Le Huit – Katherine Neville

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 1988 (The Eight)
Date de publication française : 2002 (Le Cherche Midi, Pocket)
Traduction : Evelyne Jouve
Genres : Aventures, historique, ésotérique
Personnages principaux : Catherine Velis, Mireille

Je n’avais pas osé me lancer dans ce roman monumental (958 pages) et impressionnant (classé par El Pais comme un des dix meilleurs romans de tous les temps), écrit par une femme intelligente et cultivée aux multiples talents. Mais Covid oblige, et je n’ai plus d’excuses.

Ce roman américain est sorti entre Le Nom de la rose (1980) et Le Code de Vinci (2003), au beau milieu d’une mode de l’historico-ésotérique. Le succès fut immédiat pour plusieurs raisons : la personnalité de l’auteure, sa compétence culturelle qui nous met en contact avec des personnages qui ont marqué l’Histoire (Talleyrand, Rousseau, Voltaire, Bonaparte…), la peinture (David), la musique (Bach, Philidor…), la poésie (Wordsworth, Blake, Carroll), la science (Newton, Euler). Ce n’est pas un musée; ces personnages vivent pour vrai et participent à l’action. Ajoutons à ces qualités : un souffle épique et une description précise des paysages et de l’environnement.

Quant à l’intrigue, un problème mystérieux est bien posé au départ : il s’agit de trouver un échiquier et ses pièces, offert à Charlemagne par le gouverneur musulman de Barcelone; œuvre d’art en soi (or, pierres précieuses), cet objet unique serait pourvu de pouvoirs secrets et porteur d’une malédiction impitoyable. On le cherche depuis des siècles et ces recherches ont déjà coûté bien des vies humaines.

L’auteur cerne deux moments historiques où sont décrites les aventures de ceux et celles qui espèrent trouver ce précieux trésor : 1790, période qui suit la Révolution française; 1972, à New York et en Algérie. En 1790, les révolutionnaires veulent confisquer les biens de l’Église; à l’abbaye de Montglane, l’abbesse, qui connaît l’emplacement des pièces et de l’échiquier, distribue ces pièces à plusieurs nonnes qui s’enfuiront aux quatre coins du pays. Nous suivrons les jeunes postulantes Mireille et Valentine, placées à Paris chez leur tuteur le peintre David, où elles rencontreront Talleyrand. Pendant ce temps, l’abbesse se rend en Russie pour retrouver son amie d’enfance la Grande Catherine, qui cherche elle aussi à se procurer le fameux jeu.

Deux siècles plus tard, à New York, la spécialiste en informatique Catherine Velis est mutée en Algérie pour aider le gouvernement à organiser une rencontre avec les membres de l’Opep. Avant de partir, un ami lui a demandé de chercher dans le Sahara le jeu d’échecs en question. On s’aperçoit, au bout d’un certain temps, que tout le monde a cherché, ou cherche, le fameux jeu, pour en découvrir le secret et s’approprier de sa puissance.

À Paris (et à Londres), comme à New York et en Algérie, dans les clubs d’échecs américains comme dans les déserts de l’Afrique du Nord, les intrigues et les péripéties se multiplient. Les indestructibles Mireille et Catherine passent à travers. Et on finit par découvrir qui faisait partie des Blancs, qui des Noirs. À part, la traversée du désert qui n’en finit plus, et dans des conditions invraisemblables, chaque aventure partielle maintient notre intérêt. C’est quand on revient au projet initial que ça se gâte un peu : comme dit l’abbesse : « Si le Jeu Montglane reparaît en pleine lumière, alors Dieu puisse nous protéger tous. Car je crois qu’il contient la clé capable d’ouvrir les lèvres muettes de la Nature, et de libérer la voix des dieux ».

Le lecteur se rend compte finalement que, au fond, ces aventures ressemblent à une sorte de quête du Graal. Outre le fait que les allusions au jeu d’échecs et le titre des chapitres ont peu de rapports véritables avec l’action (de même que la prétendue capacité de Lily de reconstituer une partie à partir de n’importe quelle position sur l’échiquier), on doit abandonner sa raison en chemin. Et on ne sera pas plus séduit par les tentatives de lier alchimie et chimie que par le fait de comprendre la nature comme le chiffre de Dieu.

Cet échiquier est un objet mystique et ses pouvoirs relèvent de l’ésotérisme.

Pour bien des lecteurs, ce n’est pas grave et on s’est bien diverti. Pour des amateurs de polars qui apprécient les défis que plusieurs d’entre eux lancent à notre intelligence, ce genre de récit est plutôt frustrant. L’imagination ne suffit pas.

Extrait :
Je n’avais rien d’une mathématicienne qualifiée, mais je voyais ce qu’avait voulu dire Pythagore quand il affirmait que les mathématiques ne faisaient qu’un avec la musique. Alors que Lily et Solarin déplaçaient les pièces sur l’échiquier et que je m’efforçais d’établir le schéma sur le papier, j’avais l’impression d’entendre la formule du jeu Montglane chanter pour moi. C’était comme si un élixir se déversait dans mes veines, m’imprégnant de sa splendide harmonie tandis que nous nous penchions sur le sol pour tenter de retracer le mouvement des pièces.

Abbaye de Montglane

Niveau de satisfaction :
3.9 out of 5 stars (3,9 / 5)

 

 

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