On était des loups – Sandrine Collette

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2022 – Éditions de l’Épée
Genre :
Roman noir
Personnages principaux :
Liam, chasseur et trappeur – Aru, son fils de 5 ans

Quand Liam rentre chez lui après plusieurs jours de chasse, il voit tout de suite que quelque chose est anormal : son fils Aru ne court pas vers lui et il n’aperçoit pas sa femme Eva. Un peu plus tard il découvre Eva morte, tuée par un ours et Aru indemne, protégé par le cadavre de sa mère. Comme il considère que le monde sauvage dans lequel il vit n’est pas fait pour un enfant de cinq ans sans sa mère, il décide de confier son fils à son oncle et sa tante, n’imaginant pas un seul instant qu’ils puissent refuser. Mais l’oncle dit non. Dépité et furieux, obligé de ramener son fils avec lui, Liam entreprend un long voyage de retour pendant lequel il va ruminer des idées noires allant même jusqu’à imaginer le pire. Ce long périple sera celui de tous les dangers. Il va changer la vie du père et du fils.

Liam, le personnage principal du roman, est le narrateur. Il vit plus dans les bois qu’avec sa femme et son fils. Il a une idée bien précise du rôle de chacun dans la famille : lui, il porte les armes, il part chasser pendant une semaine ou plus en bivouaquant ou en dormant à la belle étoile. Il ramène à la maison la viande qui nourrira la famille. Dans les espaces sauvages dans lesquels il évolue il n’y a pas de place pour un enfant. Les enfants c’est le travail des mères. D’un côté il y a Liam avec ses deux chevaux dans les forêts traquant le gibier, de l’autre la maison avec son épouse et son fils. Liam est content de les avoir tant que ça ne change pas sa façon de vivre dans les montagnes et les forêts. Mais quand la mère meurt et qu’il se retrouve avec son fils sur les bras, Liam n’a qu’une idée : s’en débarrasser et le confier à quelqu’un d’autre. Quand l’opération ne marche pas et qu’il est obligé de s’occuper de son fils dont il ne sait que faire, il déprime et éprouve du ressentiment envers ce gosse qui le prive de sa liberté. Pourtant, il est discret ce gamin. Il ne se plaint jamais, c’est un taiseux comme son père qu’il s’efforce de ne pas contrarier. Il est attendrissant par son courage devant la cruauté dont peut faire preuve son père.

Les circonstances vont amener ce père si peu affectueux à évoluer pour finalement devenir un autre homme, avec d’autres valeurs. Ce roman décrit la métamorphose d’un géniteur individualiste en père avec tout ce que ça comporte de contraintes, de don de soi, de responsabilités et d’amour.

On était des loups est le livre de la transformation d’un homme sauvage et misanthrope en père protecteur et aimant. C’est écrit dans un style sobre avec une ponctuation minimale, en accord avec la personnalité fruste du narrateur. C’est un très bon roman, tout à fait recommandable.

Extrait :
Les accidents j’en ai vu j’en ai vécu je sais les aborder. Les accidents ça arrive toujours, c’est ça qu’on ne veut pas comprendre et ça ne sert à rien de vouloir les éviter, il faut apprendre à faire avec. On dit qu’il vaut mieux être à deux dans ce cas, moi je pense ça dépend qui est le deuxième parce qu’un môme comme le môme il peut que dalle pour toi et en plus une partie de ton énergie va servir à le protéger lui et sur ce coup tu auras tout perdu. À deux ça va si c’est Henry ou Mike, enfin des gars de la montagne c’est sûr ils t’aideront ; le problème c’est qu’avec moi ce n’est pas Henry ou Mike c’est le gosse. C’est la tragédie de la fragilité, ici on ne peut pas se permettre d’être fragile. Quand je regarde le peu de monde qui vit autour de moi ce n’est pas des petites natures et les enfants ça met trop de temps à devenir fort c’est aussi simple que ça. Alors encore une fois je pense qu’Aru et moi on serait plus heureux si on n’était pas ensemble, je veux dire je serais heureux s’il était heureux ailleurs. Seulement je n’ai pas réussi à le caser quelque part et c’est ma faille qu’il met au jour en étant là et c’est pour ça que je ne le supporte pas.

Niveau de satisfaction :
4.3 out of 5 stars (4,3 / 5)

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Dans les brumes de Capelans – Olivier Norek

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2022 (Michel Lafon)
Genre :
Thriller
Personnage principal :
Capitaine Victor Coste

Ce n’est pas un roman qui se lit distraitement. C’est exigeant, parfois chargé, complexe et exigeant. Et c’est très bien fait.

On a déjà vu en action le policier Coste (Code 93). Six ans plus tard, suite à une opération où un de ses hommes a été tué, Coste s’est exilé à Saint-Pierre-et-Miquelon, où il ne veut plus rien savoir de rien ni de personne. Or, une vieille amie de Coste, la magistrate Fleur Saint-Croix, en réponse à sa lettre de démission, lui avait proposé un nouvel emploi qu’il pouvait exercer seul dans sa maison de Saint-Pierre : officiellement surveillant des frontières; officieusement, recevoir et former dans sa maison isolée dans les hauteurs sur la pointe de l’île des témoins sous protection policière. Un tel témoin doit être éduqué psychologiquement pour savoir comment se conduire dans sa nouvelle vie : certaines règles doivent être respectées pour qu’il ne soit pas repéré. Ça serait le nouveau travail de pédagogue de Coste.

Cependant, Saint-Croix lui demande de traiter un cas particulier : on vient de retrouver  la neuvième victime  de meurtres en série, enfermée avec une jeune femme portée disparue il y a dix ans, vivante mais apparemment traumatisée : elle est prostrée, semble incapable de parler et il n’est pas clair qu’elle a toute sa tête. Coste doit essayer de la faire parler, de savoir, entre autres, qui l’avait enfermée dans cette cave où on l’a trouvée avec un cadavre. En deux mots, Coste a pour mission de lui réapprendre à vivre.

Coste accepte de s’y mettre. Mais comment se fait-il que celui qui l’avait enlevée il y a dix ans débarque dans l’île, découvre la maison de Coste, semble vouloir récupérer Anna, quitte à se débarrasser de Coste ? S’ensuit une série de rebondissements dont personne ne sortira indemne.

Le roman est dense et sérieux; il ne faut pas se presser pour bien assimiler tout ce qui s’y passe. Le début est lent : l’auteur installe ses pions et détermine le sens de la partie. Et, à la fin, on n’a pas l’impression qu’il y a cent pages de trop. Peut-être parce que l’auteur a eu le talent de nous faire connaître (je ne dis pas aimer) les quelques personnages principaux. Et surtout parce qu’ils dissimulent des situations problématiques mystérieuses qu’il nous faut finir par comprendre. Par ailleurs, et c’est un plus, la description de Saint-Pierre, de ses soleils et de ses brouillards, de son isolement et de son enfermement, renforcit la position tragique des protagonistes.

Bref, le lecteur se sent envahi par le mystère; son esprit exige le dénouement. Mais rien ne presse.

Extrait :
Un sol terreux, des couettes sales, deux fins matelas, un pot de chambre, des magasines datés, des boîtes de céréales et de gâteaux, des Tupperware vides entourés de mouches, des bouteilles plastiques d’eau et, sur le mur du fond, un robinet sur lequel était embouché un tuyau d’arrosage qui venait en hauteur s’enrouler autour d’un gros clou de chantier en une douche de fortune. Au milieu de tout cela, un corps immobile, allongé, les bras écartés, le visage écrasé contre le sol, entouré d’une couronne de cheveux bruns   (…)
On retourna précipitamment le corps pour prendre un pouls qui ne battait plus. Du bout des gants, les cheveux emmêlés furent écartés pour révéler les traits fins de celle qui avait été Garance Perthuis, quinze ans, « Victime 9 », enlevée deux jours plus tôt (…)
Puis, un raclement au fond de la pièce, quelque chose dans l’ombre. Retour de tension. Les canons se dirigèrent vers la source du bruit et les faisceaux des lampes intégrées éclairèrent une seconde silhouette… recroquevillée dans un coin, la vingtaine à peine dépassée, recouverte d’un drap dégueulasse, tremblante et sale.

Brumes de Capelans

Niveau de satisfaction :
4.5 out of 5 stars (4,5 / 5)

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L’homme peuplé – Franck Bouysse

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2022 – Albin Michel
Genre :
roman noir rural
Personnages principaux :
Caleb, guérisseur et sourcier – Harry, écrivain à la recherche d’un nouveau souffle

Harry est écrivain. Son premier livre a été un succès, mais il a des difficultés pour en commencer un second. Pour essayer de retrouver l’inspiration, il a décidé de s’installer dans une ferme isolée qu’il a achetée dans l’état sur un coup de tête. Harry ne connaît rien de la campagne, ni des gens qui l’habitent. Son adaptation à son nouvel environnement en plein hiver est difficile. Dans une ferme voisine vivent Caleb et sa mère. Ils se tiennent en marge des autres habitants du coin. Ils ont mauvaise réputation, ce sont des sorciers dit-on. Ils sont craints aussi, car Caleb a le don. Le don de guérir les animaux, celui de trouver l’eau et peut être qu’il est aussi capable de jeter des sorts. Après la mort de sa mère, Caleb continue de vivre dans sa ferme, plus solitaire que jamais. Pour des raisons différentes, Harry et Caleb, vivent dans l’isolement, non loin l’un de l’autre.

Dès le début du roman, Bouysse crée une ambiance particulière. Celle de la solitude de deux hommes, en pleine nature, en plein l’hiver avec la neige tout autour. Caleb y est habitué, c’est son monde, celui qu’il a toujours connu. Sa mère lui a inculqué la méfiance envers les autres, surtout envers les femmes. Alors que pour Harry, homme de la ville, c’est une découverte assez déstabilisante. Dans cette atmosphère particulière, les petites choses de la vie prennent une importante considérable : les repas qu’il faut préparer, le feu qu’il faut entretenir, le silence et les bruits, parfois rassurants, parfois inquiétants. Cette ambiance est favorable à l’apparition d’étranges phénomènes, réels ou imaginaires.

Les esprits trop cartésiens seront sans doute décontenancés par la notion du temps présente dans ce roman. Le temps n’y est pas linéaire : parfois on ne sait pas si telle ou telle scène se situe dans le passé ou le présent. Cela donne l’impression que le temps tourne en boucle. De même on ne sait pas si certains évènements, certaines visions sont du domaine de la réalité ou du rêve. Tout est possible dans ce monde étrange où les fantômes semblent exister vraiment.

Enfin on remarquera la qualité littéraire indéniable de cet ouvrage. On sent que l’auteur accorde beaucoup d’importance à l’écriture qui est à la fois riche et poétique. C’est du beau travail !

L’homme peuplé est un roman virtuose dans lequel l’auteur a réussi à mêler le passé et le présent, mais aussi le réel et l’imaginaire, sans que l’histoire ne devienne incompréhensible ni ne bascule complètement dans le fantastique. Il est servi par une écriture brillante.

Extrait :
En ville, son regard est habitué à buter sur un obstacle de chair, de fer, de béton ou de verre. Là-bas, le ciel est très haut, il faut lever la tête si on veut en découvrir la trame ; ici, il est à hauteur d’homme, peut-être un effet de l’hiver. En ville, les sons, les voix, les cris se conçoivent en bruit ; ici, chacun se distingue des autres sur l’apprêt silencieux. En ville, les arbres ne peuvent rivaliser avec les gratte-ciel, emmaillotés dans leur écorce grise, des mégots à leur pied ; ici s’exprime leur toute-puissance, il n’y a que la distance pour abaisser leur cime, et même foudroyée leur histoire est immense. Ici, les lignes électriques s’érigent en clôtures d’un bestiaire fabuleux, que des oiseaux discrets surveillent comme des chiens de berger. 

Niveau de satisfaction :
4.2 out of 5 stars (4,2 / 5)

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Le Serpent majuscule – Pierre Lemaitre

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2021 (Albin Michel)
Genres :
Thriller, noir
Personnage principal :
Mathilde Perrin, tueuse à gages

Ce roman, écrit en 1985, croupissait dans les tiroirs de Lemaitre. Il vient de décider de le livrer à son public. Heureuse initiative !

Mathilde a 63 ans, elle est petite, large et lourde. Ce n’est pas vraiment l’idée qu’on se fait d’une tueuse à gages. Ce qui joue clairement en sa faveur. Revenue à Paris avec Ludo, son dalmatien obéissant, Mathilde arrête sa Renault 25 sur la rue Foch. Elle sort de l’auto, croise un promeneur qui lui sourit, lui tire une balle dans les parties et une autre dans la gorge. Puis, c’est au tour de Constance Manier d’être abattue d’une balle en plein cœur. Mais là c’est une erreur de Mathilde, qui a confondu l’adresse d’une femme de ménage qu’on lui a recommandée avec celle d’une cible indiquée par le commandant ! Un peu plus tard, elle abat la fille Lavergne, mais aussi un témoin hurlant.

Le commandant se rend compte que Mathilde vieillit, qu’elle perd la mémoire et devient négligente; elle ne suit plus les consignes de prudence qui s’imposent dans un métier comme le sien. Elle met ainsi l’organisation en danger. Il serait peut-être temps d’envisager son élimination.

D’un autre côté, le policier René Vassiliev est chargé de l’enquête surtout pour la mort de Maurice Quentin, grand patron français qu’on appelle le président. Mais aussi pour celle de Béatrice Lavergne tuée avec la même arme, un Desert Eagle qui fait beaucoup de dégâts. Vassiliev n’a pas une vie très palpitante : il n’aime pas manger, ne  fréquente pas les femmes (les hommes non plus), mène ses enquêtes sans enthousiasme. Son passe-temps notable, c’est la visite qu’il fait deux fois par semaine à Monsieur de la Hosseray, un ancien ami de sa mère décédée, qui semble de plus en plus affecté par les troubles de la mémoire.

Ses entrevues avec Mathilde, qui le prend en grippe, ne nous avancent pas beaucoup dans l’enquête, mais elle semble devenir de plus en plus paranoïaque et souhaite se débarrasser du policier. Deviendra-t-il sa victime avant que le commandant ne lui règle son compte ?

Le jeu de massacre se poursuit et se termine dans une finale inattendue et définitive.

Un roman qu’il faut lire avec un sourire pour profiter du cynisme et des joyeux abus de Lemaitre. Malgré la profusion des morts, l’écriture est très vivante, et c’est avec un grand plaisir qu’on participe à l’accumulation des cadavres.

Extrait :
Pour la vingtième fois depuis qu’elle est arrivée sur l’autoroute, Mathilde parcourt mentalement le trajet jusqu’à l’avenue Foch. En ligne droite, elle serait à moins de quinze minutes, mais il reste le tunnel de Saint-Cloud, cette plaie… Du coup, elle en veut à la terre entière et surtout à sa fille qui n’y est pour rien, mais Mathilde ne s’arrête pas à ce genre de considération. Chaque fois qu’elle arrive chez elle, elle est anéantie par le spectacle de cette maison de campagne qui empeste la bourgeoisie étriquée et se caricature elle-même. Son gendre revient du tennis en souriant large, une serviette négligemment jetée autour du cou, comme dans une publicité télévisée. Quand sa fille s’occupe du jardin, on dirait Marie-Antoinette au Petit Trianon. C’est une permanente confirmation pour elle, sa fille n’est vraiment pas une lumière, sinon, pourquoi aurait-elle épousé un con pareil… Et américain de surcroît. Mais surtout très con. Bref américain. Heureusement qu’ils n’ont pas d’enfants, elle espère vraiment que sa fille est stérile. Ou lui. N’importe lequel des deux, parce qu’elle n’ose pas imaginer les mômes qu’ils auraient… Des têtes à claques, à tous les coups. Mathilde aime les chiens, mais elle déteste les mômes. Surtout les filles.

Le Desert Eagle

Niveau de satisfaction :
4.3 out of 5 stars (4,3 / 5)

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Le quatrième rassemblement – Cyril Carrère

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2022 – Chambre Noire
Genre :
Thriller
Personnages principaux :
William Sullivan, homme d’affaires – Carl Forsberg avocat fiscaliste – Philip Jones, lieutenant de police – Harold Leroy, journaliste

William Sullivan et deux de ses amis ont monté EduCorp, une société qui commercialisait un logiciel d’éducation personnalisable et évolutif. Dans un premier temps la boîte a obtenu de bons résultats, puis sont venues les difficultés financières. Alors Sullivan, sans en informer ses deux partenaires, a conçu une opération illégale qui lui a permis à la fois de récupérer son argent et sa réputation de champion de la création d’entreprises. Mais l’avocat fiscaliste Carl Forsberg a senti que derrière la liquidation d’Educorp il y avait une magouille. Il commence à enquêter, ce qui alerte Sullivan qui décide alors de se débarrasser de lui. Cependant le piège tendu à l’avocat ne fonctionne pas comme prévu. C’est le début d’une guerre sans merci entre l’homme d’affaires et l’avocat à laquelle sera mêlé malgré lui Philip Jones, lieutenant de police et ami d’enfance de Sullivan.

Le roman nous décrit un affrontement entre requins de la finance. Tous les coups sont permis, y compris l’assassinat. Il y aura des morts dans les deux camps : des gens impliqués dans les malversations, mais aussi des victimes innocentes. Rien n’arrête les belligérants dans cette guerre pour le pouvoir et l’argent. Pas de lois, pas de conscience, pas de morale. Il n’y a pas de personnage positif représentant le bien, il n’y a que :
– des fripouilles, comme l’homme d’affaires Sullivan ou l’avocat Forsberg, mais aussi le maire de Visalia en Californie
– des vrais tueurs à sang-froid pour qui la vie n’a aucun prix
– des victimes, surtout les membres des familles des fripouilles, mais aussi une collaboratrice de Sullivan
– des personnes piégées à cause de leur passé, comme les policiers
– des gens neutres qui voudraient bien comprendre, tels que le journaliste Leroy ou les deux associés de Sullivan.
Aucun des personnages n’attire la sympathie ni même l’empathie. On assiste à l’affrontement des adversaires comme on regarderait le combat de bêtes féroces, avec distance, sans vraiment prendre parti.

Il n’y a pas beaucoup de sentiments ni même d’émotion dans ce roman, juste parfois un soupçon de regret ou de culpabilité quand les évènements échappent à ceux qui les ont provoqués. C’est surtout un affrontement sauvage dans lequel il faut détruire l’adversaire. Il est à noter cependant que l’auteur ne nous inflige pas une description détaillée des scènes de violence, comme certains se plaisent à le faire.

Ce quatrième rassemblement est un thriller rythmé avec de l’action et du suspense. Rien de révolutionnaire dans le genre, mais une bonne distraction pour ceux qui n’en demandent pas plus.

Extrait :
Il devait admettre que cette fois, il s’était fait duper dans les grandes largeurs. Son orgueil d’homme d’affaires chevronné en prenait un sacré coup.
Will tournait en rond, impuissant. Il se remémora l’échange téléphonique du Chubby’s. L’échéance imposée. Les conditions de son succès. Car il n’était plus question que de ça, maintenant. Réussir.
Interdiction de penser à toute autre issue.
Vendredi, il jouerait bien plus que sa réputation ou son argent. Il mettrait sa vie dans la balance, ainsi que celle de sa femme et de leur enfant qu’elle portait en son sein. Il devait se concentrer sur Alec et Glenn. Quant à Forsberg, il ne pouvait que prier pour que l’avis de recherche porte ses fruits. Que le maillage policier se referme sur lui et que Phil finisse le travail.

Niveau de satisfaction :
3.8 out of 5 stars (3,8 / 5)

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Une enquête à Murray Bay – Céline Beaudet

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2022 (Québec Amérique)
Genres :
Historique, enquête
Personnage principal :
Édouard Lavergne, Bureau des détectives de Montréal

1er juillet 1910.
Murray Bay est une oasis enchanteresse à Pointe-au-Pic, pas loin de La Malbaie. Le coin est peuplé, l’été, par de riches Américains qui fuient les chaleurs de New York. C’est ainsi que la famille Brockwell se retrouve dans son petit paradis où elle passe chaque été depuis des années. Alice, la mère, Edwin et Irene les aînés, tiennent à leur quiétude et se méfient de tout changement éventuel. Ils n’apprécient pas, par exemple, le projet du député Forget, qui vise à amener le train jusqu’à Murray Bay, encourageant ainsi l’arrivée des touristes et provoquant la fin de leur tranquillité. Le projet du député était défendu par l’homme d’affaires Alphonse Blackburn et l’avocat Alcide Gagnon. La veille de l’arrivée à Pointe-au-Pic, après le souper sur le St. Irénée, et après avoir gagné le fumoir, Blackburn et Gagnon s’étaient lancés dans une violente discussion avec George Bonner, Charles Warren et l’Américain Edwin Brockwell, qui soutenaient plutôt le point de vue selon lequel Murray Bay ne devait pas être livré au tourisme moderne, ce qui équivaudrait à détruire un art de vivre qui convenait aussi bien aux Canadiens français qui vivaient au bas de la côte qu’aux Américains en haut du chemin des Falaises. Le lendemain matin, après l’accostage au port de Pointe-au-Pic, maître Alcide Gagnon est retrouvé mort dans sa cabine.

Le Bureau des détectives de Montréal, partenaire officiel de la police de Montréal, dépêche sur place le jeune détective Édouard Lavergne. Grandi au bord de la Yamaska, à Saint-Hyacinthe, Édouard, robuste et méthodique, s’est approprié les dernières innovations  scientifiques indispensables à l’enquêteur : empreintes digitales, groupes sanguins, mesures anthropométriques interprétées par le système Bertillon. L’enquête réclame le plus grand soin : Gagnon est l’avocat du député Forget, Président de la Richelieu and Ontario Navigation Co, rare millionnaire canadien-français, influenceur redoutable et critiqué. On doigt régler le cas avant que les journaux s’en mêlent.

Édouard mène l’enquête avec le constable Lamoureux, un gars de la place, qui n’a pas le pouvoir de diriger une enquête, mais qui a photographié la scène, interdit l’accès à la cabine de Gagnon même pour les nettoyeurs; il a fallu, toutefois, transporter le corps à la morgue, ce qui n’a pas empêché Lamoureux de tracer les contours du corps sur le tapis. Conduit à la cabine de Gagnon, Édouard se livre à ses propres manœuvres. Lamoureux le conduit ensuite au fumoir, le smoking room, sur le cinquième pont du bateau, d’où Gagnon était  parti pour rejoindre sa cabine après la chaude discussion qu’il avait eue avec Bonner et Warren, et une courte conversation au bar avec Elzéar Harvey, responsable du cadastre de la ville et du registre des immeubles.

Le légiste apprend à Édouard la cause de la mort de Gagnon. Reste à savoir qui et pourquoi on l’a déplacé sur le dos. Un cheveu mène le policier au coupable de ce déplacement.

Pour maintenir l’intérêt du lecteur en dépit d’un grand nombre d’entrevues, l’auteure situe l’enquête dans la vie quotidienne des habitants de Murray Bay, qui se caractérise par une série de conflits idéologiques, moteurs véritables de cette vie apparemment tranquille : évidemment, le point de départ du récit : Murray Bay doit-elle devenir plus accessible aux touristes ou demeurer cette oasis de quiétude dont bénéficient les riches Américains? Les théories eugénistes de Davenport et Adami sont-elles plus sérieuses que celles de Darwin, et justifient-elles qu’on sélectionne rigoureusement les immigrés ? La lutte des femmes pour le droit de vote et l’égalité est-elle vraiment fondée quand on observe que l’Association des féministes américaines refuse que des femmes noires aient accès à leur mouvement ? Quel sera l’avenir des propos de Monseigneur Bourne, primat d’Angleterre, archevêque de Westminster, qui recommande aux Canadiens français catholiques de renoncer à la langue française et de se mettre à l’anglais pour mieux faire comprendre aux protestants de la langue anglaise implantés dans le reste des provinces canadiennes que le catholicisme est une religion supérieure ? Le clergé (Mgr Bruchési) gouverne une bonne partie de la vie quotidienne des catholiques mais la langue française reste (et restera) une valeur fondamentale pour les Canadiens français.

Enfin, l’auteure a rendu son récit encore plus réaliste en décrivant avec précision les toilettes de tous les jours ou de soirée (organisées au Manoir Richelieu), et la gastronomie de l’époque qui, à ma surprise, n’est pas si différente de la nôtre aujourd’hui.

Bref, une nouvelle auteure remarquable par son esprit de recherche et par la façon passionnante et attachante de raconter une histoire.

Extrait :
– J’enrage de penser à mes compatriotes qui doivent brûler des cadres de portes pour se chauffer l’hiver. Au lieu de commencer à travailler à dix ans, les enfants devraient rester à l’école et apprendre un métier qui ferait vivre décemment une famille. L’Église catholique leur montre le catéchisme et les terrorise avec des histoires d’enfer et de feu éternel. Les Canadiens français n’arriveront pas au XXe siècle tant qu’ils laisseront les prêtres et les bonnes sœurs penser et agir à leur place (,,,)
Gordon, dit Warren, je vous appuie tout à fait sur l’importance de l’éducation comme seul moyen de s’affranchir de la misère. C’est mon histoire personnelle, la clé de ma réussite. Quant à l’Église catholique, il est évident qu’elle entretient la crainte du changement et de la modernité chez les Canadiens. Saviez-vous que monseigneur Bruchési avait menacé d’excommunication le propriétaire du Ouimetoscope à Montréal s’il ne fermait pas son théâtre le dimanche? Ouimet résiste, c’est tout à son honneur.
C’est aussi Bruchési qui a empêché la construction d’une bibliothèque publique à Montréal, renchérit Gordon. L’Américain Andrew Carnegie offrait 150 000 $ à la ville, mais le maire a dû refuser le don parce que la bibliothèque aurait échappé à la censure de l’Église. La lecture, le cinématographe, le théâtre, Sarah Bernhardt, tout est dangereux dans notre belle province. Bienheureux les ignorants !

Murray Bay et Cap à l’Aigle

Niveau de satisfaction :
4.5 out of 5 stars (4,5 / 5)

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Jeannette et le crocodile – Séverine Chevalier

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2022 – La Manufacture de livres
Genre :
Roman noir
Personnages principaux :
Jeannette, jeune fille – sa mère, Blandine – son oncle Pascal – son ami Robinson – Dirck, amoureux de Blandine – et quelques autres

Elle est prête : habillée, mains, dents et visage lavés. Le sac à dos avec des vêtements et quelques affaires de toilette est prêt. Le cabas avec les provisions est prêt aussi. Tout est prêt pour aller voir Éléonore, la femelle crocodile qui vit dans un aquarium à Vannes, en Bretagne, depuis qu’elle a été trouvée sous le pont Neuf, à Paris, en 1984. Elle avait élu domicile dans les égouts et mangeait des rongeurs. Cette visite à Éléonore, c’est le cadeau d’anniversaire de Jeannette pour ses dix ans, elle ne veut rien d’autre. Elle est prête et attend. Elle attend que sa mère se lève. Mais sa mère ne se lèvera pas, elle est malade, elle n’a pas dessoûlé. Elle va même chuter et Jeannette va croire que sa mère est morte. Elle ne l’est pas, juste sonnée et encore ivre. Jeannette ira voir Éléonore le crocodile pour ses onze ans … peut être.

C’est ainsi que débute le livre de Séverine Chevalier. Le ton et l’ambiance sont donnés d’entrée. La suite c’est la description du quotidien de gens simples : – Jeannette fillette vive, idéaliste. Elle ne supporte pas le mensonge – Sa mère, Blandine, est alcoolique, mais elle fait des efforts pour s’en sortir et  finira par y arriver … presque – Robinson a le même âge que Jeannette, ils s’entendent comme larrons en foire – Pascal est le frère de Blandine, le tonton de Jeannette qui l’adore. Pascal paraît un peu simplet, il est obsédé par la submersion des eaux en général et par celle de la rivière qui coule près de leur maison en particulier. Sous ces apparences de nigaud, Pascal pose les bonnes questions – Éric et Valérie sont les parents du petit Robinson. Ils n’arrivent pas à avoir ce deuxième enfant qui fait l’objet de la fixation de Valérie et l’épuisement d’Éric qui n’en peut plus de la pression de son épouse, ajoutée aux menaces sur son emploi depuis que l’usine a été rachetée par les Chinois – Gégé, est le débonnaire patron du bistrot local. Il écrit tous les jours dans un cahier ce qu’il appelle les chroniques du village.

Tout ce petit monde vivait tant bien que mal à Clat-les-Bains, un village aux ambitions touristiques démesurées par rapport à ses possibilités réelles. Il y avait de la solidarité de l’entraide jusqu’à ce qu’arrive Dirck, l’amoureux de Blandine. C’est un gars qu’elle a rencontré sur internet, il lui a écrit de beaux messages, elle en est follement amoureuse et c’est bien connu : l’amour rend aveugle. Car Dirk, sous une apparence séduisante, n’est qu’un sale égoïste, un type incapable de penser à autre chose qu’à son propre intérêt. C’est un être vil, un prédateur, un vampire qui pompe toutes les bonnes idées des autres à son seul profit. Contrairement à tous les autres, Dirck est parfaitement adapté au monde actuel. C’est un destructeur égocentrique. Finalement pour lui ce sera la réussite et la gloire, la célébration dans des médias hypnotisés par les apparences. Pour les autres ce sera la déconfiture et le drame. Dirck est un imposteur, mais il est considéré un héros des temps modernes.

Jeannette et le crocodile est un livre plein de tendresse et d’humanité, d’une grande sensibilité, il contient aussi une bonne part d’amertume. Servi par une belle écriture, claire et élégante, c’est un très bon roman, comme tous les précédents de cette autrice.

Extrait :
Ce qu’ils ont dit de Jeannette, les humains, ça aussi ça rentre parfois dans ma tête à toute berzingue comme des tas de petits coups de couteau qui lacèrent le cerveau, terroriste, folle, monstrueuse, etc., et même si moi je n’aurais pas fait ce qu’elle a fait, même si je ne comprends pas vraiment ce qui s’est passé, moi je sais bien ce qu’elle était, la petite, et eux ils ne savent pas et ne veulent pas savoir, non, ils l’emballent simplement dans des indignations toutes faites, bien ficelées, eux sont les bons, elle est la méchante, et les méchants on peut les tuer puisqu’ils sont méchants, mais ce qu’elle voulait Jeannette c’est juste qu’on se préoccupe en vrai du monde, qu’on arrête de faire semblant, s’ils s’en foutent du monde et de la nature autant le dire clairement, autant afficher la couleur, nous on veut des SUV et des fermes à bitcoins, point, on se fiche du reste, on se fiche des oiseaux, on se fiche des pauvres et des handicapés et des fous, on se fiche de tout pourvu qu’on puisse se repaître d’argent, consommer, consommer, je me rappelle une fois j’étais petit et j’avais entendu Monique, au bar, dire à maman mais il est pas un peu idiot, ton fils, j’avais trouvé le mot joli, idiot idiot idiot, répété dans ma tête ou à haute voix avec le o qui monte à la fin, plus tard j’avais regardé la définition, qui manque d’intelligence, ce qui me manque, oui c’est l’intelligence de comprendre pourquoi d’un côté le sourire avec la bouche de l’autre les yeux durs, oui il me manque des choses c’est certain pour les comprendre, les grands écartèlements.

Éléonore, dans les égouts de Paris

Niveau de satisfaction :
4.3 out of 5 stars (4,3 / 5)

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La Muse rouge – Véronique de Haas

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2021 (Arthème Fayard)
Genres :
historique, enquête
Personnage principal :
Victor Dessange, brigade criminelle de Paris

« L’enquête policière et l’univers de la police sont des filtres efficaces pour observer et comprendre les multiples facettes de la société ». Cette phrase caractérise la démarche de Véronique de Haas. Ceux qui ne s’intéressent pas à l’histoire sont priés de passer leur tour.

Ceci dit, l’enquête policière n’est pas négligée; mais elle s’inscrit dans une période historique particulière, qui ne joue pas seulement le rôle de cadre. Le genre de meurtres et le type d’assassins, sans parler des mobiles, sont intimement liés au moment historique où l’action se déroule.

1920 : débuts de l’entre-deux-guerres. La France a gagné la guerre mais elle est loin d’avoir gagné la paix. Des élections se préparent. Grèves et contestations ébranlent Paris. Anarchistes et communistes s’agitent. L’Action française espère restaurer la royauté et la droite en général s’efforce de consolider ses colonies : le chemin de fer entre Brazzaville et Pointe-Noire est un enjeu de la plus haute importance. Les grandes fortunes et les politiciens opportunistes se coordonnent tant bien que mal. Paris doit demeurer tranquille, stable, malgré l’arrivée de révolutionnaires étrangers qui cherchent à insuffler vie et vigueur à l’Internationale communiste.

Dans un tel contexte, le meurtre de quelques prostituées ne fait pas beaucoup de bruit et n’émeut pas tellement les forces de l’ordre jusqu’à ce qu’un représentant officiel de la République de Chine ne soit assassiné dans un bordel de luxe. Le mobile n’est pas clair. On ne veut pas ébruiter l’affaire et on charge l’inspecteur Victor Dessange de trouver rapidement le meurtrier.

D’autres meurtres sont commis, qui n’ont pas l’air d’avoir un rapport avec les meurtres précédents, sinon le style de l’assassin. Et aussi la découverte d’un carnet codé qui semble indiquer le lien entre les assassinats. On perce le code et on arrête un suspect mais, selon l’inspecteur, on s’est fourvoyé quelque part. Et, quand on croit mettre la main sur le véritable tueur, il se fait assassiner.

C’est un roman intrigant et attachant. Les prostituées sont peintes avec sympathie, de même que les gamins des rues, dont Pierrot, qui est un des véritables héros de cette histoire dans laquelle on le voit devenir un homme. Les anarchistes et poètes de La Muse sont abordés avec compréhension, même si l’auteure ne sombre pas dans la mystique du western. Les incapacités de s’entendre à gauche et les vils profiteurs de la droite qui ne pensent qu’à s’enrichir sont décrits sans complaisance. Les autorités policières préconisent l’ordre à tout prix, mais l’inspecteur Dessange et son collègue Max ne s’en laissent pas imposer. Dessange est bien sympathique mais sa situation matrimoniale n’est pas exemplaire bien que compréhensive.

Bref, même s’il est clair que l’auteure décrit avec sympathie la plupart de ses personnages, une certaine distance propre à l’historienne demeure de rigueur. Ce qui fait de ce polar un document réaliste captivant.

Extrait :
La chambre Renaissance se trouvait au deuxième étage, prolongée d’un cabinet de toilette sur le mur duquel Toulouse-Lautrec avait peint une fresque pittoresque intitulée La Griserie de la belle inconnue, une femme au visage masqué par un loup, allongée sur un sofa devant un chat, une coupe de champagne dans une main, et l’autre comme tendue vers un mystérieux amant. Monsieur Li sentait l’ivresse l’envahir et embrumer son esprit. En contemplant la peinture, il crut deviner le visage de madame Cambon sous le loup et imagina qu’il la possédait violemment. Ce phantasme lui redonna la vigueur et il sombra, le sexe dur et dressé, au creux du lit à baldaquin et des chairs mêlées, alanguies et offertes d’Irma la blonde et d’Apolline la rousse.
Ce fut vers les trois heures du matin qu’Irma descendit en trombe en hurlant, couverte de sang et le regard épouvanté comme si elle avait vu le diable en personne(…).
C’est l’Chinois… C’est l’Chinois… Il est mort ! C’est le diable qui l’a tué…
Et Apolline ? Où est Apolline ?
J’sais pas… j’me suis endormie un moment et quand j’me suis réveillée… elle était plus là… et l’Chinois… il était couvert de sang et les yeux morts comme un poisson…

À La Fleur Blanche

Niveau de satisfaction :
4.5 out of 5 stars (4,5 / 5)

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L’été où tout a fondu – Tiffany McDaniel

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2016 (The Summer that Melted Everything)
Date de publication française : 2019 Éditions Joëlle Losfeld et 2022 Gallmeister
Traduction (américain) :
François Happe
Genre :
Roman noir
Personnages principaux :
Fielding Bliss, narrateur – Sal, garçon noir qui se présente comme étant le Diable

Dans la petite ville de Breathed dans l’Ohio, en ce jour du mois de juin 1984, le procureur Autopsy Bliss a l’idée saugrenue de publier en première page du journal local une annonce pour inviter le diable à venir lui rendre visite. Et plus étonnant encore, le diable vient effectivement. Mais il n’a pas l’aspect qu’on lui prête traditionnellement : pas de cornes et de queue fourchue, il a simplement l’apparence d’un garçon de treize ans, de peau noire avec des yeux d’un vert intense. Les habitants de Breathed sont partagés : une partie d’entre eux pense que c’est un gamin qui s’est enfui d’une ferme de la région, une autre partie pense qu’il est l’incarnation du mal, surtout parce qu’il est noir. La famille du procureur Bliss ne voit en lui qu’un enfant en mal d’affection. Elle l’héberge dans un premier temps et comme personne ne se signale pour le réclamer, elle finit par l’adopter définitivement. Cependant cet étrange garçon va concentrer la haine d’un groupe d’individus rassemblés derrière un gourou autoproclamé. Les esprits s’échauffent d’autant plus qu’une vague de chaleur sans précédent frappe la région.

Dans une intrigue improbable l’autrice nous raconte les souvenirs d’un homme de 84 ans qui aujourd’hui vit pauvrement dans un mobil-home. C’est Fielding Bliss, le fils du procureur qui a convoqué le diable à l’époque. On peut se demander en passant à quelle époque se situe le moment où Fielding parle : sachant qu’il avait 13 ans en 1984, il serait né en 1971 et aurait maintenant 84 ans. Nous serions donc en 2055 lorsque Fielding se confesse ! C’est une parenthèse pour montrer que nous ne sommes pas à une incohérence près dans ce livre, la rigueur n’étant pas vraiment son point fort. Ça part un peu dans tous les sens, car outre l’histoire du diable, l’autrice aborde une multitude de thèmes tels que : le bien et le mal, le racisme, les sectes, les croyances, l’obscurantisme, le fanatisme, l’homosexualité, la maltraitance des enfants, la manipulation des individus, le libre arbitre … entre autres ! D’où l’impression d’une livraison en vrac des élucubrations d’un vieux monsieur acariâtre.

Les personnages sont aussi extravagants que l’intrigue. Nous avons notamment :

  • Autopsy Bliss, procureur, un homme on ne peut plus sérieux, impeccable dans son costume trois-pièces. Il décide le plus naturellement du monde d’inviter le diable chez lui, comme si c’était son aimable voisin.
  • Stella, épouse du procureur Bliss et mère de famille irréprochable. Elle reste cloîtrée dans sa maison parce qu’elle a peur de la pluie et qu’à tout moment, même par un ciel sans nuages, il peut pleuvoir. Elle pense aussi qu’il faut enlever, à l’aide des aimants du frigo, le métal du corps d’un mort pour alléger son âme avant sa pesée.
  • Fielding, le narrateur, fils du procureur Autopsy, aurait pu se marier si au lieu d’accompagner sa future épouse dans l’église devant le prêtre, il n’était monté sur son toit pour réparer le clocher.
  • Sal, le diablotin, venu de nulle part, mais capable de décrire l’enfer et de tenir des propos pleins d’une sagesse ancestrale. Il a deux grandes cicatrices dans le dos qui étonnent. Ça s’explique facilement : auparavant il était un ange, il avait des ailes qui sont tombées quand il a été banni du paradis.
  • Elohim, nain et veuf, continue à vivre comme si sa femme était toujours avec lui : il met son assiette pour les repas et continue de laver ses vêtements. Avant de mourir son épouse l’avait cocufié avec un noir. Depuis il les déteste. Elohim va finir en gourou de secte haineux.
  • On peut aussi signaler l’idée singulière qu’a eue la famille Bliss : utiliser l’horloge familiale comme cercueil. Cela permettait un bel effet original : voir le visage du mort à travers la vitre du cadran d’origine.

De tels protagonistes semblent sortis d’un roman humoristique, voire d’un pastiche, mais ce n’est pas du tout le style de l’autrice, loin de là. On ne rit pas beaucoup, il y a beaucoup de pleurs, c’est plutôt triste. Les malheurs se succèdent et les morts s’accumulent. Il y a même une sorte de complaisance dans la souffrance et la douleur. C’est écrit dans un style assez grandiloquent empreint d’une connotation religieuse et mystique.

Non seulement je ne suis jamais entré dans cette histoire, mais en plus j’y ai trouvé un côté ridicule là ou d’autres y ont vu de la poésie et de la fantaisie. Car il faut bien le dire : beaucoup ont apprécié ce roman, certaines évaluations que j’ai pu lire sont même dithyrambiques. L’été où tout a fondu, bien que paru après Betty, est en réalité le premier roman de Tiffany McDaniel (2016). Les éditeurs, moins indulgents que les lecteurs, l’ont d’abord refusé. Cependant une traduction en français, passée assez inaperçue, est paru en 2019 aux Éditions Joëlle Losfeld. Ce n’est qu’après le succès de Betty que sa maison d’édition, surfant sur cette réussite, s’est décidée à exploiter le filon en donnant une nouvelle chance à cette première œuvre.

L’été où tout a fondu de Tiffany McDaniel, un livre et une autrice définitivement pas pour moi, mais ils ont fait le bonheur de beaucoup d’autres. Nous sommes tous si différents !

Extrait :
— Il faut que tu retournes auprès de lui, Fielding. Ton père refuse de le faire. Il dit que c’est se conduire de manière idiote.
Sa voix s’est brisée et je ne suis pas certain qu’elle ait prononcé le mot idiote.
— Je ne comprends pas, Maman. Qu’est-ce que tu veux que je fasse avec ces aimants ?
— Que tu les frottes partout sur lui.
— Sur qui ?
— Grand.
— Mais pourquoi, Maman ?
— Pour enlever le métal de son corps.
Elle s’est tordu les mains, si fort que j’ai pensé qu’elle allait s’arracher les doigts.
— Quel métal, Maman ?
— On lui a entaillé le bras, non ? C’est ce que ton père m’a dit au téléphone.
— Il s’est fait cette entaille lui-même.
— Il ne s’est pas coupé lui-même, Fielding. (Elle se refusait à utiliser le mot suicide.) Il a été tailladé, tout simplement. Et quand il a été tailladé, un peu de métal est entré dans son corps. Il s’en détache toujours de la lame, un petit peu. Et ce métal en plus va l’alourdir.
« Toutes les âmes sont pesées quand vient la mort, et les âmes qui sont jugées dignes d’aller au paradis sont légères comme de la laitue. Elles ne sont pas alourdies de péchés. Nous devons nous assurer que l’âme de Grand pèse aussi peu que possible. Je ne veux pas que mon bébé aille en enfer. »

Niveau de satisfaction :
3 out of 5 stars (3 / 5)

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Le dard du scorpion – Preston & Child

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2021 (The Scorpion’s Tail)
Date de publication française : 2021 (L’Archipel, J’ai lu)
Traduction (américain) :
Sebastian Danchin
Genres :
Aventure, enquête
Personnages principaux :
Corrie Swanson (FBI) et Nora Kelly (archéologue)

Il y a une vingtaine d’années, les romans de Preston et Child m’ont beaucoup plu. Puis, dix ans plus tard, Pendergast ne me fascinait plus et je trouvais les romans de plus en plus invraisemblables. J’ai voulu voir où j’en étais aujourd’hui avec eux.

Dans une ville fantôme du Nouveau Mexique, High Lonesome, pas loin de Socorro où a grandi le shérif Watts, et à deux pas du désert Jornada del Muerto et des monts San Andres, territoire appartenant à l’armée qui y teste ses nouveaux armements comme la bombe nucléaire (Opération Trinity) lancé en 1945, on découvre le cadavre d’un homme étrangement momifié. Encore plus étonnant, dans ses affaires on trouve une croix en or du XVIIe siècle datant de l’ère coloniale espagnole. Cette croix ferait partie de plusieurs autres bijoux en or cachés par les colons en 1680 lors de la révolte pueblo, ou par les Indiens eux-mêmes qui ont saboté la plupart des mines d’or, considérant ce métal comme la cause de la folie des Espagnols.

Le shérif Watts, la jeune agente du FBI Corrie Swanson et l’archéologue Nora Kelly sont chargés de clarifier la situation, qui se complique davantage quand on s’aperçoit que le corps de l’homme découvert a été irradié, probablement par la bombe testée en 1945. Alors que l’enquête progresse, d’autres meurtres sont commis dans le but, semble-t-il, d’empêcher les gens de parler. Mais parler de quoi ?

Nous voilà embarqués dans une étonnante chasse au trésor. Vaudrait peut-être mieux dire : chasse aux trésors. Les pilleurs de sites archéologiques, en effet, et les chercheurs du trésor de Victorio Peak ne sont sans doute pas les mêmes. Obsédés et impitoyables dans les deux cas; et ne reculant pas devant la nécessité de tuer un shérif ou un agent du FBI. Pour Corrie comme pour Watts, la partie est donc loin d’être gagnée.

J’ai retrouvé dans ce roman la grande qualité des auteurs qui consiste à faire vivre et sentir de grands espaces, ici des déserts et des villes fantômes, lieux par excellence pour cacher des trésors. Le shérif Watts est un personnage original et attachant, John Wayne dans son jeune temps. Le duo des jeunes femmes est crédible. Ça se lit bien, une écriture qui me faisait un peu penser au style de Rick Mofina. Entre un départ coup de poing et une finale spectaculaire, le milieu est un peu long. Pourquoi tenir à écrire plus de 400 pages ?

Extrait :
Le Nouveau-Mexique a été colonisé en 1598 par le conquistador espagnol Don Juan de Oñate. Un certain nombre d’Européens l’accompagnaient, parmi lesquels des moines qui ont entrepris de convertir au christianisme les populations pueblos nouvellement conquises. Ces religieux ont érigé plusieurs missions et les ont dotées d’objets sacrés tels que des croix, des cloches, des calices ou des statues de la Vierge (…) L’afflux d’or, d’argent et de pierres précieuses en provenance des mines locales a permis l’élaboration d’objets remarquables qui ont été disséminés dans toutes les missions du Nouveau-Mexique. C’est probablement le cas de la croix qui nous occupe aujourd’hui, dont l’usure suggère qu’elle fut portée par un prêtre.
En 1680 a eu lieu un soulèvement indien au cours duquel quatre cents colons et plusieurs dizaines de prêtres ont trouvé la mort, le reste des populations espagnoles locales ayant été chassées. Cet épisode, connu sous le nom de révolte pueblo, a permis aux Indiens d’effacer toute trace de l’occupation espagnole (…)
À la suite de la conquête, les Pueblos considéraient l’or comme un métal maudit au prétexte qu’il plongeait les Espagnols dans la folie. Ils le voyaient comme la cause essentielle de leur servitude au fond des mines. On raconte qu’ils auraient obstrué ou caché ces mines de sorte que les Espagnols ne puissent plus les exploiter si jamais ils revenaient.

Jornada del Muerto

Niveau de satisfaction :
4 out of 5 stars (4 / 5)

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Mystères de Toulouse – de rose et de noir – Francis Pornon

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2021 – TDO Éditions
Genres :
Enquête, polar régional
Personnages principaux :
Fleur Cerda, comédienne – Rénat de Saint-Hilaire écrivain – Aymeric Mercadier, dit le Cathare, détective privé – Maria Baldini, cantatrice – Michel Sabat, compagnon de la femme kurde assassinée – Cassandre, secretaire et aventurière … Et la ville de Toulouse

À Toulouse, Fleur Cerda, jeune comédienne est aussi vendeuse à temps partiel pour un complément de revenus. Elle fait aussi à l’occasion des lectures lors des présentations en librairies. C’est ainsi qu’elle rencontre le vieil écrivain Rénat de Saint-Hilaire pour faire la promotion de son prochain roman. C’est en revenant de chez elle que Rénat passe devant un squat incendié. Par curiosité il entre et découvre le corps calciné d’une jeune femme. Plus tard sur les mêmes lieux c’est un manuscrit énigmatique qu’il repère et se l’approprie en douce. Mais ce qui interpelle l’écrivain c’est que dans la presse il est bien fait mention de l’incendie, mais pas du tout du cadavre carbonisé. Rénat décide de mener sa propre enquête pour savoir qui était la victime et pourquoi ce silence sur cette mort. Il fait appel à son ami détective privé Aymeric Mercadier, dit le Cathare, pour tenter d’en savoir plus. Leur équipe sera renforcée de plusieurs autres amis. Cette troupe hétéroclite va mener une enquête à travers la ville de Toulouse, ses environs, son passé et son présent.

Le personnage principal du roman est la ville de Toulouse. L’enquête sur le meurtre d’une jeune femme kurde dans un squat fréquenté par des émigrés est un prétexte qui permet à l’auteur d’examiner l’histoire, passée et actuelle, de la ville. On déambule ainsi le long de la Garonne, du Canal du midi et dans des rues chargées d’histoire : celle des guerres de religion ou celle, plus récente, de l’occupation allemande par exemple. Nous rencontrons des personnages célèbres et d’autres obscurs. Chaque fois l’auteur se fait un devoir d’exhumer leur moment de gloire. L’auteur se plaît à rappeler que Toulouse a été une ville de culture dont une caractéristique est la poésie occitane médiévale, la poésie d’amour. Ainsi nous faisons connaissance avec : Raimon de Miraval, Peire Vidal, Azalais de Porcairagues et autres poètes occitans quelque peu oubliés aujourd’hui. Le plus célèbre d’entre eux, Goudouli, a mérité sa statue sur une place centrale de la ville. Les pigeons et les étourneaux, peu respectueux, la recouvrent régulièrement de fiente. L’auteur n’oublie pas de rappeler la place importante tenue par les troubaïritz, femmes troubadours. Depuis le Moyen-Âge, des poétesses, à côté des poètes, avaient marqué l’Europe de leurs chansons en occitan. La chanson de Claude Nougaro Ô Toulouse est le fil conducteur de cette déambulation.

Ce roman est surtout celui d’un historien et d’un poète, mais il y a aussi un côté polar avec une enquête sur un meurtre. Là, on ne peut pas dire que l’auteur soit aussi à l’aise : ça part un peu dans tous les sens. Il y a des épisodes totalement invraisemblables, notamment quand la secrétaire Cassandre, chevauchant son Harley Davidson telle une amazone moderne, investit le repaire d’un dangereux mafieux, souriante et décontractée. Quelques rapprochements historiques assez hasardeux : « on devrait maintenant remonter au temps des guerres de religion ou même à celui des Cathares pour découvrir ce qui motive le crime actuel et qui peut en être l’exécuteur. » Ah la vache ! Pas facile les investigations s’il faut remonter si loin pour découvrir un criminel d’aujourd’hui ! Ça ne va pas simplifier le boulot de la police.

Vous l’aurez compris Mystères de Toulouse est un hommage d’un auteur à sa ville. L’enquête qui supporte le roman n’est pas la plus importante ni la plus réussie.

Extrait :
« Ici eut lieu une célébration, celle des obsèques du chanteur fétiche de la ville, Claude Nougaro. La foule était bourrée dedans, et dehors énorme, pour entendre le carillon qui sonnait, reprenant la mélodie du carillon des Minimes, la musique de la chanson Ô Toulouse. »

Si l’un me ramène sur cette ville
Pourrais-je encore y revoir ma pincée de tuiles
Ô mon païs, ô Toulouse, ôhooo Toulouse !
Rénat mettait rarement les pieds dans une église. Il avait d’innombrables fois accompli le tour de l’édifice mais n’avait dû entrer qu’à une ou deux reprises dans la plus grande basilique romane conservée en Europe, construite dit-on pour abriter les reliques et le mythe de Saint Saturnin. Cette légende habite le quartier aussi en l’église du Taur.
Ce véritable joyau fut restauré par Viollet-le-Duc sur recommandation de Prosper Mérimée, les mêmes que pour la cité de Carcassonne.

Claude Nougaro – Ô Toulouse

Basilique Saint-Sernin

Niveau de satisfaction :
3.8 out of 5 stars (3,8 / 5)

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Le portrait de la Traviata – Do Jinki

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2017
(The Portrait of La Traviata)
Date de publication française : 2020 (Harper Collins Poche)
Traduction (coréen) :
Kyungran Choi et Delphine Bourgoin
Genre :
Enquête
Personnages principaux :
Lee Yuhyeon (inspecteur) et Gojin (avocat de l’ombre)

Les romans coréens ne se bousculent pas dans nos librairies. Ils sont pourtant moins dépaysants qu’on pourrait le penser. Évidemment, il y a les noms auxquels il faut s’habituer, pas toujours faciles à mémoriser[1]. Mais l’arrondissement de Seocho à Séoul semble familier, et les principaux personnages impliqués dans cette histoire de meurtre pourraient être aussi bien Français que Québécois. On parle ici, bien sûr, de la Corée du Sud.

Si ce roman nous désarçonne un peu, néanmoins, c’est à cause de l’originalité de sa conception. Quand Poirot rassemblait les protagonistes d’un crime dans un salon et les invitait à faire fonctionner leurs petites cellules grises, ça durait un chapitre. Holmes expliquait son raisonnement à Watson en 2 pages. Ici, l’essentiel du roman consiste à accompagner les raisonnements inépuisables de Gojin, bon ami de l’inspecteur Lee Yuhyeon, qui développe des hypothèses brillantes pour expliquer les meurtres. Et quand une hypothèse est falsifiée par les démarches concrètes de Lee, et bien Gojin en développe plusieurs autres, que Lee cherchera aussi à vérifier, jusqu’à ce que, « Lorsque vous avez éliminé l’impossible, ce qui reste, si improbable soit-il, est nécessairement la vérité » (Holmes). La démarche est, certes, un peu agaçante pour l’inspecteur, parce qu’il espère toujours que la dernière hypothèse proposée est la bonne, ce qui l’incite à foncer dans le mur à tout coup. Sauf qu’il sait bien qu’il finira par être satisfait.

Dans une maison d’appartements de Séoul, on découvre les cadavres de deux locataires : une jolie femme qui travaillait dans un night-club réputé et un voisin qui lui tournait autour. Comme cette résidence est ultra-sécurisée, les soupçons se concentrent sur le gardien, rapidement accusé par l’inspecteur Lee, aussitôt  relâché, faute de preuves suffisantes. En désespoir de cause, Lee fait appel à son ami Gojin, dont la vie est plutôt dissolue mais l’intelligence et l’imagination absolument brillantes. Et c’est là que les petites cellules grises se mettent en marche.

Le lecteur doit attacher sa ceinture, parce que Gojin le poussera dans bien des directions, chacune semblant la bonne au départ, mais presque toutes s’avérant insuffisantes et trompeuses. On fouille les lieux, on interroge des connaissances des deux personnes assassinées, on examine des empreintes, on explore des téléphones cellulaires et des ordinateurs, on examine serrures et verrous (balcons), on récapitule les déplacements sur les scènes de crimes, aidé par quelques schémas. Plus on avance, en éliminant ce qui est impossible, plus Lee est découragé et plus Gojin jouit d’avance de son élucidation prochaine.

La formule est originale. Le lecteur est aussi un peu agacé par Gojin, mais ne peut retenir son admiration (c’est à peu près ce que l’on ressent pour le Holmes de la série télévisée Élémentaire). Les personnages, bien décrits, nous sont familiers. Comprendre la situation est vraiment au cœur de l’histoire et les chemins pour y parvenir sont rigoureux et stimulants.

[1] Pour cette lecture, je vous propose le stratagème suivant : retenez les noms suivant ce qui apparaît dans la parenthèse : Jeong Yumi (Yumi), Lee Yuhyeon (Lee), Jo Pageol (Jo), Lee Pilho (Pilho), Kim Hyeongbin (Kim), Ryu Gyeonga (Ryu) Hwang Geumsun (Wang), Oh Namyeong (Oh).

Extrait :
– Le fait d’être au téléphone avec quelqu’un ne signifie pas pour autant que l’on est loin l’un de l’autre. Une ruse parfaite pour rendre crédible son alibi.
– Je vois. Kim Hyeongbin a ouvert la porte de l’appartement et est entré dans la chambre de Jeong Yumi tout en lui parlant au téléphone. Il l’a donc tuée, l’appareil dans une main et le poinçon dans l’autre.
– Une rose d’un côté, une pomme empoisonnée de l’autre. N’est-ce pas mélodramatique à souhait ? Kim Hyeongbin connaissait l’heure de ronde du gardien. Juste après son passage, il a vu la lumière du salon s’éteindre et celle de la chambre s’allumer, il est passé à l’action. Si Jeong Yumi avait été encore dans le salon, la situation aurait été plus compliquée, car elle l’aurait vu franchir la porte d’entrée et l’aurait tout de suite identifié. Kim Hyeongbin n’aurait alors pas pu l’enregistrer sur son téléphone en train de crier : « Un voleur ! » Cela aurait été beaucoup plus compliqué pour faire porter le chapeau à Lee  Pilho.
– Cela veut dire qu’il était déguisé ?
– Oui, je pense qu’il portait une cagoule ou un masque. Sans oublier les gants, pour ne pas laisser d’empreintes sur les armes. Il devait également avoir revêtu des habits qui n’étaient pas les siens. En pleine nuit, un homme encagoulé fait irruption dans la pièce; n’importe qui hurle : « Au voleur ! »

Le quartier Seocho à Séoul

Niveau de satisfaction :
4.2 out of 5 stars (4,2 / 5)

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