Les ombres de Oak Island – Wiley Cash

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2021 (When Ghosts Come Home)
Date de publication française :
2024 – Seuil
Traduction (américain) :
Jacques Collin
Genres : social, enquête
Personnage principal :
Winston Barnes, shérif du comté de Brunswick, Caroline du Nord

Octobre 1984, comté de Brunswick Caroline du Nord.
En pleine nuit, le shérif Winston Barnes entend le bruit d’un avion qui vole très bas au-dessus de sa maison. Intrigué, il se lève et se rend à l’aéroport proche pour voir si l’avion y a atterri. Sur place, il constate qu’un gros aéronef s’est arrêté en catastrophe en bout de piste. Son train arrière est cassé, mais surtout il y a un cadavre d’un homme qui gît à côté. Winston connaît bien ce jeune noir tué par balle puisqu’il s’agit du fils d’un ancien professeur, vétéran de guerre et membre influent de la communauté noire de Oak Island. Curieusement, le zinc est vide et il n’y a pas une seule empreinte. La cargaison a été évacuée et tout a été nettoyé. Le trafic de drogue est suspecté, le FBI est appelé. C’est le début d’une période difficile pour Winston Barnes qui tombe particulièrement mal, car les élections au poste de shérif arrivent dans une semaine.

Le début du roman laisse supposer que l’intrigue sera surtout constituée de l’enquête autour de l’atterrissage et du meurtre qui a suivi. En fait les investigations du shérif n’occupent qu’une partie, pas la plus importante, de l’intrigue. L’essentiel est constitué autour de la personnalité de Winston, de toutes les difficultés qui s’accumulent autour de lui, de la vie pas si tranquille dans la petite ville de Oak Island. En effet, à une semaine de l’élection du shérif, Winston doit faire face non seulement à l’évènement imprévu que constitue l’atterrissage sauvage d’un gros DC-3 dans un petit aéroport, mais aussi à un meurtre d’un jeune noir, aux provocations de son rival au poste de shérif, aux manifestations racistes des nostalgiques du Ku Klux Klan visant à terroriser les quartiers noirs, aux trahisons de certains membres de son équipe, aux problèmes familiaux : sa femme a un cancer et sa fille dépressive revient s’installer chez eux, sans compter qu’il doit aussi héberger un membre du FBI. Quand il lui reste un peu de temps Winston continue une enquête qui finira par aboutir, plus par chance que par travail d’investigation.

Winston a 63 ans, il occupe le poste de shérif depuis 12 ans, il voudrait bien être réélu pour continuer à profiter de l’assurance maladie qui permet de payer les soins nécessaires à son épouse. Il estime avoir peu de chances d’être réélu à moins qu’il boucle avec brio ces dernières affaires, mais les choses se présentent mal pour lui. Cependant il fait face avec détermination et stoïcisme.

Il ne faut pas s’attendre à une enquête trépidante, le rythme du récit est lent et peut même paraître ennuyeux par moment tellement l’auteur se perd dans des détails insignifiants. Cependant Wiley Cash nous réserve une belle surprise en conclusion de son livre. La qualité principale de ce roman vient de la description saisissante d’une petite ville de Caroline du Nord soumise à la ségrégation sociale et au racisme et de l’atmosphère à la fois paisible et tendue qu’il s’en dégage.

Extrait :
Winston resta un moment assis en silence, en s’efforçant d’évaluer la différence entre ce qui était juste et ce qui était légal, et quelque part, juste hors de sa portée, se trouvait une réponse qui couvrait tout ce qui était arrivé jusqu’ici – le meurtre de Rodney, le mystère de l’avion, les incendies, Frye se faisant abattre sous ses yeux – et rendait l’ensemble, sinon satisfaisant, du moins plus facile à envisager sans causer plus de souffrances. Mais Winston n’aurait su l’exprimer, alors il se contenta de hocher la tête en direction de Jay, et Bellamy se leva et se dirigea vers la porte.

Douglas DC-3

Niveau de satisfaction :
4 out of 5 stars (4 / 5)

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L’Ombre des innocents – René Manzor

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2024 (Calmann-Lévy)
Genre : Thriller
Personnage principal :
Marion Scriba, romancière

Marion Scriba est une romancière de polars et, mariée à Vincent, elle est mère de trois enfants. Vie de famille bien ordinaire. C’est pourquoi, lorsque des policiers l’arrêtent et l’accusent du meurtre de trois jeunes enfants, la surprise ébranle tout le monde.

Le principal argument contre elle, c’est que son ADN s’est retrouvé sur l’arme du crime. En sa faveur : Marion est une maman qui semble au-dessus de tout soupçon, la distance qui la sépare du lieu du meurtre paraît impossible à franchir en si peu de temps, et le fait qu’elle aurait quitté le lieu du crime en sautant en bas d’une falaise équipée d’un planeur individuel est pratiquement impensable.

Son avocat la défend mal et Marion est sur le point d’être écrouée; elle s’évade alors audacieusement et commence pour elle une folle escapade afin de découvrir le véritable auteur de l’assassinat sordide de ces trois enfants. À ses trousses, la commandante Nayla Kassar, cinquante ans, qui a acquis une forte réputation dans l’armée, puis dans la police; et Wim Haag, agent néerlandais dans la quarantaine, spécialisé dans la traque des fugitifs, profondément affecté par la mort de son épouse dans l’attentat du Trans-Jungle express en Colombie.

Kassar est persuadée de la culpabilité de Marion; Haag trouve que quelque chose cloche. Les deux enquêteurs la suivent de près, mais Marion a toujours un pas d’avance sur eux. L’arme du crime est un revolver de collection; Marion suit la piste des acheteurs de ce revolver pour savoir qui l’a abandonné sur les lieux du crime en y collant son ADN. Au moment où Marion atteint son but, c’est elle qui est retrouvée et capturée par celui sur qui elle voulait mettre la main.

Mais alors, tous les visages se découvrent : celui qu’on prenait pour le meurtrier des enfants travaillait pour un autre; Haag était manipulé et ignorait son rôle véritable; la présidente d’Europol avait mis au point un stratagème risqué; et Marion était liée à un passé qui la rendait moins naïve qu’elle en avait l’air.

Quel bon film ça ferait ! Le lecteur qui aime être embrouillé pendant un bon moment en a pour son argent. Les personnages principaux sont bien décrits et l’action qui n’arrête pas leur sert de toile de fond efficace. On pourrait trouver que Marion est bien chanceuse et que les revirements se multiplient un peu trop systématiquement, mais ne boudons pas notre plaisir et admettons que l’auteur connaît bien son métier, qui consiste à ébranler les émotions de ses lecteurs.

Extrait :
─ Pavel Vanek ?
─ Tu ne vois pas que je reprends des forces, là ? Va te faire mettre en face par quelqu’un d’autre. Y a plein de queues disponibles, en matinée aussi.
La réaction de Wim ne tarda pas. Il agrippa Pavel par sa coiffe d’Iroquois et lui planta son visage dans son kébab. Puis il sortit la photo de Marion  et la lui présenta en bord d’assiette.
─ Écoute-moi attentivement, trouduc. Avec l’œil qui te reste, regarde bien cette femme et répète-moi exactement ce que tu lui as dit.
─ Je ne … lui ai … rien dit, bafouilla Pavel. Elle m’a braqué avec un revolver et …
Wim lui plongea le second œil dans la sauce harissa et l’y laissa quelques secondes. Pavel se débattit sans parvenir toutefois à dégager sa tête de son assiette. Juste avant de l’asphyxier, Wim le souleva par la crête.
─ Je t’écoute et sois précis … (…)
─ Deux hommes … des hommes de main, des pros. Ils m’ont payé pour que je la neutralise et que je les appelle quand ce serait fait.
─ Ils l’ont emmenée où ?
Avant que Pavel puisse répondre, une balle explosive lui perfora la poitrine.

Niveau de satisfaction :
4.3 out of 5 stars (4,3 / 5)

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De neige et de vent – Sébastien Vidal

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2024 – Le mot et le reste
Genre : Roman noir
Personnages principaux :
Nadia et Marcus, gendarmes – Victor, voyageur – Basile Gray, maire du village de Tordinona

Dans les Alpes, dans un lieu proche de la frontière entre la France et l’Italie, un homme et son chien marchent sous une tempête de neige. Ils arrivent au petit village de Tordinona espérant y trouver refuge. L’inscription sur le panneau annonçant le village laisse le voyageur perplexe : Vous pouvez encore faire demi-tour. Ce n’est pas le jour pour demander l’hospitalité dans ce village déjà peu accueillant : la fille du maire vient d’être retrouvée morte et peut être violée. Basile Gay, un colosse, maire tout puissant de Tordinona, d’abord fou de douleur, va transformer sa souffrance en désir de vengeance. Cet étranger qui vient juste d’arriver est le coupable tout trouvé. Comme au bon vieux temps du western, les hommes du village décident de pendre le présumé criminel. Nadia et Marcus, gendarmes en patrouille, s’interposent et protègent l’individu. Devant la colère des habitants, ils sont obligés de se réfugier dans la mairie qui est cernée par les chasseurs aux ordres du maire et comme l’électricité a été coupée et qu’une avalanche a emporté le seul pont reliant Tordinona au reste du monde, ils sont bloqués dans le village. Commence alors un long siège.

L’auteur met d’abord en place une belle ambiance sombre et angoissante. Le blizzard hurle sans interruption de jour comme de nuit, la neige tombe dru et recouvre tout. Le froid s’installe, l’extérieur est dangereux. Au climat hostile s’ajoute l’animosité des villageois envers tout ce qui est différent d’eux. Même avant l’arrivée de l’étranger, le maire et ses acolytes ne supportaient pas un groupe de six jeunes venus s’installer en périphérie du village, dans une ferme où ils faisaient de l’élevage et produisaient des fromages bio appréciés pour leur qualité par les gens de la région qui venaient les acheter en cachette du maire. Ces jeunes sont trop dissemblables des villageois pour être admis. D’ailleurs à Tortinona on n’aime pas les étrangers, même les touristes de passage ne sont pas bienvenus. Ce n’est pas parce qu’ils détestent les étrangers que les locaux s’apprécient entre eux. Certains vont même profiter du désordre engendré par l’assassinat de la fille du maire pour régler de vieux comptes : mettre le feu à la grange d’un rival avec les bêtes dedans ou liquider l’amant de sa femme ou encore se débarrasser d’un vieux père à l’agonie. Bref, à Tordinona l’ouverture d’esprit et la joie de vivre n’ont pas cours.

Côté personnages, les gendarmes Nadia et Marcus ne sont pas des redresseurs de torts sans peur et sans reproche, ce sont deux rescapés. Elle, amputée d’un sein suite à un cancer, lui, amputé de sa propre estime suite à son comportement lors d’un attentat quand un camion a foncé sur la foule. Cependant leur sens de l’honneur et du devoir sauvera la vie de Victor, le voyageur malchanceux. Victor a l’habitude d’écrire ses impressions de voyage dans un carnet. Ça l’aide aussi à lutter contre le stress. Curieusement, il devient le confident de Nadia et de Marcus qui vont finir par lui dire ce qu’ils n’ont jamais avoué à leurs proches. Même Vosloo, un ancien militaire qui devient un allié aussi inattendu qu’efficace, lui confiera ses obsessions héritées de ses campagnes. Victor se fait beaucoup de soucis pour son chien, Oscar, qui a réussi à s’échapper quand son maître a été pris à parti. Basile Gray, le maire, est un géant de près de deux mètres. C’est un meneur d’hommes charismatique et persuasif. Il a été complètement dévasté lorsqu’il a appris la mort de sa fille chérie. La seule façon qu’il a trouvé pour continuer à vivre c’est de transformer sa douleur en haine envers cet étranger dont il est certain qu’il est l’assassin de sa fille, car personne ici n’aurait osé s’en prendre à elle, tant son autorité sur les 112 habitants du village n’est contestée par personne.

L’écriture est vraiment admirable, elle donne au roman toute sa force en montrant la violence, que ce soit celle de la nature ou celle des hommes.

De neige et de vent est un roman qui se distingue par la façon dont Sébastien Vidal montre la nature déchaînée, la xénophobie et les préjugés des habitants d’un petit village de montagne, il est aussi remarquable par la qualité des personnages et de l’écriture. C’est un excellent roman noir.

Extrait :
La sidération recouvre la place. Il n’y a soudain plus un son, à l’exception du tracteur dont le moteur continue de tourner en tremblant de toute sa structure. Personne ne bouge, tout le monde espère que c’est un cauchemar et qu’il en verra bientôt le bout. Repliés dans le bar, derrière les bouleaux, retirés dans les venelles, les assaillants déchantent. Il ne s’agit plus de hurler avec la meute et de se défouler sur un individu seul et sans arme, il est question de se battre avec deux gendarmes bien armés et déterminés, qui rendent les coups. Nadia, collée au mur qui jouxte la fenêtre, observe l’extérieur tout en plaquant sur son gilet ses mains qui tremblent atrocement. Ce qu’elle vient de voir est de l’ordre de la guerre, la scène repasse en boucle dans sa tête. Elle sait, d’une manière immanente, qu’elle est déjà stockée dans un coffre de sa mémoire et qu’il sera impossible de l’en déloger, qu’elle viendra la hanter à n’importe quel moment de sa vie.

Niveau de satisfaction :
4.5 out of 5 stars (4,5 / 5)
Coup de cœur

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Civilisés – Patrick Senécal

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2024 (Alire)
Genre : Thriller
Personnage principal :
Bernard Sean, psychologue

J’ai lu tous les Senécal, sauf la série Malphas, et je continue de trouver ses récits captivants même si ses finales me frustrent parfois : j’aime bien les explications rationnelles des phénomènes apparemment incohérents ou abracadabrants. Or, Senécal nous laisse souvent dans le doute ou mieux, comme diraient les commentateurs de hockey, dans un double doute. Il lui arrive aussi de frôler le gore, qui est loin de me fasciner parce que trop facile et souvent inutile. Et bien, dans ce roman-ci, bien que le drame mis en scène soit assez effrayant, j’ai été victime d’un fou rire à quelques reprises; pas un sourire, non, un fou rire incontrôlable qui nous étouffe presque. Cela pour dire que ce Senécal mêle le cocasse, l’absurde et le drame d’une main de maître. Le charme joue à plein et on ne veut pas sortir de ce monde même si, à bien y penser, ce qui s’y passe est assez épouvantable.

Une équipe de psychologues choisit une douzaine de personnes  de 18 à 70  ans pour participer à une expérience qui rapportera à chaque participant 3 000$ au bout d’une dizaine de jours. Aucune communication avec l’extérieur ne sera autorisée (pas de téléphone cellulaire svp !). Le but est d’analyser les comportements d’un groupe hétérogène de personnes, isolées du reste du monde, face à des situations pas toujours faciles.

De fait, les douze personnes embarquent sur un bateau et on leur propose de vivre comme s’ils étaient en vacances les deux premiers jours. Madeleine, la plus âgée (62 ans) et plutôt traditionnelle,  travaille dans le textile; Laurence, la plus jeune (22 ans), est étudiante en psycho et s’efforce d’être woke, ce qui la mêle un peu; Anissa est une Arabe de 45 ans, agronome et particulièrement gaffeuse; Philomé, 43 ans, est ingénieur, noir, homosexuel, et aime bien fumer un joint de temps en temps ; Catherine est noire également; elle a 35 ans, est avocate, et se méfie des hommes, tous abuseurs en puissance; Charles-Émile, 27 ans, est un jeune comédien peu connu, incapable de supporter les conflits et le silence; Édouard est un prof de philo de 49 ans, divorcé parce qu’il aime trop les jeunes femmes; Elsa est une policière de 34 ans qui traverse une dépression suite au suicide de son frère il y a 4 ans; Frédéric-Alexandre, 40 ans, souffre d’un trouble obsessionnel et est accompagné de Patricia, son médecin; Joseph, 57 ans,  est un prêtre de la vieille école, un peu frustré de ne pas être pris au sérieux; Lucie est une écrivaine narcissique de 37 ans, qui écrit toujours sur elle-même; et Yvan est un médecin de 55 ans, plus ou moins cloué sur une chaise roulante, spécialiste des jokes de mononcle.

Après deux jours sur le bateau, on leur explique que le bateau coule et qu’ils vont se retrouver naufragés sur une île déserte. On leur fournit un minimum de nourriture et un matelas, deux pelles, une hache et un couteau : à eux maintenant de subvenir à leurs besoins; et chaque soir, ils devront voter pour éliminer un des leurs. Le « jeu » s’arrêtera quand il ne restera plus que trois personnes considérées comme la base d’une communauté idéale.

Déjà le fait de s’organiser pour construire une cabane et pour trouver de la nourriture (les collets de Madeleine, la pêche de Frédéric-Alexandre, les noix de coco et les petits fruits et légumes cueillis par Anissa) entraîne certaines tensions; le fait d’éliminer un des leurs à la fin de la journée accroît les conflits; les mauvaises nuits n’aideront pas. Mais, surtout, d’autres menaces beaucoup plus dangereuses, et imprévisibles, les poussent à bout. C’est ici qu’on retrouve le bon vieux Senécal machiavélique.

Et le rire là-dedans ? D’abord, l’auteur intervient souvent pour nous dire un mot, présenter une situation, commenter le geste d’un participant, nous tirer la pipe, nous avertir qu’on n’a pas tout vu… En un sens, ça devrait dédramatiser l’histoire qu’il raconte, et pourtant, par une étrange complicité, on est porté à jouer le jeu davantage et on prend les personnages et les scènes plus au sérieux. Par ailleurs, même si les personnages sont présentés avec minutie, l’auteur insiste sur un trait particulier de leur caractère qui nous empêche de nous lier à eux de façon inconditionnelle : les gaffes d’Anissa, incorrigible; les contradictions de Laurence qui s’efforce d’être ce qu’elle n’est pas; les malheurs d’Yvan, victime bien malgré lui; la paranoïa de Catherine qui finit par l’aveugler elle-même; la lâcheté de Charles-Émile, dont il prendra conscience trop tard; la mauvaise foi d’Édouard… Ces traits de caractère engendrent des scènes quasi surréalistes, irrésistibles. Et pourtant, ce sont ces mêmes traits qui détermineront la plupart des drames qui ne manqueront pas d’advenir.

Pratiquant ce style surprenant, Senécal s’est payé la traite; on ne s’en plaindra pas.

Extrait :
Philomé jauge son œuvre.

─ Je suis sûr que l’abri n’est pas trop petit …
─ Couchons-nous en-dessous, pour voir. Tous sauf une personne. Disons la plus petite.
─ C’est Laurence, fait Anissa.
─ Non, c’est toi, Anissa, je suis un peu plus grande que toi.
─ Un le peu, mais je être plus torche que toi.
─ Voyons, dis pas ça ! hoquette l’étudiante.
─ Torche, c’est péjoratif, explique Charles-Émile. On dit grosse.
─ Non plus ! s’énerve Laurence. Y a personne de gros ! Ni ici, ni ailleurs !
─ T’es pas au courant, Anissa ? se moque Yvan. Il n’y a plus aucune femme grosse, ou laide, ou conne. Elles sont toutes parfaites. On a de la chance, hein ?
─ C’est pas le cas de tous les hommes, on dirait, marmonne Catherine.
─ Je parle pas juste des femmes, je parle de tout le monde ! rétorque l’étudiante. (Elle revient à Anissa.) Y a personne de gros, Anissa, d’accord ? Il y a de la variété corporelle, mais personne est gros.

Niveau de satisfaction :
4.6 out of 5 stars (4,6 / 5)
Coup de cœur

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Duel – Franck Leduc

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2024 – Belfond
Genre : Thriller
Personnages principaux :
Talia Sorel, négociatrice du Raid – Gérald Mansour, chef des ravisseurs

Deux cars scolaires transportant 66 enfants partant en classe de neige ont disparu. Pas de revendications ni de demande de rançon. L’enquête de police ne donne rien. C’est la stupéfaction, comment deux cars pouvaient-ils se volatiliser en France à notre époque ? Le commissaire Thomas Shepherd est chargé de cette difficile affaire. Il est dans le brouillard le plus complet jusqu’à ce message : CE SOIR, 19 HEURES. À 19 heures précise, un homme appelle la police et la première chose qu’il exige c’est d’avoir Talia Sorel, négociatrice du Raid[i], comme interlocutrice. La deuxième exigence est 10 millions d’euros par enfant, soit 660 millions d’euros au total. Sous la pression des parents des enfants kidnappés et de l’opinion publique, une lutte serrée s’engage entre des ravisseurs parfaitement organisés et les forces de police.

La première caractéristique de ce thriller est une intrigue qui maintient un suspense permanent de bout en bout. En effet à plusieurs moments dans le déroulement du scénario, on semble s’acheminer vers une fin prématurée, on pense que l’affaire est pliée, que les ravisseurs sont faits comme des rats, c’est alors qu’un rebondissement relance astucieusement toute l’histoire. Cette bonne maîtrise de l’intrigue rend le roman addictif, c’est un vrai page-turner (ou accrolivre suivant les préconisations de la Commission d’enrichissement de la langue française). Bref, c’est un roman qui nous tient en haleine.

La deuxième caractéristique du roman est la qualité des personnages. Talia Sorel, négociatrice du Raid, est nommément demandée comme interlocutrice par le chef des ravisseurs. Ce qui interroge déjà : comment cet homme peut-il connaître une commandante du Raid dont l’identité est secrète ? Si Talia est commandante dans cette unité d’élite de la police à l’âge de 34 ans, ce n’est pas en raison de son expérience, c’est grâce à ses diplômes en sciences comportementales et en psychologie criminelle. Côté bandits, leur chef Gérald Mansour, est un homme qui a un don pour convaincre, c’est un habile manipulateur. C’est aussi quelqu’un de très organisé qui veut tout prévoir. C’est un mégalomane qui ne doute jamais de lui, la négociation avec Talia Sorel est une sorte de jeu pour lui, une confrontation des intelligences. Outre ces deux personnages principaux, les personnages secondaires, notamment le commissaire Thomas Shepherd et son adjointe Ève Melville, sont aussi intéressants.

Duel est un roman intense avec une intrigue parfaitement élaborée et des personnages charismatiques. C’est un bon thriller pour se distraire.

[i] RAID : Recherche, Assistance, Intervention, Dissuasion. Le RAID est une unité d’intervention spécialisée de la police nationale qui contribue à la lutte contre toutes les formes de criminalité sur l’ensemble du territoire.

Extrait :
Une pochette rouge sur les genoux, Talia observait l’entrée de l’immeuble désaffecté. Un kidnapping hors du commun, douze policiers tués et presque autant de blessés, soixante-six enfants pris en otage et échangés contre une rançon pharaonique, c’était du jamais-vu ! La presse se déchaînait contre la police, le Raid, les politiques et le paiement qui, même s’il n’avait pas été officialisé, ne faisait aucun doute. La République était donc à la merci du premier malfaiteur venu et, dans l’opinion, la conscience de cette vulnérabilité était un poison lent.

Niveau de satisfaction :
4.3 out of 5 stars (4,3 / 5)

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Le Bureau des Affaires occultes – Éric Fouassier

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2021 (Albin Michel)
Genres : Enquête, historique
Personnage principal :
Inspecteur Valentin Verne (Paris)

Prix Maison de la Presse 2021
Prix Griffe noire du meilleur polar historique 2021

J’ai commencé par lire Le Bureau des Affaires occultes, t. 2 : Le Fantôme du Vicaire. Et j’ai voulu savoir comment tout cela a commencé. Dans ce roman-ci, le Bureau des Affaires occultes n’est pas encore créé. Mais l’enquête menée par Valentin Verne porte sur une affaire quand même assez mystérieuse : un gentil garçon qui respirait la joie de vivre une seconde avant son geste malheureux se suicide avec un grand sourire. Dans ce roman, on retrouve, comme dans le premier, ce souci de l’auteur d’inscrire l’intrigue dans un contexte historique précis : 1830, les débuts du règne de Louis-Philippe, où se disputent encore royalistes et républicains. L’insertion historique est développée avec précision comme dans les romans de Jean-François Parot (les enquêtes de Nicolas Le Floch) avec une insistance particulière  sur l’histoire de la médecine et de la pharmacie (que Fouassier enseigne à l’université), ce qui est d’autant plus pertinent qu’au XIXe siècle criminels et policiers emprunteront beaucoup à ces disciplines.

À la Brigade de la sûreté, fondée par Vidocq, Verne est chargé d’élucider quelques morts étranges susceptibles d’ébranler le nouveau régime, tout en poursuivant sa chasse au Vicaire, cet assassin sadique et pédophile qui a toujours un pas d’avance sur lui. Fouassier nous entraîne des bas-fonds de Paris les plus délabrés jusqu’aux milieux bourgeois les plus riches et proches du pouvoir, en passant par un groupuscule républicain dont les membres se réunissent en secret au cabaret Les Faisans couronnés.

Verne, au péril de sa vie, car il réussit à échapper à cinq attentats dirigés contre lui, parvient à relier les suicides de Lucien Dauvergne et du sieur Tirancourt à un complot dirigé contre la monarchie de Louis-Philippe au profit d’une clique de républicains bien nantis. Ceux-ci jouissent d’une nouvelle arme apparemment efficace : un mélange de drogues et d’hypnose rendant aisée la manipulation d’un individu. Fouassier en profite pour nous résumer les premiers pas de la suggestion hypnotique, de Mesmer au marquis de Puységur; en même temps qu’il explique l’effet perturbateur des trois diaboliques, la belladone, la jusquiame et le datura, dont on isole l’alcaloïde à la fin du siècle : la scopolamine. On pourrait sans doute parvenir ainsi à persuader le vicomte de Champagnac, chargé d’instruire le procès des ministres de Charles X, de commettre un acte ignoble qui aurait pour effet de dresser davantage la population contre le pouvoir royal.

L’écriture agréable et l’information pertinente précise permettent au lecteur d’oublier les fils blancs qui cousent bien des scènes d’action : le duel, entre autres, et les divers attentats dont est victime l’inspecteur Verne, qui n’a pourtant rien d’un James Bond. L’intrigue capte toutefois sans effort notre attention et les multiples rebondissements nous incitent à nous tenir aux aguets. L’addition de certains personnages qui ont bien existé, comme Vidocq, le professeur Pierre Joseph Pelletier, le dramaturge Étienne Arago, le mathématicien Évariste Galois, et la danseuse Madame Saqui, dans la troupe de laquelle joue la jeune Aglaé Marceau, voisine de George Sand…,  ajoutent au réalisme de l’intrigue.

Bref, bien que dans ce premier roman d’une nouvelle série Fouassier ait rempli la coupe à ras bord, c’est un véritable plaisir de se laisser mener et même quelque peu malmener par son enthousiasme.

Extrait :
Valentin s’était déplacé l’air de rien vers le centre de la salle. Parvenu au niveau de la table d’examen, il souleva un coin du drap mortuaire pour dévoiler la tête et le tronc du gisant.
Mazette ! s’exclama-t-il. Voilà qui n’est pas banal.
Quoi donc encore ?
Avez-vous noté l’expression de son visage ?
Rigor mortis, laissa tomber le Dr Tusseau en haussant les épaules avec une apparente indifférence. Comme les autres tissus, les muscles de la face se sont rigidifiés. C’est le processus normal. Si vous avez lu Orfila, il n’y a rien là qui soit de nature à vous intriguer.
Valentin ne répondit pas immédiatement. Il ne parvenait pas à détacher son regard des traits de Lucien Dauvergne. Car ce cadavre souriait !

Delacroix, La liberté guidant le peuple, 1830

Niveau de satisfaction :
4.2 out of 5 stars (4,2 / 5)

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L’influenceur – Patrick Bauwen

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2024 – Albin Michel
Genre : Thriller
Personnage principal :
Lisa Leroy, assistante médicale et chroniqueuse littéraire

Lisa Leroy menait une vie tranquille : elle était assistante médicale dans une clinique de chirurgie esthétique pour gens riches et elle tenait sur les réseaux sociaux une modeste chronique littéraire. Elle était méprisée et souvent humiliée dans son travail, ses chroniques avaient un petit succès sur internet. Tout va changer avec le passage d’une mystérieuse dame en noir qui va lui proposer une autre vie. La dame en noir est Hazel Caine, agent de personnalité, qui se targue de fabriquer des stars de réseaux sociaux et de leur faire gagner beaucoup d’argent à condition de faire exactement ce qu’elle leur demande. Dans un premier temps Lisa refuse, mais Hazel Caine finit par la convaincre avec des arguments forts. Lisa devient donc une influenceuse connue, mais le prix à payer pour obtenir le succès est considérable.

Dans ce livre, Patrick Bauwen traite un sujet dans l’air du temps : le monde des influenceurs qui est avant tout celui des influenceuses. Leur rôle est de faire vendre les produits (de mode, beauté, tourisme, voyages …). Pour cela, elles créent des contenus, tels que vidéos, photos, commentaires, qui donnent à leurs followers[1] l’envie d’acheter. Certaines sont très bien payées pour cela. Bref, c’est la publicité moderne. Lisa Leroy, le personnage principal du roman devient ainsi une influenceuse importante passant en quelques jours de 260 followers à plus d’un million. Mais une si grande visibilité entraîne aussi son lot de haters[2]. Certains d’entre eux vont aller jusqu’au meurtre pour satisfaire leur haine. En plus de sa toute nouvelle célébrité, Lisa a la malchance de ressembler à une autre influenceuse dont la mort est restée suspecte. Ce qui lui vaut d’être enlevée par la mafia en plus de plusieurs agressions physiques.

La vie d’influenceuse vue par Bauwen n’est pas vraiment de tout repos ! Il y a beaucoup d’ingrédients dans ce roman : l’univers des influenceuses, un malade mental manipulé par un nain pervers, la mafia, le mauvais œil, un homme étrange appelé le rat blanc, des romances entre jeunes, des romances entre vieux. D’où l’impression que l’auteur a tellement corsé la recette que le plat en devient quelque peu indigeste.

À noter que tous les rôles principaux sont tenus par des femmes : les influenceuses, les femmes d’affaires, les médecins, même la sécurité est assurée par une femme. Les quelques hommes qui apparaissent sont soit des détraqués, soit des rôles de second plan.

Ce roman n’est pas une analyse profonde du monde des influenceuses sur internet, bien que ce microcosme soit décrit dans le cadre des aventures trépidantes d’une influenceuse qui n’en demandait pas tant. Le livre de Bauwen se place dans le domaine de la distraction plus que dans celui de l’étude sociale.

[1] Un follower est une personne qui suit les publications d’une autre personne sur les réseaux sociaux. On peut l’assimiler à un supporter ou un disciple.

[2] Haters désigne en anglais les personnes qui, en raison d’un conflit d’opinions ou parce qu’ils détestent quelqu’un ou quelque chose, passent leur temps à dénigrer des célébrités, des émissions de télévision, des films …

Extrait :
Si la chance pouvait tout vous donner, la malchance pouvait tout vous reprendre.

Sauf qu’on aurait dit qu’il y avait ici à l’œuvre quelque chose de plus sombre, de plus hideux, de plus malveillant. Un ou plusieurs individus, quelque part, avaient décidé que la malchance, ce serait eux. Ils s’étaient arrogé le droit de remettre les pendules à l’heure, d’incarner le destin et de frapper les orgueilleux mortels, tels de petits dieux jaloux les remettant à leur place. Et ils signaient leurs forfaits.
Évidemment, de tels individus ne pouvaient être que des grands malades, ou de pauvres types entraînés par un groupe. Mais après tout pourquoi pas ? Quand on possédait des millions de followers et de haters, n’était-il pas statistiquement probable que certains d’entre eux soient complètement détraqués ?

Influenceuses

Niveau de satisfaction :
3.9 out of 5 stars (3,9 / 5)

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Ne me remerciez pas – Martial Caroff

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2023 (Fayard)
Genre : Enquête
Personnage principal :
Franck Kestner, commissaire

À l’Institut européen des études climatiques à Paris, Jacques Gaubert est professeur de géologie. Au milieu d’un cours, il bafouille, titube et s’écrase, empoisonné mortellement. Le taux effarant d’acide domoïque trouvée dans les crustacés ingérés par le professeur suffit à signaler un meurtre. Sont suspects les chercheurs, professeurs et étudiants qui avaient accès au laboratoire.

C’est officiellement Paul Varenne, chef de groupe à la brigade criminelle de Paris, qui mène l’enquête mais, en réalité, c’est le chef de section Franck Kestner, respecté de tous, qui vient se mettre le nez dans l’affaire qui l’intéresse particulièrement. Or, il semble que Gaubert, suffisant et profiteur, autant de ses collègues que de ses étudiantes, était craint et haï de la plupart.  Surtout de Colin Lacourt, publiquement méprisé et ridiculisé. Suite aux entrevues, Colin apparaît surtout comme un bouc émissaire. Son collègue Vincent Béasse est gardé à vue, mais il tombe en dépression, perd tous ses moyens et se retrouve à l’hôpital. La jeune Piera avait été trahie par Gaubert mais peu de policiers la croient capable de commettre un meurtre. La directrice Pauline Josse détient bien des informations sur tout le monde et c’est peut-être ce qui explique qu’elle se fait assassiner. Son amie, la chercheuse Isabelle Theil-Eisen, est soupçonnée de ce meurtre mais il semble que, par la suite, elle se suicide.

Avant qu’il ne reste plus personne à soupçonner, le commissaire Kestner réunit son monde pour clarifier la situation : remarquable reconstitution à la Poirot ou à la Holmes.

Il s’agit d’un roman policier au sens classique du terme. C’est écrit avec simplicité et une touche d’humour. Un beau meurtre est commis; les principaux personnages sont convenablement présentés; l’enquête procède par entrevues et recherche de preuves; des rebondissements compliquent la vie des enquêteurs; mais, heureusement, l’un d’entre eux rassemble tous les fils et résout le problème. C’est bien fait, sans fioriture, avec ordre et méthode. Il ne manque qu’un certain zeste de piquant qui provoquerait chez nous quelque palpitation.

Extrait :
La poignée tourna sans bruit. La porte resta un long moment entrebâillée, puis elle s’ouvrit en grand. Une silhouette longea le mur de droite. Elle se plaça à la verticale de l’endormie à la coiffure étale. Les mèches sous les rayons obliques, animées par sa respiration, lâchaient des reflets de flammes. Des éclats proches de ceux d’un feu paisible comme dans les veillées d’antan. Un assassin normal aurait hoché la tête d’attendrissement. Il aurait rengainé son arme et serait sorti, penaud, après avoir empoché un livre ou une céramique pour se rembourser ses frais.
Mais la silhouette était d’un autre acier.
Un acier de lame…

Direction régionale de la police judiciaire de Paris

Niveau de satisfaction :
4 out of 5 stars (4 / 5)

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Descente – Lou Berney

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2023 (Dark Ride)
Date de publication française :
2024 – HarperCollins
Traduction (américain) :
Souad Degachi et Maxime Shelledy
Genre : Roman noir
Personnage principal :
Hardly Reed, jeune homme insouciant

Hardly était heureux. Le secret de son bonheur : une absence totale d’ambition. Il touche un petit salaire comme employé d’un parc d’attractions, il habite un ancien garage réaménagé, il fume de l’herbe en compagnie de deux amis aussi paumés que lui et il collectionne les contraventions. C’était avant qu’il ne rencontre dans un centre administratif dans lequel il venait demander un délai pour le paiement de ses contraventions, Pearl et Jack, deux gamins et sept et six ans. Outre leur regard absent, il remarque des marques de brûlure de cigarettes sur leur corps. Il s’agit d’enfants maltraités, il se sent alors tenu de faire quelque chose : signaler leur cas aux services de l’aide sociale à l’enfance, par exemple. Dépité, il constate l’impuissance de ces services en sous-effectif, mais il ne peut se résoudre à abandonner ces deux enfants à leur triste sort. C’est pour lui le début d’un engrenage qui l’amène à prendre des risques considérables pour sauver Pearl et Jack.

Ce roman est celui de la transformation d’un homme. Hardly était modeste, insouciant, content de son sort. Ne demande rien et tu ne seras pas déçu lui conseillait son père d’accueil, c’est devenu sa devise. Officiellement, son nom est Hardy Reed mais tout le monde l’appelle Hardly qui signifie « à peine, presque pas ». Ce garçon insignifiant va se transformer en un enquêteur tenace, coriace et efficace. Il en est d’ailleurs lui-même le premier étonné. C’est la première fois de ma vie que je suis quelqu’un de différent constate-t-il. Maintenant ce qu’il fait est important, c’est quelque chose qui a du sens. Malgré ses premiers échecs, il se sent plus vivant, plus utile, il ne regrette pas son ancienne vie. Et comme il constate qu’il est le seul à se préoccuper du sort des jeunes victimes, il continue à monter un plan de sauvetage, malgré le danger et les conseils de prudence de ses amis. Rien ne peut l’arrêter.

Dans son garage-appartement, Harly à une affiche représentant le tableau La Chute d’Icare dans lequel personne ne prête attention aux jambes nues d’Icare qui se débattent à la surface de l’eau. Tout autour les gens continuent leur activité, ignorant Icare en train de se noyer. Lui ne serait pas indifférent comme ces gens, il sauverait Icare comme il va sauver les enfants. On peut tout de même se demander par quel miracle ce jeune de 23 ans a été touché par la grâce, lui qui ne s’intéressait à rien d’autre que la fumette et les séries télévision, il va se sentir très concerné par la souffrance d’enfants aperçus dans un centre administratif, au point de prendre d’énormes risques pour leur venir en aide.

Avec humour, l’auteur nous tient en haleine avec les tergiversations, les doutes, les échecs, mais aussi les progrès, les victoires et finalement le changement de personnalité d’un homme qui au départ était un modèle d’antihéros. L’intrigue va crescendo pour se terminer en apothéose noire et sanglante. Descente est un bon roman noir, avec toutefois une réserve concernant la crédibilité douteuse du personnage principal.

Extrait :
Il y a une semaine encore, avant d’avoir vu Pearl et Jack assis sur ce banc, j’aurais sans doute été ce type-là. Mais pas aujourd’hui. Je ne plane pas, je ne dérive pas, je ne laisse pas l’univers décider de ma prochaine destination.

Qu’est-ce que j’en pense ? Je ne sais pas exactement. Je me sens éveillé. Ça, je le sais. Avant, de grands pans de ma vie s’évanouissaient dans l’éther, comme ces textos qu’on commence à écrire et puis qu’on efface sans les avoir enregistrés. La semaine qui vient de s’écouler, en revanche, avait de l’intensité, une forme tangible.

La Chute d’Icare de Pieter Bruegel – Détail

Niveau de satisfaction :
4.1 out of 5 stars (4,1 / 5)

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L’Ombre – Franck Ollivier

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2023 (Albin Michel)
Genre : Thriller
Personnage principal :
Nicholas Foster, profileur du FBI

Après les cent premières pages, j’ai failli abandonner le roman : cent pages pour décrire quelqu’un, c’est un peu long, même si le livre compte près de 600 pages. Puis, je me suis intéressé à ce personnage principal, le profileur Nicholas Foster, même s’il n’est pas très sympathique, parce qu’il semble brillant et supplanter tous les profileurs du FBI. Enfin, l’enquête finit par décoller.

Un tueur en série,  le prêtre Patrick Hollmann, a massacré plusieurs jeunes femmes au Wisconsin, en Indonésie (où il avait été envoyé par le Vatican) et à Rome. Il est instruit, brillant, charismatique; il séduit d’ailleurs son jeune admirateur Nicholas Foster, qui deviendra écrivain et profileur, et qui racontera d’ailleurs une partie de sa vie. Un seul problème, Hollmann a tendance à se prendre pour Dieu et à considérer l’accomplissement d’un meurtre comme la plus haute expression de la liberté, donc comme un acte voulu par Dieu. Il ira même jusqu’à tuer la conjointe de Nicholas. Exécuté en 1998, on découvre une quinzaine d’années plus tard une jeune femme, Myriam Lehren, assassinée et mutilée selon un modus operandi qui rappelle les victimes de Hollmann, y compris l’insertion dans son utérus d’une petite statuette de la méchante divinité indonésienne de Leyac.

Ce crime est bientôt suivi du meurtre de la journaliste Gina Bartoli qui préparait une série d’articles dévastateurs contre Foster. Elle est massacrée à son tour après une nuit passée avec Foster, qui devient le principal suspect, ce qui fait l’affaire des dirigeants du FBI qui souhaitent se débarrasser de lui. Seule son adjointe Michelle Ventura le soutient et continue l’enquête. Ce thème du poursuiveur poursuivi est habilement traité par Ollivier.

L’auteur ne manque pas de souffle et sait comment susciter l’intérêt. Il cède comme plusieurs à l’attrait pour le gore, mais on peut sauter aisément ces descriptions complaisantes. Ce qui m’agaçait un peu au cours de ma lecture, c’est l’ensemble des notions psychologiques pseudo-freudiennes qui cherchent à expliquer la supériorité de Foster comme profileur, sa capacité à se transporter dans la tête du tueur, qui n’a rien à voir avec les méthodes courantes. Tant que ces « explications » restent au second plan, ça reste supportable. Malheureusement, la finale semble montrer que cet aspect du roman importait plus à l’auteur que l’enquête proprement dite.

Extrait :
Pour la première fois, la vision d’un corps (Gina) le fragilisait intérieurement. Il avait été bouleversé par la vue de la dépouille de Lisa, mais les images avaient créé un choc existentiel plus qu’émotionnel, et le sentiment que ce meurtre avait changé sa vie avait pris le pas sur le traumatisme. Quant aux autres, toutes ces victimes qu’il avait observées minutieusement au cours de sa carrière, s’il ressentait leur douleur avec une acuité et une précision aiguës, c’était une sensation qui atteignait son cerveau, ses tripes parfois, mais jamais son cœur.
Sa véritable curiosité et son authentique empathie allait aux tueurs. C’était son inavouable secret. Il n’y pouvait rien (…).
Qui étaient-ils pour commettre ces horreurs que l’on qualifiait stupidement d’inhumaines? Quelles souffrances éprouvaient-ils pour avoir besoin de faire souffrir ? Pour trouver leur catharsis dans le crime ?

Niveau de satisfaction :
3.9 out of 5 stars (3,9 / 5)

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Je pleure encore la beauté du monde – Charlotte McConaghy

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2021 (Once There Were Wolves)
Date de publication française :
2024 – Éditions Gaïa
Traduction (anglais Australie) :
Marie Chabin
Genres : Écologie, roman noir
Personnage principal :
Inti Flynn, responsable du programme de réintroduction du loup en Écosse

Inti Flynn est Australienne et biologiste. Elle est responsable du Cairngorms Wolf Project, programme dont le but est la réintroduction du loup en Écosse. Lors de la présentation du projet à la population locale, l’équipe se heurte à l’hostilité des éleveurs qui ne comprennent pas qu’on veuille réintroduire des prédateurs dont leurs ancêtres ont risqué leur vie pour s’en débarrasser et qui vont maintenant de nouveau menacer leurs troupeaux. Quand Inti retrouve un homme mort en forêt affreusement mutilé, elle sait que les loups seront décrétés coupables. Pour les sauver, elle décide d’enterrer le corps et de ne rien dire. Mais si les loups sont hors de cause, qui a tué cet homme de cette horrible façon ? Inti va chercher à le savoir.

Inti a une sœur jumelle, Aggie, qui est mutique et reste cloîtrée dans sa maison. Inti doit s’occuper d’elle, devenue dépendante à la suite d’un violent traumatisme dont on ne connaîtra la teneur qu’en fin d’ouvrage. Aggie ne parle plus, les deux sœurs communiquent par un langage de signes inventé par Aggie. Les deux sœurs ont des relations fusionnelles exclusives décuplées par le fait qu’Inti est sujette à la synesthésie visuo-tactile. Il s’agit d’une affection neurologique qui fait qu’elle ressent physiquement ce qu’elle voit : elle est les autres pendant quelques instants, eux et elle ne font qu’un et leur douleur ou leur plaisir devient le sien.

Inti voue aussi une vraie passion aux loups. Elle a toujours voulu percer leurs secrets. Elle est fascinée par leur système de communication. Elle pense qu’ils peuvent sauver les forêts en rééquilibrant l’écosystème, comme ils l’ont fait aux États-Unis dans le Parc national de Yellowstone. Quand ils sont accusés à tort d’avoir tué un homme, elle n’hésite pas à faire disparaître le cadavre qui pourrait les accuser.

Un autre thème imprègne ce roman : les violences faites aux femmes. L’autrice montre des femmes qui vivent dans la peur sous l’emprise de maris violents sans que personne ne fasse quoi que ce soit pour les protéger.

Je pleure encore la beauté du monde est une fiction dense, écologique et féministe, elle aborde des thèmes aussi variés que l’équilibre de l’écosystème, la gémellité et les violences faites aux femmes. C’est un beau roman, plein d’émotions.

Extrait :
Des pancartes ondoient au milieu d’une clameur de mécontentement. Jusqu’à présent, Evan avait réussi à contrôler la salle mais le vent est en train de tourner rapidement.

Je me lève.
— Ce qui est dangereux, dis-je, c’est la propagation injustifiée de la peur.
L’éleveur se tourne vers moi, imité par une centaine d’autres visages. Sur la scène, le soupir exaspéré d’Anne aurait pu être drôle, dans d’autres circonstances.
— Si vous pensez réellement que les loups sont des bêtes sanguinaires, c’est que vous êtes aveugle. Parce que c’est nous qui sommes comme ça. C’est nous qui tuons les gens, les enfants. C’est nous les monstres.
Je me rassieds dans un silence pesant. Le froid paraît soudain plus mordant dans l’auditorium.

Niveau de satisfaction :
4.3 out of 5 stars (4,3 / 5)

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Le sniper, le Président et la triade – Chang Kuo-Li

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2022
Date de publication française :
2022 (Folio, Gallimard)
Traduction (mandarin) :
Alexis Brossollet
Genre : Thriller
Personnages principaux :
Inspecteur Wu et capitaine Ai Li (Alex Lee)

C’est un roman dépaysant, non pas parce que l’action se situe à Taipei, mais à cause de la composition de l’histoire. Les Chinois de Taipei, qui semblent tenir à vivre dans une démocratie libérale, ne paraissent pas très différents de nous, Français ou Québécois, même si les mets chinois dont ils se gavent sont moins américanisés. Mais la façon dont l’auteur raconte l’histoire est originale et déconcertante : le plus souvent, on est plongé dans une scène d’action, ou une conversation, sans trop savoir ce qui s’y joue; les détails et les explications viendront après. Procédé qui a pour effet d’intriguer le lecteur et d’exiger sa plus grande concentration.

Quelques jours avant les élections, le Président Hsü Huo-sheng est blessé à l’abdomen et s’écroule dans sa jeep qui venait de s’engager dans la rue Huayin. Son convoi est désorganisé, des policiers surgissent de partout, le bruit des pétards se confond avec les bruits d’une arme à feu, la fumée abondante nuit à la visibilité. Pendant que le Président est hospitalisé et qu’on le soigne pour une égratignure bénigne (sept points de suture) à l’abdomen, les forces de l’ordre imaginent qu’il y avait deux tireurs, un avec un flingue bricolé, l’autre avec un long fusil. On retrouve les balles tirées par le pistolet mais pas l’arme elle-même; et on retrouve les étuis des cartouches qu’aurait tirées le fusil mais pas les balles. Le premier tireur aurait été derrière la Jeep; le Président aurait donc dû être atteint dans le dos plutôt qu’au ventre. Le tireur au fusil, étant posté au cinquième étage, aurait dû atteindre le Président  à la tête ou aux épaules.

Deuxième bon problème : comme le Président sortant était précédé, dans les sondages, par le candidat Hu Yen-po, est-ce un homme du Président qui aurait perpétré l’attentat pour attirer la sympathie des électeurs en faveur le Président ? Ou est-ce plutôt le camp du candidat qui aurait préféré tuer le Président, ce qui est plus décisif que les sondages ?

Et, comme cet attentat semblait requérir une bonne organisation, serait-ce un membre des triades qui serait intervenu pour punir, aux yeux de tous, quelqu’un qui n’aurait pas honoré une promesse, ou pour favoriser un candidat plus facilement manipulable ?

Hu Yen-po engage l’ex-inspecteur Wu, maintenant retraité de la police et détective pour une compagnie d’assurance, pour trouver les auteurs de l’attentat afin qu’aucun doute ne subsiste dans la population quant à sa participation à cette tentative d’assassinat. Wu sera aidé par Alex (capitaine Ai Li) qui a intérêt à savoir qui a cherché à le compromettre dans l’attentat contre le Président et semble s’efforcer maintenant de le faire arrêter comme principal suspect, ou de le faire disparaître tout simplement. Comme les forces policières ne sont pas subventionnées par les mêmes bailleurs de fonds, les suspects désignés ne sont pas nécessairement les mêmes; mais Alex semble convenir à tout le monde. On s’apercevra, cependant, que ce n’est pas une proie facile.

Beaucoup de monde dans ce roman; heureusement, le lecteur dispose d’un petit tableau des principaux personnages auquel on a intérêt à se référer souvent. Beaucoup d’action aussi, beaucoup de mystères. Et un sens de l’humour quasi surréaliste qui permet de traverser tous ces drames avec un certain sourire. C’est peut-être un peu long, mais c’est original, intelligent et rafraîchissant.

Extrait :
Les présidents d’assemblée, les ministres changent, l’administration ne change pas. L’appareil de l’État est aux mains des hauts fonctionnaires. À chaque élection ou remaniement tout le monde se rue sur des postes de ministre, mais Johnny voyait plus loin, il avait décidé de focaliser sur l’élevage des fonctionnaires, et plus tard il garderait ainsi la main sur les choses importantes.
Le pouvoir et la fortune sont complémentaires. La fortune vous permet d’obtenir le pouvoir, et la finalité du pouvoir, c’est la fortune. Les hauts fonctionnaires n’ont pas de positions aux noms ronflants, ne détiennent pas le pouvoir. Mais ce sont eux qui l’exercent.

Taipei

Niveau de satisfaction :
4.4 out of 5 stars (4,4 / 5)

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