Par Raymond Pédoussaut
Date de publication originale : 2019 (ドライ)
Date de publication française : 2020 – Atelier Akatombo
Traduction : Saeko Takahashi et Stéphane de Torquat
Genres : roman noir, social
Personnages principaux : Ai Kitazawa, mère divorcée – Miyoko Baba, jeune femme qui soigne des personnes âgées.
Ai, la fille, Takako, la mère et Yasu, la grand-mère, forment un trio infernal. Trois femmes de la même famille mais de trois générations différentes réunies sous le même toit de la maison familiale. Quand elles sont ensemble, elles se disputent violemment en permanence, elles s’insultent et vont même jusqu’à se donner des coups de couteau. C’est ainsi qu’Ai est informée que sa mère se trouve en prison pour avoir porté un coup de couteau à la tête de sa grand-mère. La blessure n’est pas grave mais la grand-mère est hospitalisée et la mère en prison. Pour la libérer, la caution est fixée à un million de yens. C’est beaucoup trop pour Ai, qui après son divorce et la perte de la garde de ses deux enfants, vivote chichement dans un studio en comptant chaque yen dépensé. Mais elle a des ressources, son ex-mari et son actuel amant ont les moyens, elle va les taper et réussir à libérer sa mère. Les trois femmes vont de nouveau s’installer dans la maison familiale. Leur voisine, Miyoko Baba, est une gentille jeune femme très dévouée qui s’occupe de son grand-père sénile. Les deux jeunes femmes, Ai et Miyoko, vont se rapprocher et échanger quelques idées pour s’en sortir financièrement.
Ce roman est d’abord une critique sociale qui montre la difficulté de vivre pour les gens de peu de ressources. C’est avec un mélange de débrouillardise et d’imagination qu’Ai arrive à survivre, réduisant au minimum le coût de ses repas. Sa copine, Miyoko, a trouvé d’autres moyens pour s’en sortir : elle compte sur les aides sociales qui ne sont pas si facilement accordées, alors il faut se montrer à la fois prudente et inventive. C’est avec un humour noir, très pince-sans-rire, que Miyoko développe ses méthodes de survie. À un certain moment, le roman bascule dans le grand-guignolesque. Les âmes sensibles devront s’accrocher pour supporter quelques passages horrifiants ou sauter un certain nombre de pages pour y échapper.
Dans une société faite pour les hommes, (ferme-là t’es qu’une fille se fait apostropher Ai à trois ans) c’est un livre de femmes. L’intrigue tourne autour de la vie de quatre femmes. Les hommes y sont à peu près absents et quand ils sont présents, ce n’est pas dans le beau rôle : mari arrogant, amant égoïste. Faut dire que si les femmes sont omniprésentes elles ne sont pas non plus présentées comme des modèles de douceur.
Une grande famille est un roman acerbe et tranquillement immoral qui nous donne une vision du Japon loin de l’image conventionnelle qu’on en a en général.
Extrait :
Sa grand-mère vivait sur des idées toutes faites. Qu’appelait-elle « bonheur », au juste ? Elle n’avait jamais fait d’études et peignait de l’enseignement supérieur un tableau idyllique. Certes, elle aurait pu motiver Ai davantage, la pousser à faire de meilleures études. Et Takako dans tout ça, qui s’était délestée sur elle de l’éducation de sa fille ? Au final, qu’en était-il ? Ai aurait tout aussi bien pu suivre l’école des bas-fonds de Tokyo, que sa destinée aurait été la même.
Ai n’était pas entrée dans la bonne faculté. Elle n’avait pas atterri dans la bonne entreprise. Elle n’avait pas rencontré l’homme qu’il fallait. Son lot, c’était de s’endetter et d’être tourmentée par ses beaux-parents. En fait, elle menait la même vie de misère que sa mère ou que sa grand-mère. Qui fallait-il blâmer ? Ai avait cédé à un homme qui lui avait fait la cour et elle avait fini par tout perdre. Plus d’enfants, plus d’argent, plus de travail.
Niveau de satisfaction :
(3,9 / 5)