Le dernier étage du monde – Bruno Markov

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2023 – Anne Carrière
Genres :
Thriller, high-tech, sociétal
Personnage principal :
Victor Laplace, brillant développeur et consultant d’un grand cabinet conseil

Victor Laplace est en guerre. Il veut la tête de celui qui a poussé son père au suicide. Il a une stratégie pour cela : s’infiltrer dans le cabinet conseil qu’a monté son ennemi, apprendre ses méthodes, étudier l’adversaire et le moment venu, l’attaquer pour l’abattre. C’est donc progressivement que Victor approche Stanislas Dorsay, le fondateur de B&G Disrupt, un cabinet spécialisé dans les hautes technologies : intelligence artificielle, neurotechnologies, réalité virtuelle … Et comme c’est un cador dans la création des algorithmes, il ne tarde pas à se faire remarquer par ses compétences. Mais dans un monde où le talent vaut moins que l’entregent, Victor doit aussi assimiler les codes de conduite en vigueur chez les consultants pour faire partie du sérail, il doit améliorer son savoir-être. Il apprend vite, commence alors pour lui une ascension rapide vers les plus hauts étages du monde où se décide l’avenir.

L’auteur qui a été consultant en stratégie connait très bien le monde des cabinets conseils et des entreprises qui les utilisent. Il nous donne une vision sombre de ce milieu économique et financier. C’est à travers la transformation de Victor Laplace, jeune homme réservé et timide, marqué par deux épreuves successives : son père s’est suicidé et dans la foulée son amoureuse l’a plaqué, que commence la description de ce microcosme. Pour s’imposer Victor doit devenir un autre homme : un être qui sait utiliser toutes les ficelles de la séduction, un conquérant sans sentiments, qui se contrôle en permanence, un dominateur. Il devient Victor Newman, un membre de l’espèce dominante.

Le monde décrit dans ce roman n’est pas très désirable. C’est celui de la compétition permanente, de la domination, c’est le Game, le grand jeu de la manipulation. Gagner encore plus d’argent, devenir enviable, booster sa carrière, doper ses ventes, muscler son réseau, cultiver sa valeur. Séduire les grands patrons et les jolies filles, c’est aussi le Game. Mais surtout pas de sentiments qui pourraient affaiblir la performance. Amour et amitié sont une perte de temps. La séduction et le sexe font partie de la stratégie de domination. La seule parole d’évangile est : baisez-vous les uns les autres dans un univers totalement déshumanisé.

Le monde que ces gens-là nous préparent n’est pas plus enviable que celui dans lequel ils vivent : « Tôt ou tard, on réduira tout le réel en équations. On estimera le prix des nuages et du vent, des forêts et des mers, on calculera le risque, la valeur ajoutée de chaque centimètre cube de matière et d’énergie sur terre. Tout le vivant sera mis au travail, intégré à nos business plans, comme aujourd’hui déjà la plupart des hommes, des animaux et des plantes. » C’est effrayant, mais pas si improbable.

Le dernier étage du monde nous décrit de l’intérieur un monde bien réel mais l’intrigue est romanesque et les personnages imaginaires. Ce livre est édifiant sur les pratiques des consultants chèrement rétribués par des financiers, des économistes et des politiques qui préparent un avenir inquiétant. A lire absolument pour comprendre les enjeux du futur.

Extrait :
— C’est notre déni de cette obsolescence, notre ignorance sélective à nous, les « élites », qui alimentent la colère des foules, cette marée noire qui s’embrase sous nos yeux. Et tant que nous refuserons d’admettre que la fête est finie, nous continuerons de faire élire des guignols et despotes en puissance qui se nourrissent de ce ressentiment.

Autour de la table, tout le monde acquiesce avec déférence, même ceux qui ne sont pas d’accord. La valeur nette – net worth pour les intimes – de ce type est supérieure à celle de tous les convives réunis. Alors il pourrait proclamer que la Terre est plate, le consensus serait à peu près le même. Quant à moi c’est simple, je bois ses paroles. Son discours me fait l’effet d’une révélation : il est donc possible, n’en déplaise à Patrick, de critiquer les règles du jeu sans y perdre, de réussir sans devenir un parfait connard. En deux phrases, Chris Murray vient de réhabiliter le modèle que mon père incarnait à mes yeux, dans ses belles années. Un ingénieur ne cherchant pas à se travestir en homme d’affaires, préférant l’intelligence au savoir-être… Un exemple à suivre. Je ne me suis jamais senti aussi fier d’être connecté à quelqu’un sur LinkedIn.

Niveau de satisfaction :
4.4 out of 5 stars (4,4 / 5)

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