Par Raymond Pédoussaut
Date de publication originale : 2024 – Éditions du Masque
Genre : Roman noir
Personnage principal : Romain, marginal et homme à tout faire
Romain est un géant blond affecté d’un bec-de-lièvre. Sa taille et cette malformation en font une personne à part, sujette à des moqueries et des quolibets. La cicatrice entre sa lèvre et son nez lui a valu le surnom de Lapin. Il est un des rares à ne pas travailler à l’abattoir de poulets, seul employeur de ce petit village du centre de la France. Romain est en marge, il trace son sillon à l’écart du reste du monde. Depuis l’enfance il est amoureux de Solène, la maire du village, la seule qui a osé prendre sa défense. Le jour où Solène disparaît, mêlée à une sombre affaire d’enfouissement illégal de déchets toxiques, Romain se lance éperdument à sa recherche, il va alors provoquer le chaos dans le village. Certains en profiteront pour déverser sur lui leur rancœur et leur haine.
Le cadre de ce roman est un petit village triste qui ne survit économiquement que grâce à son usine à poulets. Au Village les gens vivent parce que les poulets meurent. L’Orée du bois est un bar-tabac, cœur du village, où les travailleurs se retrouvent pour discuter, refaire le monde, boire et entretenir une belle cirrhose. Les paysans du coin, quant à eux, sont de gros pollueurs accros aux subventions et partie prenante aux magouilles d’enfouissements illégaux de déchets.
Dans ce contexte, Romain fait figure d’extra-terrestre : il est libre, il vit dans la forêt, il s’est construit des cabanes dans les arbres. Il ne travaille pas vraiment, il n’a jamais eu de fiche de paye ou de patron, il aide : on l’appelle, il vient. Les tâches sont variées : couper du bois, jardiner, maçonner, conduire toutes sortes de machines. Il est polyvalent, très doué de ses mains. Romain n’a qu’un seul ami : Antoine, garde-chasse et ancien médecin, il a vu sa famille disparaître dans un incendie dans lequel il a survécu à regret, la mort n’a pas voulu de lui dit-il. Et bien sûr, il y a Solène dont il devance chacun de ses désirs. Mais si Romain est en général une bonne pâte, à certains moments critiques il peut se muer en individu violent et agressif, surtout quand Solène est menacée.
À travers le personnage de Romain et de ce que les autres lui font subir, l’auteur montre l’étroitesse d’esprit, le rejet de la différence, l’appât du gain, le besoin de trouver un bouc émissaire, la bêtise et la haine finalement. Il le fait avec une écriture tonique, avec des phrases choc qui font mouche. Il y a dans le style de Simon François une lucidité impitoyable pleine de sarcasmes et une ironie assez jubilatoires.
La proie et la meute est un roman noir magistral.
Extrait :
Romain débarque dans le bateau ivre en pleine fiesta. Les employés de l’usine à poulets ont la mine rubiconde, un vrai champ de pivoines. Ça pue la bière, l’anis, le Pernod et le vieux rouge en cubi. Un groupe de Portugais joue aux fléchettes en parlant fort au fond de la salle. Les Portugais et les Yougoslaves sont bien vus au Village malgré le racisme endémique, parce qu’ils sont presque tous chrétiens, mangent du porc et font les boulots merdiques que plus personne ne veut faire. Plus personne à part les Africains, bien sûr. C’est le propre de la misère, toujours chercher plus bas que soi sur l’échelle. Peu importe où on se trouve, il y a toujours un bougre un peu plus pauvre, un malheureux qu’on peut haïr tranquille, pour se rassurer, se dire qu’on n’est pas si mal tout compte fait, y a pire. Les Africains, il y en a peu à l’usine. Ce sont de bons travailleurs, mais ils ne boivent pas toujours, et puis certains sont musulmans, les gens se méfient, par ignorance plus que par méchanceté.
Bande-annonce de La proie et la meute
Niveau de satisfaction :
(4,5 / 5)
Coup de cœur