La revanche – Arttu Tuominen

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2020 (Hyvitys)
Date de publication française :
2023
(La Martinière)
Traduction (finnois) :
Anne Colin du Terrail
Genres : Noir, thriller
Personnages principaux :
Jari Paloviita, Henrik Oksman

Dans la petite ville finlandaise de Pori, une grenade est lancée dans une boîte de nuit fréquentée par la communauté LGBTQ. Bilan : 5 morts et des dizaines de blessés. L’attentat est revendiqué par un homme qui se prend pour l’Envoyé de Dieu : « L’homosexualité représente tout ce qui va mal dans notre société. C’est un fléau envoyé par Satan en personne qui nous contamine lentement. Je vous en conjure : suivez-moi. Suivez-moi, et Notre-Seigneur Jésus vous récompensera ! » Le message est rapidement diffusé à la télévision et dans tous les médias. On apprend, par ailleurs, que l’explosif fait partie d’un stock de grenades et de fusils qui ont été volés dans les réserves de l’armée. Des groupes d’extrême droite comme le White Order sont encouragés par les actes et le discours de cet Envoyé, ce qui est une mauvaise nouvelle parce qu’une manifestation des organisations homosexuelles est prévue pour demain.

Le représentant de la Police judiciaire centrale (PJC) Johan Niemi est responsable des opérations, mais ce sont surtout les inspecteurs Jari Paloviita et Henrik Oksman qui se chargent de l’enquête. Niemi a peu de succès dans ses recherches de l’Envoyé. Mais Paloviita et Oksman se préoccupent de la disparition de deux témoins de Jéhovah qui auraient été en contact avec l’Envoyé.

L’intrigue policière a évidemment son importance, mais plusieurs autres problèmes retiennent notre attention : d’abord, l’attitude de la population vis-à-vis des minorités comme les homosexuels : c’est seulement en 2017 que le mariage entre personnes du même sexe a été autorisé en Finlande; depuis ce temps, compte tenu des virages politiques à droite qui se sont multipliés dans bien des pays, il semble qu’une tendance à la répression se soit accentuée. Cette thématique est d’autant plus développée dans le roman que l’inspecteur Oksman est lui-même un travesti, qu’il était présent au Venus peu avant que la grenade explose, et qu’il craint que son partenaire ou que des caméras de surveillance révèlent son secret. Son collègue Paloviita est distrait par des problèmes de famille (argent et beau-père) qui perturbent son rendement. Enfin, comment évolueront les relations entre l’Envoyé et le fils du témoin de Jéhovah qu’il a kidnappé ?

Le roman est dense mais l’ensemble est bien équilibré. L’auteur se veut réaliste, les policiers ne sont pas des héros et n’ont pas l’intelligence d’un Poirot. On sympathise avec eux parce que ce sont des gens bien ordinaires, et qu’ils évoluent, du mieux qu’ils peuvent, dans un milieu qui ressemble pas mal au nôtre.

La revanche a reçu en 2023 le Prix Palle Rosenkrantz, un prix bien mérité.

Extrait :
─ Nous avons trinqué à la santé de l’Envoyé. Quelqu’un a enfin osé faire quelque chose. Ce type a des couilles (…)
Renlund (chef des White Order) se tourna vers le portrait d’Adolf Hitler accroché derrière lui. « J’espère que le plus de gens possible répondront à  l’appel de l’Envoyé. Le seul remède efficace contre des maladies mortelles telles que le communisme, les infirmités, la juiverie et l’homosexualité est l’éradication totale (…) Il faut fermer les frontières avant qu’il ne soit trop tard. L’afflux de migrants économiques doit être stoppé et notre patrimoine génétique ainsi que notre culture doivent être préservés. »

La ville de Pori

Niveau de satisfaction :
4.2 out of 5 stars (4,2 / 5)

Publié dans Finlandais, Remarquable, Roman noir, Thriller | Laisser un commentaire

Dead Mountain – Les morts mystérieuses de l’Oural – Donnie Eichar

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2014 (The Untold True Story of the Dyatlov Pass Incident)
Date de publication française :
2025 – Le Cherche Midi
Traduction (américain) :
Guillemette Franque
Genres : Enquête, historique, mystère
Personnage principal :
Donnie Eichar, auteur

L’affaire Dyatlov est célèbre dans le monde entier, c’est un des plus grands mystères non résolus du 20e siècle. En février 1959, neuf étudiants russes disparaissent dans les montagnes de l’Oural. Les recherches sont lancées et quelques semaines plus tard ils sont retrouvés, certains étaient dénudés malgré une température avoisinant -30°C, d’autres avec de graves blessures, d’autres encore sans yeux et un sans langue. Les étudiants, avant leur mort, avaient fourni une documentation importante concernant leur expédition qui permettait de retracer leur parcours : carnets de voyage et nombreuses photos. Malgré cela personne n’a pu établir avec certitude ce qui leur est arrivé. Par contre, les hypothèses émises furent nombreuses : on en a compté jusqu’à 75, allant de la simple avalanche à l’intervention des extraterrestres, des services secrets, d’une attaque du yéti … Donnie Eichar, a été fasciné par cette affaire, il s’est renseigné, a fait deux voyages en Russie pour essayer de comprendre. Ce livre est le résultat de son enquête.

L’auteur a bâti son livre en faisant alterner deux périodes : 1959, année où les évènements se sont produits, et 2012, époque dite contemporaine où il mène son enquête.
Pour la période 1959, Donnie Eichar rappelle et précise le parcours et les étapes suivis par les randonneurs. Ensuite, il fait la chronologie de l’enquête des autorités russes qui a suivi. En Russie, il est décontenancé par les témoignages où chacun a sa propre idée sur cette affaire. Presque toutes les théories exprimées reflètent une profonde méfiance envers le gouvernement. Pour la période 2012, l’auteur raconte les interviews et les témoignages qu’il a sollicités et son expédition sur le col Kholat Syakhl, montagne morte en mansi [i], rebaptisé col Dyatlov.

Avant de donner sa propre conclusion, Eichar fait une courte liste des hypothèses qu’il élimine : – L’attaque des Mansis – L’avalanche – Le grand vent – Des hommes armés – Les essais d’armes – L’affaire classée – Les extraterrestres et tous les autres. Alors quelle est sa version ? C’est la combinaison de deux phénomènes météorologiques : ondes sonores de basses fréquences et l’allée de Kármán, ce sont des tourbillons d’air qui se forment dans des conditions particulières, ils auraient rendu fous les randonneurs. Bien sûr, cette solution a une caution scientifique, comme beaucoup d’autres, même celle des avalanches. Ici c’est un docteur de la NOAA (National Oceanic and Atmospheric Administration) qui valide. Je ne sais pas si c’est la 76e hypothèse ou si elle est comprise dans les 75 déjà recensées.

On ne peut pas nier que Donnie Eichar s’est beaucoup impliqué dans cette affaire qui l’a obsédé pendant plusieurs années et qu’il a fait une enquête sérieuse en se rendant sur le terrain. Par contre son explication de l’affaire Dyatlov ne me semble guère plus convaincante que des dizaines d’autres.

Un après la publication du livre de la Russe Anna Matveeva, Le mystère Dyatlov (2013), c’est l’Américain Donnie Eichar qui donne sa version de cette étrange affaire. Anna Matveeva a construit son roman sur des sources documentaires officielles : rapports d’enquête, journaux des victimes, comptes rendus des équipes de recherche, cela donne une lecture un peu austère que l’autrice a essayé de compenser en présentant le point de vue d’une jeune femme moderne qui ressemble beaucoup à l’autrice. Donnie Eichar, lui, se met en scène dans le rôle de l’enquêteur. Il présente les résultats de ses investigations de façon plus chaleureuse, plus empathique que la Russe, avec beaucoup de photos de l’époque, cela donne une impression agréable de proximité, il raconte le drame de 1959 un peu comme s’il y était. Les deux livres sont vraiment différents sur les conclusions qu’ils tirent de leur enquête. Curieusement c’est la Russe qui donne la version la moins politiquement correcte. Elle met clairement en cause les autorités de son pays alors que l’Américain nous sort une énième hypothèse censée expliquer les évènements qui ne fait de mal à personne puisque c’est un phénomène météorologique qui explique la mort des randonneurs. Après la lecture de ces deux livres, l’affaire du col Dyatlov reste un mystère même s’ils donnent tous les deux des éléments de réponse permettant à chacun de se faire sa propre idée.

[i] Mansis : peuple autochtone habitant la région du drame, un moment soupçonné d’avoir attaqué les randonneurs

Extrait :
Les enquêtes officielles ne parvinrent à aucune conclusion quant aux événements de la nuit du 1er février, que ce soit en rapport avec une avalanche ou toute autre explication. Avant qu’Ivanov ne mette un point final à l’investigation, il détermina qu’« une force irrésistible inconnue » avait causé la mort des randonneurs. Pour les décennies à venir, les familles et les proches des victimes n’auraient rien de plus que cette explication énigmatique pour tenter de comprendre les agissements secrets de leur gouvernement et les morts tragiques de leurs êtres chers.

Les randonneurs. Du premier plan au dernier : Nikolay « Kolya » Thibault-Brignoles, Alexander « Sasha » Zolotaryov, et Lyudmila « Lyuda » Dubinina (à gauche). Le 30 janvier 1959.

Niveau de satisfaction :
4 out of 5 stars (4 / 5)

 

Publié dans Américain, Enquête, Historique, Remarquable | Laisser un commentaire

Le mystère Dyatlov – Anna Matveeva

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2013
Date de publication française :
2015 – Presses de la Cité
Traduction (russe) :
Véronique Patte
Genres : Mystère, enquête, historique
Personnage principal :
Ania, jeune écrivaine russe

Russie, février 1959.
Un groupe de neuf étudiants de l’Institut polytechnique de l’Oural, menés par Igor Dyatlov, part dans les montagnes de l’Oural du Nord pour une randonnée de niveau supérieur. Les randonneurs sont jeunes, forts, solidaires et expérimentés. Lors de leur bivouac, une chose terrible s’est produite, ils ont été pris de terreur, ils se sont enfuis dans le froid, certains étaient en partie dénudés, abandonnant tout derrière eux. Aucun n’a survécu. Cette affaire a fait l’objet de nombreuses investigations, publications, livres et films. Aujourd’hui encore, elle est entourée de mystère, aucune explication officielle n’a été jugée convaincante, par contre de nombreuses hypothèses ont vu le jour. Anna Matveeva, estimant que la lumière n’a pas été faite, s’empare de cette histoire et la raconte du point de vue d’une jeune femme moderne ayant eu connaissance de ces évènements quarante ans après qu’ils se sont produits.

Le livre se présente sous la forme d’une fiction-documentaire mêlant le quotidien d’une écrivaine russe, alter ego de l’autrice, et d’une investigation détaillée basée sur des rapports d’enquête, des journaux des victimes, des entrevues avec les membres de l’équipe de recherche … Certains éléments sont redondants, racontés plusieurs fois, mais par des acteurs différents. Dans l’article l’Affaire du col Dyatlov, Wikipédia estime que malgré la présence de la narration fictive, le livre de Matveeva reste la meilleure source documentaire sur l’affaire jamais rendue publique.

Concernant les différentes versions expliquant cette tragédie, Anna Matveeva en dénombre seize, allant des plus farfelues aux plus vraisemblables. Elle attribue à chacune un taux de probabilité révélateur des choix qu’elle-même a fait : – Aryenne ou les trésors des anciens Aryens (taux de probabilité : 0,001%) – Avalanche (taux de probabilité : 3%) – Bombe à vide (taux de probabilité : 50%) – Empoisonnement à l’alcool (taux de probabilité : 0%) – Escadron de la mort ou prisonniers en fuite (taux de probabilité : 25%) – Explosion atomique (taux de probabilité : 0%) – Foudre en boule (taux de probabilité : 0,2%) – Hypothermie (taux de probabilité : 5%) – Mansis population autochtone (taux de probabilité : 5%) – Mise en scène (taux de probabilité : 35%) – Nains de l’Arctique (taux de probabilité : 0%) – Nettoyage par l’armée (taux de probabilité : 50%) – Ours (taux de probabilité : 0,001%) – OVNI (taux de probabilité : 2%) – Querelle privée (taux de probabilité : 5%) – Satellites ou nuage de sodium (taux de probabilité : 70%).

L’autrice montre une liberté de ton et d’expression assez étonnante, elle ne se gêne pas pour mettre en cause les autorités russes. En 2013, dans la Russie présidée par Poutine, c’est à noter.

Le mystère de Dyatlov d’Anna Matveeva est un étonnant roman-documentaire plus intéressant par le côté documentaire que celui du roman qui serait assez banal s’il n’y avait une touche de surnaturel. Il éclaire sur la disparition inexpliquée de neuf étudiants russes dans les montagnes de l’Oural.

Extrait :
Qu’est-ce donc ? Une légende transformée en fable à l’intention des touristes ? Ou la vérité ? Si c’est le cas, alors la tragédie du groupe Dyatlov n’était qu’une parmi tant d’autres mais que l’on n’avait pas réussi à étouffer… Combien de personnes sont-elles mortes dans les forêts profondes au nom de la science et de la puissance militaire d’un pays qui n’existe plus ?

Voilà tout ce que je sais du col Dyatlov.

Photographies des membres du groupe Dyatlov sur une stèle du cimetière de Sverdlovsk

Niveau de satisfaction :
4.2 out of 5 stars (4,2 / 5)

Publié dans Enquête, Historique, Remarquable, Russe | Laisser un commentaire

Un traître en la demeure – Anne Perry

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2023 (Anne Perry)
Date de publication française :
2024 (10/18)
Traduction (anglais) :
Florence Bertrand
Genres : Enquête, thriller, historique
Personnage principal :
Elena Standish, MI 6

C’est le dernier tome de la série Elena Standish; Perry est décédée quelque temps après. J’ai commenté les quatre premiers.

Fin de l’été 1934. L’action se passe autour (et à l’intérieur) du domaine des Wyndham, une riche famille anglaise, où vivent Griselda Wyndham et son mari Sir David Wyndham, de même que Geoffrey Baden, le frère de Griselda, qui est sur le point de demander en mariage Margot, la sœur d’Elena.

Près du domaine, un apparent vagabond, en réalité un agent du MI 6, est retrouvé assassiné. John Repton soupçonnait un des membres de la famille Wyndham  de pactiser avec les mouvances fascistes du pays et de préparer quelque grand coup. D’où la nécessité de l’éliminer.

Le MI 6 profite de l’occasion des fiançailles de Margot, fêtées en grand par les Wyndham, pour que Elena y soit invitée, accompagnée de son supposé ami-amant James Allenby, agent du MI 6 qu’Elena avait déjà rencontré à Washington (cf. Dans l’ombre d’une espionne) et grand ami de Repton. Leur mission : découvrir l’assassin de Repton, percer à jour la relation entre les Wyndham et les fascistes, et protéger Margot.

L’enquête se déroule dans les grandioses paysages des Cotswolds et dans le magnifique château familial des Wyndham.  Perry prend plaisir à opposer la beauté du décor aux manœuvres répugnantes des criminels. Elle décrit aussi avec une certaine objectivité le contexte politique délicat (qui est le même aux États-Unis et au Canada) où se séparent ceux qui veulent éviter une guerre à tout prix et ceux qui ne veulent rien concéder à Hitler et aux fascistes.

L’enquête traîne un peu en longueur et Perry en profite pour décrire les tenues sophistiquées que doivent porter les dames de la haute bourgeoisie selon le repas qu’elles prennent, les visites qu’elles rendent, la promenade à laquelle elles s’adonnent, la tenue décontractée au salon qui suit le souper. Ça fait partie de sa façon de peindre les principaux personnages qu’elle cerne à partir de leurs gestes. Le lecteur retrouve cette ambiance familière qui caractérise les romans de Perry : on a un peu l’impression de faire partie de la famille ou, en tout cas, du décor.

Perry, finalement, accorde peut-être plus d’importance à l’atmosphère qu’à l’enquête proprement dite. Les différentes séries qu’elle a produites se signalent d’abord et avant tout par le choix d’un moment historique : Londres 1880-1910 (William Pitt), 1910 (Daniel Pitt), Londres 1850-60 (Monk), 1914-18 (Reavley), 1933-34 (Elena Standish) … et plusieurs romans autour de la période de Noël.

C’est vrai que tout cela allonge la sauce et favorise les redites, mais c’est si bien écrit (traduit) et les personnages principaux sont si attachants qu’on s’y laisse prendre.

Extrait :
Les sympathisants des nazis (…) sont convaincus que, si nous sommes raisonnables, si nous reconnaissons que nous avons plus de points communs que de différences avec les Allemands, nous resterons en paix. Après tout, notre langue inclut beaucoup de mots latins, français et d’autres du monde entier, mais elle est basée sur l’allemand. Et la plus belle musique au monde a été composée par les Allemands. Sous la peau, nous sommes frères, ironisa Allenby ou, du moins, cousins.
─ Caïn et Abel aussi, lui fit remarquer Lucas avec amertume (…)
─ Ayons confiance en Dieu, mais gardons notre poudre au sec, lâcha Allenby.

Cotswolds

Niveau de satisfaction :
4.2 out of 5 stars (4,2 / 5)

Publié dans Britannique, Enquête, Historique, Thriller | Laisser un commentaire

La mort sur la conscience – Anne Perry

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2022
(A Truth to Lie For)
Date de publication française :
2023 (Univers Poche)
Traduction (anglais) :
Florence Bertrand
Genres : Espionnage, thriller, historique
Personnage principal :
Elena Standish, MI 6

C’est le quatrième tome de la série Elena Standish, petite fille de Lucas Standish, longtemps directeur du MI 6, devenue elle-même, et un peu malgré elle, agente du MI 6. On est maintenant en juin 1934, Elena a 29 ans, et le pouvoir hitlérien prend de l’ampleur. Deux biochimistes allemands sont d’ailleurs en train d’élaborer des germes utilisables à des fins militaires et leur antidote. Une guerre bactériologique est encore plus à craindre qu’une guerre atomique. On décide donc d’envoyer Elena, et un autre agent, en Allemagne pour exfiltrer les deux savants : ou on parvient à leur faire quitter l’Allemagne ou on les tue.

La mission est d’autant plus difficile que l’Allemagne est en ébullition : c’est l’époque de la Nuit des longs couteaux où la Gestapo massacre une bonne partie des chemises brunes et leur leader Roehm, qui envisageait peut-être de se substituer à Hitler. Logeant dans un petit hôtel de Munich avec le professeur Hartwig, Elena est témoin de cette purge; les services de sécurité étant sur le qui-vive, la sortie de l’Allemagne devient de plus en plus difficile.

Hitler est adulé par la population parce qu’il est parvenu à remettre le pays sur ses rails. Mais le général Paulus, vieil ennemi de Lucas Standish, persuade Hitler de se débarrasser de tous les foyers de contestation éventuels. Contrairement à l’image qui circule dans le pays, Hitler est beaucoup plus craintif et paranoïaque en réalité. Le pouvoir de Paulus est énorme et ses informateurs risquent de lui révéler la présence des agents étrangers sur leur territoire, ce qui interromprait la mission d’exfiltration et menacerait de mort Elena. Lucas décide donc d’affronter Paulus à Berlin.

Une bonne partie de l’histoire se passe en Allemagne. Anne Perry peint avec précision l’atmosphère ambigüe du pays : d’un côté, l’espoir de redevenir une puissance respectable; de l’autre, la terreur que sèment les chemises brunes et bientôt la Gestapo, l’antisémitisme, la censure (on brûle les livres douteux), la violence contre ceux qui pourraient s’opposer à la toute-puissance d’Hitler et du Troisième Reich.

Comme d’habitude, les personnages, peu nombreux, sont décrits avec assez de subtilité pour qu’on s’attache à eux. L’intrigue se caractérise par une action continue qui rend difficile d’interrompre le récit. La lecture n’est cependant pas à conseiller pour ceux et celles qui voudraient fuir le climat empoisonné favorisé par le nouveau Président américain : ce qui se passe en Allemagne en 1934 ressemble trop à ce qui se passe aux États-Unis en 2025, même si Hitler n’allait pas jusqu’à réécrire la Géographie (le Golfe d’Amérique au lieu du Golfe du Mexique) et l’Histoire (« l’Ukraine attaque la Russie »).

Extrait :
Paulus le fixait toujours, les yeux durs et froids comme des galets polis par la rivière.
─ C’est mon ennemi. Et le vôtre. Lucas Standish était à la tête des services de renseignements britanniques pendant la guerre (…)
La nausée montait dans l’estomac de Kurt.
─ Et que dois-je lui dire, monsieur ? demanda-t-il, sur ses gardes.
─ Ce qui vous chante, rétorqua Paulus. N’importe quoi … cela n’a aucune importance (…)
 Paulus souriait.
─ Oh ! et une petite chose, dit-il. Quand vous l’aurez rencontré, vous devrez l’amener jusqu’à moi, et puis le tuer.
L’étau autour du cœur de Kurt se resserra, au point qu’il crut ne plus pouvoir respirer(…)
─ Et si vous veniez à échouer dans cette mission, je veillerais à ce qu’on s’occupe de votre famille. Vous avez une femme et une fille, n’est-ce-pas ?

La Nuit des longs couteaux

Niveau de satisfaction :
4 out of 5 stars (4 / 5)

Publié dans Espionnage, Historique, Thriller | Laisser un commentaire

Gracier la bête – Gabrielle Massat

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2025 -Éditions du Masque
Genres : Roman noir, social
Personnage principal :
Till Aquilina, éducateur dans un foyer d’accueil d’urgence pour mineurs

Till Aquilina est éducateur spécialisé dans un foyer d’accueil d’urgence pour mineurs. Sous ce nom ronflant se cache un endroit où atterrissent les jeunes dont plus personne ne veut et où les éducateurs en sous-nombre font ce qu’ils peuvent et finissent par craquer, totalement épuisés. C’est ce qui est arrivé à Till : il a violenté Audrey, une adolescente de 14 ans lorsqu’elle est revenue au foyer après sa énième fugue. Audrey va finir à l’hôpital, en coma artificiel, pas à cause du geste brutal de Till, mais parce qu’après cela Audrey s’est enfuie et elle a été renversée par un chauffard non identifié. Submergé par la culpabilité, Till s’installe devant la chambre de la fille, mais il n’a pas le droit de la voir. Pour se racheter, il ne voit qu’une solution : retrouver la mère d’Audrey disparue, mais que l’adolescente cherchait à retrouver. Tâche particulièrement difficile puisque la mère a été déclarée présumée morte sans qu’aucune preuve de sa mort ne soit fournie.

L’intrigue se base sur deux thèmes : – le sentiment de culpabilité d’un homme qui sait qu’il a commis une faute et son désir de rédemption – la protection de l’enfance et les foyers d’accueil d’urgence. Les deux thèmes sont liés par l’intermédiaire de l’éducateur Till. Les choses ont dégénéré pour plusieurs raisons : Till a travaillé soixante heures par semaine depuis des mois, il a enchaîné une nuit après une journée entière de boulot, cette nuit il était seul pour gérer le centre, en plus on venait de lui envoyer un gamin trop jeune et en état de choc, Audrey est revenue en pleine nuit en possession d’un téléphone qui ne lui appartenait pas. Épuisé et sur les nerfs il a n’a pas supporté les insultes, il a plaqué l’adolescente contre un mur et avec ses cent trois kilos le choc a été rude. Il ne se pardonne pas la suite : la gamine qui s’enfuit, se fait percuter, se retrouve à l’hôpital. Et bien sûr sa hiérarchie qui n’a pas hésité à le mettre dans des conditions de travail insupportables et d’abuser de sa disponibilité va l’accuser de violence et d’abandon de poste. Seule son amie Anya, pédopsychiatre et représentante syndicale, en tant que grande prêtresse des causes perdues, lui apporte un soutien sans faille.

Quand Till apprend qu’Audrey recherchait sa mère et qu’elle aurait été en contact avec elle, son obsession sera de ramener sa mère à la fille. Ses recherches vont l’amener à fréquenter un autre monde où l’on trouve un policier ripou, un ancien légionnaire et des trafiquants de drogue. Un monde dangereux où il risque sa vie. Mais Till persiste et poursuit sa quête.

L’autrice situe son roman dans la région où elle vit : le Tarn entre Albi et Gaillac. Un territoire de forêt et de pluie qui contribue à installer une atmosphère de morosité en accord avec l’humeur du personnage principal.

À travers le personnage de Till, Gabrielle Massat nous décrit la souffrance des enfants et des éducateurs dans les foyers d’accueil. Gracier la bête est édifiant sur le naufrage de la protection de l’enfance en France. C’est un roman noir poignant.

Extrait :
— Ce que vous n’avez pas compris, Lucille, et que personne ici n’a compris, c’est qu’en condamnant M. Aquilina, vous permettez que rien ne change. Il a violenté Audrey Marty et personne ici ne nie les faits. Cet acte n’aurait jamais dû se produire. Vous savez pourquoi ? Parce qu’il n’aurait pas dû être là ce soir-là. Il n’aurait pas dû enchaîner une nuit après une journée entière de boulot, ni bosser soixante heures par semaine depuis des mois, ni devoir gérer seul toute la villa. Regardez-moi bien en face et osez me dire que dans ces conditions, ce qui est arrivé aurait pu être évité.

Niveau de satisfaction :
4.2 out of 5 stars (4,2 / 5)

Publié dans Français, Remarquable, Roman noir, Social | Laisser un commentaire

La nuit n’est jamais complète – Niko Tackian

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2016,  réédition en poche 2023
Genres : Noir, thriller
Personnages principaux :
Arielle et Jimmy

Le vaillant Jimmy et sa fille Arielle, jolie jeune femme, roulent dans un désert de rocaille au volant de leur vieille Ford. Un barrage de police, vraiment inattendu dans ce paysage où il n’y a rien, les empêche de poursuivre leur route et les oblige à passer la nuit sur place avec trois autres automobilistes : le colossal et colérique Juan, l’impulsif Victor et le quasi-intellectuel Florencio.

Ils doivent donc passer la nuit dans leur automobile. Le lendemain matin, le policier est disparu, la batterie de leur automobile est à plat, et ils ont l’impression d’avoir été drogués par le café qu’on leur avait servi. Comme la route devant eux semble s’être mystérieusement effondrée, ils s’orientent autrement et découvrent une sorte de village minier inactif depuis des lustres. Une dizaine de maisons tiennent encore debout : on y trouve des boîtes de nourriture, mais aussi une demeure où des enfants semblent avoir été tués. Victor souffre de coups de soleil et veut retourner à sa voiture. La tension grimpe dans le groupe. D’autant plus que le soleil est étouffant et que les nuits sont froides. Au cours de la nuit, on entend des hurlements, et une grosse bête semble avoir rôdé autour de certaines maisons. Florencio finira d’ailleurs par être blessé, mais on ne parvient pas à savoir si l’agresseur était un animal ou un être humain.

Les problèmes deviennent de plus en plus étranges. Les vivres diminuent. Pas de nouvelles de Victor et Juan disparaît. Les blessures de Florencio mettent sa jambe en péril. L’eau paraît contaminée et on n’aura bientôt plus la possibilité de la faire bouillir. En désespoir de cause, Jimmy décide de descendre dans la mine. La situation dans laquelle il se retrouve devient de plus en plus incompréhensible.

Cette histoire est vraiment angoissante et il est difficile de dormir en paix tant qu’on ne l’a pas terminée, c’est-à-dire tant qu’une brillante élucidation rationnelle ne sera pas venue percer le sens de cette série d’insupportables énigmes.

Dans mon compte rendu de La lisière, j’avais déjà observé que « Il me semble évident que, pour Tackian, la description du problème est plus importante que sa solution ». À une nuance près, c’est encore le cas ici. La description de ce voyage au bout de la nuit est si implacable et les événements vécus par les cinq personnages sont si troublants que le lecteur éprouve un impérieux besoin de revenir enfin sur le plancher des vaches. Je dois pourtant avouer que ma frustration fut aussi élevée que mes espérances.

Puis, j’ai lu le compte rendu de mon collègue Raymond Pédoussaut qui donne 4.5 à ce roman qui hérite d’un « coup de cœur ». Comme nous ne sommes pas souvent en désaccord, il m’a fallu en trouver la raison : c’est certain que l’explication de l’auteur est astucieuse, mais c’est un type d’explication que, personnellement, je n’accepte pas : étant sans doute un lecteur plus traditionnel, je lis tout polar comme un roman policier qui devrait obéir à certaines  règles de Van Dine. Je m’attendais donc à une explication rationnelle  brillante comme celles de Poirot ou de Holmes. Or, on en est très éloigné. À mon sens, l’explication fournie relève plutôt de la littérature fantastique. Donc, je n’enlève rien au talent de l’auteur ni au jugement de mon collègue. C’est le type de roman qui est en question. Et le type d’attente du lecteur.

Extrait :
Le groupe électrogène était composé d’un petit moteur alimenté par un large réservoir de mazout. On pouvait le démarrer manuellement à l’aide d’une manivelle en acier sur laquelle était rivetée une poignée en bois. Ce genre d’unité portable découverte par Juan aux abords de la mine devait être emporté par les mineurs pour leur permettre d’éclairer les galeries les plus lointaines. La cuve du réservoir à mazout était quasiment vide et Jimmy fixait le niveau avec inquiétude. Cela faisait presque trois jours qu’ils avaient découvert le pillage de leurs réserves et ils n’auraient bientôt plus d’électricité. Qui avait bien pu s’introduire dans la maison et leur voler ainsi leurs derniers espoirs de survie ? Jimmy se rappelait les théories de Juan, persuadé que quelqu’un les observait depuis la mine. Ce quelqu’un pouvait-il être celui qui avait attaqué Victor, Florencio puis finalement s’en était pris à Juan ? Tant de questions restaient sans réponses.

Un village minier

Niveau de satisfaction :
3.9 out of 5 stars (3,9 / 5)

Publié dans Français, Moyen, Roman noir, Thriller | Laisser un commentaire

Les saules – Mathilde Beaussault

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2025 – Éditions du Seuil
Genre : Roman noir rural
Personnage principal :
Marguerite, 10 ans, petite fille un peu attardée

Marie, 17 ans, a la réputation d’une Marie-couche-toi là, parce qu’elle s’offre à beaucoup de garçons. Marguerite, 10 ans, parle très peu, alors quand elle annonce tranquillement : Marie est morte, dans la coulée, près de la rivière, c’est la stupéfaction. Le père de Marguerite confirme les propos de sa fille : il a vu aussi la fille morte, il n’a rien dit, il attend que d’autres la découvrent, on ne veut pas d’embêtements dans la famille. L’enquête établira que c’est un meurtre, l’adolescente a été étranglée. Dans le hameau breton de La Motte, c’est à la fois la consternation et l’excitation : Marie était la fille des pharmaciens qui habitent la Haute Motte, ils n’étaient pas bien vus par ceux qui habitent la Basse Motte. Les gendarmes vont interroger tous les habitants du hameau pour tenter de trouver le coupable.

A priori, ce roman se présente comme un roman d’enquête classique : une adolescente assassinée dans un bourg rural, la gendarmerie ne devrait pas tarder à identifier le coupable. Mais ici l’enquête est quasi inexistante, c’est seulement une suite de dépositions des habitants devant les gendarmes. C’est le prétexte pour décrire l’ambiance et les relations qu’ont les gens entre eux dans ce coin de campagne bretonne. Le meurtre de la jeune fille est le révélateur des rumeurs, des petits secrets, des jalousies, des non-dits. Il montre tout aussi bien la rivalité que la solidarité paysanne. C’est donc davantage une étude de mœurs qu’une enquête.

Les témoignages se succèdent devant les gendarmes. Les questions ne sont pas formulées, on les devine dans les réponses qui sont révélatrices de la personnalité de chacun, de leur culture, de leurs affinités et de leurs antipathies. Le témoignage le plus fort est celui de Mimi, la patronne du seul bar du coin qui est devenu le centre névralgique du bourg, depuis que l’église est désertée. On a progressivement troqué la passion du Christ pour la passion du comptoir. Dans sa déposition, Mimi montre un sens de l’observation affûté, de la finesse psychologique, une belle sensibilité et une grande humanité. Elle a été la seule à percevoir derrière les multipes aventures de Marie, la douleur qui habitait l’adolescente.

Le personnage le plus touchant est la petite Marguerite. C’est un souillon, mal lavé et mal peigné. Ses camarades de classe l’appellent la petite bête. Elle est leur souffre-douleur, ils multiplient envers elle les agressions et les humiliations. Elle ne se défend pas, les maîtres ne la défendent pas. Seule Marie était gentille avec elle. Simplette et négligée, c’est ainsi que la plupart des gens la voient. Marguerite parle très peu, mais quand elle parle elle ne ment jamais. Ses rares paroles auront un poids considérable dans cette affaire.

Les saules est un excellent roman noir rural. Un premier roman impressionnant de maîtrise et d’originalité.

Extrait :
Alors qu’on attendait son père et qu’elle devait se douter qu’elle allait passer un sale quart d’heure, elle a posé sa joue contre mon épaule quand je me suis accroupie à côté d’elle. Et elle m’a dit : « Tu sais Mimi comment on fait pour être aimée toi ? » Je n’ai pas compris sur le moment et je lui ai répondu des banalités. Qu’elle était aimée, qu’elle avait des parents aimants, des amis. J’ai pensé sur le moment que c’était une gosse de riches et qu’elle s’inventait des problèmes pour faire cas de son nombril. Je ne vaux pas mieux que les autres. Mais elle a réfréné un rot et le visage crispé elle a ajouté plus fort : « Non, pas mal aimée comme ça. Aimée par l’homme qu’on aime, qu’on aime tellement qu’on pourrait se jeter dans le vide si ses bras nous attendaient tout en bas. » J’ai ri à ce moment-là, je l’avoue. Non seulement parce que je prenais cela pour des paroles de gamine qui ne connaissait rien à l’amour mais surtout parce que je n’y connais rien. Je connais bon nombre d’histoires d’amour, j’en connais des Pénélope, des Iseult, des Juliette et des Emma dépitées par leur vie. Alors j’ai ri. J’ai ri platement en lui ébouriffant les cheveux comme si elle était un épagneul qui rentrait bredouille de la chasse. J’ai juste ri d’un rire vain alors que dans les vapeurs de l’alcool qui menaçait de passer par-dessus bord, cette gosse cherchait une réponse qui l’aurait peut-être gardée en vie.

Bande annonce des Éditions du Seuil

Niveau de satisfaction :
4.5 out of 5 stars (4,5 / 5)
Coup de cœur

Publié dans Coup de Cœur, Français, Roman noir | Laisser un commentaire

Les nuits de la peur bleue – Éric Fouassier

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2023 (Albin Michel)
Genres : Enquête, thriller historique
Personnage principal :
Valentin Verne, inspecteur à Paris

C’est le troisième épisode du Bureau des affaires occultes dirigé par l’inspecteur Valentin Verne. Malgré une certaine continuité entre les principaux personnages, chaque roman jouit d’une autonomie certaine. Le contexte historique est le même : nous sommes en 1832 à Paris, sous Louis-Philippe, toujours contesté par les Républicains. Vidocq et Verne devront travailler main dans la main. Et Verne finira peut-être par fondre sous la chaleur d’Aglaé.

1832 : c’est aussi l’année où l’épidémie de choléra (la peur bleue) gagne Paris. La population panique : les classes pauvres s’imaginent que les riches veulent se débarrasser d’elles; les riches s’imaginent être contaminées par les pauvres. On découvre dans le quartier pauvre de Saint-Merri une série de meurtres atroces : les victimes, atteintes par ailleurs du choléra, ont été poignardées et amputées d’un organe. L’affaire n’est pas occulte à proprement parler, mais ça reste mystérieux d’assassiner des gens voués à la mort et de prélever un de leurs organes. Verne, Aglaé, promue policière, et Vidocq commenceront donc par enquêter sur ces cas.

Ça ne s’arrêtera pas là : trois académiciens, engagés dans la lutte contre le choléra, disparaissent et seront retrouvés morts. Pourquoi ? Est-ce que ça fait partie du conflit entre les classes démunies et les classes riches, qui s’efforceraient de faire disparaître les  plus pauvres ? Et qu’adviendra-t-il de l’affrontement entre Aglaé et son père ? Et faut-il prendre au sérieux  la dispute entre ceux qui estiment que le choléra est un phénomène de contagion et ceux qui croient, au contraire, qu’il s’agit d’une maladie infectieuse. Et si les relations intimes ne s’améliorent pas entre Valentin et Aglaé, celle-ci se laissera-t-elle séduire par Georges Sand ?

On le voit, ce roman développe en même temps plusieurs problématiques et emprunte énormément à l’histoire des sciences (Fouassier a reçu le prix Griffe noire du meilleur polar historique en 2021); c’est à la fois un avantage et un inconvénient.  C’est un plus, en effet, pour ceux et celles qui aiment se désennuyer en enrichissant leur culture; un moins, par contre, pour ceux et celles qui préfèrent vibrer à la lecture d’un thriller trépidant où on tremble pour les déconvenues de notre héros. Alternent ainsi des pages d’informations intéressantes et des petits chapitres où se déroulent des scènes d’action d’où Valentin sort amoché mais toujours vainqueur. L’enrichissement culturel risque donc de ralentir l’action, de briser le rythme de l’intrigue principale, et de transformer notre plaisir de jouer en plaisir d’apprendre.

Extrait :
À mesure que la nuit avançait, un froid humide gagnait le sous-sol de la clinique. Dehors, la pluie s’était mise à tomber. Une pluie de printemps fine et régulière. À travers la porte de la desserre, Vidocq parvenait à distinguer le clapotement que faisaient entendre les gouttes en trouant les frondaisons du jardin et leur martèlement sur le gravier des allées. Ces bruits lancinants tissaient un fond sonore empreint de mélancolie et offraient une morne orientation à ses pensées. Il ne pouvait s’empêcher de penser aux sacoches renfermant les archives de Fouché qui l’attendaient dans son bureau, à la préfecture. Pour éviter toute difficulté avec le président Pöerson, il lui faudrait les renvoyer dès le lendemain à Melun. Or, si rien ne se passait cette nuit, s’il veillait inutilement jusqu’à l’aube, il n’aurait jamais le temps d’examiner les précieux documents. Le simple fait d’avoir à envisager pareil gâchis lui  provoquait un afflux de bile.
Pour atténuer sa frustration et tenter de se réchauffer, il sortit un flasque d’armagnac de sa redingote et en engloutit une généreuse lampée. L’alcool en descendant le long de son œsophage le réconforta.

Le choléra à Paris en 1832

Niveau de satisfaction :

4.2 out of 5 stars (4,2 / 5)
Publié dans Enquête, Français, Historique, Remarquable, Thriller | Laisser un commentaire

Chiens des Ozarks – Eli Cranor

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2023 (Ozarks Dogs)
Date de publication française :
2025 – Sonatine
Traduction (américain) :
Emmanuelle Heurtebize
Genre : Roman noir
Personnages principaux :
Jeremiah Fitzjurls, patron d’une casse automobile – Joanna, sa petite-fille

Taggart, Arkansas.
Jeremiah, vétéran de la guerre du Vietnam, vit dans une casse automobile avec sa petite-fille, Joanna (Jo). Jake, le père de Jo, est en prison pour meurtre, Lacey, sa mère toxicomane, a disparu. Malgré le cadre pas très folichon, Jeremiah et Jo mènent une vie tranquille faite de petits bonheurs et d’un fort attachement réciproque. Mais à presque dix-huit ans, la jeune fille pense à autre chose, notamment à Colt, son petit ami. Après avoir passé la nuit avec lui, sur le chemin du retour, Jo se fait enlever par les Ledford, des suprémacistes blancs trafiquants de drogue qui ont pour projet de l’échanger avec un cartel mexicain contre vingt kilos de meth[i]. C’est ainsi que la spirale de la violence va reprendre à Taggard.

Le cœur du roman est le lien très fort qui unit le grand-père à sa petite-fille. Le père en prison et la mère inexistante, ce sont les grands-parents qui ont pris la petite en charge. Son épouse étant décédée très tôt, c’est finalement Jeremiah qui a élevé seul la gamine. Jo est aussi très attachée à son grand-père et bien qu’elle s’intéresse à un autre homme, elle le ménage, fait attention de ne pas le contrarier ou lui faire de la peine, mais à dix-huit ans, elle ne se laisse pas enfermer dans les murs épais de la casse de son papy, elle veut vivre sa propre vie. Elle est mature et elle sait prendre des décisions. Pour Jeremiah, Jo est la prunelle de ses yeux, c’est tout ce qu’il lui reste. Alors quand elle est menacée, Jeremiah, ancien sniper de la guerre du Vietnam, ne voit pas d’autre façon de lui venir en aide que de ressortir son vieux fusil.

Le cadre du roman est une petite ville des monts Ozarks, frappée par le chômage, après la fermeture de la centrale électrique qui était le principal employeur. Jeremiah, de retour du Vietnam s’est trouvé comme job l’exploitation d’une casse automobile. Il revend des pièces détachées que certains essaient de lui voler, c’est d’ailleurs ce qui a provoqué le drame qui a envoyé son fils en prison. Pour protéger son butin, Jeremiah a dû installer des verrous, des alarmes et des caméras. Il s’est barricadé. D’autres ont trouvé un autre filon, celui de la production et du commerce de la drogue. Pour se diversifier, les mêmes s’essaient au commerce des êtres humains : une belle femme blanche contre vingt kilos de meth. C’est le prix de Jo. La prostitution qui va de pair avec la consommation de drogue est une autre façon d’essayer de survivre.

Dans ce roman l’auteur nous dépeint sans concession un coin d’Amérique où malgré la violence, l’amour entre un grand-père et sa petite-fille adoucit l’austérité de la vie dans ces lieux déshérités.

Avec Chiens des Ozarks, Eli Cranor s’inscrit dans la lignée des écrivains de romans noirs américains tels que Ron Rash, David Joy et S.A. Cosby.

[i]meth : méthamphétamine, drogue de synthèse

Extrait :
Jake cependant avait laissé l’autre s’échapper, celui au prénom diabolique. Evail. Sur l’instant, Jeremiah avait su que le prix à payer serait colossal.

Après le procès, on avait frappé trois coups à la porte, et Jo était entrée dans sa vie. Pendant des mois, il s’était fait du mouron pour le bébé. Mais elle était suffisamment petite pour ne se sou­venir de rien. Peu après, Jeremiah avait installé tout son petit monde à la casse pour de bon. Vendu leur maison en périphérie de la ville avec les deux hectares accolés, afin d’acheter davan­tage de caméras, de verrous et d’armes. Il les avait barricadés dans cet endroit où tout avait fini par mourir. Les murs en béton étaient si épais qu’on n’aurait su dire s’il flottait ou s’il neigeait ou si une tornade sévissait dehors.

Niveau de satisfaction :
4.2 out of 5 stars (4,2 / 5)

Publié dans Américain, Remarquable, Roman noir | Laisser un commentaire

Post mortem – Olivier Tournut

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2024 (Fayard)
Genres : Enquête, thriller
Personnage principal :
capitaine Isabelle Le Peletier (Paris)

Dans un grand appartement parisien, le corps nu d’un homme affreusement mutilé est découvert à côté d’un tableau de Van Gogh (Le peintre sur la route de Tarascon) disparu depuis la Seconde Guerre mondiale. L’enquête échoit entre les mains du capitaine Le Peletier et de son assistante Blanche Charon. Un deuxième cadavre du même genre viendra bientôt stimuler l’équipe du capitaine, qui frise la crise de nerfs. On découvrira bientôt que ces deux crimes semblent liés à un trafic de faux tableaux. Mais la lutte entre les forces policières, les faussaires corrompus et le pouvoir politique est loin d’être gagnée d’avance.

C’est le premier roman d’Olivier Tournut, qui lui a valu le Prix du Quai des Orfèvres. Non sans raison. C’est sans complaisance que Tournut décrit les deux enquêtrices principales : elles sont sans doute persévérantes mais elles ne sont pas des intelligences supérieures et leurs réactions sont souvent enfantines. Le suspense est bien construit et le dénouement désappointera peut-être un peu, parce qu’il est plus réaliste qu’idéaliste.

Réalistes aussi les salles d’autopsie, les relations plus ou moins conflictuelles entre les policiers et leurs supérieurs, le contraste entre les quartiers mal famés et les beaux quartiers. Mais ce souci du réalisme n’empêche pas qu’on se pose des questions sur ces bizarres de meurtres et sur l’identité pas évidente de l’assassin. L’enquête est bien menée et les fils finissent tous par se relier; on n’en demandait pas tant.

Bref, un premier roman plutôt réussi et un avenir prometteur.

Extrait :
Je suis peut-être un sans couilles comme vous le pensez, énonce Bosquet en tripotant un crayon qui risque de ne pas résister longtemps, mais je sais soutenir mes équipes. Surtout quand elles déconnent. Hier soir, quand le chef de cabinet a appelé le parquet pour savoir quel magistrat pouvait intervenir en toute discrétion, j’étais seul avec Goncourt. Il m’a raconté comment vous l’avez cogné sur le bureau. Au début, je ne l’ai pas cru mais quand il a dit vouloir porter plainte, je lui ai dit : soit tu balances et je te plombe avec ton trafic de shit qui entachera la carrière de ton père, soit tu fermes ta gueule sur ce geste indélicat et j’enterre ton petit trafic. L’affaire est donc close. Mais, la prochaine fois, faites gaffe.

Van Gogh, Le peintre sur la route de Tarascon

Niveau de satisfaction :
4 out of 5 stars (4 / 5)

Publié dans Enquête, Français, Remarquable, Thriller | Laisser un commentaire

Un trou dans le cœur – Nicolas Zeimet

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2024 – Denoël
Genres : Enquête, thriller psychologique
Personnage principal :
Loïc Stephan, père d’intention et mari d’une épouse disparue

Camille et Loïc forment un couple uni, ils s’aiment, mais ils souffrent d’un douloureux manque : ils n’arrivent pas à avoir d’enfant malgré tous les traitements possibles. Après mûre réflexion, ils décident de tenter une GPA (Gestation Pour Autrui). C’est aux États-Unis qu’ils trouvent la femme porteuse idéale : Lorna, une femme épanouie, mère de deux enfants, dont le mari est partie prenante dans la démarche. Les premiers contacts entre les deux couples se passent formidablement bien, le projet est lancé, tout se passe très bien. Quelques mois plus tard, Lorna est enceinte, c’est merveilleux pour Camille et Loïc, leur rêve d’être parents va se réaliser. C’est à ce moment que Camille disparaît. La police déploie de gros moyens pour la retrouver, mais rien n’y fait, la jeune femme reste introuvable. Pendant ce temps, aux États-Unis, la naissance du bébé approche.

L’intrigue est un savant mélange d’enquête, de suspense et de chronique familiale. La disparition brutale de Camille intrigue. Fugue ? Enlèvement ? Féminicide ? La police ne lésine pas sur les moyens, mais sans résultats probants. Le mari, Loïc, est soupçonné d’avoir fait disparaître son épouse, mais aucune preuve ne vient étayer ces soupçons. La presse ne sait rien, mais elle invente et elle se déchaîne contre Loïc qui vit alors un enfer.

Si la disparition de Camille et l’enquête qui s’en suit sont une part importante du roman, nous en apprenons aussi beaucoup sur les épreuves que doivent traverser les parents d’intention, ceux qui ne peuvent pas avoir d’enfant naturellement, mais dans l’intention de devenir mère ou père d’un enfant à sa naissance, concluent un accord avec une femme qui s’engage à porter cet enfant. La GPA étant interdite en France, c’est aux États-Unis que Camille et Loïc trouveront leur bonheur. L’auteur nous fait partager les angoisses, les doutes, les espoirs, le bonheur, de ce père qui se retrouve finalement seul pour prendre en charge son bébé. Il y a de très belles pages, pleines d’humanité et de délicatesse, sur l’amour paternel.

Un trou dans le cœur amalgame une enquête tendue et pleine de suspense avec les affres et les joies d’une parentalité difficile. C’est un roman aussi captivant qu’émouvant.

Extrait :
D’un ton calme, doucereux, la deuxième OPJ, qui a pris le relais de Villain, informe Loïc qu’ils peuvent exiger des restrictions concernant ses déplacements, afin de prévenir tout risque de fuite à l’étranger durant le reste de l’instruction. En clair, ils font peser sur lui la menace de ne pas pouvoir aller chercher son enfant à sa naissance aux États-Unis, et ça, Loïc ne le supporte pas. Le voyant s’effondrer, Me Agostini tente une interruption, mais elle se fait gentiment rembarrer et devra attendre la fin de cette troisième audition, à 19 h 45, pour formuler ses observations. Elle dénonce alors une atteinte au droit fondamental de son client de circuler librement, rappelant que seule la juge d’instruction peut recourir à ce genre de mesures coercitives dans le cadre d’une mise en examen. Or, rappelle l’avocate, il n’existe aucune preuve réelle justifiant une telle décision à l’encontre de Loïc Stephan, constat auquel Renaud Villain, au terme de cette longue journée de confrontation, est bien obligé de se rallier, avec toutefois le sentiment d’être tout près de la vérité.

Niveau de satisfaction :
4.3 out of 5 stars (4,3 / 5)

Publié dans Enquête, Français, Remarquable, Thriller | Laisser un commentaire