Par Raymond Pédoussaut
Date de publication française : 2018 (XO Éditions)
Traduction : Claude Payen
Genres : fantastiques, enquêtes
Personnages principaux : Shen Ming, Professeur de chinois – Si Wang, garçon prodige
« Je suis mort le 19 juin 1995. » Nous sommes en Chine du nord et celui qui parle ainsi est un jeune professeur de chinois, Shen Ming, qui a été assassiné après avoir été lui-même suspecté d’avoir tué une de ses élèves et avoir réellement abattu le censeur de son lycée. Il est mort dans une usine désaffectée, un endroit mystérieux : la Zone de la Démone. Le meurtrier n’a pas été arrêté mais plusieurs années après un bon nombre de ceux qui étaient dans l’entourage du professeur passent brutalement dans l’autre monde. On commence à penser que Shen Ming est revenu de cet autre monde, qu’il s’est réincarné pour se venger. D’autant plus qu’un garçon de neuf ans, Si Wang, semble avoir « récupéré » la mémoire et les connaissances du professeur. Le mystère concernant cette étrange affaire va se prolonger jusqu’en qu’en 2014.
Si vous cherchez un livre qui vous change réellement de vos lectures habituelles, celui-ci est le bon. D’abord parce que l’action se passe en Chine, que c’est une culture différente de la nôtre. On y vénère les morts et on leur rend hommage en brûlant des bâtons d’encens et de la monnaie de papier. La gastronomie locale c’est : beignets à la vapeur, nouilles à la sauce soja, wontons et la soupe de Mengpo. Vous serez plongé dans les rites et coutumes d’un monde mystérieux où les fantômes n’effraient pas. Où devant un comportement insolite les gens se posent tranquillement la question de savoir si oui ou non ils sont en présence d’un fantôme. Et surtout il y a la croyance à la réincarnation. Tout le roman est basé sur cette idée. C’est avec une certaine poésie que le processus est décrit : le défunt doit franchir les portes de l’enfer et traverser les Sources Jaunes puis il lui faut traverser la Rivière de l’Oubli en franchissant le pont à l’entrée duquel une vieille femme l’attend avec un bol de soupe qu’il doit absorber pour oublier sa vie antérieure et enfin être réincarné. Tout un programme !
L’auteur a réussi à imprégner son roman d’une ambiance à la fois fantastique et poétique. Le roman est parsemé d’extrait de poèmes. Il y a même un Cercle des poètes disparus : dans le souterrain de la Zone de la Démone ils sont quatre à réciter des poèmes. Deux mois plus tard deux d’entre eux sont morts de mort violente. Il y a aussi une enquête et même plusieurs qui s’échelonnent sur dix-neuf ans. Il y a deux policiers qui les mènent. Il y a un méchant qui tue beaucoup de monde. Et il y a beaucoup de morts.
Si l’on fait l’effort d’essayer de comprendre tous les événements et les interactions entre tous les personnages, c’est un bon exercice de gym cerveau. En effet les personnages sont nombreux et les noms chinois ne nous sont pas familiers. Pire encore certains personnages changent de nom, soit parce qu’ils se réincarnent, soit parce qu’on les appelle différemment suivant les situations. Ainsi Shen Ming se réincarne en un jeune garçon, Si Wang, qui sera plus tard adopté sous le nom de Gu Wang mais qu’on appelle aussi Wang Er. Vous suivez ? Conscient de la difficulté, l’éditeur XO, a inséré une liste des principaux personnages en début d’ouvrage. Elle s’avère bien utile à la lecture.
La Rivière de l’oubli est un roman fortement dépaysant pour un lecteur occidental. Bien que sur la couverture s’affiche le qualificatif de Thriller, il n’a rien à voir avec le thriller traditionnel qui, souvent, s’appuie sur un rythme débridé et des rebondissements multiples. Ici le rythme est lent, l’intrigue complexe, l’ambiance poétique et le fantastique toujours présent.
Extrait :
Un vent glacial soufflait ce matin-là. Wang Er s’était levé à six heures et avait introduit un CD dans le lecteur du salon. Le lugubre prélude commença…
Réveillée par le bruit, Gu Qiusha descendit en chemise de nuit et trouva Wang Er assis dans le salon, le regard triste fixé sur l’écran de télévision. Une île désolée apparut. D’étranges rochers se dressaient hors de l’eau sur un ciel gris de fer. Une barque conduite par un mystérieux rameur tout de blanc vêtu s’approchait de l’île.
— Wang Er ! cria Gu Qiusha en se plantant devant lui et en le secouant par les épaules. Qu’est-ce que tu écoutes ?
— L’île des Morts, un poème symphonique de Rachmaninov.
— À cette heure-ci ? Tu es fou ? Tu n’as pas froid ? Wang Er secoua vigoureusement la tête. Gu Qiusha voulut éteindre, mais ne trouva pas la télécommande, non plus que le cordon d’alimentation. La musique continuait à résonner, perçant les tympans comme un poignard.
— L’homme de la barque représente la mort.
— Dépêche-toi d’éteindre !
— Qiusha, tu connais la rivière que les Grecs appellent le Styx ou l’Achéron ?
Sans lui laisser le temps de répondre, il continua :
— Pour pénétrer dans le monde des morts, il faut traverser la rivière. Celui qui ne peut pas payer est impitoyablement jeté à l’eau par le nautonier Charon.
Poème symphonique de Rachmaninov : L’Île des Morts
Niveau de satisfaction :
(4 / 5)