Par Raymond Pédoussaut
Date de publication originale : 2024 – Éditions de l’épée
Genre : Roman noir
Personnage principal : Madelaine, fille sauvage
La Foye est un petit village implanté dans une région reculée de France : le Pays Arrière. Au-dessus se trouve un hameau de trois fermes, c’est Les Montées. Là vivent Ambre et son mari, Léon. Dans une autre ferme se trouvent Aelis, la sœur jumelle d’Ambre, son mari Eugène et leurs trois fils. Dans la troisième ferme, habite la vieille Rose avec Bran qu’elle a recueilli. Ces gens vivent pauvrement, ils subsistent. La terre ne leur appartient pas, elle appartient aux maîtres, les Ambroisie, qui leur prennent la moitié des récoltes et sur ces récoltes ils exigent encore des impôts. Une nuit Rose découvre dans sa grange, une présence qui la stupéfie : une petite fille sauvage et affamée. Rose réussit à apprivoiser la sauvageonne, elle l’adopte et l’appelle Madelaine. La fillette est alors bien admise par les gens des Montées mais elle sera à l’origine de grands bouleversements.
Dans une intrigue tirée au cordeau, l’autrice nous détaille la vie de paysans pauvres, à une époque, non précisée, où les propriétaires terriens avaient droit de vie et de mort et même de cuissage sur leurs vassaux. Malgré un travail acharné et harassant, au bout du compte, il ne leur reste même pas de quoi nourrir leur famille. Les années noires où le gel et les intempéries saccagent les récoltes, c’est la famine. Et comme si le gel, les orages et la sécheresse ne suffisaient pas, il y a aussi un autre danger : Ambroisie-le-Fils. Celui-ci ravage les cultures dans ses parties de chasse et il viole les femmes. Il leur crache dessus, mais il est intouchable. Il est le maître. Chez ces pauvres gens, il n’y a qu’impuissance et soumission.
Parmi les personnages, les deux sœurs jumelles Ambre et Aelis ont des sorts bien différents : Ambre a épousé un homme qui a sombré dans l’alcoolisme. Ils n’ont pas d’enfant malgré leur désir d’en avoir. L’arrivée de Madelaine que Rose lui a cédée est un pur bonheur pour elle. Aelis, elle a un mari courageux qui travaille dur et elle a trois garçons, mais elle rêvait d’une fille. Rose est vieille, elle vivait seule dans sa petite maison avant qu’elle recueille Bran puis Madelaine. Rose connaît l’usage des plantes, elle fabrique des infusions et des onguents pour se soigner et soigner les autres. Madelaine a été capturée comme une bête sauvage puis nourrie et finalement elle s’est intégrée dans le petit peuple des Montées, mais elle n’a ni leur résignation, ni leur soumission. Elle garde en elle quelque chose de sauvage et de dangereux. Elle n’est pas formatée pour s’incliner, elle ne connaît pas la peur. C’est la seule capable de se révolter, mais dans ce monde où les maitres sont tout-puissants la rébellion à un prix. C’est par elle qu’arrivera le chaos. Chez les hommes, Eugène, le mari d’Aelis, est un des rares à ne pas travailler les terres des Ambroisie. Avec son grand cheval Jéricho, il s’est tourné vers le débardage. Il est mieux payé que s’il exploitait des terres, c’est sa fierté. Ses trois fils, eux, travaillent la terre avec acharnement. Léon, l’époux d’Ambre, était le meilleur sabotier de la région et puis il a eu l’accident qui lui a esquinté la jambe. Il est tombé dans l’alcoolisme, il rapporte peu d’argent à la maison puisqu’il en boit une bonne partie. Bran, le narrateur de la première partie, adopté lui aussi par Rose, tient un rôle à part, il nous réserve une belle surprise.
L’autrice met souvent en avant les qualités des femmes, courageuses et protectrices, prêtes à donner leur sang pour leurs enfants, par contre les hommes sont tout aussi souvent montrés lâches et serviles, ils se plient, ils s’habituent à tout, ils ne veulent pas mourir.
Madelaine avant l’aube est un roman âpre, puissant et magnifique. Il a fait partie des quatre livres qui restaient en compétition pour le prix Goncourt.
Extrait :
Le Fils aime la chasse, et il aime nos femmes. Lorsqu’elles ne se cachent pas assez vite, il n’est pas rare que le Fils au galop derrière un gibier tourne bride d’un coup, oubliant le renard ou le cerf qu’il traquait, talonnant son cheval pour rattraper une robe, qu’importe qu’elle soit très jeune ou trop âgée, une robe à retrousser, le cheval n’est pas encore arrêté que le Fils est déjà à terre, déjà sur elle. C’est son vice, et davantage qu’un vice, une folie, il aime les filles, il les pourchasse un peu pour les éloigner des fermes, après quoi il les précipite dans l’herbe. Si elles crient il les abîme, cela aussi il aime ça. Tous nous le savons. Les hommes au bois ou aux champs, qui voient passer le cheval à vive allure, ils savent. Les femmes entendant les sabots sur la terre et rentrant les enfants en courant à leur suite, elles savent. Personne n’en parle. Après, les femmes violées défroissent leur robe de tissu grossier et passent un linge sur leur corps souillé. Elles reprennent le travail là où elles l’avaient laissé, libérant les enfants sans un mot, le regard un peu plus bas, la mine un peu plus sombre. Les hommes en rentrant le soir ne disent pas qu’ils ont vu le cheval ce jour-là, comme si n’en pas parler le rendait impossible, comme si tourner le regard les protégeait et le monde continue de filer, les choses s’effacent d’elles-mêmes dans une douleur tue. Quand un enfant naît qui ressemble au Fils, la famille ferme sa bouche et tue le nourrisson la nuit d’après.
Niveau de satisfaction :
(4,4 / 5)