Par Michel Dufour
Date de publication originale : 2019
Date de publication française : 2021 (Gallimard, série noire)
Traduction (mandarin) :Alexis Brossollet
Genres : Enquête, thriller
Personnage principal : Superintendant Wu
Kuo-Li Chang est né en 1955 dans la République chinoise de Taiwan. Il est apprécié comme linguiste, historien, poète, dramaturge et romancier. Il a écrit une trentaine de romans. Le Sniper, son wok et son fusil est le premier d’une série, et le seul, me semble-t-il, traduit en français. La façon de composer son roman est assez déconcertante : je suggère donc au lecteur de commencer par lire la quatrième de couverture, sauf si le fait d’être un peu perdu ajoute à son plaisir.
À Rome, le tireur d’élite Ai Li, dit Alex, s’apprête à tuer un individu qu’il ne connaît pas, au moment même où un autre tireur élimine l’individu en question. Et c’est lui qui est maintenant visé et qui doit s’enfuir. À Taipei, le superintendant Wu règle rapidement un cas de disparition suspecte. Puis, son chef Crâne d’œuf l’expédie dans le port de Keelung pour constater le supposé suicide du major Kuo Wei-chung, marin sur le destroyer Kee Lung, retrouvé mort dans sa chambre d’hôtel. Son analyse l’emmène à croire qu’il s’agit plutôt d’un meurtre, mais le ministère de la Défense persiste à penser qu’il s’agit d’un suicide, et on ordonne à Wu de rentrer à Taipei.
Pendant qu’Alex combat pour sa vie sans comprendre pourquoi on s’en prend à lui, Wu et quelques policiers enquêtent sur la mort d’un cadavre nu déchiqueté par les écueils sur la Plage des Perles de sable. Une balle en plein front. Il s’agit du colonel Chiu Ching-chih du Bureau des commandes de l’armée de Terre. Le ministère de la Défense demande à Wu d’envoyer le corps à l’hôpital interarmées et lui rappelle que c’est l’Armée qui doit gérer les affaires militaires. Wu aimerait y voir plus clair, mais il ne lui reste que onze jours avant de commencer sa retraite.
On apprend que celui qui s’est fait assassiner à Rome était Chou Hsieh-ho, un des conseillers en stratégie de la Présidence. Quel est le lien entre ces trois assassinats ? Alex se retrouve à Taipei pour découvrir de qui viennent les ordres de son élimination. Tandis que Wu, aidé par son fils, un hacker talentueux, cherche à découvrir pourquoi on veut l’empêcher d’enquêter et qui se cache derrière ces ordres étonnants. Par des chemins différents, Alex et Wu se rencontrent et s’aperçoivent qu’ils ont un adversaire commun. Éclaircir la situation et dévoiler les enjeux réels de cette machination ne se feront pas sans mal.
J’ai fini par entrer dans le récit mais, dès le début, j’ai été déconcerté par le type de composition. On voit ça plus fréquemment au cinéma : pendant quinze minutes, on voit des ombres et des profils préparer quelque chose, mais on n’a aucune idée de ce qui se passe. L’auteur réussit ainsi à nous faire sentir l’inquiétante incompréhension dans laquelle se retrouve Alex aussi bien que Wu. Et, jusqu’à la fin de l’histoire, l’obscurité persiste. Les noms chinois des personnages ajoutent un peu à la confusion, malgré deux pages d’informations, au début, qui nous indiquent le nom et la fonction des assassins, des assassinés, des policiers et de quelques autres. Une grande partie du récit se passe à Taiwan, mais on voyage aussi en Italie et en Tchécoslovaquie. L’auteur tient à ce que le lecteur ne soit pas trop dépaysé; il fait preuve aussi d’un certain sens pédagogique : explications détaillées des armes de combat, de la recette du riz sauté aux nouilles, initiation à quelques coutumes chinoises religieuses ou culturelles… Ça brise sans doute un peu le rythme, mais Chang n’est pas pressé et aime faire durer le plaisir.
Finalement, Wu est un policier sympathique, la relation avec son chef Crâne d’œuf est décontractée et teintée d’humour, celle avec son fils est encourageante, et la rencontre entre Wu et Alex est un grand moment, une sorte de climax. Tous ces éléments nous permettent d’apprécier le roman, de jouer le jeu du suspense insolite et d’espérer une traduction imminente du deuxième tome de la série.
Extrait :
La police de Rome tenait Crâne d’œuf aussi bien informé qu’elle le nourrissait. Wu reçut de nouvelles photos et données sur le sniper tombé du toit, plus mort que mort.
Le pathologiste hongrois avait confirmé que le défunt s’était cassé le cou en tombant du toit. Pas trace de blessure par balle. Au pied de l’immeuble, un fusil de précision AE brisé, et sur le toit, des balles écrasées et des cartouches vides. Celles-ci correspondaient à l’arme du mort; celles-là étaient des projectiles de calibre 7,62 mm tirés d’un Dragunov SVU de fabrication russe.
– Ça devient intéressant, mon vieux Wu. Des snipers des deux côtés. C’est quoi, un film de Hong Kong ?
L’emplacement de tir de l’autre sniper : le toit d’une résidence hôtelière de l’autre côté du fleuve. Pas de cartouches; seulement la forme d’un corps dans la mince couche de neige, s’estompant peu à peu.
Ce tireur, sur la rive ouest, était monté au sommet d’un hôtel muni de son SVU. L’autre, sur la rive orientale, était sorti par une fenêtre de la cage d’escalier au quatrième étage, par une température propre à le transformer en cadavre à elle seule, et avait hissé son AE sur un toit de tuiles incliné à trente degrés et couvert de neige. Tout ça pour échanger des coups de feu à travers les airs, à plus de six cents mètres.
Cette année, il semble que la mode ne soit plus à la guérilla urbaine mais au combat aérien, continuait Crâne d’œuf.
Niveau de satisfaction :
(4,2 / 5)