Birnam Wood – Eleanor Catton

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2023 (Birnam Wood)
Date de publication française :
2024 – Buchet-Chastel
Traduction (anglais Nouvelle-Zélande) :
Marguerite Capelle
Genres : Thriller politique, roman noir
Personnages principaux :
Mira Bunting, horticultrice – Robert Lemoine, milliardaire sans scupules – Tony Gallo, militant anti-capitaliste

À Christchurch en Nouvelle-Zélande, Birnam Wood est le nom d’une association locale qui crée des jardins bio et durables dont la production bénéficie aux gens les plus démunis. Mais l’association n’a pas de terrains, elle plante dans des friches, des lieux publics, mais aussi sur des terres privées à l’insu des propriétaires. Mira Bunting est la fondatrice de l’association, c’est elle qui s’occupe de trouver les espaces qui deviendront des jardins. C’est en prospectant sur le site d’un projet de lotissement abandonné qu’elle se retrouve nez à nez avec le futur propriétaire : Robert Lemoine, milliardaire à la tête d’une importante société de fabrication de drones. Après un premier échange tendu et plein de surprises, Lemoine accepte que Mira cultive un jardin en cet endroit et même mieux : il se propose de le financer. Ce n’est pas tant l’intérêt qu’il porte à ces plantations de légumes, c’est plutôt qu’il y voit une bonne couverture pour son propre projet d’une tout autre dimension, mais bien sûr Mira l’ignore.

L’intrigue démarre gentiment en nous montrant les activités d’une bande de jeunes qui jardinent où ils le peuvent. Ils sont anti-capitalistes, idéalistes, avec des idées de partage et d’entraide. Entre eux il y a des discussions animées, parfois des désaccords et des fâcheries. L’arrivée du milliardaire Lemoine va changer radicalement leur quotidien. Il paraît ouvert et sympathique, il est apprécié et il apporte l’argent qui permettrait à l’association d’atteindre une dimension plus importante. Mais cet homme se livre à une autre activité, secrète et illégale, qu’un des membres de Birnam Wood va découvrir. L’intrigue s’accélère alors et le récit vire à la fois au thriller haletant et au roman noir dans une partie finale assez terrifiante.

Les personnages sont complexes. Les filles de Birnam Wood (Mira et sa copine Shelley) passent de l’enthousiasme au doute, elles sont changeantes et pleines de contradictions. Tony Gallo est un militant anti-capitaliste engagé, mais son discours enflammé passe mal auprès des autres membres de l’association. Lui n’est pas sensible au charisme du milliardaire et il est bien déterminé à découvrir ce qu’il cache, mais il n’a pas la puissance et les ressources de son ennemi. Le riche Robert Lemoine a un grand sang-froid et ne se détourne jamais de son objectif, quel que soit le prix à payer pour l’atteindre. À travers ce personnage cynique et manipulateur, l’autrice montre l’appropriation sans scrupules des ressources naturelles par les ultra-riches.

Birnam Wood est un roman étonnant avec une intrigue originale et des personnages solides. Il débute comme une gentille fable écologiste et se termine en un crescendo impitoyable en tragédie dans la plus grande noirceur. C’est un thriller politique dense et captivant.

Extrait :
Non : les millions agités par Lemoine paraîtraient désormais aussi offensants qu’obscènes, une façon de bafouer la mémoire de son mari, un affront envers elle. Elle ne se contenterait pas de revenir sur la vente, ce qui était encore tout à fait en son pouvoir : elle le traînerait très probablement en justice. L’affaire ferait la une des journaux. Ils passeraient des années à faire des allers-retours dans les tribunaux. Ce serait public, ce serait délétère, et ça ferait : un foin d’enfer. Et qu’adviendrait-il pendant ce temps là de la mine de Korowai, des mercenaires qui attendaient ses instructions, de tout leur matériel de traitement, et surtout, de ce filon mère de terres rares ? Non, se dit à nouveau Lemoine, secouant la tête de façon quasi imperceptible, le
menton posé sur les cheveux de Mira, Non : il ne pouvait pas risquer que Jill Darvish découvre la vérité »…, ce qui signifiait que la vérité allait devoir changer.

Niveau de satisfaction :
4.3 out of 5 stars (4,3 / 5)

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La Cage, l’empoisonneuse – Hervé Gagnon

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2024  (Hugo Jeunesse)
Genre : Thriller
Personnage principal :
Seamus O’Finnigan, constable

Hervé Gagnon a une formation d’historien et ça paraît dans la plupart de ses romans, aussi bien ses romans policiers qui se passent à la fin du XIXe siècle (j’ai lu avec plaisir tous les Joseph Laflamme) que ses romans plus ésotériques. C’est le premier roman pour la jeunesse que je lis avec une certaine curiosité : d’abord, qu’est-ce qui caractérise un roman pour la jeunesse ? Puis, quelle est la part de la dimension historique dans ce roman ?

C’est plus facile de dire ce que n’est pas ce roman pour la jeunesse : ce n’est pas un roman à l’eau de rose, ni un roman manqué pour adulte. Gagnon ne travaille pas dans la dentelle; son histoire raconte des événements violents; il fait partie de ceux qui pensent qu’il n’est jamais trop tôt pour prendre conscience que la vie n’est pas un jardin de délices. Ou il se souvient simplement que, adolescent, comme plusieurs autres, il avait déjà constaté que, si la vie est un cadeau, ce cadeau est souvent empoisonné. Quant à la dimension historique, l’action se déroule à Montréal de 1851 jusqu’en juillet 1852 au moment où un incendie gigantesque a ravagé le quart de la ville. Gagnon désigne les principaux bâtiments et on voit les personnages se déplacer dans le faubourg Saint-Laurent. Quelques maisons, en bois à cette époque, notamment celles où demeure le constable O’Finnigan, sont décrites en détail.

Le titre La Cage se réfère à la fameuse cage dans laquelle la Corriveau, condamnée à mort et pendue en 1763, a été exposée et laissée à pourrir. Découverte en 1851 dans un cimetière, cette cage a inspiré plusieurs récits fantastiques. Dans le roman de Gagnon, elle pousse aux crimes ceux et celles qui la frôlent. L’auteur s’inscrit dans la suite des Philippe Aubert de Gaspé, Fréchette et Beaulieu, qui ont exploité ce filon.

O’Finnigan lui-même en sera victime après y avoir été enfermé par Eugénie Lachance qu’il poursuit sans relâche après qu’elle l’eût empoisonné et quasiment tué. Cette poursuite est d’ailleurs le thème du roman. Le policier est physiquement très diminué, mais on le charge quand même de protéger un petit garçon dont la mère (la Dubuc) a tué son mari après avoir été contaminée par la cage. Eugénie, alliée à la Dubuc, les retrouvera et, malgré le soutien de quelques collègues policiers, parviendra presque à éliminer définitivement O’Finnigan.

Le roman, bien construit, se lit tout seul. L’intrigue est moins complexe et les personnages moins nombreux que dans un roman pour adulte, mais rien n’est négligé. Gagnon ne cherche pas à dissimuler la violence du monde dans lequel on vit, mais cette violence peut être combattue par la solidarité des amis et par le courage de ceux qui sont pris pour se battre. L’auteur connaît le métier et sait comment maintenir l’intérêt du lecteur : les méchantes sont vraiment méchantes et le bon, de plus en plus affaibli, finira par atteindra son but, « content d’avoir servi à quelque chose ».

Extrait :
La créature qui se dressait devant O’Finnigan n’avait plus grand-chose d’humain. Même sans l’épaisse fumée, elle aurait été méconnaissable. Son visage ravagé n’était plus qu’une plaie ouverte et suintante. Ses lèvres, son nez, ses paupières et ses oreilles avaient été cruellement mutilées par les flammes. Ses cheveux roussis avaient entièrement disparu du crâne à la chair boursouflée et fendue de blessures purulentes (…). De toute évidence, elle n’avait échappé à la mort dans la rue des Commissaires que par quelque miracle ou par une inflexible volonté nourrie par la folie.

Eugénie Lachance se tenait immobile, les jambes écartées, la tête penchée sur le côté, assurément incapable de la redresser en raison de la peau de son cou qui semblait avoir rétréci. Elle le regardait fixement sans battre des paupières et O’Finnigan eut l’impression que, sur ses lèvres déformées par l’enflure, se formait une obscène imitation de sourire (…).
Dégoûté, O’Finnigan résista à l’envie de reculer. Il était incapable d’éprouver la moindre pitié pour cette fille qui avait empoisonné ses propres parents et combien d’autres innocents encore, qui l’avait réduit à l’état de loque et qui l’avait torturé. Au contraire, il espérait qu’elle avait souffert le martyre et qu’elle en souffrirait encore plusieurs fois avant de crever lentement.

Niveau de satisfaction :
4 out of 5 stars (4 / 5)

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Qui après nous vivrez – Hervé Le Corre

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2024 – Rivages
Genres : post apocalyptique, anticipation
Personnages principaux :
Marceau et son fils Léo – Nour et sa fille Clara

C’est le chaos. Le point de non-retour climatique a été franchi en 2032. Une pandémie a fait cent millions de morts dans le monde. En ce milieu du XXIe siècle, une coupure définitive de l’électricité a précipité l’effondrement. Dans un paysage de désolation marqué par les incendies, un père et son fils, une mère et sa fille, ont trouvé refuge dans une maison délabrée au milieu des forêts calcinées. Le répit est de courte durée : la maison est attaquée par une bande de pillards. Le père est blessé, la fille enlevée. La mère réussit à ramener sa fille, mais ils doivent fuir, d’autres bandes armées peuvent arriver à tout moment. Dans un monde dévasté où le danger est partout, tous les quatre vont cheminer à destination d’une communauté qui aurait réinstallé un embryon de société, ils ont entendu d’autres réfugiés en parler. C’est un long et périlleux voyage, mais peut-être trouveront-ils là-bas un peu de paix et de sécurité. Peut-être …

Voilà, c’est arrivé ! Ce n’est pas faute d’être prévenus par les scientifiques et les experts du climat, mais les puissants et les riches avaient choisi d’ignorer les alarmes et continué de jouir de leur domination. Dans un monde où la civilisation a disparu, où il n’y a ni lois, ni justice, ni organisation sociale, c’est la loi du plus fort qui s’impose, celle des barbares, des groupes armés, des pillards qui violent et tuent. L’avenir se limite au lendemain, les nuits sont sans sommeil, la peur et l’angoisse permanentes.

Le décor n’est que maisons abandonnées, villages désertés, arbres morts, forêts calcinées, ponts effondrés, routes défoncées. Bref, la dévastation. Quelques photos et des vidéos retrouvées sur de vieux téléphones montrent le monde d’avant qui émerveille toujours. Ça paraît si loin, mais c’était il y a un siècle seulement (l’action se situe vers 2120). Dans cet environnement terrible, l’auteur met en scène un groupe de quatre personnes qui est confronté à des situations difficiles, ils doivent s’adapter, combattre, résister, ils s’aiment aussi et préservent un peu d’humanité. Les femmes occupent un rôle de premier plan, c’est par elles que passent les valeurs de protection et de résistance. Elles sont aussi un peu sorcières, elles pressentent les évènements avant qu’ils arrivent, elles se transmettent ce don de mère en fille.

Le titre du livre est tiré du poème la Ballade des pendus de François Villon :
Frères humains, qui après nous vivez,
N’ayez les cœurs contre nous endurcis …
(le présent a été remplacé ici par le futur).

Dans ce roman, qu’on n’espère pas prémonitoire, Hervé Le Corre nous montre ce que serait notre vie après la catastrophe qui s’annonce. C’est un avertissement sur ce qui nous attend si nous continuons à ne rien faire. Lecture éprouvante, mais salutaire.

Extrait :
– Qui nous ? Toute la fin du siècle dernier et au début de celui-ci les alertes ont été données, sonnées, gueulées. Il fallait changer de logique, cesser la fuite en avant de l’avidité, de la rapacité des puissants de ce monde qui saccageaient la planète et les peuples par tous les moyens possibles. Catastrophes climatiques, famines, pandémies, guerres. La misère et la barbarie partout. On voyait chaque jour le monde imploser mais on était trop peu nombreux à se rebeller. Les gens s’imaginaient qu’ils échapperaient au pire. Ils achetaient des climatiseurs, des téléphones neufs, ils prenaient des avions, ils regardaient les guerres sur leurs écrans, soulagés qu’elles se déroulent loin d’eux, pleurnichant de temps à autre sur les malheurs du monde pour mettre à jour leur bonne conscience. Pendant ce temps perdu, les maîtres de ce monde-là conduisaient à pleine vitesse vers le bord de la falaise et nous demandaient à nous, pauvres cons, de retenir le bolide pour l’empêcher de basculer. Ils pensaient peut-être qu’ils parviendraient à sauter en marche et quelques-uns ont dû le faire… À cette heure, il en reste probablement quelques-uns dans des forteresses en Norvège ou en Alaska, va savoir, gardés par leurs milices.

Niveau de satisfaction :
4.3 out of 5 stars (4,3 / 5)

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Les sentiers obscurs de Karachi – Olivier Truc

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2022 (Métailié)
Genres : Thriller (?), psychologique, géographique
Personnage principal :
Jef Kerral, journaliste

Au sens très large, on pourrait dire que c’est un thriller mais, pour moi, c’est plus un roman psychologique et sociologique. À Karachi, en 2002, un attentat à la bombe tue onze ingénieurs français de la DCN (Direction des constructions navales, depuis 2017 la Naval Group) qui travaillaient à la mise au point d’un sous-marin acheté par le gouvernement du Pakistan; trois Pakistanais ont été tués également; et on compte parmi les blessés quatorze Français et six Pakistanais. L’enquête n’a jamais rien donné, sinon qu’on sait que des pots-de-vin auraient été versés à de hauts fonctionnaires et auraient servi, entre autres, à financer la campagne électorale d’Édouard Balladur.

Quand Jef décide de partir enquêter à Karachi, on pourrait donc penser que ce qui l’intéresse c’est de faire toute la lumière sur cet attentat. De fait, il finira par y jeter quelque lueur. Mais son objectif est plutôt de comprendre ce qui a mis fin à l’amitié entre Marc Dacian, technicien de la DCN et Shaheen Ghazali, ingénieur dans la marine pakistanaise. Il ne parle pas la langue du pays et il ignore les coutumes de même que les relations entre le politique et le religieux; il sera donc aidé par la jolie et méfiante Sara Zafar, lieutenante de vaisseau, interprète dans la marine pakistanaise et fille du docteur Firaq Zafar, qui vit maintenant retiré après avoir été l’ami de Shaheen Ghazali.

Jef décrit surtout la ville de Karachi, ses embouteillages, ses odeurs agressives, ses habitants fermés et soupçonneux. Des attentats sont commis régulièrement et la police et les services de sécurité sont partout présents. Les étrangers sont particulièrement visés et Jef est fouillé pratiquement à chaque sortie de sa chambre, qui est elle aussi passée au crible. Jef et Sara se rapprochent sur le plan émotif même s’ils savent qu’ils n’ont pas d’avenir; mais ils ont en commun leurs relations difficiles avec leur père qu’ils accusent plus ou moins de lâcheté. Jef finira par rencontrer Ghazali et comprendre un peu ce qui s’est passé, la raison probable de l’attentat qui s’est produit vingt ans plus tôt, et les événements complexes qui ont entraîné la quasi-rupture entre Marc et Shaheen.

Ce roman est une sorte d’hommage aux amis Pakistanais de l’auteur, sans lesquels « ce roman n’aurait jamais vu le jour ». Ça ne donne toutefois pas le goût de visiter le Pakistan.

Extrait :
Devrait-il transformer Shaheen en héros de roman ? Au risque de tomber dans le lyrisme, de dénaturer sa vérité, de trahir ? De trahir comme Claude avait trahi Marc, comme Shaheen avait trahi Firaq, comme Nazia avait trahi Sara ? Et lui, Jef Kerral, le chevalier blanc comme le singeait Grégoire, qui avait-il trahi ? Ou qui était-il en train de trahir ?

Karachi

Niveau de satisfaction :
3.9 out of 5 stars (3,9 / 5)

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L’été d’avant – Lisa Gardner

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2021 (Before She Disappeared)
Date de publication française :
2024 – Albin Michel
Traduction (américain) :
Cécile Deniard
Genre : Enquête
Personnage principal :
Frankie Elkin qui s’est donné pour mission de retrouver des personnes disparues

Frankie Elkin s’est trouvé une mission dans Mattapan, le quartier noir de Boston. Comme elle doit passer quelque temps dans cet endroit, elle se fait embaucher comme barmaid, elle propose de travailler contre un logement. Frankie est spécialiste des affaires de disparition, la nouvelle mission qu’elle s’est attribuée est de retrouver une jeune fille de quinze ans, d’origine haïtienne, qui s’est volatilisée à la sortie du lycée, il y a onze mois et personne ne l’a revue depuis. La police a enquêté sans résultats. Ce qui complique la tâche de Frankie, c’est que son nouveau terrain d’enquête est un quartier dangereux, surtout pour une femme blanche, il y règne la délinquance et les trafics, mais cela ne la décourage pas.

Dans ce roman, Lisa Gardner met en scène une enquêtrice pas banale. Frankie Elkin s’est spécialisé dans la recherche de personnes disparues qui n’ont pas été retrouvées alors que la police a abandonné les recherches et que les médias ont oublié l’affaire. La plupart des cas concernent des minorités, comme ici à Boston, c’est une fille d’une famille haïtienne qu’elle a choisi de retrouver. Mais ce qui est le plus étonnant c’est que Frankie ne demande rien en échange de ses investigations, elle travaille bénévolement. Elle considère que c’est son devoir de faire cela, elle n’est absolument pas intéressée par l’argent ni par aucune récompense. Quand elle a choisi sa mission, elle va s’installer dans la ville où a eu lieu la disparition, elle y travaille, souvent comme barmaid, car c’est le job le plus facile à trouver, et dans son temps de libre elle enquête. Sans moyens, sans outils technologiques sophistiqués, mais avec sa méthode à elle qui consiste à être la bonne personne qui pose les bonnes questions. Méthode rudimentaire, mais d’une redoutable efficacité puisqu’en neuf ans elle a retrouvé quatorze personnes. Aucune vivante et c’est ce qui la mine. Dans ce dernier cas, elle veut absolument ramener la fille vivante, elle en a besoin. Frankie est un loup solitaire, elle travaille seule. Elle collabore avec la police et la tient informée de ses découvertes, mais elle ne se soumet à aucun ordre, aucune injonction, elle n’en fait qu’à sa tête, ce qui la met parfois dans des situations périlleuses. Autre caractéristique de Frankie: c’est une alcoolique en voie de guérison. Elle est abstinente depuis neuf ans, mais elle est encore soumise à de violentes tentations de boire. Et pour compléter le tableau de cette enquêtrice hors du commun, elle est traumatisée par un évènement de son passé et elle fait des crises d’angoisse. En résumé, Frankie Elkin est un mélange complexe de force, de détermination, de courage et de faiblesses qui la rendent par moment très vulnérable.

L’intrigue est basée sur la personnalité de Frankie Elkin et de son enquête minutieuse où les avancées se font à petits pas, mais de façon inexorable vers le résultat final. À l’occasion, l’autrice nous dépeint le quartier noir défavorisé de Mattapan à Boston.

Ce roman met en scène une drôle d’enquêtrice, très attachante, dans une recherche de disparue passionnante. L’été suivant étant le premier volume d’une nouvelle série, on retrouvera ce personnage singulier dans les tomes suivants.

Extrait :
Je m’appelle Frankie Elkin et je me suis donné pour mission de retrouver des personnes disparues. Quand la police a baissé les bras, que les médias ne s’y sont jamais intéressés, que tout le monde a oublié, c’est là que j’interviens.
Je prends ma valise. Je descends les escaliers.
Et je disparais.

Niveau de satisfaction :
4.3 out of 5 stars (4,3 / 5)

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L’Alerte – Brigitte Alepin

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2024 (Druide)
Genre : Thriller
Personnage principal :
Cécile Larrivée, fiscaliste

Brigitte Alepin est surtout connue au Québec comme fiscaliste : 35 ans d’expérience après une formation à Harvard. Elle a déjà écrit deux ouvrages spécialisés, Ces riches qui ne paient pas d’impôt et La crise fiscale qui vient. Avec L’Alerte, elle passe au thriller.

Nous sommes en octobre 2035 et le Québec est indépendant depuis un an. Au poste de premier ministre se retrouve le millionnaire Éloi Laliberté, qui lutte depuis une trentaine d’années pour la souveraineté du Québec avec son amie Cécile Larrivée qui est devenue sa conseillère financière. Pour attirer les compagnies étrangères (et conserver nos propres compagnies), le Québec est devenu un paradis fiscal : ces compagnies ne payent pas d’impôt. Après un an de ce régime, le budget du Québec est peu reluisant et une réforme s’impose. Laliberté crée une Fondation et éponge les dettes du nouveau pays avec son argent (tout en retirant un crédit d’impôt respectable) et cette Fondation devient propriétaire de tout ce qui regarde la santé et l’éducation. On crée également l’Alliance, qui regrouperait d’autres nouveaux pays (la Casamance au Sénégal, la Catalogne, éventuellement l’Écosse…), où des millionnaires transformeraient aussi leur nouveau pays en paradis fiscaux et créeraient des Fondations pour s’approprier des plus importants leviers économiques et sociaux.

L’exemple donné par le Québec risque de servir ailleurs : pour équilibrer le budget sans supprimer des postes au sein de l’État, sans réduire le salaire des fonctionnaires et sans augmenter les impôts, Laliberté préconise de laisser mourir les grands malades, les personnes très âgées ou atteintes de maladies dégénératives. Ces personnes, en effet, sont maintenues en vie par l’acharnement médical et par la recherche des profits de l’industrie pharmaceutique. Et ce ne serait là qu’une première phase : bientôt finies les allocations pour toutes les sortes de personnes qui ne travaillent pas.

En procédant tranquillement et en faisant disparaître les contestataires éventuels, Laliberté est confiant que la très grande majorité des Québécois(e)s endossera cette nouvelle orientation.

Ce genre de rationalisation ne convient vraiment pas à Cécile. Elle décide donc de fuir le Québec et de révéler, grâce à ses amis journalistes en Grande-Bretagne et en France, le projet Laliberté, c’est-à-dire de sonner l’alerte. Mais ne risque-t-elle pas d’être victime de son zèle ? Et comment se fait-il que le premier ministre soit déjà au courant de sa fuite ? Et qui a enlevé son fils Albert ? Renoncera-t-elle à sonner l’alerte pour récupérer son fils ?

Ce suspense apparaît dans les cinquante dernières pages du roman. Avant, on peut se demander si le père de Cécile, qui a tiré sur le premier ministre, se fera prendre, si Cécile et son mari reprendront leur vie commune, si Cécile se guérira de son alcoolisme et si sa relation avec son fils, qui en a beaucoup souffert, finira par s’améliorer.

L’auteure a su éviter deux défauts : d’abord, une prédication pour ou contre la souveraineté du Québec (Cécile est évidemment pour, mais l’indépendance est déjà faite); puis, un cours de fiscalité qui nous obligerait à lire quelques-uns de la centaine de livres et d’articles qu’elle offre en référence à la fin du livre.

Les réticences qui freinent mon enthousiasme portent sur le personnage principal, Cécile Larrivée : les gens qui n’arrêtent pas de se désoler de toutes les gaffes qu’ils continuent de commettre m’indisposent, et l’alcoolisme n’est pas une excuse valable. Par ailleurs, sa croisade contre ceux qui s’enrichissent aux dépens des autres, bien que juste, est ressassée dans un certain moralisme agaçant et m’a rappelé le slogan des gauchistes d’il y a plus de 50 ans : « Faisons payer les riches ! » Et elle a la larme facile, bien que tout le monde dans son entourage soit beau et gentil. Un véritable thriller s’accommode mal de l’eau de rose.

Extrait :
J’ai déclaré la guerre en lançant cette alerte, le mardi soir du 16 octobre 2035, mais les combats se poursuivront encore pendant des années, aussi longtemps qu’il faudra pour établir la justice fiscale et l’équilibre des pouvoirs et des richesses. À la guerre comme à la guerre. Je suis prête, c’est là mon destin.

Mon mot d’ordre : la vérité avant les mensonges, mes rêves avant la richesse, l’amour avant tout. La peur, je la laisse aux autres.

Le Parlement de Québec

Niveau de satisfaction :
3.9 out of 5 stars (3,9 / 5)

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Le Clan Snæberg – Eva Björg Ægisdóttir

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2021
(Þú sérð mig ekki)
Date de publication française :
2024 – Éditions de La Martinière
Traduction (islandais) :
Jean-Christophe Salaün
Genres : Huis clos, thriller
Personnages principaux :
Membres du clan SnæbergIrma, employée de l’hôtel

Pour rendre hommage à leur patriarche qui aurait eu cent ans, les membres de la famille Snæberg ont décidé de se réunir dans un hôtel de luxe isolé au milieu des champs de lave. La totalité de l’hôtel a été réservée pour eux le week-end. Les Snæberg font partie des gens les plus riches et influents d’Islande. L’entreprise créée par le patriarche est devenue un énorme empire qui emploie des centaines de personnes et possède un chiffre d’affaires annuel qui se compte en milliards de couronnes. Quand tous les membres de la famille sont réunis, la fête peut commencer. Elle est copieusement arrosée. L’alcool délie les langues et désinhibe les comportements révélant la nature des gens, sous l’œil très intéressé d’Irma, l’employée de l’hôtel. Alors qu’à l’extérieur le blizzard se lève, à l’intérieur, les incidents se multiplient et les dissensions se font jour. La fête tourne aux révélations embarrassantes et aux règlements de compte.

Ce livre est un roman choral à cinq voix : – celles de trois des membres du clan Snæberg – celle d’Irma, l’employée de l’hôtel et celle d’un policier, car on a retrouvé un cadavre au pied d’une falaise. C’est par les yeux et les voix de ces cinq personnages que nous découvrons l’ensemble du clan Snæberg, ils sont vingt-quatre en tout.

L’intrigue est judicieusement construite de façon que la tension monte progressivement. Au départ les Snæberg sont présentés comme des gens riches et épanouis à qui tout réussit. Puis, lentement, à l’intérieur de chaque famille, de chaque couple, des détails révèlent des malaises : – Petra, architecte d’intérieur à succès, se ronge les ongles jusqu’au sang – Lea, adolescente de 16 ans, fille de Petra, est si seule que son seul véritable ami est un garçon qu’elle n’a jamais vu, rencontré sur les réseaux sociaux et qui vit en Suède – Tryggvi, menuisier, seul d’origine modeste, subit le mépris silencieux des autres – certains luttent contre leur addiction alors que d’autres s’y abandonnent totalement … Bref, l’image de familles fortunées et heureuses s’écorne au fil du récit pour laisser apparaître des frustrations, des déceptions, des rancunes que l’on noie dans l’alcool, les drogues ou les médicaments. Et surtout ce que met en évidence l’autrice, c’est l’égoïsme et l’égocentrisme de ces gens riches. La seule qui semble vivre bien cette réunion familiale est Irma, l’employée de l’hôtel, pourtant elle a énormément de travail mais elle semble fascinée par cette famille.

Le Clan Snæberg un huis clos classique mais intéressant dans lequel l’autrice ménage une montée en tension progressive et un bon suspense. Dans le même genre et avec un thème semblable on peut lire Le silence des noyées de Gabriel Katz.

Extrait :
S’appuyant au dossier de sa chaise, Irma garda le silence un instant. Puis :

– La famille est différente de ce à quoi je m’attendais, beaucoup plus dysfonctionnelle. En les observant tout le week-end, je me suis rendu compte à quel point certains d’entre eux sont brisés. Je savais tout de Lea, mais j’ai été surprise de voir le nombre de moutons noirs qu’abrite cette famille. De voir à quel point ils sont malheureux.
Et ils sont tous tellement égocentriques qu’ils ne m’ont jamais remarquée, ne m’ont jamais vue, alors que j’étais témoin de tout ce qui se passait entre eux. J’ai entendu ce qui est arrivé dans la chambre de Maja et Viktor. J’ai trouvé le vase et le débardeur couvert de sang sous leur lit.

C’est un établissement flambant neuf, construit au cœur d’une étendue de lave au pied du glacier Snæfellsjökull

Niveau de satisfaction :
4 out of 5 stars (4 / 5)

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La 20e victime – James Patterson (et Maxine Paetro)

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2020 (20th Victim)
Date de publication française :
2023 (Lattès)
Traduction (américain) :
Carole Delporte
Genre : Enquête
Personnage principal :
Lindsay Boxer, San Francisco Police Department (SFPD)

Patterson a déjà écrit une cinquantaine de romans grâce à une méthode qu’il ne cache pas : il est entouré d’une vingtaine de scribes auxquels il confie des idées générales et des scénarios qui finissent en romans qu’il endosse. Méthode peut-être pas très noble mais dont le seul but est de divertir le lecteur. Comme il aurait vendu plus de 300 millions de livres, ça a l’air de marcher. Voyons ce que ça donne dans ce cas-ci.

La sergente Lindsay Boxer[1] mène l’enquête sur une série d’assassinats qui frappent simultanément les villes de Los Angeles, Chicago et San Francisco. Son mari, Joe Molinari, directeur adjoint de la police, est engagé par son vieil ami David Channing, lourdement handicapé, qui tient un vignoble dans la Napa Valley, et qui soupçonne le cardiologue de son père de l’avoir tué. Leur amie, la procureure Yuki Castellano, épouse du chef de police Jackson Brady, poursuit, pendant ce temps, le jeune Clay Warren impliqué dans la mort d’un policier. Lindsay est troublée à cause du cancer du sein qu’a contracté son amie la légiste Claire. Et elle se dispute avec son amie Cindy qui est journaliste au San Francisco Chronicle. Cindy est elle-même accusée de harcèlement sexuel par le jeune journaliste Jeb McGowen. On me permettra de passer sous silence certaines intrigues secondaires.

Le nombre de personnages est ahurissant et le lecteur devra prendre des notes. Trop nombreux d’ailleurs pour être bien définis. La multiplication des chapitres courts ajoute à la confusion, d’autant plus qu’on ne sait pas toujours qui parle : parfois le narrateur est extérieur, parfois c’est Lindsay, parfois c’est Cindy.

Les initiatives de Lindsay n’ont pas grand sens dans le contexte : « former une équipe au  tirs (sic) de snipers dans les différentes villes » ! Et le principal suspect est identifié par le hasard d’une photographie prise par quelqu’un qui promenait ses chiens : à l’arrière-plan, on distingue une ombre dans une automobile. Et ce suspect, supposément intelligent, assiste inutilement à l’enterrement d’une de ses victimes et se cache stupidement chez un copain près de chez lui, au lieu de foutre le camp.

Mais tout cela se termine dans la joie. Après tout, le supposé méchant assassinait des trafiquants de drogues; Claire se fait enlever la partie cancéreuse de son poumon; le jeune Warren se retrouve protégé par la police; Joe et Dave trouvent l’assassin de son père; Cindy est disculpée et se réconcilie avec Lindsay; et Lindsay se retrouve au lit avec Joe comme lorsqu’on avait 15 ans.

En fait, je ne dévoile pas de grands secrets : on lit Patterson pour rêver en couleurs.

[1] On ne se formalisera pas trop qu’un être humain porte un nom de chien : le chien de Lindsay s’appelle Martha !

Extrait :
─ S’il-te-plaît, emmène-moi au lit, murmurai-je.
Il me souleva comme une plume et m’emporta jusqu’à notre lit king size. Il me déposa avec précaution et se déshabilla (…) Il voulait me faire l’amour tendrement, mais je n’étais pas dans cet état d’esprit. Toujours sous l’emprise de l’adrénaline. Je sentais encore la brûlure du coup de poing sur mon visage (…) J’étais furieuse et je n’arrivais pas à me calmer.
─ J’ai besoin …
─ Dis-moi.
─ J’ai besoin de résister.
Il plaqua mes poignets au matelas de ses mains fermes et je le laissai me dominer. Puis je me libérai et je le retournai sur le dos. Il me donna ce que je voulais et plus encore, et je lui donnai autant en retour. Faire l’amour avec mon mari fut satisfaisant, purificateur, profond – parce que je l’aimais et lui faisais entièrement confiance.

Niveau de satisfaction :
2.9 out of 5 stars (2,9 / 5)

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Le Sang des innocents – S.A. Cosby

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2023 (All the Sinners Bleed)
Date de publication française :
2024 – Sonatine Éditions
Traduction (américain) :
Pierre Szczeciner
Genres : Enquête, thriller
Personnage principal :
Titus Crown, shérif du comté de Charon en Virginie

Titus Crown est shérif dans le comté de Charon, en Virginie. C’est le premier shérif noir de l’histoire du comté, c’est aussi un ancien du FBI. Il est appelé sur une fusillade dans un lycée, un jeune forcené noir vient de tuer un professeur et menace les élèves. Quand il pointe son fusil vers les adjoints du shérif, ceux-ci l’abattent au grand désarroi de Titus qui voulait éviter qu’il y ait des morts. Cet évènement est l’occasion pour la population de Charon de raviver les dissensions : les noirs pensent que c’est une bavure policière de plus, tandis que les blancs y voient un attentat terroriste, œuvre des islamistes. Le professeur qui a été tué était très apprécié des élèves, mais les investigations menées par Titus vont révéler une facette sombre de sa personnalité et l’enquête va alors prendre une tournure inattendue et une autre dimension.

Pas facile d’être un shérif noir dans un comté où les tensions entre blancs et noirs sont vives. Des nostalgiques de l’esclavage manifestent autour de la statue de Joe le Rebelle qui est le symbole de la résistance du Sud à l’abolition de l’esclavage, ce qui est ressenti comme une provocation par les noirs. Cependant, les questions raciales sont reléguées au second plan par les révélations de l’enquête menée par Titus concernant le meurtre d’un enseignant estimé.

Le shérif Titus Crown est un personnage complexe. Il sait faire preuve d’autorité pour s’imposer à ceux qui le contestent parce qu’il est noir ou ceux qui le soupçonnent de trahir leur cause. En tant qu’ancien du FBI, il a acquis une formation qui lui permet de mener à bien une enquête difficile. Il a vécu des choses terribles quand il était au FBI, il se trouve chanceux d’être toujours en vie et il considère que toutes les épreuves qu’il doit surmonter sont sa pénitence. Il culpabilise aussi de n’avoir rien pu faire pour sauver sa mère, morte de maladie. Il a aussi tendance à prendre tous les malheurs de la terre à son compte : « Je crois que si j’arrête d’essayer de tenir le monde à bout de bras, c’est moi qui risque de m’écrouler », dit-il. Par contre il n’est pas fait pour le bonheur. Il adore sa famille, sa mère tant qu’elle était vivante, son père et son frère. Il est en couple avec une femme charmante qui l’aime sincèrement et qui a essayé de le débarrasser de ce poids qui semble peser sur ses épaules, mais Titus n’a pas envie qu’on l’aide, il estime qu’il doit souffrir, qu’il le mérite.

La traque que mène Titus est compliquée, mais le shérif est un homme pugnace et compétent, il avance inexorablement vers le dénouement, payant même de sa personne dans une enquête révélant des horreurs inimaginables dans un comté rural d’ordinaire agité surtout par des tensions raciales.

Le Sang des innocents est un roman mettant en scène un magnifique personnage de shérif noir confronté aux tensions raciales et à des crimes horribles perpétrés dans un comté rural qui n’a pas totalement évacué les effets de la Guerre de Sécession. C’est un beau livre, dur et violent, mais d’une profonde humanité.

Extrait :
L’âme de Charon danse parmi les vapeurs du poêle à pétrole qui suspend à jamais la respiration d’un père, d’une mère et d’un petit garçon dans un mobile home glacé.
L’âme de Charon persiste lorsque les subtilités de la courtoisie s’effritent sous le poids de leur propre fugacité.
L’âme de Charon est tapie dans les yeux du Loup qui a enterré six adolescents, filles et garçons, sous le saule pleureur de Tank Billups. Ce Loup qui rêve d’archanges aux ailes déployées et aux traits déformés par la folie. Ce Loup qui se complaît dans les secrets. Qui tire plaisir à cacher son vrai visage.
Oui, les petites villes sont à l’image des gens qui les peuplent.
Tôt ou tard, elles finissent par livrer leurs secrets, mais pour cela, il faut d’abord payer le prix du sang.

L’âme de Charon est tapie dans les yeux du Loup qui a enterré six adolescents, filles et garçons, sous le saule pleureur de Tank Billups.

Niveau de satisfaction :
4.5 out of 5 stars (4,5 / 5)
Coup de cœur

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Huit crimes parfaits – Peter Swanson

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2020 (Eight Perfect Murders)
Date de publication française :
2022 (Gallmeister)
Traduction (américain) :
Christophe Cuq
Genre : Thriller
Personnage principal :
Malcolm Kershaw, libraire

Roman plutôt original. Malcolm Kershaw, le libraire en question dans ce roman, est un spécialiste des romans policiers. C’est lui qui nous raconte l’histoire dans laquelle il a été impliqué. Il y a une quinzaine d’années, il a publié dans un blog la liste des huit crimes parfaits qu’on retrouve dans des romans policiers. Or, une agente du FBI, Gwen Mulvey, le rencontre et l’interroge sur quelques crimes qui paraissent avoir été inspirés des romans dont il a fait la liste.

Alors qu’on peut le soupçonner d’être un suspect de choix, Malcolm se voit plutôt comme une victime puisque le meurtrier semble le connaître et paraît l’impliquer. Pour le lecteur, la situation n’est pas très nette : Malcolm, en effet, s’est vraiment inspiré d’un roman de sa liste, L’Inconnu du Nord-Express, pour mettre en scène un meurtre, celui d’Eric Atwell, qui était l’amant de sa femme et qui l’avait incitée à reprendre de la cocaïne. Mais, pour les autres crimes, Malcolm a une sorte d’alibi. Finalement, il est lui-même menacé de mort.

L’amateur de polars est diverti par de nombreuses références à des écrivains célèbres d’Agatha Christie à Nero Wolfe en passant par John Dickson Carr et même Louise Penny. Le procédé utilisé par Swanson pour raconter l’histoire rappelle évidemment Le meurtre de Roger Ackroyd d’Agatha Christie. Malcolm aime d’ailleurs les romans policiers classiques (Christie, Ngaio Marsh, Patricia Highsmith, James Cain…), et est moins attiré par les thrillers spectaculaires contemporains, ce qui éveille notre bienveillante nostalgie.

L’intrigue est toutefois un peu cousue de fil blanc et on n’y embarque pas de plain-pied. Malcolm commet lui-même plusieurs maladresses et n’attire pas vraiment notre sympathie. Ça reste un divertissement original.

Extrait :
Qu’attendez-vous de moi, au juste ? demandai-je.
─ Eh bien, si quelqu’un s’inspire réellement de votre liste pour commettre des crimes, ça fait de vous un expert.
─ Je n’en suis pas si sûr.
─ Je veux dire que vous êtes un expert en ce qui concerne les livres de votre liste. Ce sont vos livres préférés.
─ Sans doute, oui, mais j’ai établi cette liste il y a très longtemps, lui rappelai-je, et parmi tous ces titres, il y en a que je connais beaucoup mieux que d’autres.
─ Quoi qu’il en soit, avoir votre opinion est toujours utile. J’espérais que vous pourriez jeter un œil à ces quelques affaires que j’ai rassemblées. Il s’agit de crimes non résolus survenus en Nouvelle-Angleterre au cours des dernières années. J’ai préparé ça rapidement hier soir, ce sont juste des résumés, dit-elle en tirant de son sac un paquet de feuilles agrafées. J’espérais que vous accepteriez de les parcourir et de me dire si, selon vous, certains crimes pourraient avoir un lien avec les livres de votre liste.

Harvard Square sous la neige

Niveau de satisfaction :
4 out of 5 stars (4 / 5)

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À la lisière du monde – Ronald Lavallée

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2022 au Canada par les éditions Fides sous le titre Tous des loups [1]– 2024 en France par Les Presses de la Cité
Genres : Grands espaces, roman noir
Personnage principal :
Matthew Callwood, jeune policier

Matthew Callwood, jeune policier de 24 ans, est envoyé dans un petit village du nord du Canada pour prendre la relève de celui qui vient de passer deux ans dans ce trou perdu et qui est ravi de le quitter. Matthew est d’abord étonné qu’il y ait si peu à faire. Les autochtones, les indiens Cris, n’ont que faire des policiers, ils ne font jamais appel à eux. Les policiers sont occupés à fumer, à boire et profiter des faveurs de la prostituée locale, ils laissent faire sans broncher les petits trafics, notamment celui de l’alcool. Matthew a lu dans les rapports qu’un criminel qui a tué sa femme et son enfant se cache dans la forêt sans être inquiété. C’est pour lui inadmissible, aussi il décide de traquer le meurtrier, cela justifiera la présence de la police dans ce lieu. Le jeune homme a sous-estimé la difficulté : l’immensité des espaces, les forêts, les lacs, les marécages, les intempéries et un fugitif qui connaît parfaitement le terrain rendent la traque bien plus difficile et dangereuse que prévu.

Le personnage principal, Matthew Callwood, est un jeune homme de bonne famille, policier fraîchement nommé, plein de bons principes, il a une haute opinion de son métier. C’est un idéaliste au sens moral élevé, un peu trop rigide et assez naïf. Droit dans ses bottes, il détonne parmi ses collègues plus expérimentés qui préfèrent l’oisiveté et la tranquillité. Fini le laxisme avec l’arrivée de Matthew ! Il secoue le cocotier, en commençant par s’en prendre aux trafiquants d’alcool, ce qui lui vaut de se faire des ennemis redoutables. Ensuite il décide de capturer cet assassin qui hante la forêt et que les gens croient voir un peu partout, sans que l’on sache si c’est la réalité ou une légende. La vérité du terrain va balayer ses illusions, son apprentissage sera difficile et dangereux. Il restera jusqu’au bout courageux, mais complètement transformé, il a été amené à faire ce qu’il pensait ne jamais pouvoir faire. Outre Matthew Callwood, nous trouvons dans ce roman des personnages secondaires forts intéressants, notamment – un présumé meurtrier, finalement plus humain que certains policiers racistes et violents – une prostituée familière et maternelle – un noble britannique complètement illuminé – un juge, le père de Matthew, froid et sentencieux – des trafiquants, violents et cruels … et quelques autres.

Le cadre du roman est la mission Saint-Paul, perdue dans le Grand Nord canadien. L’action se situe en 1914. Le Canada était alors un dominion autonome de l’Empire britannique, il obéissait aux lois de l’Empire. Quand la guerre éclate en Europe, le Canada entre aussi en guerre, des milliers de Canadiens partent sur le front européen. C’est vu comme une bénédiction par les policiers de la mission : ils espèrent s’extraire de ce trou pour aller se battre en Europe et devenir des héros. Leur espoir sera déçu. Faute de guerre, il reste la traque du criminel qui rôde dans la forêt. Ce n’est pas une sinécure : en plus du terrain difficile, il y a le climat extrême. À la chaleur, les moustiques, les mouches, succèdent le brouillard, la pluie, puis la neige, la glace, les ours et les loups. Quant au fugitif, il se montre beaucoup plus habile qu’eux.

À la lisière du monde, outre une qualité d’écriture indéniable, se distingue par des personnages originaux et crédibles, des paysages immenses et impitoyables. C’est un roman très réussi.

[1] Voir l’article de mon collègue Michel Dufour Tous des loups

Extrait :
Le soir, ils se privaient de repas chaud, pour ne pas trahir leur position. Ils allumaient seulement quelques brindilles à l’aube pour préparer le thé, qu’ils versaient dans leurs bidons et buvaient froid, le soir venu. La nuit, ils montaient la garde à tour de rôle, le doigt sur la détente. Quand ils fumaient, ils mettaient les mains en cornet pour cacher le bout embrasé de leurs cigarettes. Beaucoup de précautions pour rien. Corneau ne daignait pas les attaquer. Tous les soirs, la même discussion reprenait dans la tente sombre et suintante d’humidité.

— Il a planqué sa famille quelque part, disait Suchenko, de plus en plus amer. Il ne pourrait pas se promener comme ça avec une femme et deux enfants.
— Corneau va nous mener jusqu’au pôle Nord, disait Harvey.
Matthew consultait ses notes.
— Je ne crois pas, non. Il nous fait faire une boucle. Un de ces jours, on va revenir sur nos balises.
— Il joue à quoi ?
— C’est évident, non ? grognait Suchenko. Il va nous balader jusqu’à l’automne. Puis il va disparaître. Et nous, on va crever de faim.

Niveau de satisfaction :
4.5 out of 5 stars (4,5 / 5)

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1991 – Franck Thilliez

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2021
(Éd de Noyelles)
Genre : Thriller
Personnage principal :
Franck Sharko, inspecteur de police à Paris

Pour s’aventurer dans Thilliez, il faut laisser ses soucis de côté et se rendre entièrement disponible : c’est du solide et quand vous vous empêtrez dedans, ça ne vous lâche plus.

Le premier roman où apparaît l’inspecteur Franck Sharko, c’est Train d’enfer pour ange rouge, publié en 2007. Treize romans de la saga Sharko plus tard, Thilliez a profité de la Covid pour écrire le premier de la série, 1991, date à laquelle le jeune inspecteur Sharko (trente ans) arrive au Quai des Orfèvres. Il n’est pas encore marié à Suzanne  et ne vit pas encore avec Lucie Henebelle. Au Bureau, il est là pour faire ses preuves; c’est actuellement le bleu de service, le numéro 6, derrière Florence Ferriaux, dite le Pitbull, Romuald Fayolle, ou Einstein, Alain Glichard, surnommé le Glaive, Serge Amandier, le flic à l’ancienne, brutal et alcoolique, et le numéro 1, Thierry Brossard, dit Titi (pour les intimes). À un poste de commande, on retrouve aussi Santucci, le Corse, peu aimé, mais aussi acharné que les autres, et efficace.

Sharko est d’abord remisé aux archives où il est chargé de reprendre l’affaire des Disparues du Sud parisien : entre 1986 et 1989, trois femmes ont été enlevées, violées et massacrées. C’est un cas irrésolu sur lequel Amandier s’est esquinté et cassé les dents.

Mais un cas plus urgent exige que chacun collabore : on vient d’être saisi du cas d’une femme attachée à un lit, la tête enfoncée dans un sac; une adresse serait notée derrière la photo remise aux policiers. On la retrouve affreusement mutilée, mais elle ne demeure pas là où on la découvre. Et la propriétaire de l’appartement est, en effet, disparue. Pour en savoir davantage, il faudra explorer le monde du vaudou et de la magie. Et établir un lien avec la série de photographies d’enfants nus trouvée dans l’appartement.

L’affaire est complexe et on n’est pas au bout de nos peines. Le chef coordonne bien les membres de son équipe : Amandier entraîne le jeune Sharko et n’hésite pas à brasser des cages et des individus; le Glaive se spécialise dans les interrogatoires; Einstein déchiffre les codes et tente d’éclaircir les messages énigmatiques; Florence s’investit dans le monde de Houdini et fréquente de près l’étrange Circé. Sharko enquête d’un peu trop près sur le monde des poisons capables en quelques secondes de transformer quelqu’un en zombie. Et il goûtera quelque peu à cette médecine.

L’action se déroule dans un Paris des années 90, capable de titiller la nostalgie même quand on décrit des quartiers mal famés. Et, comme d’habitude, les informations scientifiques s’intègrent bien à l’ensemble : le monde des poisons, du vaudou, de la magie, des troubles sexuels des jeunes enfants. Et on constate à quel point l’usage de l’ordinateur et du cellulaire a transformé le monde d’aujourd’hui.

À côté d’une vie quotidienne décrite avec réalisme, c’est certain que la solution du problème principal a l’air un peu disproportionnée, mais elle me semble convenir à la singularité des énigmes posées.

Extrait :
Souvent Sharko s’acharnait sur des détails dont tout le monde se fichait, et ça la perturbait. La nuit précédente, il avait mal dormi, n’avait pas arrêté de se retourner dans le lit et s’était levé à plusieurs reprises.

Il l’accompagna jusqu’aux quais. Une lumière laiteuse filtrait à travers les immenses verrières grisâtres, très haut au-dessus des voies. Quelques pigeons fatigués erraient en quête de miettes de pain, un homme las nettoyait le sol au jet d’eau. Il n’existait rien de plus triste qu’une gare, tôt un dimanche matin.
─ Tu sais qu’ils m’appellent tous Shark, maintenant, au boulot ? fit-il pour combler le silence, seulement rompu par le bruit de leurs pas. On a tous un surnom. Titi, Pitbull … Shark, ce sera le mien. Qu’est-ce que t’en penses ?
─ Tout ça m’a l’air très animalier …
Sharko lui sourit, ils s’embrassèrent avec passion. Son cœur de requin tendre se serra quand le train s’éloigna, et que les beaux yeux bleus de celle qu’il aimait finirent par disparaître derrière la vitre.
À ce moment-là, il se dit qu’être flic, c’est surtout être seul.

Quai des Orfèvres

Niveau de satisfaction :
4.5 out of 5 stars (4,5 / 5)

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