Le candidat idéal – Ondine Millot

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2021 – Éditions Stock
Genre :
Enquête journalistique
Personnages principaux :
Joseph Scipilliti, avocat – Henrique Vannier, bâtonnier

« Joseph, tu vas m’achever. Épargne mon visage, s’il te plaît, pour mes enfants, pour qu’ils puissent me dire au revoir. » C’est ce que dit Henrique Vannier à son collègue avocat, Joseph Scipilliti, qui vient de lui tirer trois balles dans le corps. Vannier ajoute : « Joseph, pense à mes enfants. Au moins ça, le visage. Ou bien laisse-moi la vie. » L’agresseur s’assoit dans un fauteuil, face au blessé, le regarde longuement, soulève son arme, la retourne sur lui-même et se tire une balle dans la bouche. Deux morts dans le palais de justice de Melun, ce jeudi 29 octobre 2015, annoncent les médias. Cependant Henrique Vannier survivra à ses blessures. La journaliste Ondine Millot était sur les lieux, pour une autre affaire, elle est choquée, mais ne cède pas à l’effervescence qui agite les autres reporters. Elle lit le texte posthume laissé par Scipilliti, publié sur internet, le journal indélicat. Elle décide alors d’essayer de comprendre l’origine de la violence qui a amené un avocat de tenter d’en tuer un autre avant de se donner la mort.

La lecture du journal indélicat laissé par Scipilliti est une longue suite d’accusations et de diatribes pleines de rancœur contre le monde entier, mais surtout contre son milieu professionnel, celui de la justice. Cet avocat s’imagine que les institutions veulent le soumettre et le réduire à l’impuissance. Il se présente comme un résistant à un pouvoir inique. Le bâtonnier Henrique Vannier concentre son ressentiment. Il voit en lui le candidat idéal, sans préciser à quoi. Pour l’accompagner dans la fin tragique qu’il envisage probablement. Outre la paranoïa, il ressort de ce document posthume la grande souffrance et la solitude subies par son auteur.

Dans son enquête, Ondine Millot est allée à la rencontre des familles, celles de la victime et de son agresseur. Ces familles ont beaucoup de points en commun : une origine italienne, modeste, des enfants nombreux et parmi eux un qui sort du lot, l’intellectuel de la famille. C’est Henrique pour les Vannier et Joseph pour les Scipilliti. Tous les deux deviennent avocats. Henrique va s’épanouir dans son métier, il est élu bâtonnier pour la deuxième fois, apprécié par ses pairs, il incarne le succès. Joseph, brillant aussi dans ses débuts, va peu à peu s’enfoncer dans la solitude et la dépression. Il est rejeté par ses confrères, il incarne l’échec. Deux trajectoires parallèles qui vont aboutir à des points opposés.

L’autrice raconte ses entretiens avec les membres des deux familles qui l’ont acceptée quand elles ont compris que sa démarche était de comprendre et d’expliquer, sans juger ni prendre parti. C’est souvent émouvant, parfois douloureux quand on perçoit la souffrance de Joseph Scipilliti qui s’enfonce dans la solitude et la maladie mentale sans que personne ne puisse l’aider.

Le candidat idéal est une enquête poignante sur l’autodestruction d’un individu, parachevée par une tentative de meurtre sur un homme qui lui ressemblait beaucoup au départ. Un homme qu’il aurait pu devenir.

Extrait :
Dominique Attali, l’ami fidèle de Joseph à Melun, est sans doute celui qui y a le plus réfléchi. Il connaît Henrique Vannier, l’estime et l’apprécie. Il est persuadé qu’il n’est pas le tourmenteur que le Journal décrit. « Au contraire, me dit-il, il a fait tout ce qu’il pouvait pour aider Joseph. Dans la vie, arrivé à un certain point, soit on considère que l’on est responsable de ses propres échecs, soit on pense que l’on est une victime. Joseph a fait le second choix. Il lui fallait un coupable. C’est tombé sur Henrique Vannier, parce qu’il était là, mais aussi sans doute parce que Joseph a reconnu en lui ce qu’il aurait pu devenir. Il y avait des similitudes entre eux : deux hommes brillants, intelligents, issus de milieux modestes, qui se sont faits tout seuls. Ce potentiel que Joseph possédait également, Henrique Vannier a réussi à le faire fructifier. Il a monté rapidement son cabinet, qui tournait très bien, est devenu bâtonnier. Il représentait la réussite professionnelle et l’ascension sociale auxquelles Joseph avait les capacités de prétendre. »

Niveau de satisfaction :
4.1 out of 5 stars (4,1 / 5)

 

 

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