Le portrait de la Traviata – Do Jinki

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2017
(The Portrait of La Traviata)
Date de publication française : 2020 (Harper Collins Poche)
Traduction (coréen) :
Kyungran Choi et Delphine Bourgoin
Genre :
Enquête
Personnages principaux :
Lee Yuhyeon (inspecteur) et Gojin (avocat de l’ombre)

Les romans coréens ne se bousculent pas dans nos librairies. Ils sont pourtant moins dépaysants qu’on pourrait le penser. Évidemment, il y a les noms auxquels il faut s’habituer, pas toujours faciles à mémoriser[1]. Mais l’arrondissement de Seocho à Séoul semble familier, et les principaux personnages impliqués dans cette histoire de meurtre pourraient être aussi bien Français que Québécois. On parle ici, bien sûr, de la Corée du Sud.

Si ce roman nous désarçonne un peu, néanmoins, c’est à cause de l’originalité de sa conception. Quand Poirot rassemblait les protagonistes d’un crime dans un salon et les invitait à faire fonctionner leurs petites cellules grises, ça durait un chapitre. Holmes expliquait son raisonnement à Watson en 2 pages. Ici, l’essentiel du roman consiste à accompagner les raisonnements inépuisables de Gojin, bon ami de l’inspecteur Lee Yuhyeon, qui développe des hypothèses brillantes pour expliquer les meurtres. Et quand une hypothèse est falsifiée par les démarches concrètes de Lee, et bien Gojin en développe plusieurs autres, que Lee cherchera aussi à vérifier, jusqu’à ce que, « Lorsque vous avez éliminé l’impossible, ce qui reste, si improbable soit-il, est nécessairement la vérité » (Holmes). La démarche est, certes, un peu agaçante pour l’inspecteur, parce qu’il espère toujours que la dernière hypothèse proposée est la bonne, ce qui l’incite à foncer dans le mur à tout coup. Sauf qu’il sait bien qu’il finira par être satisfait.

Dans une maison d’appartements de Séoul, on découvre les cadavres de deux locataires : une jolie femme qui travaillait dans un night-club réputé et un voisin qui lui tournait autour. Comme cette résidence est ultra-sécurisée, les soupçons se concentrent sur le gardien, rapidement accusé par l’inspecteur Lee, aussitôt  relâché, faute de preuves suffisantes. En désespoir de cause, Lee fait appel à son ami Gojin, dont la vie est plutôt dissolue mais l’intelligence et l’imagination absolument brillantes. Et c’est là que les petites cellules grises se mettent en marche.

Le lecteur doit attacher sa ceinture, parce que Gojin le poussera dans bien des directions, chacune semblant la bonne au départ, mais presque toutes s’avérant insuffisantes et trompeuses. On fouille les lieux, on interroge des connaissances des deux personnes assassinées, on examine des empreintes, on explore des téléphones cellulaires et des ordinateurs, on examine serrures et verrous (balcons), on récapitule les déplacements sur les scènes de crimes, aidé par quelques schémas. Plus on avance, en éliminant ce qui est impossible, plus Lee est découragé et plus Gojin jouit d’avance de son élucidation prochaine.

La formule est originale. Le lecteur est aussi un peu agacé par Gojin, mais ne peut retenir son admiration (c’est à peu près ce que l’on ressent pour le Holmes de la série télévisée Élémentaire). Les personnages, bien décrits, nous sont familiers. Comprendre la situation est vraiment au cœur de l’histoire et les chemins pour y parvenir sont rigoureux et stimulants.

[1] Pour cette lecture, je vous propose le stratagème suivant : retenez les noms suivant ce qui apparaît dans la parenthèse : Jeong Yumi (Yumi), Lee Yuhyeon (Lee), Jo Pageol (Jo), Lee Pilho (Pilho), Kim Hyeongbin (Kim), Ryu Gyeonga (Ryu) Hwang Geumsun (Wang), Oh Namyeong (Oh).

Extrait :
– Le fait d’être au téléphone avec quelqu’un ne signifie pas pour autant que l’on est loin l’un de l’autre. Une ruse parfaite pour rendre crédible son alibi.
– Je vois. Kim Hyeongbin a ouvert la porte de l’appartement et est entré dans la chambre de Jeong Yumi tout en lui parlant au téléphone. Il l’a donc tuée, l’appareil dans une main et le poinçon dans l’autre.
– Une rose d’un côté, une pomme empoisonnée de l’autre. N’est-ce pas mélodramatique à souhait ? Kim Hyeongbin connaissait l’heure de ronde du gardien. Juste après son passage, il a vu la lumière du salon s’éteindre et celle de la chambre s’allumer, il est passé à l’action. Si Jeong Yumi avait été encore dans le salon, la situation aurait été plus compliquée, car elle l’aurait vu franchir la porte d’entrée et l’aurait tout de suite identifié. Kim Hyeongbin n’aurait alors pas pu l’enregistrer sur son téléphone en train de crier : « Un voleur ! » Cela aurait été beaucoup plus compliqué pour faire porter le chapeau à Lee  Pilho.
– Cela veut dire qu’il était déguisé ?
– Oui, je pense qu’il portait une cagoule ou un masque. Sans oublier les gants, pour ne pas laisser d’empreintes sur les armes. Il devait également avoir revêtu des habits qui n’étaient pas les siens. En pleine nuit, un homme encagoulé fait irruption dans la pièce; n’importe qui hurle : « Au voleur ! »

Le quartier Seocho à Séoul

Niveau de satisfaction :
4.2 out of 5 stars (4,2 / 5)

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