyable d’une victime de la paranoïa. La quatrième (Concerto pour meurtre) est un petit chef-d’œuvre de contre-finalité : comment atteindre un but en tâchant d’y renoncer. La dernière (Un happy end, en quelque sorte) illustre la réaction positive d’une femme qui n’est plus seule.

D’abord, même si la Corée du Sud semble assez loin de nous, on y observe des comportements humains qui n’ont, pour nous, rien d’étranger ou de mystérieux. La description d’un harceleur-manipulateur de femmes correspond aux trop nombreux mâles dominateurs qui ont déjà tué une quinzaine de femmes depuis janvier au Québec. Et, corrélativement, la solitude des victimes semble, ici comme là-bas, la condition par excellence dont profite l’abuseur de femmes.

Ces descriptions sont élaborées sans hargne, avec un certain humour, parfois noir, et un espoir certain. Malgré un sujet délicat, la lecture reste agréable et favorise la compréhension du phénomène. Bref, une auteure que j’aurai du plaisir à retrouver.

Extrait :
Elle sentit la présence de son mari derrière son dos, des frissons la parcoururent. Elle ferma précipitamment son carnet de dépenses et tourna la tête vers lui.

─ Je t’embête ? demanda-t-il.
Il n’avait pourtant pas l’air désolé, pas le moins du monde. Comme se c’était normal pour lui de déranger sa femme à tout moment, et même un droit.
Vingt et une heures. À cette heure-ci, normalement, il regardait son émission préférée dans le salon. Vautré devant l’écran géant occupant presque le mur entier, il montait tellement le son qu’elle avait du mal à le supporter; c’en était assourdissant. Mais elle ne lui demandait pas de baisser le volume. Elle savait trop bien qu’il ne l’écouterait pas. Au contraire, à la moindre remarque, il augmenterait encore le son, jusqu’à ce que les voisins, exaspérés, tambourinent contre le mur.
Son mari était un tyran qu’elle n’osait jamais contrarier.

Kimbap

Niveau de satisfaction :
4 out of 5 stars (4 / 5)

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La Constance de la louve – Cécile Baudin

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2024 – Les presses de la cité
Genres : Enquête, historique
Personnages principaux :
Constance Mouchadou, jeune bonne – Victor Chastel, lieutenant de louveterie et juge de paix

Lozère, 1835.
Le corps du jeune Anatole Bousquet, étudiant en médecine, vient d’être trouvé au pied du château de Saint-Alban. Dans un premier temps, on pense que le jeune homme se serait perdu de nuit dans la tempête de neige qui vient d’avoir lieu. Cependant, Victor Chastel, juge de paix et lieutenant de louveterie, trouve surprenant que la victime qui connaissait très bien les lieux se perde au pied du château où il logeait. Avec l’aide d’une infirmière particulièrement perspicace, il procède à un examen détaillé du corps qui révèle des détails troublants et des incohérences. Son enquête se poursuit jusqu’au canton de Langogne où habite la famille de la victime. Là, il rencontre une belle et séduisante domestique, Constance, qui elle-même cherche à en savoir plus sur la mort du jeune homme qu’elle connaissait. Elle propose à Chastel de mener conjointement l’enquête en nouant entre eux un partenariat inédit entre gens de classes sociales si différentes. Ensemble ils vont découvrir que des morts étranges ont frappé d’autres jeunes gens.

L’autrice nous restitue parfaitement le contexte historique d’une époque et d’une région marquée par le souvenir terrifiant de la Bête du Gévaudan[i] qui aurait fait entre 82 et 124 victimes dans les années 1764 – 1767. Le nom du juge de paix, Chastel, évoque immanquablement celui de Jean Chastel, l’homme qui tua la Bête. Ce serait le grand-père de Victor. Cécile Baudin nous éclaire également sur le remplacement militaire qui tient une grande place dans le roman. C’est une politique de circonscription basée sur un tirage au sort qui désignait ceux qui devaient faire le service militaire pour partir à la guerre. Les notables et les riches avaient pour habitude de payer un remplaçant pour servir et souvent mourir à leur place.

Concernant les personnages, Victor Chastel cumule les fonctions de juge de paix et de lieutenant de louveterie. Cette dernière fonction qui consiste à chasser et, comme on dit maintenant, réguler le nombre de loups (en langue de bois on ne tue pas, on régule) est en complète contradiction avec l’attirance qu’il a pour ces animaux. Le juge de paix, lui, a pour mission de régler les conflits et les litiges de la vie quotidienne. Ici, Victor Chastel endosse le rôle d’enquêteur, normalement réservé aux gendarmes. Il est solitaire, ténébreux et accompagné d’un impressionnant chien-loup. Finalement, Victor, sous un aspect rugueux a un cœur tendre. Le personnage le plus étonnant est Constance. Une fille drôlement en avance sur son époque, sûre d’elle, de son charme et de son intelligence. Son modeste emploi de bonne ne l’empêche pas d’avoir une grande liberté, d’action et d’expression. C’est une belle femme qui rend dingue les hommes : un fils de bonne famille veut à tout prix en faire son épouse et le juge de paix est si éperdument amoureux d’elle qu’il en perd sa superbe et ses moyens. Constance est une féministe avant l’heure.

J’émettrai quelques réserves sur ces personnages qui me paraissent plus contemporains que d’époque : en 1835, il devait être rare de trouver un représentant de la loi aussi beau joueur et compréhensif que l’est Victor envers une domestique comme Constance. C’est aussi un louvetier qui aime les loups, ce qui dans une région traumatisée par les attaques de la Bête, devait être insolite. Victor un écologiste avant l’heure ? De même des femmes aussi indépendantes, libres et éduquées que le sont Constance et Marianne ne devaient pas être nombreuses dans les classes modestes du fond de la Lozère. Donc, des personnages un brin anachroniques, à mon avis.

Les femmes ont un rôle de premier plan dans ce roman. Outre la troublante Constance, l’infirmière Marianne fait preuve d’un sens de l’observation, de connaissances et d’une compétence digne d’un médecin légiste d’aujourd’hui avec les moyens modernes en moins. Elle aussi est en avance sur son temps. Celles qu’on a appelées, les trois louves sont des femmes plus âgées qui ont su faire preuve de patience et d’imagination pour concevoir une vengeance à long terme. Elles sont de celles qui restent dans l’ombre, qui n’oublient pas et ne pardonnent pas.

Dans ce roman, Cécile Baudin recrée une belle ambiance historique et mystérieuse d’une Lozère marquée par le souvenir de la Bête et par les injustices du remplacement militaire.

[i] Voir l’article de Wikipédia Bête du Gévaudan. Voir aussi sur ce site La Bête du Gévaudan d’Abel Chevalley

Extrait :
— Alors, si je comprends bien, vous prétendez que les décès d’Anatole Bousquet, Léopold de Rozasse et Albert Guérin ne sont pas des accidents, mais des meurtres. Pire ! Que ces assassinats seraient liés, et seraient le fruit d’un coupable unique, avec ses complices. Dont une femme avec des dessins sur le corps qu’on surnommerait « la Fougère ». Que ces gens s’amuseraient à attirer leurs jeunes victimes dans des guets-apens cruels, les trucidant dans des sortes de… mises en scène pointues et élaborées. Et qu’ils signeraient leurs forfaits d’objets symboliques, de portée affective pour les familles, ces objets renvoyant à un numéro précis qui serait la clé de ce mystère. Enfin, ces… messages s’adresseraient vraisemblablement aux pères de ces jeunes garçons, qui, pour d’obscures raisons, n’en auraient rien dit à personne. J’ai tout compris ?
— C’est merveilleusement bien résumé, brigadier, vraiment ! s’extasia Constance avec sincérité.

Lozère sous la neige

Niveau de satisfaction :
4.1 out of 5 stars (4,1 / 5)

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Une promesse d’aventures – Mémoires – Donna Leon

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2022 (Wandering through life)
Date de publication française :
2023 (Calmann-Lévy)
Traduction (américain) :
Gabriella Zimmermann
Genre : Biographie
Personnage principal :
Donna Leon

Après avoir lu tous les romans policiers de Donna Leon (une quarantaine) et commenté la plupart, j’avais la curiosité d’accéder à une parole plus personnelle. Je connaissais déjà quelques grandes lignes de sa vie, son enseignement de la langue anglaise dans des pays étonnants (Chine, Iran, Arabie saoudite), son installation à Venise, sa nécessité de quitter cette ville magnifique aujourd’hui polluée par le tourisme, mais je voulais en savoir davantage.

J’espérais sans doute en apprendre un peu plus sur le commissaire Brunetti. Comme l’indique la quatrième de couverture : « Avec finesse et humour, Donna Leon évoque le grand périple de sa vie et nous révèle enfin les secrets qui se cachent derrière Guido Brunetti, figure mythique du roman policier ». « Finesse et humour », si on veut, mais aucun rapport avec Brunetti ni avec sa carrière de romancière.

C’est plutôt une sorte  d’aide-mémoire personnel, une tentative de retenir des moments importants de son existence, depuis ses souvenirs d’enfance jusqu’à ses plaisirs permanents en passant par la rencontre de certains de ses amis. Rien de spectaculaire ni de très intime. Elle n’est pas du genre à se confier et je ne crois pas qu’elle encourage qu’on se confie à elle. Elle paraît s’être habituée à une certaine solitude qui correspond chez elle à une discrétion réciproque; « indépendante, autonome et courtoise », comme elle dit d’un chat qu’elle admire précisément pour ces qualités. Et les plaisirs auxquels elle s’adonne, même si ça peut finir par impliquer un grand nombre de personnes, sont avant tout des plaisirs solitaires : la lecture, l’écriture, l’écoute musicale (Haendel), cultiver son jardin …

L’autodescription est simple et sans prétention. C’est un livre écrit principalement pour elle, il me semble, et quelques-unes de ses connaissances à la rigueur. Si quelqu’un d’autre peut y trouver des éléments qui l’intéressent, grand bien lui fasse.

Extrait :
Je fis régulièrement des allers-retours en Italie, comme une loutre dans son étang, jusqu’au début des années quatre-vingt où j’ai trouvé un emploi et décidé de m’installer à Venise car j’y avais acquis des obligations familiales et noué de profondes amitiés. Ma bonne étoile ne m’a jamais abandonnée et je n’ai rencontré que grâce et bonté parmi ces personnes.
J’ai appris à les connaître et leurs vertus m’ont enrichie : la bienveillance, la générosité, l’amour de la beauté, le besoin de faire bella figura[1], la réticence à juger autrui, et leur éternelle propension au pardon.
Italia, ti amo.

[1] Faire bonne impression.

Venise

Niveau de satisfaction :
[Non noté]

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La Casse – Eugenia Almeida

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2022 (Desarmadero)
Date de publication française :
2024 – Éditions Métailié
Traduction (espagnol Argentine) :
Lise Belperron
Genre : Roman noir
Personnage principal :
Aucun mais beaucoup de personnages de second plan

Durruti, patron d’une casse qui désosse et revend des voitures volées, est mécontent parce qu’un de ses hommes a buté sans son accord deux jeunes qui foutaient un bordel monstre. En faisant cela, l’homme a rompu le fragile équilibre qui régnait entre les mafieux, les policiers et les politiques. C’est mauvais pour le business. Durriti va devoir calmer le jeu le temps que les choses se remettent à leur place. Mais le calme et la reprise des affaires vont être de courte durée : une succession d’erreurs fait six morts dans la police. La guerre est déclenchée, les morts violentes se multiplient. Ceux qui ne sont pas abattus doivent fuir. Le système s’effondre.

L’autrice nous décrit un système de corruption généralisée allant des hautes autorités politiques aux hommes de main qui obéissent aux ordres sans rechigner, en passant par les intermédiaires qui discutent entre eux et passent les accords qui font que tout le monde y trouve son compte. Le procédé fonctionne tant que rien ne s’ébruite. Mais il suffit d’une initiative malheureuse d’un subalterne pour ruiner la stabilité du dispositif. Quand on ne peut plus cacher les morts, policiers de surcroît, et que les journaux se déchaînent sur la corruption, le système s’écroule sur lui-même faisant une hécatombe.

Dans ce roman il n’y a toute une palette de personnages d’égale importance sans qu’aucun ne soit prédominant. Nous y trouvons un certain nombre de corrupteurs et de corrompus, à tous les niveaux de la hiérarchie, du ministre au petit voyou. Cependant l’autrice a quelque peu atténué la noirceur du tableau en y intégrant des touches d’humanité. Rita, par exemple, sait déchiffrer le corps des gens : le corps dit des choses, elle écoute, elle sait traduire, elle dit aux gens ce qu’elle voit, c’est un don. Rita voudrait se rapprocher de sa sœur qui la méprise. Saravia, lui, est un mari malheureux qui soupçonne sa femme de le tromper depuis qu’on lui a collé des messages anonymes sur le pare-brise de son magnifique coupé. Brandán est un vieux médecin légiste désabusé à qui on fait appel uniquement quand le légiste officiel de la police n’est pas là, celui dont les rapports vont exactement dans le sens que souhaite le chef de la police.

Le style d’Eugenia Almeida va bien avec son propos : il est simple, efficace, cru et incisif. Il y a beaucoup de dialogues souvent percutants ou amusants.

La Casse est un roman sombre et désenchanté dans le propos et tonique dans la forme. Un bon roman noir.

Extrait :
Cette fois-là, Durruti avait pensé que c’était peut-être juste. Que lui n’avait jamais demandé qui était le gars de la capitale et pourquoi on lui avait fait endosser le meurtre du Chilien. Qu’il avait accepté sans broncher. Sortir de prison, récupérer Nene.

Par la suite, les choses s’étaient enchaînées. La deuxième, la troisième fois. Se demander quand il aurait fini de payer.
Et un soir où il avait posé la question, le ton de Tapia avait changé, et il avait compris qu’il ne s’agissait pas de payer pour le passé. C’était autre chose : il payait pour le présent, comme un crédit. Pour ce qu’il avait désormais. Pour ce qu’il pouvait perdre.

Niveau de satisfaction :
4.2 out of 5 stars (4,2 / 5)

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Le fugitif, le flic et Bill Ballantine – Éric Forbes

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2024 (Héliotrope)
Genre : Thriller
Personnages principaux :
Denis Leblanc, ex-flic – Étienne Chénier, fugitif

Ce deuxième roman de Forbes est la suite d’Amqui, où étaient apparus pour la première fois le policier Denis Leblanc et le libraire-criminel Étienne Chénier. Ça se terminait par l’hospitalisation de Leblanc et la fuite de Chénier. Cela dit, ce n’est pas nécessaire de lire Amqui pour comprendre et apprécier l’intrigue de ce roman-ci.

Forbes prend soin de nous renseigner sur la fuite de Chénier après qu’il eût tué Pelletier et se soit installé à Paris. Quant au policier Leblanc, il a perdu un bras dans la fusillade où il était impliqué, s’est égaré dans la boisson pendant un bout, mais là il a retrouvé Chénier à Paris où il est venu pour le tuer. La femme de Pelletier (un des chefs de la mafia montréalaise), Catherine Desbiens, a aussi pour objectif d’éliminer Chénier; elle est d’arrivée à Paris avec son homme de confiance, Thomas Girard, et s’est liée à quelques complices français. Elle a fait suivre Leblanc, qui a retrouvé Chénier. Et, avant même que Leblanc s’attaque au libraire, les tueurs de Desbiens cernent la librairie, des coups de feu éclatent, Chénier et Langlois décampent et sont obligés de s’entraider.

Dans leur fuite, ils tombent sur un petit gars bizarre, Axel, qui rêve de devenir Bill Ballantine (le fidèle compagnon de Bob Morane)[1], qui leur donne un coup de main avec plaisir, d’autant plus qu’il estime qu’il y a de l’argent à faire dans cette aventure. La mère d’Axel, voleuse occasionnelle pour arrondir les fins de mois, se joint au petit groupe en y mettant le prix. Quand Axel est enlevé, l’action prend une étrange tournure, les poursuivants devenant les poursuivis. C’est un an plus tard, à Baie-Saint-Paul, que sera asséné le coup final, et fatal, de cette histoire.

Ça ferait un très bon scénario de film. L’action ne manque pas : les cinquante premières pages décrivent une poursuite dans les rues de Paris. Ce rythme affolant se poursuivra jusqu’à la fin du roman. Les personnages sont un peu excessifs, mais l’étrange camaraderie entre Chénier et Leblanc est intéressante; Axel est un petit surdoué exceptionnel, Catherine est une méchante acharnée mais elle trouve à qui parler quand elle touche à un cheveu d’Axel : sa mère Alice. Des notes d’humour détendent  l’atmosphère de temps en temps et des références littéraires permettent au lecteur de s’évader quelques secondes. Mais c’est pratiquement impossible de remettre la lecture au lendemain.

[1] Cf. les romans d’Henri Vernes.

Extrait :
─ Envoyez le fric ! leur enjoint la mère d’Axel, sur un ton un brin agressif, en se tournant vers eux, main tendue.

Début trentaine, cheveux bruns coiffés à la garçonne, anneau transperçant la narine gauche. Ce sont les premières paroles qu’elle prononce lorsqu’ils sont à peine installés dans l’automobile.
Étienne Chénier échange un regard avec Denis Leblanc.
─ Quoi ?
─ Le fric, le pognon, l’oseille, la thune, le flouze, éructe-t-elle, comme si elle venait d’avaler un dictionnaire de synonymes. Édouard m’a dit que vous étiez plein aux as.
─ Qui ?
─ É-dou-ard, articule-t-elle lentement, d’un ton exaspéré.
Chénier hausse les épaules.
─ Connais pas d’Édouard.
Elle le dévisage.
─ Non, mais merde, vous vous foutez de ma gueule ? (D’un geste de la tête elle désigne son fils, qui fixe l’horizon comme si cette discussion ne le concernait pas.) Édouard, mon fils, celui que vous avez kidnappé depuis cet après-midi.
─ Kidnappé ? s’offusque Chénier, qui n’aime pas la direction que prend cette conversation. On essaie de se débarrasser de lui depuis qu’on l’a croisé dans le Quartier latin ! Un vrai pot de colle ! Il nous a dit qu’il s’appelait Axel, pas Édouard !

Baie-Saint-Paul

Niveau de satisfaction :
4 out of 5 stars (4 / 5)

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Le refuge – Alain Beaulieu

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2022 – Druide
Date de publication française :
2024 – Liana Lévi
Genre : Psychologique
Personnages principaux :
Antoine et Marie, couple de retraités

Antoine et Marie, couple de retraités, ont vendu leur maison pour s’installer en forêt dans un refuge de trente-cinq mètres carrés, sans eau courante ni électricité. Malgré la rusticité de leurs conditions de vie, ils s’épanouissent, libérés de toute technologie dans le rapport direct à la nature. Leur temps est partagé entre l’observation des animaux, des oiseaux, du ciel et des étoiles, la lecture, l’écoute de la radio et la sieste. Cette vie paisible a été interrompue brutalement une nuit de juin quand quelqu’un est venu frapper à leur porte pour les prévenir qu’un incendie faisait rage près d’ici et qu’il fallait sortir. Il n’y avait d’incendie nulle part, c’était le prétexte utilisé par deux hommes portant une cagoule et habillés de noir pour entrer. Ils en voulaient à leur économie. Peu après cette agression, Antoine, dans une réaction impulsive, va commettre un acte qui va définitivement faire basculer leur existence. Finie la quiétude, une autre vie commence.

Le tout début du roman, quand l’auteur présente le retour à la nature du couple de retraités, l’amateur de polars et de thrillers pourrait penser que cette lecture ne se présente pas de façon passionnante. Mais très rapidement, un incident va faire basculer l’intrigue et sortir de cette histoire de vieux hippies en mal de félicité. L’auteur a monté fort habilement une intrigue à plusieurs niveaux qui donne souvent l’impression que tout est expliqué et résolu avant qu’un rebondissement ne donne une vision totalement différente des évènements.

L’auteur montre aussi comment un cas tenant du fait divers peut faire basculer de façon irrémédiable des existences. C’est ainsi qu’après l’agression qu’ils ont subie et la réaction d’Antoine, les deux retraités passent d’une vie bucolique et contemplative à la culpabilité et la crainte que quelqu’un d’autre ne découvre la vérité. Ils doivent maintenant vivre avec l’image de ce qu’ils sont devenus qui n’est plus en accord avec leurs principes. Ce qui est également mis en lumière c’est jusqu’où peuvent aller des personnes aussi paisibles et inoffensives que de tranquilles retraités sous la pression des circonstances.

L’histoire est racontée alternativement par le mari et l’épouse. Le ressenti et l’angle de vision varient en fonction du narrateur ou de la narratrice. C’est ainsi qu’Antoine nous apparaît impulsif et d’une grande sensibilité, plus fragile aussi que Marie qui, elle, est plus sauvage mais maîtrise mieux ses sentiments. C’est clairement Marie le plus fort de ces deux personnages.

Le refuge est un roman psychologique abordant avec subtilité les thèmes de la culpabilité et du basculement fortuit de l’existence humaine.
Prix du livre France/Québec 2023.

Extrait :
Je me suis approchée à mon tour pour jouer mon va-tout.
— Une nuit, je dormais, mon mari aussi. Deux hommes sont entrés chez nous, prétextant un incendie. Ils étaient cagoulés, un petit et un grand. Le grand, on sait qui c’était.
Je me suis tue, laissant à mes mots le temps de produire leur effet. Sans bouger la tête, il a détourné les yeux, reclus dans ses pensées. Puis il m’a toisée de nouveau.
— Pourquoi vous êtes là ?
J’ai secoué la tête machinalement.
— Pour connaître la vérité.
Il a souri comme s’il me prenait en pitié.
— La vérité… a-t-il lâché dans un souffle. C’est un concept flou, ça, la vérité.
Ce mot, dans sa bouche, détonnait comme un bistouri dans la main d’un bûcheron.

Niveau de satisfaction :
4.2 out of 5 stars (4,2 / 5)

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La Femme Papillon – J.L. Blanchard

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2024 (Fides)
Genres : Thriller, enquête
Personnages principaux :
Bonneau et Lamouche

Quatrième polar de Blanchard, un auteur qui se caractérise par le courant d’air frais qu’il insuffle dans la littérature policière québécoise grâce au tandem Bonneau et Lamouche. Sauf que, dans ce roman-ci, Lamouche ne corrige pas, comme d’habitude, les gaffes de Bonneau parce qu’ils ne travaillent pas sur le même terrain.

De fait, suite à ses succès dans l’affaire du Radeau de la Méduse, Bonneau a été invité par le Président de la France, qui tenait à lui rendre hommage personnellement. À peine arrivé à Paris, cependant, Bonneau est kidnappé et se retrouve dans un monastère désaffecté en Suisse, près du Lac Léman. Lamouche est envoyé à son secours, mais par où commencer ? Aucune rançon n’est demandée : quel est le motif de l’enlèvement de Bonneau ? Toute la police française est sur le qui-vive. Un indice l’amène à soupçonner une sorte de secte, l’Ordre des Monarques, très ambitieuse (dominer le monde !), très riche, et dont les membres sont infiltrés à tous les niveaux dans bien des domaines, dont celui  des autorités policières. Si bien que Lamouche ne sait plus à qui se fier. Le chauffeur qui devait accueillir Bonneau à l’aéroport est tué; d’autres cadavres seront découverts et il est possible que Bonneau soit parmi eux. Et si l’ADN relevé sur un cadavre décapité ne le démontre pas, il est possible qu’il soit mort calciné après avoir mis le feu à la chambre-bibliothèque où il était enfermé. Ne croyant pas à sa mort, Lamouche finit par se rendre au monastère où se morfondait Bonneau, mais ce dernier semble s’en être évadé; et c’est Lamouche qui se retrouve en mauvaise posture.

On a l’impression de lire deux types de romans : un genre suspense, quand on assiste à la séquestration de Bonneau et à ses efforts pour s’évader; et un genre thriller, quand on suit la trajectoire de Lamouche autour de qui les gens se déguisent, se trahissent, se livrent à des rites initiatiques étranges et cherchent à le tuer.

Finalement, la pire épreuve pour  Bonneau, c’est peut-être le soir où il est invité à dîner avec le Président de la République, se méfiant par avance « des plats aux noms certainement farfelus qu’on allait lui servir ». Le tête-à-tête entre Bonneau et le Président, qui clôt cette aventure trépidante, est un morceau de choix que les lecteurs apprécieront.

C’est sans doute le plus sérieux des quatre romans de Blanchard, même si l’atmosphère reste détendue : on ne sait pas comment, mais on sent bien que nos deux héros vont s’en sortir. C’est donc un autre roman de Blanchard qu’on lit sourire aux lèvres.

Extrait :
Il n’était pas tout à fait mort. C’est du moins la conclusion qui s’imposait peu à peu à son esprit. Déjà, en se réveillant, quelques manifestations de nature physiologique lui avaient suggéré cette étonnante révélation. D’abord, le fait de se retrouver couché sur le côté, tout recroquevillé sur lui-même. Or, il se souvenait qu’il était allongé sur le dos quand on avait refermé le linceul mortuaire. Les morts ne se tournent pas dans leur tombe. Ensuite, une sensation de froid et d’humidité lui transperçait le corps, d’où sans doute la position fœtale adoptée instinctivement. Mais surtout : il avait pris conscience de l’effroyable gouffre qui s’était sournoisement installé derrière sa paroi abdominale. Il était affamé.

Acrylique d’Alain Bedu

Niveau de satisfaction :
4 out of 5 stars (4 / 5)

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Châtiment – Percival Everett

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2021 (The Trees)
Date de publication française :
2024 – Actes Sud
Traduction (américain) :
Anne-Laure Tissut
Genres : Roman noir sociétal, historique, enquête policière
Personnages principaux :
Ed Morgan et Jim Davis, agents spéciaux du MBI (Mississippi Bureau of Investigation) – Herberta Hind, agent spécial du FBI

À Money dans le Mississipi, les adjoints du shérif sont appelés sur une scène de crime sidérante : un homme blanc baigne dans son sang, un long fil de fer barbelé rouillé fait plusieurs fois le tour de son cou, son pantalon est baissé et ses testicules arrachés, à trois mètres de ce corps gît un homme noir de petite taille, le visage défoncé avec dans une main les testicules de l’homme blanc. La suite de cette découverte est encore plus effarante : à la morgue où les deux cadavres ont été amenés, celui du noir a disparu. Plus étonnant encore, on retrouve la même scène de crime avec à chaque fois le mort noir qui disparaît. Ed Morgan et Jim Davis, agents spéciaux du MBI (Mississippi Bureau of Investigation) sont chargés de mener cette enquête extraordinaire. Devant la multiplication des assassinats dans tout le pays répétant la même mise en scène, ils reçoivent le renfort du FBI en la personne de l’agent spécial Herberta Hind. Tous les agents spéciaux (Ed, Jim et Herberta) sont noirs.

D’entrée, l’auteur place l’intrigue dans le domaine de l’étrange et du fantastique avec des morts qui disparaissent pour ressurgir sur une autre scène de crime. L’auteur joue sur des situations grotesques qui laissent les autorités désemparées. En fait, les meurtres et l’enquête sont un prétexte pour dénoncer une autre sorte de crimes : les lynchages dont ont été victimes aux États-Unis les noirs entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle. Pour un noir, à l’époque, il en fallait peu pour être lynché : un regard, une parole que l’homme blanc jugeait provocant suffisait, ou même un prétexte purement inventé comme celui de Carolyn Bryant accusant le jeune noir Emmett Till de lui avoir fait des avances, suite à quoi Till a été enlevé et torturé avant d’être assassiné par R. Bryant et J.W Milam. Tous les deux ont ensuite été acquittés par un jury, composé de douze hommes blancs[i]. C’est donc en se basant sur des faits et des personnages historiques que Percival Everett a construit une œuvre de fiction dans laquelle des morts-vivants viennent demander des comptes aux descendants des assassins de l’époque. On ressent dans ce roman toute la rage qu’a dû éprouver l’auteur devant la haine raciale et l’injustice qui ont frappé la population noire.

Les personnages sont de deux sortes : les personnages historiques qui apparaissent sous leurs vrais noms (Till, Bryant, Milam …), on y trouve même une caricature du Président Donald Trump. Les personnages fictifs sont les policiers Morgan, Davis et Hind. Pour contrebalancer l’horreur historique, l’auteur a créé des policiers qui ont le sens de l’humour, qui sont cools, caustiques et adeptes des blagues et des réflexions au second degré.

En mêlant l’histoire et la fiction, Percival Everett a créé un roman édifiant sur la haine raciale et les exécutions sans jugement dont a été victime la population noire des États-Unis les siècles précédents.

[i] Voir l’article de Wikipédia sur Emmett Till

Extrait :
Les journaux et les réseaux sociaux essayaient de relier les incidents violents survenus à travers le pays. Fox News parlait de “guerre raciale, pure et simple”. On en était à vingt-cinq morts blancs. Le score était de vingt-cinq contre cinq. À l’évidence, il s’agissait d’une conspiration noire et asiatique, au fonctionnement secret, com­plexe et bien organisé. Il y avait des espions partout. On ne pouvait se fier à personne. Comment cet homme noir avait-il pu s’introduire dans la Maison-Blanche pour tuer Razorback Reynolds ? Il avait forcément des complices à l’intérieur. Les personnels de ménage et de cuisine de la Maison-Blanche étaient retenus en garde à vue dans un camp de fortune improvisé dans l’enceinte de la Maison-Blanche, au milieu de l’Ellipse.

Niveau de satisfaction :
4.2 out of 5 stars (4,2 / 5)

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Le Huitième Registre 1. Le Silène Assassiné – Alain Bergeron

Michel Dufour

Date de publication originale : 2024  (Alire)
Genres : Uchronie, thriller, aventures, historique
Personnage principal :
Siméon Monocrate, « inquisiteur »

L’action se passe en 2015 à Providence, principalement, jusqu’à Mont-Boréal, dans le Nouveau Continent du Saint-Empire romain byzantin. Dans notre monde, on pourrait dire que ça se passe au nord-est des États-Unis jusqu’à Montréal. Mais ce roman est une uchronie, c’est-à-dire que l’action se passe dans un monde qui procède d’une réécriture de l’Histoire à partir d’une modification du passé. Dans ce cas-ci, imaginons que la prise de Constantinople par les Ottomans en 1453 n’a jamais eu lieu. Les Croisades n’ont pas vraiment affaibli Constantinople et le Saint-Empire Romain byzantin a, au contraire, conquis la plus grande partie de l’Europe et une bonne part du Moyen-Orient. Ce qui a permis aux relations commerciales de s’étendre d’Est en Ouest, retardant ainsi la découverte et l’exploitation du Nouveau Continent (= l’Amérique) jusqu’au début du XIXe siècle. Une seule autre grande puissance partage le monde avec le Saint-Empire romain byzantin, c’est la Sublime Alliance du Soleil Levant, dont la capitale est Beijing[1]. Il s’agit de deux systèmes politiques autoritaires (l’Église de Rome jouant un grand rôle dans le premier Empire); les démocraties n’ont pas encore commencé d’exister. Le développement des sciences ne s’est pas non plus déroulé de la même façon : les sources d’énergie sont assez différentes et l’électronique est loin d’être connue, même si des appareils comme l’orgue à traitement de signes préfigurent l’ordinateur. L’orgue fonctionne par registres, c’est-à-dire par degrés de complexité mécanique dans le but de régler des problèmes de plus en plus difficiles, le huitième registre étant celui qui convient à l’historiosophie. Dans ce qu’on pourrait appeler les sciences humaines, à une conception religieuse dominante qui interprète l’histoire comme le fruit de la volonté divine (le monochronisme) s’oppose l’historiosophie qui se définit comme l’étude mathématique des relations de causes à effets en histoire. Au centre de ce récit vit et meurt André Antonikas (surnommé le silène), sauvagement assassiné, expert en sémiologie, chaud partisan de l’historiosophie, et qui s’apprête à faire une formidable découverte grâce  au huitième registre de l’orgue à traitement de signes.

Car il s’agit bel et bien, d’une enquête policière sur un meurtre, avec de vrais suspects, un vrai coupable et tout un détective, Siméon Monocrate, délégué sur les lieux du crime par la curie pontificale de Rome. Antonikas est retrouvé la gorge tranchée dans son bureau de travail (son scriptuaire, comme on disait alors), férocement saccagé y compris son orgue. Il s’agit presque d’un assassinat en chambre close, parce que très peu de gens ont pu avoir accès au silène et que la villa était gardée par deux officiers devant une grille solidement barrée. Cette scène ressemble étrangement à un autre assassinat commis vingt ans plus tôt pendant le premier synode sur l’historiosophie tenu au monastère de Mont-Boréal.

Quel est le sens de cette ressemblance ? Et quel rapport avec le fait que les recherches d’Antonikas étaient subventionnées par un général aux tendances autonomistes; qu’elles étaient aussi convoitées par monseigneur d’Orcanne qui s’attendait à devenir le futur pape et qui luttait ardemment contre l’historiosophie; et on peut soupçonner également les spartaquistes (groupe contestataire qui lutte contre la domination des riches, pour l’émancipation des femmes) de s’intéresser aux recherches du silène qui aboutiront peut-être à la fabrication d’une arme d’une puissance inouïe. Peut-être le motif est d’une tout autre nature : Antonikas avait la réputation d’un être aux mœurs légères; n’avait-il pas corrompu le fils de la famille richissime des Vivarini ? Or, l’assistant du silène était fiancé à Sophia, la fille des Vivarini. Tuer Antonikas permettrait à Léon Gaïus Mellior d’être bien vu des parents de Sophia.

Siméon, et son fidèle Calixte, chercheront à y voir plus clair, alors que les autonomistes spartaquistes et autres s’efforcent d’ébranler les bases de cette société autoritaire en Arcadie et même jusqu’au Mont-Boréal. Ce sera une tâche d’autant moins facile que le principal suspect semble s’être pendu après voir été soumis à la torture.

Plusieurs seront peut-être hésitants à s’engager dans cette longue lecture qui met en scène un monde qui n’est pas tout à fait le nôtre. Mais l’effort vaut la peine parce que c’est un très grand roman, construit avec intelligence et sensibilité, un suspense qui nous attire et nous déroute, assaisonné d’un humour subtil, où la rigueur et l’imagination vont de pair. Autre atout majeur : la création d’un enquêteur qui ressemble à Holmes par sa puissance inductive, son intuition surprenante et sa personnalité tenace et incorruptible. Enfin, la lettre du dernier chapitre que Siméon envoie à Labinien Estradice, premier préfet de Providence, où il expose ses raisonnements et leur conclusion, produit le même genre de satisfaction que la démonstration à laquelle se livre Poirot après avoir convoqué au salon les principaux suspects.

[1]  On reconnaît ici la ville de Pékin. L’auteur nous livre continuellement des indices pour qu’on ne soit pas trop perdu. Ainsi, on a déjà vu Mont-Boréal, transformation de Montréal. Ça joue également dans le cas des personnages : Candide Le Roué pour Voltaire, AEdegar Dupinius pour Dupin, le détective d’Edgar Poe, ou encore Émile Helvetius pour Rousseau … À la fin du tome 1, des Annexes et un Glossaire permettent de mieux s’y retrouver.

Extrait :
Essir Labinien Estradice ne s’était pas beaucoup calmé depuis son arrivée au Prétoire tôt le matin. La nouvelle du suicide de Léon Gaïus Mellior l’avait d’abord fortement irrité (…) Mais ce qui enrageait encore davantage le préfet, ce qui l’avait vraiment mis hors de lui, était l’impardonnable irruption de ce soi-disant « missionnaire plénipotentiaire de la Curie pontificale », la veille, dans l’aile carcérale du Prétoire. Que cet importun eût été le premier à découvrir le corps de Léon était déjà fort embarrassant. Mais qu’il eût l’audace en plus de donner des instructions à des officiers du corps de vigiles dépassait toutes les bornes. Ce n’était pas la première fois (hélas!) que des abus semblables se produisaient (…) L’Arkadie constituait peut-être officiellement une province à part entière de l’Empire, mais ses habitants éprouvaient trop souvent le sentiment que l’on continuait de la traiter comme une simple colonie. Qui pouvait s’étonner après cela que grondât la rébellion à Providence et que prospérassent les courants autonomistes ?

Constantinople

Niveau de satisfaction :
4.8 out of 5 stars (4,8 / 5)
Coup de cœur

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Les ombres de Oak Island – Wiley Cash

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2021 (When Ghosts Come Home)
Date de publication française :
2024 – Seuil
Traduction (américain) :
Jacques Collin
Genres : social, enquête
Personnage principal :
Winston Barnes, shérif du comté de Brunswick, Caroline du Nord

Octobre 1984, comté de Brunswick Caroline du Nord.
En pleine nuit, le shérif Winston Barnes entend le bruit d’un avion qui vole très bas au-dessus de sa maison. Intrigué, il se lève et se rend à l’aéroport proche pour voir si l’avion y a atterri. Sur place, il constate qu’un gros aéronef s’est arrêté en catastrophe en bout de piste. Son train arrière est cassé, mais surtout il y a un cadavre d’un homme qui gît à côté. Winston connaît bien ce jeune noir tué par balle puisqu’il s’agit du fils d’un ancien professeur, vétéran de guerre et membre influent de la communauté noire de Oak Island. Curieusement, le zinc est vide et il n’y a pas une seule empreinte. La cargaison a été évacuée et tout a été nettoyé. Le trafic de drogue est suspecté, le FBI est appelé. C’est le début d’une période difficile pour Winston Barnes qui tombe particulièrement mal, car les élections au poste de shérif arrivent dans une semaine.

Le début du roman laisse supposer que l’intrigue sera surtout constituée de l’enquête autour de l’atterrissage et du meurtre qui a suivi. En fait les investigations du shérif n’occupent qu’une partie, pas la plus importante, de l’intrigue. L’essentiel est constitué autour de la personnalité de Winston, de toutes les difficultés qui s’accumulent autour de lui, de la vie pas si tranquille dans la petite ville de Oak Island. En effet, à une semaine de l’élection du shérif, Winston doit faire face non seulement à l’évènement imprévu que constitue l’atterrissage sauvage d’un gros DC-3 dans un petit aéroport, mais aussi à un meurtre d’un jeune noir, aux provocations de son rival au poste de shérif, aux manifestations racistes des nostalgiques du Ku Klux Klan visant à terroriser les quartiers noirs, aux trahisons de certains membres de son équipe, aux problèmes familiaux : sa femme a un cancer et sa fille dépressive revient s’installer chez eux, sans compter qu’il doit aussi héberger un membre du FBI. Quand il lui reste un peu de temps Winston continue une enquête qui finira par aboutir, plus par chance que par travail d’investigation.

Winston a 63 ans, il occupe le poste de shérif depuis 12 ans, il voudrait bien être réélu pour continuer à profiter de l’assurance maladie qui permet de payer les soins nécessaires à son épouse. Il estime avoir peu de chances d’être réélu à moins qu’il boucle avec brio ces dernières affaires, mais les choses se présentent mal pour lui. Cependant il fait face avec détermination et stoïcisme.

Il ne faut pas s’attendre à une enquête trépidante, le rythme du récit est lent et peut même paraître ennuyeux par moment tellement l’auteur se perd dans des détails insignifiants. Cependant Wiley Cash nous réserve une belle surprise en conclusion de son livre. La qualité principale de ce roman vient de la description saisissante d’une petite ville de Caroline du Nord soumise à la ségrégation sociale et au racisme et de l’atmosphère à la fois paisible et tendue qu’il s’en dégage.

Extrait :
Winston resta un moment assis en silence, en s’efforçant d’évaluer la différence entre ce qui était juste et ce qui était légal, et quelque part, juste hors de sa portée, se trouvait une réponse qui couvrait tout ce qui était arrivé jusqu’ici – le meurtre de Rodney, le mystère de l’avion, les incendies, Frye se faisant abattre sous ses yeux – et rendait l’ensemble, sinon satisfaisant, du moins plus facile à envisager sans causer plus de souffrances. Mais Winston n’aurait su l’exprimer, alors il se contenta de hocher la tête en direction de Jay, et Bellamy se leva et se dirigea vers la porte.

Douglas DC-3

Niveau de satisfaction :
4 out of 5 stars (4 / 5)

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