Par Raymond Pédoussaut
Date de publication originale : 2019 (OURO, PRATA E SILVA)
Date de publication française : 2022 – Agullo Éditions
Traduction (portugais) : Daniel Matias
Genre : Enquête
Personnage principal : Marcelo Silva, chef de brigade financière à Lisbonne
Marcelo Silva, ancien journaliste, vient d’être nommé chef de la brigade financière à Lisbonne. Sa nouvelle mission est de chasser les délinquants à col blanc. Rude boulot en perspective, car l’organisme dans lequel il est intégré a davantage l’habitude de l’inertie, voire de la complaisance que celle de la traque des fraudeurs. Mais Marcelo est disposé à faire le job, ce qui dérange pas mal de gens qui profitent tranquillement d’un système de corruption généralisée. Il va être rapidement confronté à la disparition d’un banquier puissant et à la rumeur d’une liste établie par ce banquier où seraient notés tous les pots-de-vin versés et quels en sont les bénéficiaires. De quoi déclencher la panique dans les milieux politiques et financiers et de vouloir se débarrasser d’un obstacle, représenté par Marcelo Silva.
Le cadre du roman est la ville de Lisbonne à laquelle l’auteur est attaché. Il nous décrit les rues, les ruelles étroites, les places et les restaurants. Il y a de la nostalgie dans cette peinture, car la ville change. Aujourd’hui elle est envahie de touristes en quête d’exotisme, de vin bon marché, de ciel bleu, de plages paradisiaques et de soleil. Les nouveaux restaurants de luxe, les bars à huîtres, les bistrots qui servent uniquement des conserves, les bars à tapas et les fast-foods ont remplacé les anciens restaurants traditionnels. Les vieux quartiers décrépis sont restaurés et mis sur le marché à des prix exorbitants que presque aucun Portugais ne peut payer.
Ce qui ne change pas, mais au contraire s’amplifie, c’est la corruption. Elle touche les politiques, les financiers, les magistrats, les journalistes. S’attaquer à un système qui profite à tant de gens puissants n’est pas sans danger et Marcelo Silva va le constater à ses dépens. Ce qui ne va pas le décourager, mais un homme seul ou presque peut-il changer une organisation qui détourne sans vergogne les richesses d’un pays au profit d’une élite mafieuse ? À travers l’enquête de Marcelo l’auteur nous donne une image détestable d’un Portugal décadent gangréné par la corruption.
Le style de l’auteur est informatif et descriptif. Il installe une certaine distance par rapport aux personnages qui fait qu’on a du mal à se sentir en empathie avec eux. Bien qu’il s’agisse de dangers, de menaces et de morts, on ne ressent que très peu la tension et le suspense. Bref le style est celui du journaliste plutôt que du romancier.
Château de cartes est un roman bien documenté, édifiant sur un Portugal pillé par les prédateurs financiers. Dans cette fiction la partie réelle observée prédomine sur la partie imaginée.
Extrait :
La voix de Marcelo devint plus douce, il décida de dire ce qu’il estimait nécessaire d’être dit, pour clarifier les positions, de façon constructive, et aussi rapidement que s’il devait aller urgemment aux toilettes. Il avait envie de fumer une cigarette, chose qu’il faisait rarement. Cependant, il n’eut pas le courage de demander s’il pouvait le faire, malgré la présence du cendrier sur pied à côté de Gomes da Silva et de l’odeur de cigare qui flottait dans l’air.
— J’ai eu quelques exigences : une voiture, un chauffeur, une assurance santé… Je ne parlerai pas de salaire, ce serait manquer d’élégance. Mais surtout, j’ai exigé de l’autonomie et une indépendance totale. On m’a demandé de faire le travail que vous, Gomes da Silva, ne faites pas depuis dix ans, à savoir depuis qu’existe l’organisme que vous présidez. L’ESF a une autonomie financière mais aucun budget, elle prélève des taxes lucratives, mais elle est incapable d’attraper le moindre contrevenant, le moindre criminel, même les transferts suspects n’ont pas abouti à la moindre condamnation depuis que vous dirigez ce bordel. Je n’ai pas besoin de vous rappeler quel est votre travail, bien que je pense que quelqu’un devrait le faire. Je vois que vous avez plein d’informations sur ma vie. De mon côté, je sais peu de choses sur vous : apparemment, vous pensez que vos missions consistent à vous rendre à Londres en classe business ou en jet loué aux frais de l’État, essayer des costumes sur Savile Row, toujours avec l’argent des contribuables, acheter des bijoux à votre femme avec la carte de crédit de l’Institut, rapporter à vos enfants des ordinateurs portables et des téléphones de l’Institut et accueillir des prostituées dans l’appartement que l’Institut réserve aux visiteurs officiels. Sans parler de la stupidité suprême d’attribuer des contrats de nettoyage à l’entreprise de votre frère qui, contrairement à vous, est à moitié imbécile.
Niveau de satisfaction :
(4 / 5)