Ils finiront bien par t’avoir – Sébastien Diaz

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2023 (Québec Amérique)
Genre :
Très noir
Personnage principal :
Sophie Routhier

Québec Amérique classe ce roman dans la rubrique Première Impression. C’est, en effet, le premier roman de Sébastien Diaz, surtout connu comme animateur télé et comme le réalisateur de la websérie d’horreur Terreur 404.

Ce premier roman de Diaz n’est pas facile à commenter. La composition est particulière : 14 chapitres d’une vingtaine de pages comme s’il s’agissait de nouvelles, sauf que des personnages reviennent d’un chapitre à l’autre. La thématique reste la même : chaque chapitre se termine par une scène d’horreur où des gens connaissent une mort atroce. Chaque mois de l’année correspond à un épisode; le tout se termine par l’application au dernier être humain de la prophétie : ils finiront bien par t’avoir.

Sophie Routhier réapparaît au restaurant l’Impact à Saint-Hubert. Elle était disparue depuis un bon bout de temps et son retour est spectaculaire : elle est couverte de boue, ses cheveux sont sales et elle pue : un cocktail de sueur, de pisse et de poulet avarié. Elle dit être revenue pour avertir les gens que la Fin de Tout approche. Puis, elle leur raconte quelques événements tragiques dont elle vient d’être témoin.

Chacun des chapitres suivants illustre un de ces événements. En mai, par exemple, la jeune Sarah, douée pour la peinture, obtient une bourse qui l’envoie se perfectionner au Royal Holloway College de l’Université de Londres. En visite à la Picture Gallery, elle tombe sur une peinture effrayante d’Edwin Henry Landseer qui représente deux ours polaires mutilant sauvagement des restes humains. Cette expérience la trouble profondément et, quand elle entreprend de la reproduire, elle se mutile sauvagement et se tue.

Les autres épisodes ne sont pas moins sanglants et se terminent toujours par une sorte de carnage. Faut avoir le cœur bien accroché pour passer à travers les douze mois de l’année. Diaz est habile dans la mesure où il commence par souligner quelques problèmes de la civilisation actuelle et il les pousse à l’extrême; le contraste entre la vie quotidienne « normale » et les aboutissements horribles qui la prolongent donne une certaine crédibilité à chaque épisode. Par contre, les monstres chargés de notre anéantissement nous entraînent dans un autre univers, une autre sorte de littérature.

Extrait :
─ T’as pas remarqué qu’il y a quelque chose de bizarre depuis un boutte ? Y’a pus personne nulle part. C’est pu comme avant. À matin, quand je suis allé prendre mon café à la binerie, y’avait pas un chat. Juste moi pis Laurent Potvin. On devrait-tu mettre la clé dans’ porte tu de suite tant qu’à y être ?

─ Le gens sont juste rendus trop occupés peut-être… Ou y veulent pas voir les touristes qui passent dans le coin (…).
─ Je vais te le dire pourquoi les gens disparaissent de la carte tranquillement. Pourquoi y en a qu’on revoit pu. Y ont peur ! Pis je les comprends. Moi j’ai arrêté de regarder les nouvelles. Ça se bat, ça s’entretue… Cette année on a eu de la neige jusqu’au mois de mai, y ont trouvé deux baleines dans le fleuve à Montréal, un ours polaire en Gaspésie…
─ … les Leafs ont gagné la Coupe ! Y a pu rien qui fait du sens !
─ Bingo ! L’autre matin dans le journal, y parlaient d’une Québécoise qui étudiait en Angleterre qui a massacré un autre élève pis un gars du staff à cause d’une peinture ! UNE PEINTURE ! Calvässe ! Une p’tite fille de chez nous ! Je te le dis : le bon vieux temps est fini (…).
Deux semaines plus tard, Dan et Jean-Pierre disparurent eux aussi mystérieusement.
Évaporés, sans laisser de traces.

Sainte-Anne-de-Beaupré

Niveau de satisfaction :
3.9 out of 5 stars (3,9 / 5)

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Personne ne meurt à Longyearbyen – Morgan Audic

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2023 – Albin Michel
Genres : Enquête, thriller
Personnages principaux :
Lottie Sandvik, policière dans le Swalbard (Norvège) – Nils Madsen, journaliste à Oslo

Lottie Sandvik est policière à Longyearbyen, la dernière cité avant le pôle Nord. Dans cette ville tranquille, son ordinaire au travail consiste à traiter un vol ou une bagarre de poivrots. Mais ce jour, elle est appelée sur une affaire plus importante : elle doit constater la mort d’une femme attaquée par un ours blanc. La victime est une jeune femme doctorante en biologie arctique. Son corps a été retrouvé près d’un cachalot qui s’est échoué là quelques mois auparavant. On pense qu’elle était en train de faire des prélèvements sur l’animal marin quand l’ours l’a attaquée. Chose étrange : elle n’avait pas de fusil alors que la sécurité impose de porter une arme hors des villes, à cause de la présence des ours dans la région. Lottie ne s’en tient pas aux apparences, elle va creuser cette affaire qui lui paraît bancale.
Dans les îles Lofoten, à l’hôpital de Tromsø, Nils Madsen reconnaît la dépouille d’Åsa Hagen, avec qui il a travaillé en tant que reporter de guerre. Elle se serait suicidée en se noyant. Elle enquêtait sur la mutilation de mammifères marins et elle s’était fait quelques ennemis, notamment parmi les baleiniers. Nils connaissait très bien Åsa avec qui il a entretenu une relation forte, il ne peut admettre qu’une femme de la trempe d’Åsa se soit donné la mort ainsi. Il va enquêter sur cet étrange suicide.

Le cadre donne à ce roman une coloration spéciale, avec la neige, les étendues glacées et l’hiver polaire pendant lequel le soleil disparaît. Plus de trois mois sans autre lumière que celle des éclairages électriques et des aurores boréales verdâtres. Et puis, il y a la mer de Norvège et les mammifères marins dont il est beaucoup question : baleines, cachalots, bélugas, orques, dauphins, phoques. Il y a aussi ces étranges échouages : celui du cachalot près duquel on a trouvé le cadavre déchiqueté de l’étudiante en biologie arctique et celui du béluga qui intéressait beaucoup Åsa avant sa mort. Il est aussi question des méthodes de pêche des baleiniers qui ne s’embarrassent pas de la réglementation internationale de la pêche. Et enfin l’auteur nous dévoile l’intérêt que portent les militaires russes et américains aux animaux marins.

L’intrigue commence lentement par ce qui semble être un accident et un suicide. Elle prend ensuite de l’ampleur par les enquêtes qui font évoluer le point de vue pour finalement atteindre un dénouement bien surprenant.

Les personnages principaux sont des êtres marqués par les épreuves. La policière Lottie a subi une agression quand elle officiait à Oslo. Depuis, elle a des crises d’angoisse. En se faisant muter dans un endroit tranquille, elle espérait que ça passerait. Le journaliste Madsen a couvert les guerres d’Irak, d’Ukraine, d’Afghanistan. Il a vu un certain nombre d’horreurs. Chacun investigue de son côté, avant que les deux enquêtes ne convergent pour arriver à un aboutissement inattendu.

Une intrigue progressive et bien construite, des personnages meurtris mais tenaces, un décor totalement dépaysant et une belle ambiance polaire sont les composants de ce roman aussi distrayant que surprenant. Certains éléments semblent tirés d’une œuvre de science-fiction, mais ils sont basés sur des faits ayant réellement existé.

Extrait :
– Entre 2018 et 2019, nos anciens militaires ont acheté des terrains dans la baie de Nakhodka, dans l’Extrême-Orient russe. Là-bas, ils capturaient des bélugas et des orques et les retenaient dans des enclos flottants en attendant de les vendre à leurs clients chinois. Tout allait pour le mieux, jusqu’à ce que des écologistes découvrent les bassins et lancent une grande campagne pour faire fermer ce qu’ils appelaient « la prison des baleines ».

Longyearbyen (Norvège)

Niveau de satisfaction :
4.2 out of 5 stars (4,2 / 5)

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Les nuits de Reykjavik – Arnaldur Indridason

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2012 (Reykjavikurnatur)
Date de publication française : 2015 (Métailié, Points)
Traduction (islandais) :
Eric Boury
Genres :
Enquête, sociologique
Personnage principal :
Erlendur, policier

Ce n’est pas le premier roman policier d’Indridason, mais c’est la première enquête d’Erlendur, qui deviendra rapidement son homme de confiance.

Reykjavic, début du XXIe siècle. Le jeune Erlendur (28 ans) travaille sur une patrouille de nuit avec deux étudiants en droit, Gardar et Marteinn, qui ont obtenu cet emploi d’été dans la police. Leur travail consiste surtout à gérer les disputes entre fêtards imbibés d’alcool, prendre soin des clochards refusés dans les refuges parce que trop ivres et, à la rigueur, intervenir dans quelques disputes familiales ou pour quelques infractions plus importantes comme des vols ou des crimes liés au trafic de drogues. Ce n’est pas un travail palpitant, mais Erlendur est satisfait parce que ses deux stagiaires sont sympathiques et que la nuit est plus calme que le jour.  Erlendur aime le calme, la sobriété, une certaine solitude, et le silence ne l’effraie pas. Il demeure seul pour le moment mais sa copine, depuis plus de deux ans, souhaiterait qu’il partage un appartement avec elle, ou, mieux, qu’il achète une maison.

Au cours de ses nuits de patrouille, Erlendur rencontre à quelques reprises un sans-abri presque toujours ivre, Hannibal, avec qui il jase un peu. Or, un jour, Hannibal est retrouvé noyé dans un étang; compte tenu de son taux d’alcool avancé, on suppose qu’il est tombé dans l’eau accidentellement. Loin d’être convaincu, Erlendur décide, à titre personnel, de prendre les choses en mains. Pendant ses recherches, une jeune femme appelée Oddy est portée disparue : a-t-elle volontairement quitté son mari qui la battait, s’est-elle suicidée ou a-t-elle été assassinée ? Erlendur découvre qu’elle est passée près du refuge d’Hannibal le jour où il est mort.

Les enquêtes sur la mort d’Hannibal et sur la disparition d’Oddy restent officiellement ouvertes, mais la police prend pour acquis qu’Hannibal a été victime d’un accident et qu’Oddy s’est suicidée. Après bien des détours, des hypothèses testées, des entrevues non officielles avec des témoins ou des suspects, Erlendur arrive à une autre conclusion dans les deux cas.

Les nuits de Reykjavic décrites depuis une auto-patrouille ne sont pas très gaies. Les interventions policières sont très ponctuelles. Mais l’enquête d’Erlendur permet de constater que la capitale islandaise connaît aussi des crimes de plus grande envergure. Ça nous permet aussi de saisir qu’Erlendur est tenace et fonceur. Pas facile de comprendre pourquoi il s’est autant impliqué dans le cas d’Hannibal, même si certains souvenirs de son passé nous font sentir son besoin de venir en aide aux laissés-pour-compte.

L’histoire est assez complexe et il ne faut pas essayer de découvrir l’assassin avant la police. La construction du récit est habile et permet au lecteur de respirer : une cinquantaine de chapitres d’une huitaine de pages. Et comme c’est le premier tome de la série Erlendur, c’est surtout la personnalité du policier qui s’y développe : un homme assez ordinaire, plutôt solitaire, tenace, obstiné même, peu liant mais loyal.

Une série qui promet.

Extrait :
Erlendur possédait un vieux tacot qu’il prenait parfois pour quitter la ville. Il se garait alors au bord de la route et allait marcher dans les montagnes en emportant une tente quand les prévisions météo étaient bonnes. Il ne se considérait toutefois pas comme un randonneur même s’il s’était inscrit à l’Association touristique d’Islande dont il recevait le bulletin annuel. Il n’avait participé qu’une seule fois aux activités de cette association en guidant un grand groupe de marcheurs jusqu’aux sources chaudes de Landmannalaugar. Il avait alors compris qu’il détestait voyager avec des gens qui manifestaient en permanence de la gaîté. Toute cette joie avait quelque chose d’oppressant.

Reykjavik

Niveau de satisfaction :
4 out of 5 stars (4 / 5)

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Le dernier étage du monde – Bruno Markov

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2023 – Anne Carrière
Genres :
Thriller, high-tech, sociétal
Personnage principal :
Victor Laplace, brillant développeur et consultant d’un grand cabinet conseil

Victor Laplace est en guerre. Il veut la tête de celui qui a poussé son père au suicide. Il a une stratégie pour cela : s’infiltrer dans le cabinet conseil qu’a monté son ennemi, apprendre ses méthodes, étudier l’adversaire et le moment venu, l’attaquer pour l’abattre. C’est donc progressivement que Victor approche Stanislas Dorsay, le fondateur de B&G Disrupt, un cabinet spécialisé dans les hautes technologies : intelligence artificielle, neurotechnologies, réalité virtuelle … Et comme c’est un cador dans la création des algorithmes, il ne tarde pas à se faire remarquer par ses compétences. Mais dans un monde où le talent vaut moins que l’entregent, Victor doit aussi assimiler les codes de conduite en vigueur chez les consultants pour faire partie du sérail, il doit améliorer son savoir-être. Il apprend vite, commence alors pour lui une ascension rapide vers les plus hauts étages du monde où se décide l’avenir.

L’auteur qui a été consultant en stratégie connait très bien le monde des cabinets conseils et des entreprises qui les utilisent. Il nous donne une vision sombre de ce milieu économique et financier. C’est à travers la transformation de Victor Laplace, jeune homme réservé et timide, marqué par deux épreuves successives : son père s’est suicidé et dans la foulée son amoureuse l’a plaqué, que commence la description de ce microcosme. Pour s’imposer Victor doit devenir un autre homme : un être qui sait utiliser toutes les ficelles de la séduction, un conquérant sans sentiments, qui se contrôle en permanence, un dominateur. Il devient Victor Newman, un membre de l’espèce dominante.

Le monde décrit dans ce roman n’est pas très désirable. C’est celui de la compétition permanente, de la domination, c’est le Game, le grand jeu de la manipulation. Gagner encore plus d’argent, devenir enviable, booster sa carrière, doper ses ventes, muscler son réseau, cultiver sa valeur. Séduire les grands patrons et les jolies filles, c’est aussi le Game. Mais surtout pas de sentiments qui pourraient affaiblir la performance. Amour et amitié sont une perte de temps. La séduction et le sexe font partie de la stratégie de domination. La seule parole d’évangile est : baisez-vous les uns les autres dans un univers totalement déshumanisé.

Le monde que ces gens-là nous préparent n’est pas plus enviable que celui dans lequel ils vivent : « Tôt ou tard, on réduira tout le réel en équations. On estimera le prix des nuages et du vent, des forêts et des mers, on calculera le risque, la valeur ajoutée de chaque centimètre cube de matière et d’énergie sur terre. Tout le vivant sera mis au travail, intégré à nos business plans, comme aujourd’hui déjà la plupart des hommes, des animaux et des plantes. » C’est effrayant, mais pas si improbable.

Le dernier étage du monde nous décrit de l’intérieur un monde bien réel mais l’intrigue est romanesque et les personnages imaginaires. Ce livre est édifiant sur les pratiques des consultants chèrement rétribués par des financiers, des économistes et des politiques qui préparent un avenir inquiétant. A lire absolument pour comprendre les enjeux du futur.

Extrait :
— C’est notre déni de cette obsolescence, notre ignorance sélective à nous, les « élites », qui alimentent la colère des foules, cette marée noire qui s’embrase sous nos yeux. Et tant que nous refuserons d’admettre que la fête est finie, nous continuerons de faire élire des guignols et despotes en puissance qui se nourrissent de ce ressentiment.

Autour de la table, tout le monde acquiesce avec déférence, même ceux qui ne sont pas d’accord. La valeur nette – net worth pour les intimes – de ce type est supérieure à celle de tous les convives réunis. Alors il pourrait proclamer que la Terre est plate, le consensus serait à peu près le même. Quant à moi c’est simple, je bois ses paroles. Son discours me fait l’effet d’une révélation : il est donc possible, n’en déplaise à Patrick, de critiquer les règles du jeu sans y perdre, de réussir sans devenir un parfait connard. En deux phrases, Chris Murray vient de réhabiliter le modèle que mon père incarnait à mes yeux, dans ses belles années. Un ingénieur ne cherchant pas à se travestir en homme d’affaires, préférant l’intelligence au savoir-être… Un exemple à suivre. Je ne me suis jamais senti aussi fier d’être connecté à quelqu’un sur LinkedIn.

Niveau de satisfaction :
4.4 out of 5 stars (4,4 / 5)

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Une mort esthétique – P.D. James

Par Michel Dufour

Date de publication originale :
2008 (The Private Patient)
Date de publication française :
2009 (Arthème Fayard)
Traduction (anglais) :
Odile Demange
Genre :
Enquête
Personnage principal :
A. Dalgliesh, commandant (Police métropolitaine)

C’est l’avant-dernier roman de P. D. James, et la dernière aventure de Dalgliesh.

La journaliste d’investigation Rhoda Gradwyn est admise à la clinique privée du docteur Chandler-Powell pour faire disparaître de sa joue une longue cicatrice. Au Cheverell Manor, elle rencontre son médecin et son assistant le docteur Marcus Westhall; Marcus et sa sœur Candice habitent dans un cottage à deux pas du manoir. On lui présente également Helena Haverland, ou Miss Cressett, l’administratrice en chef, Flavia Holland, l’infirmière principale et Madame Frenshaw, ou Lettie, gouvernante et dame de compagnie d’Helena. Elle connaîtra plus tard les cuisiniers Kim et Dean Bostock, le jardinier depuis toujours Magworthy, et la jeune domestique à tout faire Sharon Bateman.

Quand on apprendra que Rhoda Gradwyn a été égorgée la nuit qui a suivi son opération, c’est parmi ces gens-là qu’il faudra chercher le coupable. Il s’agit pratiquement d’un problème de chambre close. D’où l’importance de connaître ces personnages, ce qui correspond au premier tiers du roman, avant l’arrivée de Dalgliesh. Les habitués de P. D. James connaissent bien Dalgliesh, un policier brillant et consciencieux, travailleur acharné. Il a besoin d’une heure de marche par jour, et il dirige ses adjoints Kate Miskin et Francis Benton-Smith avec politesse et rigueur.

La publicité d’un meurtre dans sa clinique n’a rien d’avantageux pour Chandler-Powell et il semble que, à l’heure du meurtre, il ait été en grande discussion avec Flavia dans ses appartements. Le jardinier Magworthy n’est jamais là où on pense, mais rien ne le relie à Rhoda. Miss Cressett avait-elle le désir de ruiner le chirurgien qui avait racheté le manoir de son père obligé de vendre ? Madame Frenshaw semble bien aimable avec tout le monde; n’est-ce pas une bonne raison pour s’en méfier ? Candice n’habite pas au manoir et son frère Marcus n’était apparemment pas au manoir à l’heure du crime. Les Bostock gèrent la cuisine avec plaisir et il est peu probable qu’ils aient eu intérêt à se tirer dans le pied. Quant à la jeune Sharon Bateman, elle paraît un peu déséquilibrée et avec ces gens-là on ne sait jamais…

Quand nos trois policiers mettent en commun le produit de leurs réflexions sans grand succès, un deuxième meurtre se produit : Robin Boyton, ami de la journaliste et cousin de Marcus, est retrouvé asphyxié dans un vieux congélateur. L’enquête rebondit. Un troisième meurtre est évité de justesse; l’assassin est contraint d’avouer.

Pour Dalgliesh, la vie continue. Il cherche à savoir si le testament du père de Candice est valable, c’est-à-dire si le père de Candice et Marcus est vraiment mort au moins huit jours après la mort du grand-père. Et, deuxième problème important : Dalgliesh aura-t-il le temps d’épouser la jolie Emma qu’il courtise depuis quelques années ?

Ce grand roman est en même temps un sérieux appel à l’optimisme malgré les coups durs que la vie nous impose. Une belle démonstration aussi que toute vérité n’est pas bonne à dire. James nous confie, à la fin de sa vie, une idée fondamentale de sa philosophie à travers le personnage d’Annie, une amie de Dalgliesh qui s’est faite agressée et presque violée : « Si les cris de toutes les créatures vivantes de la terre se rassemblaient dans un unique hurlement de douleur, ils ébranleraient sûrement les étoiles. Mais nous avons l’amour. La défense peut paraître frêle face aux horreurs du monde, mais nous devons nous y cramponner et y croire, car c’est tout ce que nous avons ».

Extrait :
Je sais ce que vous allez me demander. S’agissait-il d’une attirance sexuelle ? Tout ce que je peux vous dire c’est que cette simple idée aurait été sacrilège à mes yeux. Je ne l’ai jamais touchée. Mais de l’amour, oui, c’était de l’amour. N’est-il pas toujours physique dans une certaine mesure ? Pas sexuel, mais physique ? Le plaisir qu’on éprouve à contempler la beauté et la grâce de l’objet aimé ? Vous savez, je suis directeur d’école. Je connais par cœur toutes les questions qu’on va me poser. « Avez-vous eu des gestes déplacés ? » Comment répondre à cela, à une époque où le simple fait de poser le bras autour de l’épaule d’un enfant qui pleure est considéré comme indécent ?

Manoir du Dorset

Niveau de satisfaction :
4.5 out of 5 stars (4,5 / 5)

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Deux nuits à Lisbonne – Chris Pavone

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2022 (Two Nights in Lisbon)
Date de publication française : 2023 – Gallimard
Traduction (américain) :
Karine Lalechère
Genres :
Thriller, sociologique
Personnage principal :
Ariel Pryce, femme nouvellement remariée

Ariel se réveille seule dans on lit. Elle a accompagné son nouveau mari, John, à Lisbonne pour un voyage d’affaires. Non seulement le mari n’est pas dans son lit, mais il n’est nulle part. Il s’est tout bonnement volatilisé. Ariel se rend au commissariat, puis à l’ambassade américaine pour faire part de la disparition. On la reçoit poliment, mais sans trop prendre au sérieux l’escapade d’un mari dix ans plus jeune qu’elle. Il est de toute façon trop tôt pour se lancer dans des recherches. Peu de temps après, elle reçoit une demande de rançon, John a été enlevé et on lui réclame trois millions d’euros en espèces à verser dans les quarante-huit heures pour le retrouver vivant. Bien sûr Ariel est loin de posséder une telle somme. D’abord désemparée, elle pense ensuite au seul homme capable de lui fournir rapidement ces fonds. Le problème est qu’elle ne l’a pas vu depuis quatorze ans et qu’elle l’a fui en espérant ne jamais le revoir. Mais pour sauver John, elle va se faire violence en faisant appel à cet individu qu’elle déteste.

L’intrigue est pleine de surprises et de faux-semblants. De bout en bout et jusqu’à l’épilogue, les éclairages qu’on a de cette affaire changent successivement de façon radicale. Le changement des points de vue entre Ariel, la police portugaise et la CIA apporte beaucoup d’incertitudes. On ne peut qu’admirer la maîtrise et la malice de l’auteur pour balader les lecteurs. À l’intérieur de cette intrigue sophistiquée, on trouve des passages où l’auteur aborde des aspects de la société. Il est particulièrement féroce lorsqu’il décrit la façon de vivre des riches. Par exemple il décrit la vanité d’un financier aux ambitions politiques élevées, qui, dans un bistrot, commande un vin qui ne figure pas sur la carte, un vin qui lui est réservé alors qu’il se fiche complètement du goût de ce vin, il veut juste qu’on lui serve quelque chose de cher, d’exclusif, qui prouve son importance. Les épouses de ces hommes ne sont pas en reste : elles se targuent de leurs privilèges, de leurs enfants surdoués, de leurs yachts, de leurs bijoux précieux et de leurs médecins de chirurgie esthétique de renom. Des femmes qui ne savent plus quel moyen utiliser pour dépenser l’argent de leurs maris. Autre particularité de la société américaine mise en lumière : les accords de confidentialité entre particuliers qui permettent aux gens riches d’étouffer certaines affaires délicates, ils offrent de l’argent pour acheter le silence de façon officielle, devant des avocats. Les sanctions sont sévères en cas de non-respect, il y a des poursuites au pénal et au civil. C’est en quelque sorte la normalisation de l’impunité par l’argent, une corruption officielle des victimes qui n’ont guère le choix.
Les nombreuses digressions font que ce roman n’est pas qu’un thriller débridé, c’est aussi un miroir de notre société.

Les personnages sont souvent pleins de contradictions. Ainsi Ariel qui est une belle femme qui faisait partie de la classe des nantis quand elle a commencé une carrière d’actrice, puis elle a coupé tout lien avec ce monde pour vivre modestement dans une vieille ferme. Elle est devenue propriétaire d’une petite librairie. Elle n’a pas beaucoup confiance en elle, elle est persuadée qu’elle ne cessera jamais d’enchaîner les échecs et son côté nunuche fait que souvent on ne la croit pas, mais en fait elle est plutôt débrouillarde, elle a appris à faire des choses par elle-même pour entretenir sa ferme et elle sait se défendre : elle a mis une raclée à un sale type qui tentait de la violer et elle a même cassé la figure à un agent de la CIA. Son mari John est une énigme : il est amoureux et prévenant, mais Ariel ne savait pas qu’il a été envoyé en Afghanistan comme militaire, puis en Serbie par la CIA. Maintenant il se fait enlever au Portugal. De quoi se poser des questions sur son compte. Pourquoi a-t-il été kidnappé ?

Deux nuits à Lisbonne est un thriller avec une bonne intrigue et des personnages complexes. Il y a en plus un aspect politique avec une belle description des travers de la société actuelle et les turpitudes de ses élites.

Extrait :
— Bien sûr, sourit Nicole. Donc, votre jeune mari vous demande de l’accompagner en voyage d’affaires à Lisbonne, sous le prétexte fallacieux que son client requiert votre présence. Il est enlevé pendant le séjour, dans une ville où on enlève des citoyens américains en moyenne zéro fois par an. Afin de le sauver de ce péril rare, vous êtes contrainte de menacer un homme dans une situation où il est particulièrement vulnérable au chantage. Vous récupérez l’argent, vous donnez deux millions d’euros à quelqu’un dans une impasse et, ô surprise, votre mari est relâché en pleine forme, hormis une petite coupure au visage. C’est ce qui s’est passé ?

— Les sarcasmes en moins, oui, répond Ariel.

Rançon : deux millions d’euros en espèces

Niveau de satisfaction :
4.4 out of 5 stars (4,4 / 5)

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Voyages de noces – Val McDermid

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2017 (Insidious Intent)
Date de publication française : 2020 (Flammarion) et 2021 (J’ai lu)
Traduction (anglais) :
Perrine Chambon et Arnaud Baignot
Genres :
Enquête, thriller
Personnage principal :
Carol Jordan, commandante – Tony Hill, profileur

C’est avec plaisir que j’ai retrouvé McDermid. Encore un roman solide dont l’intrigue est menée avec intelligence et dont les personnages ne manquent pas d’intérêt : d’abord, le tueur, qui est rusé, connaît les stratégies policières qu’il s’amuse à déjouer. Puis, Carol Jordan, hantée par un sentiment de culpabilité qu’elle s’efforce de combattre, alcoolique également, tendance que son ami Tony se donne pour tâche de combattre. Aussi le psychologue Tony Hill, souvent maladroit, mais aux intuitions fulgurantes; c’est la dixième aventure que partagent Tony et Carol, de 1997 à 2017. À cette équipe s’ajoutent la spécialiste de l’informatique, Stacey Chen, et la policière expérimentée Paula McIntyre. Dans les romans de McDermid, le développement de ces personnages est presque aussi important que le déroulement de l’intrigue.

Tom Elton est un gars fier qui aime qu’on reconnaisse son importance. Mais le ciel lui tombe sur la tête quand son épouse le quitte, se retire de la compagnie familiale où elle tenait un rôle important, et fuit à l’étranger. Tom doit alors quitter son appartement trop dispendieux. Sa compagnie perd popularité et profits. Il a l’impression que sa vie est fichue et qu’il ne lui reste que la vengeance : il doit tuer sa femme. Comme il ignore où elle vit maintenant, il décide de tuer des victimes de substitution, en attendant de la retrouver. Sa stratégie est simple : il fréquente des mariages qui comptent beaucoup d’invités, repère des femmes seules, les séduit, les étrangle et brûle leur cadavre dans leur automobile.

La Brigade régionale d’enquêtes prioritaires (la BREP), dirigée par Carol Jordan, se déploie rapidement mais sans relever beaucoup d’indices. Après trois nouveaux meurtres et quelques semaines d’enquêtes peu fructueuses, le moral de l’équipe vole bas et le grand patron trouve que leurs investigations commencent à coûter cher et menace de leur retirer la responsabilité de l’enquête.

Pendant ce temps, d’autres problèmes occupent les membres de l’équipe : comment le jeune Torin, adopté par Paula et Elinor, se dépêtre-t-il du bourbier dans lequel il s’est enlisé ?  Qu’adviendra-t-il  de l’affrontement entre Carol et la journaliste Penny Burgess qui veut sa tête ? Quel mauvais sort l’ex-policier réserve-t-il à son ex, Stacey, qui a désactivé tous ses comptes et a perturbé ses réseaux sociaux ?

Le roman est bien construit. Un peu long, sans doute, mais le lecteur est captivé par cette atmosphère stressante dont on ne voit pas comment sortir. La finale en désarçonnera plus d’un, et j’en suis : c’est comme si McDermid avait trempé sa plume dans la tragédie grecque.

Extrait :
Peter Trevithick, le procureur, avait l’air légèrement stressé d’un homme très occupé (…)
On m’a demandé d’évaluer les dégâts de cette enquête, annonce-t-il une fois qu’ils se retrouvent seuls dans son bureau. Mais vous le savez, n’est-ce-pas ?
Carol acquiesça (…). Elle lui raconta leurs progrès laborieux dans l’enquête et les impasses auxquelles ils avaient abouti. Il écouta attentivement et prit des notes dans un carnet Moleskine. Quand il avait des doutes sur tel ou tel point, il posait des questions (…).
─ Je comprends entièrement votre point de vue, dit-il. Mais en  l’état actuel des choses, je ne peux rien faire. Je n’ai pas assez d’éléments pour pouvoir justifier des poursuites. Je suis désolé, Carol. Vous savez comment on travaille de nos jours – il faut qu’il y ait au moins cinquante pour cent de chances de succès sinon il ne se passera rien. Et à ce stade, j’estime les chances de succès à quinze pour cent si vous avez le jury en votre faveur, jugea-t-il d’un air vraiment triste. Le pire c’est que je pense que vous avez raison.

Niveau de satisfaction :
4.4 out of 5 stars (4,4 / 5)

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Nos cœurs disparus – Celeste Ng

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2022 (Our Missing Hearts)
Date de publication française : 2023 – Sonatine
Traduction (américain) :
Julie Sibony
Genres :
Dystopie, Science-fiction
Personnages principaux :
Margaret Miu, poétesse sino-américaine – Bird, son fils de 12 ans

Il y eut la Crise. Les gens perdaient leurs emplois, les magasins fermaient, les locataires ne pouvaient plus payer leur loyer, les expulsions étaient quotidiennes. Il y eut des manifestations, des grèves, des marches pacifiques, des marches de contestation, des vitrines brisées, des magasins pillés ou incendiés, des saccages, des policiers armés en tenue de combat dans les rues. Les raisons de la Crise n’étaient pas très claires, mais au bout de quelque temps le bouc émissaire désigné fut la Chine. Le PACT (Preserving American Culture and Traditions Act), la loi sur la sauvegarde de la culture et des traditions américaines met fin à la Crise. Les citoyens sont alors tenus de faire la preuve de leur attachement à la Nation, des lois liberticides entrent en vigueur, les livres jugés séditieux sont retirés des bibliothèques et détruits, toute personne d’origine étrangère est soupçonnée d’être un ennemi du pays. Dans ce contexte, Margaret Miu, poétesse, fille d’immigrés chinois et mère d’un garçon de douze ans, doit disparaître pour protéger sa famille. Cependant son fils Bird n’accepte pas sa disparition, il décide de la retrouver malgré le danger.

La Crise a épuisé les gens, pour en sortir ils sont prêts à accepter des privations de liberté. Le PACT, au début, a été massivement soutenu. Il offrait une sortie de crise et il désignait les responsables : les pays étrangers, particulièrement la Chine. Puis ce régime est devenu oppressant, il a installé la crainte et la peur. Toute contestation du PACT est durement réprimée. Il est interdit de le critiquer et même d’en parler sous peine d’être désigné comme ennemi du pays et emprisonné. Les autorités ont trouvé un moyen efficace pour contrôler la population : les enlèvements d’enfants. Toute famille jugée déviante ou faisant l’objet d’un signalement, d’une dénonciation, ou simplement d’origine étrangère, voit ses enfants lui être retirés pour être placés dans d’autres familles plus exemplaires. Les enlèvements se multiplient dans tout le pays, les gens vivent dans l’angoisse de perdre leurs enfants.

Margaret Miu est une mère de famille tranquille qui écrit des poèmes. Sans qu’elle le veuille, une phrase d’un de ses poèmes devient le symbole de la contestation : Tous nos cœurs disparus est le slogan utilisé pour manifester contre le PACT et les enlèvements d’enfants. Il apparaît sur des tracts, des affiches, peint sur les murs ou les routes. C’est ainsi que Margaret devient l’ennemie jurée des autorités et circonstance aggravante : elle a les traits d’une Chinoise. Elle doit fuir et quitter sa famille. Devenue un paria, elle prend conscience de l’importance des enlèvements. Elle part à la recherche des familles auxquelles on a retiré les enfants pour en témoigner plus tard de façon originale et spectaculaire qui touchera le cœur des gens.

Nos cœurs disparus est une dystopie, pas totalement sombre, se déroulant aux États-Unis dans un futur proche. L’autrice fait une analyse lucide et implacable de la façon dont un pays démocratique bascule dans un régime autoritaire et xénophobe qui n’a aucun scrupule à utiliser un moyen particulièrement odieux pour contrôler la population. Ce qui n’empêche pas des actes de résistances imaginatifs et astucieux de se multiplier.
Roman profond, consistant et passionnant.

Extrait :
Marie, ça la bouleversait, poursuivit Mme Adelman. Ces enfants enlevés pour faire taire leurs parents, sans même qu’on en parle dans les journaux. Et tout le monde qui se taisait, en faisant comme si ça n’existait pas, en disant qu’ils l’avaient bien cherché. Toutes ces familles séparées.

Aux infos, ils ne montraient que les cas les plus criants, ceux où la réponse paraissait évidente, sans ambiguïté. Mais il y en a eu beaucoup d’autres.
Combien ? demanda Margaret.
Trop. Et pas seulement des protestataires. Toute personne opposée au PACT. De plus en plus chaque jour.

Niveau de satisfaction :
4.5 out of 5 stars (4,5 / 5)

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L’Équarrisseur – Nadine Matheson

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2021
(The Jigsaw Man)
Date de publication française : 2022 (Seuil)
Traduction (anglais) :
Michel Pagel
Genres :
Thriller, enquête
Personnage principal :
Anjelica Henley, inspectrice détective

C’est le premier roman de Nadine Matheson, avocate pénaliste à Londres. D’autres enquêtes d’Anjelica Henley sont prévues.

Sur les rives de la Tamise, au sud de Londres, on découvre des corps démembrés. L’inspectrice détective Henley est chargée de l’enquête, même si elle n’est pas complètement remise de l’attaque d’un tueur en série (surnommé l’Équarrisseur), il y a deux ans, qui l’avait sauvagement poignardée au ventre. On impose à l’inspectrice un stagiaire, Salim Ramouter, plus enthousiaste qu’expérimenté, au grand déplaisir de l’enquêtrice; son partenaire habituel, Gene Stanford, étant engagé dans une autre enquête.

Des organes de plusieurs autres cadavres sont retrouvés, sur lesquels est gravée une image qui ornait également les membres des  victimes de l’Équarrisseur, Peter Olivier, qui purge actuellement sa peine dans une prison à sécurité maximale. Les forces de l’ordre estiment qu’il s’agit donc d’un imitateur, un copycat. Mais, alors qu’Olivier découpait proprement ses victimes, l’imitateur agit plutôt comme un apprenti boucher et semble avoir du plaisir à pousser ses victimes, droguées, à être témoins de ses découpages.

Henley tente de soutirer des informations à Olivier, mais ne parvient qu’à susciter la colère du tueur contre son imitateur et contre elle-même.

Pendant qu’on s’interroge sur les motifs du tueur actuel, Olivier s’évade et défie l’inspectrice qu’il va trouver l’imitateur avant elle. Les policiers redoublent d’efforts pour retrouver les deux malfrats, d’autant plus qu’Olivier recommence à tuer quelques personnes. Puis, il trouve le moyen d’observer Henley et sa famille; il lui livre la tête d’une de ses victimes et va même jusqu’à enlever le patron de l’inspectrice. Rongée par la culpabilité, Henley fonce et s’enfonce.

Le rythme est lent : beaucoup d’entrevues qui ne donnent rien. Plusieurs personnages ne manquent pas d’intérêt : la légiste, la spécialiste en informatique, le patron de Henley, et la recrue Ramouter. Ce qu’il y a d’original dans cette histoire, c’est que l’enquêtrice est à la fois persécutée et assistée par le tueur qui tient également à retrouver son imitateur pour l’éliminer. J’ai été, cependant, passablement agacé par le sentiment de culpabilité de Henley, hyper centrée sur elle-même au point qu’elle est incapable d’entretenir des amitiés et de s’occuper de son couple et de sa fille. Elle a bien raison d’affirmer qu’elle rate tout ce qu’elle entreprend. Son refus obstiné de passer pour une victime ne l’aide pas à pouvoir s’en sortir; et sa fierté l’incite à confondre courage et témérité. On espère que dans les romans suivants elle aura acquis un peu plus de maturité.

Extrait :
Il était presque vingt-deux heures. Henley songeait à toutes les occasions passées où elle aurait aimé arriver dans une maison silencieuse – mais c’était avant le départ de Rob, d’Emma et de Luna. Elle aperçut le lapin en pluche de sa fille sous la table de la cuisine et tenta de retenir les larmes qui lui brûlaient les yeux. Tournant les talons, elle retourna en voiture.
Elle n’ignorait pas qu’aller chez Pellacia était une mauvaise idée. Quand elle y arriva, elle resta dans la voiture, le moteur allumé, et observa la façade pendant plusieurs minutes, voyant par la fenêtre l’éclat de la télévision s’insinuer entre les rideaux. Elle sursauta quand on tapa sans douceur à sa vitre.
─ Tu comptes rester encore longtemps dans ta bagnole ? s’enquit Pellacia.

Niveau de satisfaction :
3.8 out of 5 stars (3,8 / 5)

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Panorama – Lilia Hassaine

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2023 – Gallimard
Genres :
Science-fiction, dystopie
Personnage principal :
Hélène Dubern, gardienne de protection

France 2029.
Suite à plusieurs cas d’impunité de parents maltraitants, de prêtres pédophiles, de flics abusifs et de « pourris » de toute sorte, la justice est accusée de lenteur et d’inefficacité. L’hashtag «Revenge Week» – semaine de la vengeance – devient viral. Un climat insurrectionnel s’installe en France. Les victimes s’en prennent à leurs bourreaux. Une avocate lance le mouvement Transparence citoyenne. Les lois et les décisions de justice seront désormais discutées et votées par le peuple sur Internet. Mais il faut aller plus loin encore : ce sont les murs qui permettent, à l’abri des regards, que soient commises toutes les violences. Les murs sont dangereux. Un nouvel urbanisme voit le jour : les constructions modernes seront transparentes. Qu’avons-nous à cacher ? Si nous n’avons rien à nous reprocher, pourquoi ne pas tout montrer ?
France 2049.
C’est dans ce contexte où chacun veille sur les autres qu’une famille entière disparaît, sans que personne n’ait rien vu. Cela paraît impossible, mais c’est pourtant bien arrivé. Hélène Dubern, gardienne de protection (anciennement appelée policière) doit enquêter sur ce mystère.

L’intrigue, bien construite, est pleine de trouvailles. Dans ce monde où plus rien n’est caché, la délinquance a chuté et le métier de policier a perdu tout intérêt : les atteintes aux personnes ont grandement diminué, la criminalité s’était effondrée. Le travail d’Hélène consistait à enfourcher son vélo, pour s’assurer que tout se passait bien chez les uns, chez les autres, à faire de la prévention, à intervenir si besoin pour constater une infraction. D’ailleurs elle ne s’appelle plus policière, terme jugé péjoratif, mais gardienne de protection. Mais aujourd’hui fini la routine, son chef lui a confié l’enquête sur la disparition parce qu’elle est la plus ancienne et que les autres sont des brêles.

Dans les maisons-vivariums, chacun vit sous le regard de ses voisins, mais le nouvel urbanisme n’a pas effacé les différences de classes. Dans le quartier chic, les architectes ont rivalisé d’imagination en créant toutes formes de maisons : des maisons-glaçons côtoient des maisons-boules, des maisons-aquariums … Dans les classes moyennes, les maisons sont plus sobres et se ressemblent. Il y a un quartier qui a refusé le nouvel urbanisme. Les habitants vivent dans des barres d’immeubles surpeuplées ou dans des pavillons aux murs et aux cloisons en béton. Ceux qui vivent là sont ceux qui manquent de moyens ou ceux qui ont refusé la Transparence. Ils doivent signer une décharge stipulant qu’ils renoncent à la sécurité et à la protection. C’est dans cet endroit que subsiste la vraie vie, bien plus que dans le quartier aseptisé des gens riches.

Pourtant c’est dans le quartier le plus huppé, celui où la protection est maximale, où tout est luxe, calme et sécurité que s’est produit l’impensable : la disparition de toute une famille : la mère, le père et le jeune fils de huit ans. L’enquête confiée à Hélène est délicate parce qu’elle doit être menée dans un milieu de gens riches et influents.

Mais l’enquête n’est pas ce qui semble intéresser le plus l’autrice, ce n’est qu’un prétexte pour montrer qu’un système de totale transparence n’empêche ni le crime ni le silence de témoins plus motivés à protéger leurs privilèges qu’à établir la vérité. Elle montre aussi que la vie sous surveillance, soi-disant bienveillante, n’aboutit qu’à l’affadissement des sentiments, des envies et des forces vitales. Elle engendre une société déshumanisée. La Transparence est plus destructrice que protectrice.

Panorama est une dystopie pleine d’imagination. L’écriture est limpide et sans fioritures. Ce roman suscite aussi la réflexion sur cette nouvelle société basée sur la Transparence.

Extrait :
L’architecte scelle ce jour-là, en accord avec les citoyens, les normes d’un nouvel urbanisme. Le baron Haussmann avait transformé Paris au XIXe siècle pour plus de salubrité et de sécurité. Les grands travaux de Viktor Jouanet viseront à un « assainissement moral » et à une « sécurité optimale ». Les constructions modernes seront transparentes. On rénovera les lieux de culte et monuments du patrimoine qui peuvent l’être : les murs de pierre seront remplacés par des vitres. On détruira les logements, les écoles, les prisons, les hôpitaux, les commerces pour construire des maisons-vivariums, où chacun sera garant de la sécurité et du bonheur de ses voisins.

« Au fond, qu’avons-nous à cacher ? Si nous n’avons rien à nous reprocher, pourquoi ne pas accepter de tout montrer ? »
L’assemblée applaudit et entonne La Marseillaise.

Lilia Hassaine présente Panorama

Niveau de satisfaction :
4.2 out of 5 stars (4,2 / 5)

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Lucia – Bernard Minier

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2023 (Pocket) et 2022 (XO)
Genres :
Enquête, thriller
Personnage principal :
Lucia Guerrero, inspectrice (Guardia Civil, Espagne)

Il y a trente ans (1989), près de Graus, au nord-est de Madrid, un jeune couple est assassiné et leur enfant disparaît. En 2015, à Ségovie, un autre couple est massacré à coups de couteau. En 2018, à Benalmadena, un couple de touristes est poignardé alors qu’ils étaient encore au lit. Tout dernièrement, enfin, le sergent Sergio Castillo Moreira est retrouvé, collé sur une croix, nu, les bras écartés, tailladé à coups de tournevis. Sa partenaire, la lieutenante Lucia Guerrero, qui va mener l’enquête, est toute chavirée après avoir examiné la scène de crime particulièrement hallucinante.

La police a très peu d’indices. À l’université de Salamanque, par contre, le professeur de criminologie Salomon Borges anime et dirige un groupe d’étudiant(e)s de moins de trente ans, qui ont mis au point une sorte d’intelligence artificielle de criminologie, nommée DIMAS, qui a pu établir des liens entre ces quatre assassinats : les scènes de meurtre étaient toutes inspirées de tableaux de la Renaissance, et on avait utilisé la même sorte de colle pour fixer la position des personnages. Le mobile n’était toujours pas très clair : on ne tue tout de même pas des gens parce qu’ils semblent heureux ! Salomon et Lucia enquêtent d’abord sur celui qui a emprunté à la bibliothèque un livre qui recense plus de deux cents tableaux peints en Italie, en Espagne, en France et dans les pays du Nord entre la fin du XVIe siècle et le début du XVIIIe : les trois premiers meurtres sont des copies exactes de peintures qu’on y trouve. Puis, sur un suspect du premier meurtre qui les conduit dans un repaire de pédophiles où se serait retrouvé l’enfant disparu.

Quand les enquêteurs approchent de la solution, deux jeunes du groupe de recherche sont assassinés et il semble que ce soit maintenant Lucia et le professeur qui sont dans la mire du tueur.

Ce n’est pas l’action qui manque dans ce roman. Minier connaît les trucs du métier et il aime se rapprocher de ses lecteurs : il espère qu’on joue à deviner ses fausses pistes et à découvrir le coupable. Il intègre des références culturelles (littéraire, cinématographique, musicale et picturale) pour montrer qu’un polar peut être plus qu’un simple divertissement. Ça permet de lire assez facilement les 500 pages, mais il ne faut pas essayer de découvrir le fin fond de l’histoire avant Lucia. L’auteur, en effet, multiplie les revirements et le mobile des principaux assassinats relève d’une tendance psychologique rarissime.

Extrait :
Le regard que Lucia posait sur le psychiatre était de la couleur d’un ciel d’hiver. On en revenait toujours à l’enfance. Quels que soient les actes de ces monstres, le petit enfant était toujours l’excuse.

─ Le trouble se caractérise souvent par des amnésies, des trous de mémoire : on a la preuve de choses qu’il a faites, y compris illicites, mais le patient a oublié qu’il les a faites. Ou bien un de ses alter s’en souvient mais pas les autres, comme c’est le cas ici.
─ Illicites ? gronda-t-elle. Illicites ? Il a massacré mon coéquipier, docteur. Il lui a planté un foutu tournevis dans le cœur ! Il l’a collé à une saloperie de croix ! Trous de mémoire, mon cul ! Il n’est pas question qu’il aille se bourrer de pilules dans un asile en attendant qu’un psychiatre irresponsable le remette en liberté !

Université de Salamanque

Niveau de satisfaction :
4.1 out of 5 stars (4,1 / 5)

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Les enfants du silence – Lyn Yeowart

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2021
(The Silent Listener)
Date de publication française : 2023 – Les presses de la Cité
Traduction (anglais Australie) :
Nathalie Perrony
Genre :
Roman noir
Personnage principal :
Joy Henderson, fille d’un père violent

George Henderson est un citoyen modèle, il est toujours souriant et disponible. Il est membre du conseil paroissial, du comité de la salle polyvalente, joueur de boules anglaises, arbitre assistant de football, présent à toutes les messes et va prier avec ceux qui sont dans la douleur … Bref, George Henderson s’implique dans toutes les activités de la petite ville de Blackhunt et passe pour quelqu’un de bien, un bon chrétien, un pilier de la communauté qui est toujours prêt à aider. Mais chez lui, c’est le pire salaud, un bourreau : il frappe sa femme et inflige de longues séances de coups de ceinture à ses enfants pour le moindre prétexte, ils en ressortent meurtris, en sang et pleins de haine pour leur père. Près de vingt plus tard, sa fille Joy apprend qu’il est mourant, elle revient alors à la ferme où elle a grandi pour « s’occuper » de lui. Elle a bien l’intention de lui faire payer toutes les souffrances qu’il lui a fait subir.

À la seconde où il meurt, la vie jaillit dans la pièce. La première phrase du livre donne le ton de toute l’histoire. Une histoire de maltraitance et de haine. Après avoir commencé par la fin (celle du père violent), l’autrice retrace le parcours de la famille Henderson. Elle le fait à travers trois époques : – de 1942 à 1949 c’est celle où George, d’abord charmant jeune homme, conquiert Gwen qui deviendra son épouse qu’il transformera au fil du temps en une esclave docile et apeurée – de 1960 à 1964 c’est la période où Joy et son frère Mark doivent subir les sévices de leur père – 1983 c’est la libération par la mort du père dans des circonstances troubles. Au fil du récit, l’autrice nous montre les échappatoires utilisées par Joy pour supporter la douleur et l’angoisse, par exemple les judicieux conseils d’une sœur épargnée par la violence du père à cause de son accident (elle est en fauteuil roulant). Son dictionnaire qu’elle écrit en définissant les mots par des images ou des couleurs est aussi un moyen d’oublier, pour un temps, la menace du père. Joy a des anguilles qui grouillent dans son ventre dans les moments de peur et de stress ou, au contraire, elle se sent Chocolat Noir Fourré à la Fraise dans les moments de répit, quand son père est loin. Joy et son frère Mark ont souvent rêvé de tuer leur père, mais ils ne sont pas de taille à s’opposer frontalement à lui. Joy va alors développer une stratégie de résistance sournoise qui se révélera à long terme d’une redoutable efficacité.

À travers la façon de vivre de la famille Henderson, l’autrice nous montre aussi les conditions misérables des fermiers de cette région d’Australie qui doivent économiser sur tout pour s’en sortir. Le contraste entre le mode de vie de la famille de Joy et celui de sa copine Felicity, dont la famille est riche, est saisissant. Alors que chez elle ce n’est que restrictions, austérité, punitions, chez sa copine c’est joie, décontraction, bienveillance. Joy rêve d’avoir la même famille, la même maison que sa copine. Plus tard Joy s’apercevra avec amertume que nombreux étaient ceux qui savaient ce que George imposait à sa famille, mais tous ont gardé le silence et n’ont rien fait pour les protéger.

Dans ce roman noir, il y a aussi des enquêtes. D’abord celle de la disparition de la petite Wendy, la fille de neuf ans des voisins de la famille Henderson. Elle s’est volatilisée un jour et on ne l’a plus revue. L’enquête n’a rien donné. Une autre enquête concerne la mort étrange de George. Suicide ou assassinat ? Le policier Shepherd a son idée, mais pas la moindre preuve. C’est Joy qui a les clés de ces deux affaires. Elle a décidé de faire éclater la vérité. Sa vérité.

Les enfants du silence est un roman noir dense et bien construit. Les personnages sont attachants pour certains, détestables pour d’autres. L’intrigue est prenante. C’est un premier roman réussi.

Extrait :
— Ils diront qu’il ne supportait plus ses souffrances physiques. Et il souffrait beaucoup, c’est vrai. Mais, s’il s’est tué, c’est parce que je refusais de le faire pour lui.
— Comment ça ?
— Il m’a demandé de lui donner tous ses cachets d’un coup. J’ai refusé. J’avais décidé de ne plus obéir à ses ordres. « Sers-moi un verre de Passiona. » « Laisse le thé infuser plus longtemps. » « Jette le chaton dans l’étang. » « Tiens-toi tranquille sur ta chaise. » « Tais-toi. » « Demande pardon. » Bon sang, vous n’avez pas idée de l’effet que ça produit sur un enfant ! Le tout couronné par ses coups de ceinture. Je n’oublierai jamais ce qu’il nous a fait… à nous, ses enfants… et je ne lui pardonnerai jamais. Ni oubli ni pardon. C’est ma devise.
Shepherd eut l’impression de se prendre du vitriol en plein visage.
— Vous avez au moins raison sur un point : oui, j’avais envie de le tuer…

Niveau de satisfaction :
4.3 out of 5 stars (4,3 / 5)

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