Hérétiques – Leonardo Padura

Par Raymond Pédoussaut

heretiquesDate de publication originale : 2013 (Herejes) Padura
Date de publication française : 2014 (Métailié)
Genres : Enquête, historique, philosophique
Personnage principal : Mario Conde ex-policier

Mario Conde a quitté la police depuis 20 ans. Maintenant il achète et vend des vieux livres. Alors qu’il galère dans les rues de La Havane pour exercer son commerce, Élias Kaminsky, recommandé par un ami de Conde, exilé à Miami, vient lui demander de l’aider à retrouver un Rembrandt qui appartenait à sa famille. Le tableau avait disparu au cours du tragique épisode du Saint Louis dans le port de La Havane. Maintenant il a refait surface dans une salle de vente de Londres. Sa mise à prix atteint la bagatelle de 1 200000 dollars. En 1939 le tableau avait accompagné les grands parents d’Élias dans leur tentative d’exil pour Cuba. Le Saint Louis avait quitté le port de Hambourg chargé de 937 juifs qui fuyaient les persécutions nazies. Arrivés à La Havane, les réfugiés durent rester sur le bateau, dans le port de La Havane, sans pouvoir débarquer. Ils avaient été victimes d’une arnaque : leurs visas étaient faux. Après trois semaines à quai, le Saint Louis fut contraint de repartir, emmenant les 937 passagers juifs, vers l’Europe et vers la mort. Mais le Rembrandt était resté à Cuba où il avait disparu avant d’être retrouvé en 1958 dans la demeure d’un puissant fonctionnaire qui trafiquait de faux passeports. Il a de nouveau disparu ensuite jusqu’à ce jour où il a fait de nouveau surface à Londres.

Le roman se compose de trois parties. C’est trois livres en un seul.
– Le livre de Daniel (La Havane de 1939 à 2007) raconte l’histoire de la famille Kaminsky, des juifs polonais dont certains ont réussis à émigrer à Cuba et d’autres sont morts après un voyage circulaire sur le Saint Louis qui les a ramenés à leur point de départ.
– Le livre d’Eliás (Amsterdam de 1643 à 1647) retrace la vie d’Élias Ambrosius Montalbo qui fut élève de Rembrandt et lui servit de modèle pour un portrait du Christ. Ce tableau sera plus tard la possession de la famille Kaminsky.
– Le livre de Judith (La Havane de 2008 à 2013) dans lequel commence une autre histoire, apparemment complètement indépendante des autres. Il est question de la disparition d’une jeune fille et de tribus urbaines, jusqu’à ce qu’on reparle du tableau de Rembrandt.

Padura nous fait faire un sacré voyage dans des temps et des lieux différents : Heretiques-portrait christ-1d’Amsterdam en 1643 à La Havane en 2013. Le lien entre ces époques et ces endroits est un tableau de Rembrandt représentant le Christ dont le modèle a été un jeune juif, son élève. Nous découvrons ainsi la façon de peindre du Maître et ses conseils : pour le portrait « tout est dans les yeux ». Dans la dernière partie, Mario Conde est plus présent et le ton devient plus léger et plus humoristique. Padura fait une description intelligente des tribus urbaines qui fleurissent un peu partout, notamment à La Havane : les freaks, les rastas, les rockeurs, les mikis, les reparteros, les gamers, les punks, les skateurs, les métalleux et les emos dont fait partie Judith, la jeune fille très intelligente mais perturbée, qui a disparu. Ces jeunes, en rupture complète avec la société, refusent ce monde qu’ils trouvent pourri. Ils sont adeptes de Nietzsche, Death Note, Nirvana et Kurt Cobain. Attirés par le bouddhisme, émerveillés par Blade Runner avec ses réplicants.

Qu’est-ce qu’il y a de commun entre un émigré juif polonais à Cuba en 1939, un jeune juif fasciné par la peinture et par son maître Rembrandt en 1643 et une jeune fille appartenant à une tribu urbaine de La Havane en 2013 ? Ce sont tous des hérétiques. Des gens qui ne se sont pas soumis aux dogmes religieux ou aux contraintes de leur communauté. Ils ont préféré la liberté individuelle et le libre choix à la facilité du respect des règles imposées. Ce livre est un hymne au libre arbitre. Même le chien de Mario Conde est épris de liberté !

Hérétiques est un livre documenté, érudit et ambitieux. On y trouve de nombreuses considérations philosophiques concernant la foi, l’art et la liberté. C’est un pavé (plus de 600 pages) impressionnant par son contenu et les sujets très différents abordés. Un grand livre de Padura !

Extrait :
Je ne t’enjoins pas de faire quelque chose, je te demande seulement de réfléchir : la liberté est le plus grand bien de l’homme, ne pas s’en servir quand il est possible de le faire, c’est une chose que Dieu ne peut pas nous demander. En revanche, renoncer à la liberté est un terrible péché, presque une offense à Dieu. Mais tu dois déjà savoir que tout a un prix. Et celui de la liberté est généralement très élevé. Parce qu’il y aspire, même là où la liberté existe – ou là où on dit qu’elle existe, ce qui est le plus fréquent – l’homme prend le risque de beaucoup souffrir, car il se trouve toujours des individus pour comprendre la liberté différemment, comme cela arrive avec les idées sur Dieu, et le comble c’est qu’ils vont jusqu’à penser que leur conception est la seule correcte, et décident donc d’utiliser leur pouvoir pour que les autres pratiquent la liberté à leur façon… Ce qui signifie la fin de la liberté : car personne ne peut te dire comment tu dois en jouir…

Vers la fin, quand le dernier des réplicants prononce ses paroles d’adieu au monde, Conde sentit que ces phrases du film dont sa mémoire s’était emparé éveillaient en lui un étrange écho qui l’affectait comme une de ses douloureuses prémonitions : “J’ai vu des choses que vous autres, humains, ne croiriez pas. Des vaisseaux en flammes sur le baudrier d’Orion. J’ai vu des rayons cosmiques scintiller près de la porte de Tannhäuser. Mais tous ces instants se perdront dans le temps comme les larmes dans la pluie. Il est temps de mourir. »

Blade Runner – Monologue final

Ma note : 4.5 out of 5 stars (4,5 / 5)

 

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2 réponses à Hérétiques – Leonardo Padura

  1. belette2911 dit :

    Je le possède aussi, mais je ne l’ai pas encore lu… j’en ai quelques uns à lire avant lui 😉

    • Ray dit :

      Oui je sais que tu as une grosse PAL devant toi. Il faut gérer des priorités. Moi, j’ai écouté Padura parler de son bouquin, du coup il est monté tout en haut de ma PAL. Ce n’est pas un bouquin facile que l’on lit à la plage, c’est un bouquin ambitieux, instructif et …épais. Il faut être prêt pour attaquer ce pavé.

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