Un été rouge sang – Wayne Arthurson

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2015 (Blood Red Summer)
Date de publication française : 2022 (Alire)
Traduction :
Pascal Raud
Genre :
Noir
Personnage principal :
Leo Desroches, journaliste

Comment faut-il être disposé pour apprécier ce roman, le troisième (et dernier) de la série Leo Desroches ?[1] Pas vraiment un roman d’enquête : Leo cherche un peu à connaître l’identité du mort, mais ses entrevues ne vont pas très loin. Un thriller ? Pas vraiment non plus parce que, même si Leo affronte, bien malgré lui, le terrible gang de rue autochtone Redd Alert, on sait bien qu’il va s’en sortir. Un roman du terroir ? Peut-être bien, sauf que le terroir en question ici c’est la ville d’Edmonton. Peut-être aussi un roman psychologique parce que tout tourne autour de Leo, et une bonne partie de la réalité qui nous est présentée est filtrée par ce journaliste loser qu’est Leo Desroches. Bref, malgré le titre, on ne doit pas s’attendre à un véritable roman policier.

Leo Desroches est dépendant du jeu; ça lui a coûté sa femme et ses enfants, ses amis (s’il en a déjà eu), son logement (il a vécu longtemps dans la rue), et sa réputation : il vient de passer près d’un an en prison pour avoir tué en légitime défense un policier tueur en série. En principe il est donc innocent, mais tout le monde se méfie de lui. Lui le premier. Par contre, ses expériences lamentables rendent possible la réalisation de reportages originaux et risqués, qui garantissent (pour le moment) sa place au journal. La crise que traversent les journaux (un peu partout dans le monde) est d’ailleurs fort bien décrite, l’auteur ayant été lui-même journaliste. Les gens ne lisent plus beaucoup; ils regardent plutôt la télé, leur tablette, leur téléphone ou leur ordi.

          Hors de la prison, Leo retrouve avec plaisir les moustiques qui envahissent la ville d’Edmonton en été, et les orages spectaculaires fréquents en automne. En captant sur vidéo la négligence des travailleurs chargés de transporter le corps d’une victime de surdose, Leo ramasse un sachet tombé de la housse mortuaire. Il croit d’abord qu’il s’agit d’une sorte de drogue, mais finit par apprendre que ces cailloux sont en réalité des diamants. Le mort, Trevor Duplessis, travaillait d’ailleurs comme technicien de forage dans les mines de diamants du Nord canadien.

Certains de ces diamants sont remis à la police; Leo cache les autres dans le tiroir de bureau d’un collègue au journal et finit presque par les oublier. Mais quelqu’un, apparemment, sait que le sachet contenait plus de diamants que ceux qui ont été remis à la police. C’est le gang du Redd Alert qui est chargé de les récupérer et qui fait passer un mauvais quart d’heure à Leo. Il s’en tire une première fois mais, quand on menace de s’en prendre à son amie Mandy, il décide de livrer les diamants au gang. Sauf que, à partir de ce moment-là, Leo ne sert plus à rien et on ne voit pas pourquoi on ne s’en débarrasserait pas.

Certains lecteurs se sont attachés à Leo, ce n’est pas mon cas : Leo se morfond continuellement, est hanté par une certaine culpabilité sans faire grand-chose pour s’en sortir, a un gros ego qui rend difficiles ses relations avec autrui et, dans ce cas-ci, me semble avoir perdu une partie de sa mémoire et de son intelligence : il ne comprend pas pourquoi des gens veulent récupérer les diamants qu’il a presque oublié qu’il avait encore !? D’autres aspects, toutefois, rendent la lecture intéressante : d’abord, tout ce qui tourne autour du fonctionnement des grands journaux d’une métropole. Puis, la ville d’Edmonton elle-même et ses habitants qui s’efforcent de fuir la ville l’été à cause de la chaleur et des moustiques, et l’hiver à cause du froid et de la neige. Pour un Montréalais du Québec, le rapprochement s’impose. Enfin, la présence des Autochtones et les conditions qu’on leur a imposées sont moins commentées ici que dans les deux premiers romans de la série, mais des analogies avec le Québec s’imposent ici aussi : par exemple, on songe à rebaptiser l’ « été des Indiens » en  « été des Autochtones » !  Je suis surpris que cette proposition n’ait pas encore été faite au Québec.

Bref, mon intérêt principal dans la lecture des romans d’Arthurson me paraît être d’ordre historique.

[1] J’ai commenté les deux premiers : L’Automne de la disgrâce (janvier 2022) et Un hiver meurtrier (juin 2022).

Extrait :
– Comment tu veux faire ça ? a demandé Robert.
J’étais confus. Me parlait-il à moi ou parlait-il au chef ? Je me suis tourné vers Robert, qui me regardait. Le chef, lui, était appuyé contre la voiture, près du coffre.
Quoi ? ai-je demandé. C’est à moi que tu parles ?
Ouais, je te demande comment tu veux faire ça. Tu veux te retourner et que je te tire dans le dos ou bien tu veux être de face ?
Je ne sais pas. Ce qui t’arrange, j’imagine.
Je n’arrivais pas à croire que j’avais cette conversation. Comme deux amis discutant du film qu’ils voulaient aller voir.
C’est du pareil au même pour moi. Je peux te tirer de dos ou de face.
La simplicité de sa réponse m’a glacé le sang. Et j’ai compris qu’on y était. J’étais sur le point de mourir et je n’y pouvais rien. Certains disent que ce genre de pensées est libérateur, mais ce n’était pas le cas. C’était terrifiant au point de me paralyser. J’ai essayé de penser à quelque chose d’important, un souvenir à emporter avec moi, des paroles mémorables à prononcer, mais je ne parvenais pas à dépasser le constat que j’allais mourir. Là, tout de suite.

High Level Bridge (Edmonton)

Niveau de satisfaction :
3.8 out of 5 stars (3,8 / 5)

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