Un auteur : P.D. James

Par Michel Dufour

• Nationalité : britannique. pdjames-2
• Autres occupations : Ministère de l’Intérieur (1968-1979) et magistrat (section juridique de la police criminelle) (1979-1984); gouverneur de la BBC (1988-1993).
• Premier roman publié : A visage couvert (1962)
• Personnage vedette : Commander Adam Dalgliesh (New Scotland Yard)
• Lieux de prédilection pour ses intrigues: Angleterre
• Genre(s) de prédilection : procédure policière classique.
• Prix : En France, elle obtient le Grand prix de littérature policière en 1988 pour Un certain goût pour la mort.
• Auteurs apparentés : Dorothy Sayers, Graham Greene
• Site officiel : P.D. James

PD James s’est éteinte dans sa demeure de Holland Park, le 27 novembre 2014, à 94 ans.
Rares sont les amateurs de polars qui n’ont pas lu au moins un PD James depuis 50 ans. Pourtant, elle n’a pas tellement publié : 14 romans dans la série du commissaire/Comander Adam Dalgliesh; 2 Cordelia Gray, détective privée; une autobiographie; quatre autres romans, dont le magnifique La mort s’invite à Pemberley, en 2011, hommage à Jane Austen qu’elle aimait beaucoup. Née en 1920, épouse en 1941 d’un médecin de la Royal Army qui reviendra traumatisé de la guerre en Inde, travailleuse en administration médicale, puis fonctionnaire au Ministère de l’Intérieur, elle se met à écrire des romans policiers plutôt classiques dans les années 60 et apparaît assez rapidement comme la digne représentante moderne du polar anglais, plus bourgeois que l’écossais (Rankin, McDermid), plus pétri de culture que l’américain. Ou comme l’héritière naturelle d’Agatha Christie, ce qui est peut-être exact en termes d’importance ou de prestige, mais pas pour ce qui est du style. Même si Christie continue de produire dans les années 60, elle répète un peu la recette qui lui a valu le succès que l’on sait à partir des années 20 : le roman-puzzle, le whodunit, où les complexités de l’intrigue et les bizarreries contextuelles du crime sont confrontées au génie du détective. C’est le jeu du défi, comme celui qu’Ellery Queen aimait bien lancer à ses lecteurs. Le roman d’après-guerre rompt avec cette tradition; du moins, s’il n’a rien contre les intrigues bien ficelées, il ne s’en contente plus. Le polar-puzzle paraît soudain un peu chétif, ce qui apparaît clairement dans quelques romans décharnés du brillant John Dickson Carr. James prend ici ses distances avec la reine du crime : «Agatha Christie était la reine des énigmes, mais elle se fichait complètement de l’écriture. Moi, j’essaie de trouver l’équilibre entre le style, l’intrigue et l’étude de caractère».

PARIS : Phyllis Dorothy James.PD James s’inscrit dans la tradition de la littérature policière au sens où elle utilise quatre ingrédients classiques : une mort mystérieuse; un ensemble de suspects ayant, pour tuer, des motifs suffisants, des moyens adéquats et des occasions propices; une enquête menée par un policier ou un détective; et une solution susceptible de convenir à tous les indices que l’auteur a semés au cours de l’histoire. Le roman policier appartient à la littérature, comme n’importe quel autre genre, depuis qu’il ne se borne plus à des jeux logiques, puisque l’auteur doit construire une véritable histoire, peuplée de personnages psychologiquement crédibles, qui se déroule dans des lieux vraisemblables géographiquement et architecturalement. Ce parti pris en faveur du réalisme impose souvent à l’auteur des recherches minutieuses. De plus, l’auteur doit tenir compte (s’il ne s’agit pas d’un roman historique) de la transformation de la société et des mœurs : violence plus répandue, sexualité plus explicite, valeurs plus ambiguës, rôles sociaux permutables…
Ce qui fait que le roman est réussi ou pas, c’est la sauce qui lie tous ces éléments, c’est-à-dire la façon dont l’histoire est construite. Selon PD James, c’est la partie la plus excitante pour l’auteur, la dimension vraiment créatrice. C’est un moment où beaucoup de travail a déjà été accompli. James commence par imaginer un espace relativement clos, souvent à partir d’un site qu’elle a fréquenté dans la vie réelle : un Centre de psychothérapie (Une folie meurtrière, 63), une école d’infirmières (Meurtres en blouse blanche, 71), un collège de formation en théologie (Meurtres en soutane, 2001), une île (Le Phare, 2006). Décrire ce décor, c’est déjà créer une atmosphère, un paysage mystérieux, des couloirs sombres, des odeurs inquiétantes, des objets menaçants. Dans cette ambiance vivent des personnages au passé secret, au présent furtif et aux projets difficilement pénétrables. Plus on les voit agir, plus on soupçonne leurs désirs contradictoires, leurs passions incompatibles (Freud est passé par là). En développant leurs trajectoires, les motifs se multiplient et le crime en découle naturellement. Intervient alors un enquêteur pour démêler tout ça, qui doit être pratiquement plus versé en psychologie qu’en arts martiaux. C’est précisément le cas d’Adam Dalgliesh, poète à ses heures, commissaire de New Scotland Yard, auquel James prête les qualités qu’elle admire chez un homme : la sensibilité, le courage et l’intelligence. Meurtri par la mort prématurée de sa femme et de son enfant lors de l’accouchement, c’est un homme mûri par la douleur, fin observateur, habile stratège même s’il lui arrive de se tromper, bon meneur d’hommes et de femmes, qui boucle ses enquêtes plus facilement que sa vie.

PD James se dit influencée par Jane Austen, Dorothy Sayers, Graham Greene et Evelyn Waugh. Austen et Greene, c’est sérieux ça! Qu’on ne s’attende pas à passer à travers un de ses romans au cours d’un trajet France-Nice par Tgv, ou même Montréal-Toronto par Via-Rail. Comme un grand vin, ça se déguste lentement. L’action est lente, les détours psychologiques intéressants et abondants, les états d’âme impitoyablement mis à nu. Il faut prendre son temps. Profiter de l’atmosphère et en jouir au point où la crainte d’en sortir l’emporte sur la hâte d’élucider la situation problématique. James cite James (Henry, celui-là) : « L’objectif d’un roman est d’aider le cœur humain à se connaître soi-même ». C’est certain que les polars de PD y contribuent. Écriture travaillée, techniques narratives sophistiquées, densité des personnages, élaboration magistrale des atmosphères, telles sont les caractéristiques des polars de PD James. Ils sont à M H Clark ce que l’opéra est à l’opérette.

Grand merci, dame James, pour ces heures de pur plaisir.


➡ Chronique sur ce blog : La mort s’invite à Pemberley

➡ Chronique publiée en décembre 2010 sur le site Le club des Polarophiles québécois :

Une mort esthétique (The Private Patient)

Par Michel Dufour

unemortesthetiqueDate de publication : 2008 (The Private Patient)pdjames-1
Date de l’édition française : 2009 (Arthème Fayard)
Genre : Procédure policière.
Personnage principal : commandant Adam Dalgliesh

C’est quand même assez étonnant que, à presque 90 ans, PD James produise encore des briques aussi solides. Et elle n’est pas du genre à ce qu’on lui dise : « Pour 90 ans, c’est pas si pire! ». Donc, peu importe l’âge, ce n’est, en effet, pas si pire! Avec un bémol : faut savoir dans quoi on s’aventure. Et cette Mort esthétique est moins facile que Le Phare, publié il y a cinq ans.

En un sens, pourtant, on retrouve ces assassinats mystérieux dans un lieu semi-clos. Semi-clos : dans Le Phare, l’essentiel se passait sur une île; ici, l’action se passe surtout sur le site d’un manoir dont une aile est transformée en clinique chirurgicale, loin de tout, et, après le premier meurtre, entouré de patrouilles chargées de surveiller tout ce qui en sort et de limiter tout ce qui veut y entrer, particulièrement les journalistes et autres types d’intrus. Mystérieux : on ne voit pas bien qui peut avoir intérêt à faire disparaître cette journaliste venue se faire enlever une cicatrice qui la défigure depuis son enfance. On ne comprend pas bien non plus comment il se fait que c’est l’équipe de Dalgliesh qui est chargée de l’enquête (une vague histoire de connexions), mais on ne s’en plaindra certainement pas, puisque c’est justement quand l’équipe arrive que les choses gagnent en intérêt.

Ce qui prend quand même 200 pages! Ce n’est pas une critique, plutôt une façon de préciser le genre. C’est de la vraie littérature. Pas un pseudo-polar poétique ou historique, comme j’en ai rencontré dernièrement. Il s’agit vraiment ici de littérature policière, mais c’est de la vraie littérature, au sens où le lecteur doit éprouver le plaisir qu’il y a à lire des phrases bien rythmées, des paragraphes construits avec élégance, des mots précis, une composition fluide et minutieuse, à la Balzac, au sens où peu de détails nous sont épargnés. Que ce soit dans la disposition des pièces du manoir (un plan du manoir et de son parc aurait été de mise), des vêtements de chaque suspect, des petits plats préparés à la cuisine, des états d’âme des principaux personnages, nous sommes au courant de tout. L’avantage, c’est de donner à l’intrigue un décor tellement concret qu’on peut presque le toucher et, aux personnages, une densité qui en fait plus que des squelettes ou des caricatures; l’inconvénient, c’est que l’action est lente et qu’on a l’impression que le jeu de l’élucidation passe vraiment au second plan. Les quelques rebondissements se produisent une fois que l’enquête est pratiquement terminée. Le premier, très habile et satisfaisant, illustre l’acharnement pour la vérité et la cohérence qui caractérise Dalgliesh; le deuxième montre que la vie continue au-delà de l’enquête pour les autres personnages; le troisième se produit au cours d’une heureuse cérémonie qui échappe à la contaminaton des malheurs récents grâce à une vision encourageante de la vie, qui évoque clairement, pour moi, le testament philosophique de Dame James.

C’est vrai qu’il y a de l’Agatha Christie là-dedans : une certaine atmosphère trouble, des personnages apparemment simples au passé lourd, des interrogatoires aimables et des fouilles précises qui mènent à des découvertes surprenantes. Mais, en moins ludique et en plus littéraire que chez Christie. Alors que Poirot apparaît comme un brillant démystificateur, Dalgliesh a la personnalité d’un poète (ce qu’il est d’ailleurs), beaucoup plus introvertie que spectaculaire. Chaque héros est conforme au style de son auteure. Pour lire PD James, il ne faut donc pas être pressé; il est utile de noter les principaux personnages et leurs relations; ne vous creusez pas trop la tête pour découvrir le meurtrier avant Dalgliesh; trouvez plus de plaisir à la lecture du roman qu’au dévoilement du problème. Autrement, essayez un autre auteur.

Ma note : 4 out of 5 stars (4 / 5)

 

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