Par Raymond Pédoussaut
Date de publication originale : 2022 au Canada par les éditions Fides sous le titre Tous des loups [1]– 2024 en France par Les Presses de la Cité
Genres : Grands espaces, roman noir
Personnage principal : Matthew Callwood, jeune policier
Matthew Callwood, jeune policier de 24 ans, est envoyé dans un petit village du nord du Canada pour prendre la relève de celui qui vient de passer deux ans dans ce trou perdu et qui est ravi de le quitter. Matthew est d’abord étonné qu’il y ait si peu à faire. Les autochtones, les indiens Cris, n’ont que faire des policiers, ils ne font jamais appel à eux. Les policiers sont occupés à fumer, à boire et profiter des faveurs de la prostituée locale, ils laissent faire sans broncher les petits trafics, notamment celui de l’alcool. Matthew a lu dans les rapports qu’un criminel qui a tué sa femme et son enfant se cache dans la forêt sans être inquiété. C’est pour lui inadmissible, aussi il décide de traquer le meurtrier, cela justifiera la présence de la police dans ce lieu. Le jeune homme a sous-estimé la difficulté : l’immensité des espaces, les forêts, les lacs, les marécages, les intempéries et un fugitif qui connaît parfaitement le terrain rendent la traque bien plus difficile et dangereuse que prévu.
Le personnage principal, Matthew Callwood, est un jeune homme de bonne famille, policier fraîchement nommé, plein de bons principes, il a une haute opinion de son métier. C’est un idéaliste au sens moral élevé, un peu trop rigide et assez naïf. Droit dans ses bottes, il détonne parmi ses collègues plus expérimentés qui préfèrent l’oisiveté et la tranquillité. Fini le laxisme avec l’arrivée de Matthew ! Il secoue le cocotier, en commençant par s’en prendre aux trafiquants d’alcool, ce qui lui vaut de se faire des ennemis redoutables. Ensuite il décide de capturer cet assassin qui hante la forêt et que les gens croient voir un peu partout, sans que l’on sache si c’est la réalité ou une légende. La vérité du terrain va balayer ses illusions, son apprentissage sera difficile et dangereux. Il restera jusqu’au bout courageux, mais complètement transformé, il a été amené à faire ce qu’il pensait ne jamais pouvoir faire. Outre Matthew Callwood, nous trouvons dans ce roman des personnages secondaires forts intéressants, notamment – un présumé meurtrier, finalement plus humain que certains policiers racistes et violents – une prostituée familière et maternelle – un noble britannique complètement illuminé – un juge, le père de Matthew, froid et sentencieux – des trafiquants, violents et cruels … et quelques autres.
Le cadre du roman est la mission Saint-Paul, perdue dans le Grand Nord canadien. L’action se situe en 1914. Le Canada était alors un dominion autonome de l’Empire britannique, il obéissait aux lois de l’Empire. Quand la guerre éclate en Europe, le Canada entre aussi en guerre, des milliers de Canadiens partent sur le front européen. C’est vu comme une bénédiction par les policiers de la mission : ils espèrent s’extraire de ce trou pour aller se battre en Europe et devenir des héros. Leur espoir sera déçu. Faute de guerre, il reste la traque du criminel qui rôde dans la forêt. Ce n’est pas une sinécure : en plus du terrain difficile, il y a le climat extrême. À la chaleur, les moustiques, les mouches, succèdent le brouillard, la pluie, puis la neige, la glace, les ours et les loups. Quant au fugitif, il se montre beaucoup plus habile qu’eux.
À la lisière du monde, outre une qualité d’écriture indéniable, se distingue par des personnages originaux et crédibles, des paysages immenses et impitoyables. C’est un roman très réussi.
[1] Voir l’article de mon collègue Michel Dufour Tous des loups
Extrait :
Le soir, ils se privaient de repas chaud, pour ne pas trahir leur position. Ils allumaient seulement quelques brindilles à l’aube pour préparer le thé, qu’ils versaient dans leurs bidons et buvaient froid, le soir venu. La nuit, ils montaient la garde à tour de rôle, le doigt sur la détente. Quand ils fumaient, ils mettaient les mains en cornet pour cacher le bout embrasé de leurs cigarettes. Beaucoup de précautions pour rien. Corneau ne daignait pas les attaquer. Tous les soirs, la même discussion reprenait dans la tente sombre et suintante d’humidité.
— Il a planqué sa famille quelque part, disait Suchenko, de plus en plus amer. Il ne pourrait pas se promener comme ça avec une femme et deux enfants.
— Corneau va nous mener jusqu’au pôle Nord, disait Harvey.
Matthew consultait ses notes.
— Je ne crois pas, non. Il nous fait faire une boucle. Un de ces jours, on va revenir sur nos balises.
— Il joue à quoi ?
— C’est évident, non ? grognait Suchenko. Il va nous balader jusqu’à l’automne. Puis il va disparaître. Et nous, on va crever de faim.
Niveau de satisfaction :
(4,5 / 5)