Par Raymond Pédoussaut
Date de publication originale : 1958
Date de publication française : 2010 (Passage du Nord-Ouest)
Genre : Western
Personnages principaux : Clay Blaisedell, tireur d’élite et marshal – Tom Morgan, ami de Blaisedell – John Gannon, shérif adjoint à Warlock
Warlock est une petite ville du sud des Etats-Unis, près de la frontière mexicaine. En cette année 1880, les habitants en ont marre de subir les déchainements de violence d’une bande de cowboys commandés par McQuown. Ils ont chassé le précédent shérif et ils font régner la terreur. Les notables de la ville, regroupés en un comité des citoyens, décident de faire appel à un expert dans le maniement des armes et de le payer pour assurer un minimum d’ordre et de calme, ce que les autorités officielles trop éloignées sont incapables de faire. Clay Blaisedell est une légende à la gâchette rapide. Un écrivain lui a offert deux colts aux crosses d’or pour célébrer ses exploits. Blaisedell accepte la proposition des gens de Warlock, il est nommé marshal avec pour mission de contrôler les hommes de McQuown. Dans un premier temps le nouveau marshal rétablit l’ordre avec maîtrise et sans effusion de sang. Il devient un héros. Mais petit à petit les choses évoluent, les habitants veulent un état de droit officiel et pas seulement la protection d’un mercenaire, lui-même au dessus des lois. D’autant plus que l’ami du marshal, Tom Morgan, s’attire la réprobation de tous par son comportement cynique et méprisant.
Dans Warlock il est question du passage de la loi du plus fort à celle de l’état de droit. Les gens ont vécu jusqu’ici sous le règne des truands organisés en bande. Le dernier shérif a été chassé par les voyous sans que personne n’ait tenté de s’y opposer. La honte et la culpabilité pèsent sur les habitants. L’absence de lois et de l’autorité pour la faire respecter, outre qu’elle rend difficile la vie sociale, crée la peur et l’angoisse. Pour y remédier on fait appel à un redresseur de torts, un homme capable d’affronter les bandits, dont on attend beaucoup … beaucoup trop !
Un autre aspect du livre est la partie sociale. La principale richesse de Warlock est sa mine d’argent. Les mineurs y sont exploités dans des conditions de travail précaires. Quand la mine devient moins rentable, les exploitants baissent les salaires. Les mineurs tentent de former un syndicat et la direction recrute une bande de malfrats appelés «les régulations» pour mettre au pas, par la force, les agitateurs.
Les personnages ne sont pas les clichés habituels du western. Le roi de la gâchette, Blaisedell, préfère épargner ses adversaires quand il le peut. Ce n’est pas un tueur froid, il a ses propres failles. Son ami, Tom Morgan, est un personnage ambigu et cynique, détestable pour la plupart des gens, capable à la fois des pires actes mais aussi de la plus grande abnégation. Le shérif, John Gannon, ancien membre de la bande à McQuown, homme disgracieux et gauche, se révèle être courageux, très conscient des devoirs de sa fonction et défenseur intraitable du droit. Les femmes sont tout aussi complexes. La jeune Jessie est l’Ange de Warlock, elle soigne et nourrit les mineurs blessés ou en grève. Elle entretient une relation amoureuse un peu étouffante avec Blaisedell, elle tente d’en faire une statue de plâtre selon Morgan. On se demande ce qui a amené l’énigmatique Kate Dollar à Warlock. Ses relations avec le shérif Gannon et avec Tom Morgan sont assez troubles. Ces personnages ténébreux donnent au roman une dimension épique et la partie finale tourne à la tragédie classique.
Si vous avez en tête l’image un peu simpliste du western, propagée par bien des films du genre : le bien d’un côté, le mal de l’autre et les bons qui gagnent à la fin, lisez Warlock. C’est un livre qui a de l’épaisseur, dans tous les sens du terme : il est complexe, profond et il fait 750 pages. Il redonne au western toute sa dimension humaine. C’est la légende de l’Ouest américain revisitée de façon réaliste.
A noter une longue préface de Rick Bass et une quatrième de couverture rédigée par Thomas Pynchon. Ce roman a inspiré le film éponyme de Edward Dmytryk avec Henry Fonda, Richard Widmark et Anthony Quinn. Le titre français du film est L’homme aux colts d’or.
Extrait :
Les enfants terribles se sont donc défoulés, s’étant livrés à leurs combines en chassant de la ville un honnête homme, avant d’assassiner un pauvre type sans défense dont le rasoir a glissé parce qu’il était mort de trouille.
S’agissant de Canning, nous n’aurions rien fait de toute façon, car son humiliation est aussi la nôtre. McQuown connaît notre lâcheté, il compte dessus, il nous méprise et il a raison. Collectivement, nous nous méprisons nous aussi. Mais comme cela s’est passé pour Canning, un acte insignifiant pourrait bien mettre en branle des forces hostiles à Abe McQuown. La mort de notre coiffeur en a refroidi plus d’un et une détermination nouvelle s’est emparée de nous, telle que je n’en avais jamais ressentie auparavant. Nous n’avons pu dire notre indignation face à l’humiliation de Canning, qui fut aussi en grande partie la nôtre. Mais nous demandons justice et crions notre colère contre les assassins du coiffeur.
Le comité des citoyens se réunit officiellement ce soir pour discuter de la paix et de la sécurité en ville — non par souci de justice, mais parce qu’il est raisonnable de procéder ainsi. Si la ville sombre dans l’anarchie, la violence ou l’homicide, nous, ses marchands, serons entraînés dans la tourmente. Il faut espérer qu’à cette occasion, le comité des citoyens saura serrer les rangs et agir en conséquence.
Bande annonce (VO) de L’homme aux colts d’or (1959)
Ma note : (4,5 / 5)
Le Film
Quelques mots sur le film L’homme aux colts d’or que je viens de revoir après la lecture du livre :
– D’après Bertrand Tavernier L’Homme aux colts d’or est un excellent film. Entre parenthèses, Bertrand Tavernier semble ignorer que le scénario du film est inspiré du livre de Oakley Hall, il fait l’éloge de Robert allen Arthur, le scénariste du film, comme si celui-ci avait écrit entièrement le scénario, sans pomper le bouquin. J’aurais probablement été de même avis que Tavernier si je n’avais pas lu Warlock. J’ai eu l’impression que le film était une version incomplète et édulcoré du livre. On y retrouve les grands thèmes : le remord, la culpabilité, la vengeance, le besoin de lois, mais en plus superficiel. La partie sociale concernant les travailleurs de la mine est complètement absente. Le film se concentre sur la psychologie des personnages.
– Les acteurs ne ressemblent pas à l’image qu’on se fait des personnages à la lecture du livre. Blaisedell est grand, blond avec les cheveux sur les épaules et une moustache tombante qui encadre sa bouche. Pas vraiment le distingué Henry Fonda. Il en est de même pour les autres personnages : la brune aux yeux noirs se retrouve blonde aux yeux bleus par exemple. Quand à Anthony Quinn qui joue le rôle de Tom Morgan, il est affublé d’un boitement qui n’existe pas dans le roman. Ce boitement le fait passer pour un infirme aux yeux de tous sauf à ceux de Blaisedell. L’amitié de Morgan pour Blaisedell est basée sur ce fait d’être considéré comme normal par son ami. C’est pour lever l’ambiguïté de l’attachement de Morgan à Blaisedell que le scénariste du film a inventé cette infirmité. En 1959, dans le western, il n’était pas question qu’on puisse penser à un attachement amoureux entre hommes. Dans le livre la relation Blaisedell-Morgan est plus complexe, plus profonde et bien sûr plus équivoque.
Un bon film quand même, avec de grands acteurs, que l’on appréciera mieux si on n’a pas lu le livre, sinon on ne pourra s’empêcher de ressentir un goût d’inachevé.
Ahahahahaaha, comme je le disais, je le possède dans ma PAL, en version Rivages/Noir et je vais faire en sorte de ne pas le laisser moisir sur mes étagères… mais j »ai une sacré pile à lire déjà rien qu’en nouveautés de ces trois premiers mois et des nouveautés de 2014 qui n’en sont plus ! 😀
Ce serait dommage de laisser ce bouquin moisir sur les étagères, surtout pour une amatrice de westerns comme toi.