Par Michel Dufour
Date de publication originale : 2022 (Seventeen)
Date de publication française : 2023 (Gallimard)
Traduction (anglais) : Laurent Boscq
Genres : Thriller, espionnage
Personnage principal : agent Seventeen
Prix Ian Fleming du meilleur thriller 2023
C’est un roman d’espionnage (les commentateurs ont parlé de James Bond et de Jason Bourne) plutôt déconcertant par son sujet et par sa forme. D’abord, l’histoire nous est racontée, au fur et à mesure qu’elle se déroule, par l’agent Seventeen lui-même, comme s’il se confiait à nous. Puis, beaucoup d’action sans doute, mais ce qui se regarde bien ne veut pas dire que ça se lit bien. Un roman de Ian Fleming ne vaut pas un bon film de James Bond. Comme je n’ai pas d’aptitude particulière à visualiser ce que je lis, je n’étais pas certain d’embarquer. Et pourtant…
Au départ, Seventeen est sur le point d’accomplir une mission : quelques personnes à tuer à Berlin dans un immeuble d’analystes financiers. Ça se passe rondement, mais ce qui fait que j’ai accroché c’est que, pour déjouer l’enquête policière, il abandonne sur place son attaché-case qui contient un exemplaire de De la grammatologie de Derrida « parce que tant qu’à laisser un indice autant qu’il soit le plus déroutant et absurde possible ». Un agent secret à l’esprit si tordu doit être digne d’intérêt.
Cette tâche à peine terminée, on lui demande d’intercepter l’échange d’une carte mémoire entre deux espions, qui contiendrait des documents montrant que l’Iran projette une attaque nucléaire contre les États-Unis. Documents sans doute importants parce que, à peine confisqués par Seventeen, ils doivent être récupérés par une jolie espionne qui tente de le tuer.
Après quoi, Seventeen hérite de sa plus dangereuse mission qui est de tuer l’agent Sixteen, mystérieusement disparu de la circulation et qui, au cours de ses années de travail, a accumulé trop d’informations cruciales. Commence alors un impitoyable jeu de chat et de la souris, où on finit par ne plus trop savoir qui est le chat et qui est la souris. Et, à cause de l’intelligence de la composition, on ne sait plus très bien non plus quelle est la cible véritable. Le récit nous captive à cause de plusieurs problèmes inattendus qui font que le lecteur devient un peu perdu. Outre le fait de savoir qui va gagner entre les deux agents secrets, plusieurs rebondissements ont remis en question les premières données, et la situation exige d’être clarifiée.
Le suspense est réussi, et c’est donc plus qu’un roman d’action. On s’attache à Seventeen même si c’est un tueur parce que, en principe, il ne tue que des gens qui le méritent. Après tout, son patron, Handler, est un ancien de la CIA, qui protège les intérêts des États-Unis, donc les nôtres ?! Et si ce n’était pas le cas. La ruse mensongère de Colin Powell[1] continue de hanter les consciences. Et quels sont les véritables objectifs de la CIA ? Et un ancien de la CIA travaille pour qui maintenant ? Seventeen finit par se poser ces questions auxquelles le lecteur n’échappe pas.
Bref, c’est un roman intelligent, bien informé, agrémenté d’un humour discret.
[1] Le 5 février 2003, pour justifier l’intervention militaire des États-Unis en Irak, Colin Powell, secrétaire d’État américain parle, à la tribune de l’ONU, d’armes de destruction massive et d’armes bactériologiques présentes en Irak. Ce qui s’avèrera par la suite être un mensonge éhonté.
Extrait :
Tommy reconnut le tueur mort en deux secondes, et je vis bien que ça lui mettait un coup. Il s’appelait Zhuk et avait été formé par le renseignement militaire russe avant de faire cavalier seul. C’était la meilleure gâchette de Handler, et celui qui se rapprochait le plus d’un rival de Sixteen.
Que la mise à prix sur sa tête soit suffisante pour attirer un homme du calibre de Zhuk montrait clairement que la CIA était très, très sérieuse, dans son désir de voir Tommy passer de vie à trépas. Je pense que ce fut à ce moment-là qu’il comprit pour la première fois que, sans moi, il était un cadavre en sursis. Mais il y avait aussi autre chose.
« Tu sais ce que ça veut dire ? demanda-t-il en tapotant du pied le cadavre de Zhuk, dont le sang continuait de suinter de la jolie grappe d’impacts groupés sur sa poitrine.
− Non.
− Ça veut dire que tu as pris la tête du peloton. »
Niveau de satisfaction :
(4,2 / 5)