Par Michel Dufour
Date de publication originale : 2018 (Macbeth)
Date de publication française : 2018 (Gallimard/Folio)
Traduction : Céline Romand-Monnier
Genres : Thriller, noir, aventure
Personnage principal : Macbeth
Il y a une dizaine d’années, j’ai lu et apprécié cinq aventures du policier Harry Hole de Jo Nesbo, un écrivain norvégien né en 60, diplômé en économie et vedette du groupe pop Di Derre, qui a eu beaucoup de succès dans les années 90. Nesbo a écrit en 97 L’Homme chauve-souris et, comme ce roman a été jugé un des meilleurs polars de l’année, Nesbo s’est lancé dans l’écriture de romans policiers, notamment la série des Harry Hole, un flic téméraire, abruti par l’alcool et la drogue, mais bien servi par la chance. Nesbo a interrompu sa série des Harry Hole en 2013 (Police) pour la reprendre en 2017 (La Soif), suivi de Le Couteau (2019). J’avais lâché Hole moi aussi après Police et j’hésitais à le reprendre; j’avais l’impression que le cycle était terminé. Puis, je me suis laissé tenter par Macbeth.
Il ne s’agit pas d’un Harry Hole, mais du vrai Macbeth, celui de Shakespeare et de Verdi. Pour célébrer le 400e anniversaire de la mort de Shakespeare et revitaliser son audience, le Projet Hogarth proposait à quelques auteurs de reprendre une œuvre de Shakespeare et de la réactualiser dans leurs propres mots et selon leur style propre. Tout un défi, qu’ont relevé quelques écrivains dont Margaret Atwood, Graine de sorcière (La Tempête), Edward St-Aubyn, Dunbar et ses filles (Le roi Lear), Tracy Chevalier, Le Nouveau (Othello), et le Macbeth de Jo Nesbo.
Nesbo reprend la trame principale : un préfet de police (plutôt que le roi, mais portant le même nom, Duncan) est assassiné par un policier (plutôt qu’un général, Macbeth dans les deux cas), poussé par sa conjointe (Lady Macbeth). La plupart des autres personnages importants de la pièce s’y retrouvent. Ceux qui font obstacle au despotisme de Macbeth se font assassiner. Et le reste suit la pièce d’assez près, sauf que le contexte est contemporain. Ce ne sont pas les sorcières qui épuisent Macbeth, c’est la drogue des Norse Riders (un groupe de motards) et du puissant Hécate, que Macbeth combattait avant que la folie du pouvoir ne s’empare de lui. Et l’action se situe dans une petite ville non loin de Fife, région côtière à l’est de l’Écosse, appauvrie par le chômage et la criminalité. Macbeth et Lady ne vivent pas dans un château mais dans un casino…
On sait que Nesbo aime jouer avec le lecteur et il a dû voir dans ce Projet Hogarth un défi digne de ses capacités. Pendant la première partie du roman, j’étais sceptique : ça me faisait penser aux réalisations à l’opéra de plusieurs metteurs en scène formés à la Regietheater qui, dans le but de moderniser l’action d’un opéra, vident le sens que cet opéra avait dans son contexte historique pour le replacer dans un contexte contemporain qui n’a plus tellement de sens. J’ai toujours le goût de dire au metteur en scène : « Si tu veux ton opéra, fais en un ! »
Mais le fait est que Nesbo a fait ses preuves. Et qu’il y a chez lui quelque chose de ludique à relever ce défi. Je me suis donc embarqué dans la deuxième partie du roman. Je savais évidemment la fin de l’histoire, même si j’ignorais comment s’y prendrait Nesbo pour la terminer. Je m’y suis pourtant laissé prendre, malgré les invraisemblances et le trop grand nombre de personnages. Et même si, en pensant aux dernières scènes (le siège du Casino et son invasion), on se retrouve plus près d’un récit d’aventure à la Alistair MacLean que d’un thriller plus classique. Mais Nesbo connaît le métier et utilise des trucs pour maintenir le suspense dont celui qui consiste à commencer un chapitre alors que le précédent n’est pas vraiment terminé : un problème est posé qui ne sera solutionné que dans le chapitre à venir. Énervant mais efficace !
Bref, même si Macbeth et sa Lady subissent des mutations substantielles plutôt rapidement, comme le remarquent d’ailleurs Duff et Hécate, et que cela se comprend mieux dans une pièce ou un opéra de 2 ou 3 heures que dans une brique de près de 700 pages, je dois admettre que le magnétisme de Nesbo m’a gagné à sa cause, une fois de plus.
Extrait :
« Nous n’avons rien à craindre, dit Macbeth.
– Que dites-vous, chef ?
– Il n’est pas enfanté, celui qui pourra me blesser. Hécate m’a promis que je serais préfet de police jusqu’à ce que Bertha vienne me chercher. Et on peut dire ce qu’on veut de Hécate, mais il tient parole. Détends-toi, Tourtell va abandonner la partie (…) Comment ça se présente, Seyton ?
– Ils ont rassemblé du monde à côté de Bertha. On dirait qu’il y a des policiers ordinaires et des civils. Quelques armes automatiques, quelques carabines et des pistolets. Ça ne devrait pas poser de gros problèmes si c’est avec ça qu’ils attaquent.
– Est-ce que tu vois des imperméables gris ?
– Des imperméables gris ? Non.
– Et dans ton secteur, Olafson ?
– Ici non plus, chef. »
Mais Macbeth savait qu’ils étaient là. Qu’ils veillaient sur lui. (…)
Il avait à ses pieds une ville qui bientôt serait irrévocablement à lui, rien qu’à lui, et il pourrait exiger la satisfaction du moindre de ses desiderata. Il n’avait désormais besoin de penser qu’à ses désirs et ses plaisirs. Ses désirs et ses plaisirs.
Niveau de satisfaction :
(4 / 5)