Snjór – Ragnar Jónasson (2ème chronique)

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2010 (Snjóblinda)
Date de publication française : 2016 (Éd. de La Martinière)
Genres : Enquête, géographique
Personnage principal : Ari Thór Arason, jeune policier islandais

Alors que je terminais la lecture de Snjór[1], Raymond me fit remarquer qu’il en avait déjà fait le compte rendu le 26 septembre 2016. J’avoue avoir oublié la chronique et le jugement de mon estimé collègue. Nous avions déjà imaginé faire le compte rendu d’un même roman pour que nos lecteurs, aussi bien que nous-mêmes, puissions mesurer nos différences. Et bien, le hasard nous a un peu forcé la main.

Comme le résumé de l’action correspond au premier paragraphe de l’article de Raymond, et que je n’ai rien à ajouter, je passerai directement à la partie critique. C’est bien le roman que je commente, et non le jugement du chroniqueur, même si quelques recoupements sont inévitables et ne manquent pas d’intérêt.

D’abord, il s’agit d’une sorte d’huis-clos : pendant l’enquête, la neige ne cesse de tomber et de tout paralyser, et quelques avalanches empêchent de quitter la ville, même par avion. Pour un Québécois, s’éveille spontanément un sentiment de solidarité pour des gens qui vivent un hiver sans doute plus court mais parfois aussi impitoyable que chez nous. J’ai appelé ce polar « géographique », parce qu’on nous montre l’effet du paysage et du climat islandais sur le mode de vie des habitants. Je n’avais pas tellement vu ça chez Indridason ni chez Thorarinsson, alors que j’espérais un peu d’exotisme islandais.

L’huis-clos concerne un nombre réduit de personnages : une douzaine, dont trois policiers. Et l’auteur semble avoir fait un certain effort pour qu’on ne se perde pas trop dans des noms difficilement prononçables: les deux principaux policiers s’appellent Ari et Tomas; plusieurs personnages liés au théâtre se nomment : Palmi, Carl, Nina, Anna et Ugla.

Jónasson les définit moins par des caractéristiques psychologiques élémentaires que par leur passé, leurs parents et leur enfance plus ou moins malheureuse. C’est certain que ça ralentit l’action, mais tout ralentissement n’est pas mauvais quand l’ambiance est bonne. Et c’est vrai qu’on songe parfois à un Agatha Christie, peut-être parce qu’on sait que Jónasson en a traduit une quinzaine en islandais.

L’auteur aime bien aussi semer de petits problèmes ici et là (les deux cadavres principaux évidemment, mais aussi : l’informateur du journaliste, l’homme dont Nina est amoureuse, l’effraction dont Ari est victime etc.…), et sa façon de construire l’histoire va aussi dans ce sens; ça tient le lecteur en alerte et compense un peu la lenteur du rythme.

Ari Thor lui-même n’a que 24-25 ans; c’est sa première affectation et c’est un gars de Reykjavik, mal à l’aise dans une petite communauté qui le voit comme un étranger, ce qui n’améliore ni sa claustrophobie, ni son anxiété. On ne peut pas s’identifier à lui comme aux héroïque Holmes ou Poirot. Il est un peu naïf et pas mal spontané, dangereux mélange chez un policier. Dans le roman suivant de la série, Ari Thor a 28 ans, est marié et a un enfant. Jónasson, prévoyant le déroulement de la série Dark Iceland, a probablement voulu attaquer bas.

Bref, parce que j’ai considéré ce roman comme un premier-né, et que le décor enneigé a touché chez moi quelque chose de familier, j’imagine que j’ai mis en veilleuse mon esprit critique et que je me suis attaché à des aspects positifs du roman qui devraient contribuer au succès du reste de la série.


[1] Neige

Extrait :
La neige tomba toute la soirée du samedi et une bonne partie de la nuit. Après avoir somnolé par intermittence pendant quelques heures, Ari Thór parvint enfin à s’endormir. La météo l’affectait sérieusement. En temps normal, il s’accordait un peu de lecture avant d’aller se coucher, mais il était désormais incapable de se concentrer. Toutes ses pensées se focalisaient sur l’obscurité qui, peu à peu, l’étouffait. Il avait bien essayé d’écouter de la musique classique pour combattre le silence assourdissant de la tempête, mais c’était comme si la musique amplifiait l’ambiance lugubre de la soirée.
Nuit après nuit, ses rêves l’entraînaient vers ces endroits sombres et dangereux où il luttait pour retrouver son souffle, écrasé par une force inconnue qui ne pouvait venir que de l’intérieur. Il faisait des longueurs de piscine, s’entraînait à plonger avec un masque, touchait le fond du bassin et relevait la tête pour savourer cet instant − mais au moment de donner l’impulsion pour remonter, ses pieds étaient comme paralysés, il se sentait pris au piège, lourd comme le plomb. Il voyait d’autres nageurs sillonner la surface de l’eau alors que lui restait tout au fond, incapable du moindre mouvement. Et le cauchemar se répétait. Quand Ari Thór se réveillait, suffocant, accablé, l’impression de noyade était si réelle qu’il pouvait sentir l’eau dans ses poumons. L’angoisse s’emparait alors de lui et, engourdi de sommeil, il tendait la main vers quelqu’un − Kristin peut-être −, à la recherche d’un peu de chaleur.

Siglufjördur

Ma note : 3.5 out of 5 stars (3,5 / 5)

 

 

 

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