Madelaine avant l’aube – Sandrine Collette

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2024 – Éditions de l’épée
Genre : Roman noir
Personnage principal :
Madelaine, fille sauvage

La Foye est un petit village implanté dans une région reculée de France : le Pays Arrière. Au-dessus se trouve un hameau de trois fermes, c’est Les Montées. Là vivent Ambre et son mari, Léon. Dans une autre ferme se trouvent Aelis, la sœur jumelle d’Ambre, son mari Eugène et leurs trois fils. Dans la troisième ferme, habite la vieille Rose avec Bran qu’elle a recueilli. Ces gens vivent pauvrement, ils subsistent. La terre ne leur appartient pas, elle appartient aux maîtres, les Ambroisie, qui leur prennent la moitié des récoltes et sur ces récoltes ils exigent encore des impôts. Une nuit Rose découvre dans sa grange, une présence qui la stupéfie : une petite fille sauvage et affamée. Rose réussit à apprivoiser la sauvageonne, elle l’adopte et l’appelle Madelaine. La fillette est alors bien admise par les gens des Montées mais elle sera à l’origine de grands bouleversements.

Dans une intrigue tirée au cordeau, l’autrice nous détaille la vie de paysans pauvres, à une époque, non précisée, où les propriétaires terriens avaient droit de vie et de mort et même de cuissage sur leurs vassaux. Malgré un travail acharné et harassant, au bout du compte, il ne leur reste même pas de quoi nourrir leur famille. Les années noires où le gel et les intempéries saccagent les récoltes, c’est la famine. Et comme si le gel, les orages et la sécheresse ne suffisaient pas, il y a aussi un autre danger : Ambroisie-le-Fils. Celui-ci ravage les cultures dans ses parties de chasse et il viole les femmes. Il leur crache dessus, mais il est intouchable. Il est le maître. Chez ces pauvres gens, il n’y a qu’impuissance et soumission.

Parmi les personnages, les deux sœurs jumelles Ambre et Aelis ont des sorts bien différents : Ambre a épousé un homme qui a sombré dans l’alcoolisme. Ils n’ont pas d’enfant malgré leur désir d’en avoir. L’arrivée de Madelaine que Rose lui a cédée est un pur bonheur pour elle. Aelis, elle a un mari courageux qui travaille dur et elle a trois garçons, mais elle rêvait d’une fille. Rose est vieille, elle vivait seule dans sa petite maison avant qu’elle recueille Bran puis Madelaine. Rose connaît l’usage des plantes, elle fabrique des infusions et des onguents pour se soigner et soigner les autres. Madelaine a été capturée comme une bête sauvage puis nourrie et finalement elle s’est intégrée dans le petit peuple des Montées, mais elle n’a ni leur résignation, ni leur soumission. Elle garde en elle quelque chose de sauvage et de dangereux. Elle n’est pas formatée pour s’incliner, elle ne connaît pas la peur. C’est la seule capable de se révolter, mais dans ce monde où les maitres sont tout-puissants la rébellion à un prix. C’est par elle qu’arrivera le chaos. Chez les hommes, Eugène, le mari d’Aelis, est un des rares à ne pas travailler les terres des Ambroisie. Avec son grand cheval Jéricho, il s’est tourné vers le débardage. Il est mieux payé que s’il exploitait des terres, c’est sa fierté. Ses trois fils, eux, travaillent la terre avec acharnement. Léon, l’époux d’Ambre, était le meilleur sabotier de la région et puis il a eu l’accident qui lui a esquinté la jambe. Il est tombé dans l’alcoolisme, il rapporte peu d’argent à la maison puisqu’il en boit une bonne partie. Bran, le narrateur de la première partie, adopté lui aussi par Rose, tient un rôle à part, il nous réserve une belle surprise.

L’autrice met souvent en avant les qualités des femmes, courageuses et protectrices, prêtes à donner leur sang pour leurs enfants, par contre les hommes sont tout aussi souvent montrés lâches et serviles, ils se plient, ils s’habituent à tout, ils ne veulent pas mourir.

Madelaine avant l’aube est un roman âpre, puissant et magnifique. Il a fait partie des quatre livres qui restaient en compétition pour le prix Goncourt.

Extrait :
Le Fils aime la chasse, et il aime nos femmes. Lorsqu’elles ne se cachent pas assez vite, il n’est pas rare que le Fils au galop derrière un gibier tourne bride d’un coup, oubliant le renard ou le cerf qu’il traquait, talonnant son cheval pour rattraper une robe, qu’importe qu’elle soit très jeune ou trop âgée, une robe à retrousser, le cheval n’est pas encore arrêté que le Fils est déjà à terre, déjà sur elle. C’est son vice, et davantage qu’un vice, une folie, il aime les filles, il les pourchasse un peu pour les éloigner des fermes, après quoi il les précipite dans l’herbe. Si elles crient il les abîme, cela aussi il aime ça. Tous nous le savons. Les hommes au bois ou aux champs, qui voient passer le cheval à vive allure, ils savent. Les femmes entendant les sabots sur la terre et rentrant les enfants en courant à leur suite, elles savent. Personne n’en parle. Après, les femmes violées défroissent leur robe de tissu grossier et passent un linge sur leur corps souillé. Elles reprennent le travail là où elles l’avaient laissé, libérant les enfants sans un mot, le regard un peu plus bas, la mine un peu plus sombre. Les hommes en rentrant le soir ne disent pas qu’ils ont vu le cheval ce jour-là, comme si n’en pas parler le rendait impossible, comme si tourner le regard les protégeait et le monde continue de filer, les choses s’effacent d’elles-mêmes dans une douleur tue. Quand un enfant naît qui ressemble au Fils, la famille ferme sa bouche et tue le nourrisson la nuit d’après.

Niveau de satisfaction :
4.4 out of 5 stars (4,4 / 5)

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Tu ne mentiras point – Jean-Philippe Bernié

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2024 (Glénat)
Genre : psycho-social
Personnage principal :
Claire Lanriel, professeure

Le Collège Saint-Jacques, au nord d’Ottawa, est une institution prestigieuse qui forme les futurs ministres et les hauts fonctionnaires du pays. Claire Lanriel, dans la jeune cinquantaine, en forme et intelligente, est embauchée par le directeur Louis Paradis et son épouse Denise au poste de responsable des relations gouvernementales et des affaires publiques. Elle remplace Malvina Lanteigne qui a quitté son emploi, après vingt ans de loyaux services, pour cause de maladie.

Claire apprend à connaître ses collègues et quelques étudiants, dont Louis-Philippe, 17 ans, brillant, mais troublé par son amour-désir de Laurent, lui-même embarrassé parce qu’il ne se sent pas de niveau avec les autres et a l’impression que sa mère a payé pour qu’il puisse passer son examen d’admission. Claire s’aperçoit peu à peu qu’un système frauduleux permet, en effet, aux élèves plus fortunés que doués, de réussir leur examen d’entrée. Et qu’elle-même risque de devenir le bouc émissaire. À moins qu’on s’en prenne simplement à sa vie.

Si elle tient à devenir la prochaine directrice, Claire n’est pas au bout de ses peines.

C’est bien écrit. Bernié a été finaliste du prix Arthur-Ellis du meilleur roman policier en 2019 (Un dernier baiser avant de te tuer). Les personnages sont peu nombreux et succinctement décrits. Ce roman est son quatrième et il est présenté comme un roman policier ou à suspense. C’est ici que le bât blesse. Bien sûr, on se demande comment Claire se débrouillera avec la fraude qu’elle a détectée. Mais le suspense peut-être plus important concerne les amours de Louis-Philippe et de Laurent (auxquels l’auteur consacre bien des pages). Le roman n’est donc pas déplaisant, mais je le considère plutôt comme un roman psychologique pour la jeunesse.

Extrait :
Malvina Lanteigne leur avait révélé la vérité quand elle était tombée malade. Tétanisés, ils avaient alors pris la seule décision possible : embaucher pour la remplacer quelqu’un de l’extérieur, qui prendrait les coups. Voilà quel était le rôle qu’ils avaient refilé à Claire. Porte-parole de Saint-Jacques au cas où le scandale éclaterait. Faire face aux questions, aux journalistes, à la meute hurlante, recevoir tout dans las figure. Et probablement, ensuite, être virée, victime expiatoire jetée en pâture à l’opinion publique. Banban et Paradis prendraient leur retraite, un peu éclaboussés mais innocents, puisqu’ils ne savaient rien. Et elle, même si elle venait d’arriver, elle serait le visage de la fraude.

Niveau de satisfaction :
3 out of 5 stars (3 / 5)

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L’agent – Pascale Dietrich

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2024 – Liana Levy
Genres : Humour, Thriller
Personnages principaux :
Anthony, agent de tueurs à gages – Thérèse, grand-mère qui fuit l’ehpad – Alba, tueuse débutante

Anthony est un dénicheur de talents. Les talents que recherche Anthony sont particuliers puisqu’il s’agit de recruter des tueurs à gages. Son boulot consiste essentiellement à mettre en relations des cerveaux planifiant des crimes et des doigts appuyant sur des gâchettes. Au stand de tir où il vient s’entraîner, il repère une fille qui enchaîne les cartons, mettant chaque fois en plein dans le mille. C’est Alba, une ancienne championne d’Europe de biathlon. Une pépite ! Bien sûr Anthony lui propose un contrat tout en exigeant qu’elle arrête de boire, car elle a sombré dans l’alcoolisme après la blessure qui a interrompu sa carrière sportive. Quand une des missions gérées par Anthony tourne mal et qu’un chef mafieux veut sa peau, la seule planque qu’il arrive à trouver est le camping de Vierzon. Au même moment Thérèse, 75 ans, vient de faire un AVC, elle se retrouve chez son neveu qui veut la placer en EHPAD[1]. Elle aussi fuit et finit au même camping de Vierzon où finalement tout va se dénouer.

Dans ce roman l’autrice nous a concocté une intrigue rocambolesque qui fait s’enchaîner des évènements plus improbables les uns que les autres. Le camping de Vierzon devient le refuge à la fois d’un agent de tueurs à gages et d’une grand-mère qui ne veut pas aller en EHPAD. En plus les deux sont obligés de cohabiter dans le même mobil-home. Et pour rendre leur couverture plus crédible, ils se font passer pour une grand-mère et son petit fils. Alba, tueuse débutante, va aussi atterrir au camping, car elle a situé en ce lieu la présence de sa nouvelle cible. Les barbecues et les karaokés se succèdent et pendant le feu d’artifice final les détonations des armes lourdes se mêlent aux pétards et les balles volent dans tous les sens.

Si l’intrigue est désopilante, les personnages sont hauts en couleur. Ainsi nous avons : – un jeune homme, Anthony, sorti d’une enfance malheureuse passée dans les foyers sociaux, maintenant patron d’une agence de tueurs à gages. Fier d’habiter dans le XVIe arrondissement de Paris, il porte toujours d’impeccables chemises blanches. Sa seule famille est constituée par un couple de chiens Saint-Hubert baptisés Papa et Maman. Anthony est un professionnel consciencieux, il ne propose que des crimes de qualité – Thérèse, avant son AVC était aussi patronne d’une agence, agence matrimoniale celle-là. C’était une faiseuse de couples. Quand son neveu veut la coller en EHPAD, elle n’est pas d’accord, elle aime trop la liberté, alors elle fugue – Alma est une sacrée gâchette, auparavant championne de biathlon, elle est devenue alcoolique après l’accident qui lui a bousillé une jambe. Le nouveau job que lui a proposé Anthony l’enchante, alors elle débute dans le métier en faisant du zèle et provoque le chaos.

Si la tonalité générale du roman est l’humour et la dérision, Pascale Dietrich, en bonne sociologue qu’elle est, ne manque pas de glisser dans son récit quelques remarques pertinentes sur la société :
– Les riches qui n’ont pas besoin d’armes à feu pour tenir à distance les indésirables et défendent leur entre-soi avec tact et diplomatie.
– Toutes les vies n’ont pas le même prix. Dans l’humanitaire, les blancs bénéficient d’une hospitalité généreuse alors que les noirs peuvent crever sur les bateaux pneumatiques dans la plus complète indifférence. De même, la vie des femmes vaut systématiquement moitié moins que celle des hommes.
– Les risques des réseaux sociaux sont évoqués : les commanditaires via les applications peuvent recruter des tueurs aussi facilement qu’ils commandent une pizza. Les récentes tueries des quartiers nord de Marseille provoquées par des adolescents en attestent.
– Les inconvénients de la sous-traitance sont aussi brillamment montrés.

L’agent est une comédie noire et humoristique. Malgré de nombreux morts, le roman reste joyeux et jubilatoire. Il y a aussi beaucoup d’humanité dans ces pages. L’œil acéré de l’autrice sociologue ne manque pas d’observer et mettre en lumière certaines dérives de la société.

Humour, fantaisie, chaleur humaine et critique sociale, on trouve tout cela dans cet excellent polar.

[1]EHPAD : Établissement d’Hébergement pour Personnes Âgées Dépendantes.
Ce sont des maisons de retraite médicalisées pour des personnes âgées qui ont besoin d’aide et de soins au quotidien.

Extrait :
– Tu as raison, admit Anthony, mais il est possible de s’appliquer des règles. Il y a toujours eu des meurtres et il y en aura toujours, alors autant que ce soient des gens compétents, avec des principes, qui s’en occupent. Mes talents tuent à dose homéopathique. En comparaison aux crimes des multinationales, c’est du pipi de chat. Si on s’associait, on pourrait faire aussi de bonnes actions, profitables à tous. Les fossoyeurs des Ehpad dont tu m’as parlé, qui monnayent la vie des vieux sans scrupule, on pourrait s’en charger, par exemple. La vie a un prix. Le credo de notre agence, ce serait qu’on ne peut pas la brader !

Niveau de satisfaction :
4.5 out of 5 stars (4,5 / 5)
Coup de cœur

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Tous les membres de ma famille ont déjà tué quelqu’un – Benjamin Stevenson

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2022 (Everyone in My Family Has Killed Someone)
Date de publication française :
2023 (Sonatine, 10/18)
Traduction (anglais Australie) :
Cindy Colin-Kapen
Genres : Enquête, thriller
Personnage principal :
Ernest Cunningham, narrateur

Le titre avait attiré mon attention : ça me semblait une famille originale. Et c’était d’autant plus intéressant que Stevenson se réclamait des commandements de Ronald Knox, règles que nous attribuons plutôt à Van Dine, et qui permettent de jouer fair-play avec le lecteur.

La famille comprend Audrey, la mère; Marcello, son second mari; Ernest et Michael, les fils d’Audrey et de Marcello; Sofia, leur demi-sœur; Erin, la femme d’Ernest; Katherine, la sœur de Marcello; son mari Andy; et Lucy, l’épouse de Michael. Katherine les a tous réunis au Sky Lodge Mountain Retreat  au sommet d’une montagne (la plus haute d’Australie)  où la tempête fait rage. Beaucoup de tension dans l’air parce que ces gens ne s’entendent pas très bien entre eux. Il faut fêter, toutefois, en tout cas selon Katherine, le retour de prison de Michael (trois ans), pour avoir tué un homme probablement en légitime défense, mais les circonstances ne sont pas claires. Ernest (Ernie pour les intimes, ou Ern pour les très intimes), qui est le narrateur de cette histoire dans laquelle il intervient continuellement pour commenter tel ou tel événement, se sent particulièrement stressé parce que c’est surtout lui, en tant que seul témoin, qui a témoigné contre son frère, défendu habilement en cour par Marcello.

Un peu avant l’arrivée de Michael, on découvre un cadavre dans la neige. Le policier Crawford tente de gérer la circulation. Les pistes sont déjà brouillées par la neige et les curieux. On passera une partie de l’histoire à se demander qui est cette victime et pourquoi on l’a tué. Le comment sera plus ou moins expliqué sans être très convaincant.

Michael arrive dans un gros camion avec Erin, l’ex d’Ernest qui réfléchit alors à deux problèmes : pourquoi avoir eu besoin d’un si gros camion ? Et Erin est-elle la maîtresse de Michael ? Pendant ce temps Crawford arrête Michael. Qui finira par disparaître. Et il semble qu’on tente de tuer Ernest. Puis, Lucy manque à l’appel.

Comme dans les grands classiques, Ernest réunira tout le monde pour déterminer l’identité du coupable et tenter d’expliquer le sens de cet embrouillamini.

Ça parle beaucoup dans ce roman et pourtant rien n’est moins clair. Les personnages ne sont pas si nombreux, mais pas très bien définis de sorte qu’on a du mal à les suivre. Les commentaires du narrateur ont peut-être pour but d’éclairer les choses, mais provoquent l’effet contraire en nous faisant perdre le fil. Et l’histoire, particulièrement les motifs et les moyens des meurtres, sont tellement invraisemblables !

Il me semble que l’auteur a voulu trop en faire.

Extrait :
Aucun auteur ne tirait les ficelles de ma marionnette, aucun don ne m’avait été accordé. Je n’aurais pas pu faire partie du Detection Club. Je me souviens avoir pensé que tout ce dont j’étais sûr, c’est que je passais à côté de quelque chose. Un détail minuscule. Car dans ces livres, il y a toujours un élément qui éclaire tout le reste, et il s’agit souvent d’un détail, d’un objet en apparence anodin. Il y avait quelque chose que je ne pouvais pas voir. Pas sans une bonne vieille loupe holmésienne, en tout cas. Ou une loupe de bijoutier.
Et, enfin, j’ai compris.
Dans ce genre de livres, le moment de la déduction est souvent illustré par une métaphore plus ou moins sophistiquée. Le détective est assis, plongé dans ses réflexions, et peut-être que le puzzle dans sa tête se met lentement en place, à moins que ce soit un feu d’artifice qui explose soudain, ou des dominos qui tombent l’un après l’autre : peut-être qu’il avance en trébuchant dans un couloir sombre et trouve enfin l’interrupteur.

Sky Lodge Mountain Retreat

Niveau de satisfaction :
3 out of 5 stars (3 / 5)

 

 

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Les deux visages du monde – David Joy

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2023 (Those We Thought We Knew)
Date de publication française : 2024 – Sonatine
Traduction (américain) :
Jean-Yves Cotté
Genre : roman noir
Personnages principaux :
John Coggins, shérif du comté de Jackson en Caroline du nord – Leah Green, inspectrice au bureau du shérif

Toya Gardner est une jeune artiste afro-américaine. Elle revient dans sa petite ville d’origine après quelques années passées à Atlanta. Toya ne supporte pas les signes de l’esclavagisme qui persistent dans la ville. Elle se livre à des actions d’éclat pour les dénoncer, ce qui fait réagir la population blanche. Le shérif John Coggins est furieux contre cette atteinte à l’ordre public qui ravive des tensions communautaires, mais comme c’est un ami d’enfance de la grand-mère de Toya, il préfère demander des explications à l’intéressée. La confrontation entre le shérif et la jeune femme ne se passe pas bien, chacun restant sur ses positions. Autre souci pour le shérif : un de ses adjoints a été tabassé et laissé pour mort par un groupe habillé de longues tuniques blanches et de capuches pointues masquant leurs visages. Quand, plus tard, un assassinat est commis, ça fait beaucoup de soucis et de travail pour le shérif et sa jeune adjointe, l’inspectrice Teah Green, qui est chargée de l’enquête sur l’homicide qui vient de se produire.

L’intrigue est bâtie sur deux axes : la résurgence du Ku Klux Klan et l’assassinat d’une jeune femme. Ce qui donne lieu à deux enquêtes séparées, l’une menée par le shérif, l’autre par la jeune adjointe.

Ces enquêtes sont aussi l’occasion pour l’auteur de décrire la Caroline du Nord à laquelle il est attaché. Il y a de nombreux tableaux sur la montagne, la végétation, le climat et les gens. Des gens qui ont leur secret, que l’on croirait connaître parce qu’on les a fréquentés longtemps, mais qui se révèlent finalement être des inconnus. Il y a aussi de beaux portraits pleins d’humanité, notamment ceux de femmes, comme la volcanique et lumineuse Tota, sa mère Dayna, sa grand-mère Vess et la tenace inspectrice Leah Green.

Ce livre n’est pourtant pas exempt de défauts. Beaucoup de longueurs, surtout dans une première partie qui tarde à décoller. La dénonciation du racisme et du suprémacisme c’est bien, mais souvent les explications prennent le pas sur l’action et un petit air bavard et pédagogique plombe le rythme. Les états d’âme, les sentiments, prennent souvent le pas sur les comportements et les actes, c’est bien dommage.

Ce nouveau roman de David Joy décrit une Amérique fracturée en proie à ses vieux démons. Il y a beaucoup de noirceur, mais aussi de la tendresse, de la nostalgie et de la poésie. Cependant le livre y gagnerait en réduisant son côté démonstratif.

Extrait :
Leah fut moins surprise par les notables impliqués que par tous les autres. Ashe et Pressley étaient tous deux corrompus jusqu’à la moelle et ce n’était pas vraiment un secret. Elle ne fut guère plus étonnée de découvrir que Nick Lovedahl était du nombre. Mais les autres étaient des hommes qu’elle connaissait depuis toujours, avec lesquels elle avait grandi et était allée à l’école, des types qu’elle n’aurait jamais soupçonnés.

Niveau de satisfaction :
4.1 out of 5 stars (4,1 / 5)

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Le Profileur – Yves D. Poirier

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2024 (Fides)
Genre : Enquête
Personnage principal :
Hubert Quentin, scénariste

C’est le deuxième roman de Poirier, qui met en scène le même personnage : Hubert Quentin, un scénariste qui se prend pour un profileur. Quelques autres le prennent aussi pour un profileur : on conseille à un jeune enquêteur, Patrick Lanctôt, de s’adresser à lui pour l’aider dans une enquête difficile : un tueur en série s’en prend à des femmes enceintes de 6 mois qu’il tue en même temps que le fœtus.

Les meurtres se multiplient. L’aide  de l’ex-policier Robert McGuiness et de la psychiatre Élisabeth Pelletier s’avère insuffisante. Les intuitions de Quentin les lancent sur plusieurs pistes mais ce sont des chemins qui ne mènent nulle part. Au contraire, les assassinats se poursuivent même dans l’entourage des policiers.

Et l’assassin qu’on finit par identifier meurt à son tour.

Le roman est un peu déconcertant. D’abord, Quentin (qui raconte l’histoire) est vraiment plus un scénariste qu’un profileur. Ses intuitions de profileur sont sans fondement et sans succès; et plusieurs chapitres sont consacrés à des réflexions sur le scénario que l’enquête lui inspire et à des références à des films ou des séries télévisées que lui rappelle la réalité. Sans parler des descriptions de ses relations avec les « femmes de sa vie » et des nombreux actes de mauvaise foi qui le caractérisent. On pourrait se demander s’il s’agit vraiment d’un roman policier ou d’un roman psychologique, qui se termine d’ailleurs à l’eau de rose.

Les personnages sont bien présentés, chapitre par chapitre, et le rebondissement final a fière allure, mais c’est une intrigue qui ne se compare pas avantageusement aux nombreuses histoires semblables écrites par de grands écrivains.

Extrait :
Même si je suis navré à l’idée que Fanny me fasse faux bond pour la première fois depuis des mois, j’essaie de me raisonner. Elle a aussi droit à son jardin secret. Et puis, on ne s’est rien promis. Peut-être que j’ai trop d’attentes ? Ne serais-je au fond qu’un ami, divertissant à ses heures, avec qui parler librement de ses états d’âme ? Notre différence d’âge aurait-elle fini par user son enthousiasme ? C’est reparti ! Sans m’en rendre compte, je scénarise encore une fois une tragédie. Ou peut-être serait-ce le début d’une période de paranoïa ? Il m’arrive de m’en faire quand je perds le contrôle de ceux qui m’entourent. Ce serait tellement plus simple si tout le monde m’obéissait comme les personnages de mes histoires.

L’Ange de la mort (amanite vireuse)

Niveau de satisfaction :
3 out of 5 stars (3 / 5)

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Hurlements – Alma Katsu

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2018
(The Hunger)
Date de publication française :
2024 – Sonatine
Traduction (américain) :
Nadège Dulot
Genres : Thriller, Horreur
Personnage principal :
Aucun – Nombreux personnages secondaires

En juin 1846 un convoi de caravanes, 87 personnes en tout, part de Springfield dans l’Illinois, direction la Californie jusqu’à Fort Sutter. Cette expédition participe à ce qu’on a ensuite appelé la fièvre de l’Ouest qui a vu les gens quitter leur domicile pour se ruer à l’ouest dans le but d’y faire fortune, ou du moins de trouver de meilleures conditions de vie. Un tel périple n’est pas sans dangers : nature sauvage, présence de tribus indiennes dont on ne connaît pas l’attitude, les vivres s’amenuisent, d’autres menaces aussi qu’ils vont découvrir. Les ennuis commencent quand un enfant disparaît la nuit. On ne retrouvera de lui qu’une grande tache de sang et des os parfaitement nettoyés. Peut-être l’œuvre des loups, bien que certains qui connaissent leurs habitudes en doutent. Au fil du voyage des rivalités et des dissensions apparaissent. Le trajet est long, pour le raccourcir, les pionniers décident de prendre le raccourci Hasting, beaucoup plus difficile que la piste normale, d’autant plus que l’hiver arrive et que les conditions deviennent plus difficiles. Et puis il y a cette sensation omniprésente d’être suivis et épiés.

L’autrice s’est inspirée de faits réels pour bâtir une intrigue basée sur l’expédition Donner, du nom d’un des chefs du convoi de 87 pionniers partis pour rejoindre la Californie. À l’arrivée ils n’étaient plus que 47. Presque la moitié a péri du froid, de la famine et des maladies. Dans la réécriture de cet évènement historique, Alma Katsu ajoute un danger beaucoup plus effrayant encore que les fléaux connus. La nature même de ce péril amène beaucoup de tension et d’angoisse. Le récit d’aventures tourne alors en thriller horrifique, mais sans tomber dans le gore. Ce qui n’empêche pas l’autrice de prendre le temps de décrire les luttes de pouvoir, les alliances, les détestations qui s’installent. Il y a même deux belles histoires d’amour.

Mêlant réalité historique et fiction, Alma Katsu a réalisé avec Hurlements un roman horrifique tout à fait réussi.

Extrait :
Tanau Mogop hocha la tête gravement.
«Na’it n’est jamais satisfait. Na’it veut tout. Tuer tout.
– Et vous dites que cette maladie est contagieuse ? Qu’elle peut être transmise d’une personne exhibant des symptômes à une personne en bonne santé ? »
L’anémie n’était pas contagieuse; cela signifiait qu’il s’agissait là d’une nouvelle maladie, d’un mal contagieux comme la rage. Une maladie qui affamait les hommes et les rendaient avides de viande crue. De chair humaine. Et elle faisait assez peur aux Indiens pour qu’ils tuent tous ceux qui présentaient des symptômes.
Na’it tue tout.

Niveau de satisfaction :
4.2 out of 5 stars (4,2 / 5)

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Susan – Hervé Gagnon

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2024 (Hugo Roman)
Genres : Enquête, historique, thriller
Personnage principal :
Joseph Laflamme, journaliste

C’est avec plaisir que j’ai retrouvé le journaliste Joseph Laflamme (qui travaille pour La Patrie), sa fiancée Mary, et sa sœur Emma, liée à l’ex-agent de Scotland Yard George McCreary. Et c’est aussi avec une bonne dose de nostalgie positive que, en tant que Montréalais, j’ai retrouvé le Montréal de 1895, l’ouverture du Château Ramezay, la construction de la Grande Loge, la lutte triomphante contre la scarlatine grâce aux soins dispensés par la Maison de désinfection et le Civic Contagious Hospital, à l’abri des interventions du clergé catholique qui, dix ans auparavant, avait interdit le vaccin contre la variole (3 000 victimes, contrairement aux 700 victimes de la scarlatine). Les Laflamme habitent sur la rue Delorimier au nord de la rue Dorchester, et on se promène de Saint-Henri au Faubourg à m’lasse.

J’insiste un peu sur ces références parce qu’il ne faut pas oublier que Gagnon est un historien et que c’est pour lui une louable préoccupation que de situer les aventures qu’il raconte dans un contexte historico-géographique. Dans ce roman, par exemple, la lutte entre l’Église catholique et les francs-maçons est au cœur du drame. Côté catholique, l’abbé Breton dont les prédications à l’église Saint-Henri-des-Tanneries stimulent les exaltés et les hystériques, Mgr Fabre responsable de l’archevêché de Montréal et son bras droit l’abbé Trépanier qui effectue le travail de terrain (d’autres diraient les jobs de bras !). De l’autre, les francs-maçons dont John Noyes, les athées Joseph et George, et un autre gars bien débrouillard dont je tairai le nom pour ne pas gâter l’effet de surprise.

Sur le chantier de la Grande Loge en construction (boulevard Dorchester), on découvre un premier cadavre, mutilé et agenouillé devant le petit autel où les francs-maçons prêtent serment. D’autres victimes se succèdent. Le bâtiment des francs-maçons est incendié. Pendant ce temps, quelqu’un asperge d’acide  les prostituées du Red Light. Les manifestations se multiplient, particulièrement contre La Patrie, et on s’en prend même personnellement à George et à Joseph. Le chef de police est enlevé et on lui sauve la vie de justesse.

La police et nos héros réagissent; on met la main sur le mutilateur des jeunes prostituées, deux des ravisseurs du chef de police se suicident. Ils appartenaient à la Ligue du labarum antimaçonnique. Cette ligue, catholique et ultranationaliste,  comprenait même quelques francs-maçons !? Considérablement affaiblie, elle cherchera probablement à se reconstituer dans l’avenir.

Malgré les meurtres affreux, l’ensemble reste plutôt léger, peut-être à cause des pitreries continuelles de Joseph et de l’amitié à toute épreuve qui lie les principaux personnages. La charge contre l’autoritarisme religieux et contre le nationalisme d’extrême-droite ne devrait pas indisposer le lecteur qui se rendra compte que, depuis 1895, les choses ont changé, mais qu’il est toujours prudent de demeurer vigilant.

Extrait :
Breton posa les deux mains sur la balustrade, balaya l’assistance du regard d’une façon théâtrale et se racla la gorge. Puis il laissa tomber sa tête sur sa poitrine et resta dans cette position assez longtemps pour qu’un murmure interdit parcoure l’assemblée. Il la releva enfin et sa voix fut comme un coup de feu dont l’écho se répercuta dans la nef.
─ Dieu a dit : Ne t’irrite pas contre les méchants, n’envie pas ceux qui font le mal. Car ils sont fauchés aussi vite que l’herbe, et ils se flétrissent comme le gazon vert ! lança-t-il d’une voix forte et vibrante.
─ Dieu soit loué ! s’écria une femme déjà au bord de l’hystérie.
Il laissa passer quelques secondes tandis que d’autres reprenaient le cri.
─ Mes frères, mes sœurs ! Dieu est bien présent dans notre ville et il y punit les pécheurs. Et nous savons tous que les plus grands pécheurs de Montréal sont les francs-maçons ! Aussi a-t-il tourné son ire contre eux et leurs pratiques contraires à la morale et à la nation, comme il le fit pour punir les mœurs dissolues de Sodome et de Gomorrhe !. Jeudi, vous appreniez l’assassinat de l’un d’entre eux, dans l’infâme temple en construction où la secte commettra bientôt ses sacrilèges. Et hier, un second de ces hérétiques a trouvé la mort au même endroit ! (…)
Oui, mes frères et mes sœurs, les francs-maçons sont enfin punis pour l’impudence avec laquelle ils aident depuis plus de cent trente ans le conquérant anglais à maintenir notre nation sous sa botte !

Temple maçonnique de Montréal

Niveau de satisfaction :
4 out of 5 stars (4 / 5)

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Les âmes féroces – Marie Vingtras

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2024 – Éditions de l’Olivier
Genre : Roman noir
Personnages principaux :
Lauren Hobler, shérif – Benjamin Chapman, Professeur – Emmy Ellis, jeune fille de 17 ans – Seth Jenkins, père de Léo, jeune fille tuée

À Mercy, petite ville calme des États-Unis de 3974 habitants, on vient de découvrir au milieu des iris sauvages le cadavre d’une adolescente de 17 ans. C’est le premier meurtre de cette ville depuis de nombreuses années. La shérif Lauren Hobler veut mener une enquête sérieuse, mais un de ses adjoints, impulsif et impatient, la prend de vitesse et arrête un professeur de français au passé sulfureux. Aucune preuve de la culpabilité du professeur n’est retenue contre lui, mais curieusement l’accusé avoue tout. Malgré le scepticisme de la shérif sur les talents d’enquêteur de son adjoint et la rapidité des aveux, le professeur est envoyé en prison. Mais l’histoire ne s’arrête pas là car Mercy, ville trop calme, cache bien des secrets.

Le roman est découpé en quatre parties correspondant aux saisons de l’année. Chaque saison a un narrateur différent. Le printemps donne la vision de la shérif Lauren Hobler. Pour l’été, c’est le point de vue de Benjamin Chapman, le professeur inculpé. L’automne est raconté par Emmy, amie de la victime. Et enfin l’hiver est le témoignage de Seth, le père de la victime. Alors que la première partie, le printemps, laissait entrevoir un polar d’enquête classique : un(e) shérif, une victime, restait à trouver un coupable, les trois autres parties nous amènent bien loin de ce schéma classique : nous entrons alors dans la psychologie des personnages et dans la sociologie d’une petite ville, finalement pas si calme qu’elle le paraît.

Quatre personnages, qui sont aussi les narrateurs, dominent cette histoire : – Lauren Hobler, est un shérif femme, ce n’est déjà pas banal, mais un shérif femme lesbienne l’est encore moins. Lauren n’est pas très féminine, elle ressemble à un homme et se comporte souvent comme un homme : elle n’hésite pas à envoyer son poing dans la figure de son adjoint quand celui-ci l’insulte. Cependant Lauren est tendre envers sa compagne et perspicace dans sa fonction – Benjamin Chapman est un professeur qui a une grande classe, ce qui attire un peu trop les jeunes filles. Cela lui a déjà causé beaucoup d’ennuis dans le passé, alors quand il est de nouveau accusé de la même chose, il sait qu’il sera déclaré coupable quoi qu’il ait fait ou pas fait. Il est désenchanté et fataliste – Emmy était l’amie inséparable de Leo qui est morte. C’est une jeune fille de 17 ans déjà bien mature, qui n’a pas froid aux yeux et qui possède aussi une bonne dose de perversité – Seth, le père de la victime, a connu le bonheur auprès d’une belle Italienne et de sa fille Leo. Maintenant, il les a perdues toutes deux : l’Italienne est partie et Leo est morte. De plus ses difficultés financières le relèguent dans la marginalité.

À travers ces quatre personnages, nous découvrons la vie pas vraiment idyllique dans une petite ville qui est située dans ce roman aux États-Unis, mais qui pourrait être dans n’importe quel pays occidental. Amours passionnés, amours passés, tromperies, hypocrisies, fausses amitiés, jalousies … Tout cela est observé d’un œil aiguisé et décrit avec beaucoup de finesse.

Les âmes féroces est un magnifique roman noir.

Extrait :
J’ai acheté un ticket et j’ai sorti Livia de la voiture de force, en lui fourrant le papier et une poignée de billets dans les mains. Tire-toi. Tire-toi d’ici. Elle m’a craché au visage, elle m’a dit que jamais elle ne partirait en laissant sa fille. Je lui ai saisi la tête à deux mains, j’ai collé mon front contre le sien. Sentir son odeur c’était comme recevoir un coup de poignard. Monte dans ce bus et si tu reviens pour chercher Leo, je jure que je te tuerai. C’est comme ça que ça s’est fait, qu’on a fait disparaître en un claquement de doigts toutes ces années de vie à deux en devenant ce que l’autre pouvait haïr le plus au monde. Quand je suis rentré, il ne restait plus que son maudit buffet qui me narguait et j’ai ressenti tellement de rage que j’ai sorti ma hache et j’ai commencé à attaquer le bois. Chaque coup faisait jaillir mes larmes. Leo est sortie de sa chambre à moitié endormie, elle m’a demandé pourquoi j’abîmais le meuble de sa mère et je me suis soudain senti vide et inutile. J’ai lâché ma hache, j’ai pris ma fille dans mes bras et je lui ai dit de ne pas s’inquiéter, qu’il ne lui arriverait jamais rien et que je veillerais toujours sur elle, jusqu’à ce que la mort nous sépare.

Niveau de satisfaction :
4.5 out of 5 stars (4,5 / 5)
Coup de cœur

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Meurtre d’un baron allemand – Les enquêtes de Miss Merkel – David Safier

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2021 (Miss Merkel, Mord in der Uckermark)
Date de publication française :
2023 (City Poche)
Traduction (allemand) :
Jocelyne Barsse
Genres : Enquête, humour
Personnage principal :
Angela Merkel, retraitée

Après avoir été chancelière fédérale d’Allemagne pendant plus de quinze ans, Angela Merkel jouit d’une retraite tranquille dans un petit village rural, Klein-Freudenstadt, avec son mari Achim, son garde du corps Mike et son chien Poutine. Hyperactive dans sa carrière politique, Angela se fatigue rapidement de la solitude et du silence. Prendre de longues marches dans la nature et cuisiner des gâteaux ne lui suffisent bientôt plus. Heureusement, elle découvre le cadavre de son voisin, le baron Von Baugenwitz, dans les oubliettes de son château.

Pour le commissaire de police, un incompétent notoire, il s’agit d’un suicide; Angela s’efforcera de démontrer que le baron a plutôt été assassiné. Son ancienne épouse, Katharina, habite au château et s’occupe de la gestion. Son épouse actuelle, Alexa, est portée sur l’alcool et aimerait bien tirer profit de la vente du château et des terres attenantes, contrairement au baron qui semble tenir à conserver le château et à y vivre.

Le motif du meurtre aurait-il à voir avec la jalousie d’une des deux épouses ? Ou avec l’idée de conserver le château ou de le vendre, ce qui ne déplairait pas seulement à Katharina mais aussi aux commerçants qui cultivent les terres pour ensuite vendre leurs produits ? Serait-ce plutôt lié à une question d’héritage ? On finit par s’entendre sur une suspecte … qui se fait tuer à son tour.

En poursuivant son enquête, Angela constate que le baron voletait aisément d’une jeune femme à une autre, suscitant ainsi rancune et haine autour de lui. Plus elle clarifie la situation autour du baron et plus sa vie devient menacée. Son garde du corps a fort à faire pour l’empêcher de sortir seule, même après qu’elle eût difficilement évité quelques flèches qui lui étaient destinées. Et  au moment où elle rassemble tout le monde pour résumer la situation et désigner l’assassin, Achim et Mike ne peuvent rien faire pour la protéger d’un ultime assaut, et elle devra son salut à une intervention totalement imprévue.

C’est le premier d’une série qui met en vedette Angela Merkel se prenant un peu pour Miss Marple, série qui devrait avoir du succès. Ça se lit tout seul, c’est léger, ce qui n’empêche pas l’intrigue de bien se tenir. Les personnages principaux sont caricaturaux mais la caricature est bienveillante. L’humour est souvent facile, mais ça n’empêche pas l’ensemble de demeurer sympathique.

Extrait :
Cours ! lui cria son instinct dont elle apprécia l’excellent conseil sans toutefois pouvoir l’appliquer. Tétanisée, elle fixait la flèche qui bourdonnait et frétillait encore dans le tronc d’arbre.
Cours ! cria à nouveau son instinct, plus fort cette fois. Plus facile à dire qu’à faire. Des jambes ne lui obéissaient pas, elle était comme paralysée.
Qu’est-ce que t’attends, idiote ? La deuxième flèche ? cria l’instinct. Sans remettre en cause le bien-fondé de ses interventions, Angela se dit qu’il n’avait pas à lui parler sur ce ton. Elle n’eut pas le temps de le réprimander. Une deuxième flèche passa si près d’elle que le courant d’air souleva ses cheveux. La pointe s’enfonça dans le même tronc d’arbre.
COURS ! hurla son instinct. Angela savait qu’elle devait enfin suivre son conseil. Le hic, c’était que la course à pied n’était pas vraiment son fort. C’était quand la dernière fois qu’elle avait piqué un sprint ? Ah oui, le jour de la chute du mur, quand Achim l’avait appelée : »Viens vite, tu ne devineras jamais ce que vient de dire le vieux Schabowski ! Tout le monde peut se rendre à l’Ouest ! »

Angela et Poutine

Niveau de satisfaction :
4 out of 5 stars (4 / 5)

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La proie et la meute – Simon François

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2024 – Éditions du Masque
Genre : Roman noir
Personnage principal :
Romain, marginal et homme à tout faire

Romain est un géant blond affecté d’un bec-de-lièvre. Sa taille et cette malformation en font une personne à part, sujette à des moqueries et des quolibets. La cicatrice entre sa lèvre et son nez lui a valu le surnom de Lapin. Il est un des rares à ne pas travailler à l’abattoir de poulets, seul employeur de ce petit village du centre de la France. Romain est en marge, il trace son sillon à l’écart du reste du monde. Depuis l’enfance il est amoureux de Solène, la maire du village, la seule qui a osé prendre sa défense. Le jour où Solène disparaît, mêlée à une sombre affaire d’enfouissement illégal de déchets toxiques, Romain se lance éperdument à sa recherche, il va alors provoquer le chaos dans le village. Certains en profiteront pour déverser sur lui leur rancœur et leur haine.

Le cadre de ce roman est un petit village triste qui ne survit économiquement que grâce à son usine à poulets. Au Village les gens vivent parce que les poulets meurent. L’Orée du bois est un bar-tabac, cœur du village, où les travailleurs se retrouvent pour discuter, refaire le monde, boire et entretenir une belle cirrhose. Les paysans du coin, quant à eux, sont de gros pollueurs accros aux subventions et partie prenante aux magouilles d’enfouissements illégaux de déchets.

Dans ce contexte, Romain fait figure d’extra-terrestre : il est libre, il vit dans la forêt, il s’est construit des cabanes dans les arbres. Il ne travaille pas vraiment, il n’a jamais eu de fiche de paye ou de patron, il aide : on l’appelle, il vient. Les tâches sont variées : couper du bois, jardiner, maçonner, conduire toutes sortes de machines. Il est polyvalent, très doué de ses mains. Romain n’a qu’un seul ami : Antoine, garde-chasse et ancien médecin, il a vu sa famille disparaître dans un incendie dans lequel il a survécu à regret, la mort n’a pas voulu de lui dit-il. Et bien sûr, il y a Solène dont il devance chacun de ses désirs. Mais si Romain est en général une bonne pâte, à certains moments critiques il peut se muer en individu violent et agressif, surtout quand Solène est menacée.

À travers le personnage de Romain et de ce que les autres lui font subir, l’auteur montre l’étroitesse d’esprit, le rejet de la différence, l’appât du gain, le besoin de trouver un bouc émissaire, la bêtise et la haine finalement. Il le fait avec une écriture tonique, avec des phrases choc qui font mouche. Il y a dans le style de Simon François une lucidité impitoyable pleine de sarcasmes et une ironie assez jubilatoires.

La proie et la meute est un roman noir magistral.

Extrait :
Romain débarque dans le bateau ivre en pleine fiesta. Les employés de l’usine à poulets ont la mine rubiconde, un vrai champ de pivoines. Ça pue la bière, l’anis, le Pernod et le vieux rouge en cubi. Un groupe de Portugais joue aux fléchettes en parlant fort au fond de la salle. Les Portugais et les Yougoslaves sont bien vus au Village malgré le racisme endémique, parce qu’ils sont presque tous chrétiens, mangent du porc et font les boulots merdiques que plus personne ne veut faire. Plus personne à part les Africains, bien sûr. C’est le propre de la misère, toujours chercher plus bas que soi sur l’échelle. Peu importe où on se trouve, il y a toujours un bougre un peu plus pauvre, un malheureux qu’on peut haïr tranquille, pour se rassurer, se dire qu’on n’est pas si mal tout compte fait, y a pire. Les Africains, il y en a peu à l’usine. Ce sont de bons travailleurs, mais ils ne boivent pas toujours, et puis certains sont musulmans, les gens se méfient, par ignorance plus que par méchanceté.

Bande-annonce de La proie et la meute

Niveau de satisfaction :
4.5 out of 5 stars (4,5 / 5)
Coup de cœur

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Ce n’est qu’un début, commissaire Soneri – Valerio Varesi

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2009
(È solo l’inizio)
Date de publication française :
2023 (Éditions Agullo ) – 2024 (Éditions Points)
Traduction (italien) :
Florence Rigollet
Genres : Enquête, noir
Personnage principal :
Commissaire Soneri

J’ai peut-être été injuste avec les deux premiers Varesi que j’ai lus : j’ai inconsciemment évalué le commissaire Soneri en fonction de mon idée du policier, ou du détective, idéal. Or, on ne peut pas reprocher à Maigret de ne pas être James Bond ! Ce qui me semble important pour l’auteur, c’est la ville de Parme, ses atmosphères brumeuses, la pluie presque continue, ses habitants fuyants. Et, plus particulièrement dans celui-ci, la dimension sociale et politique de l’Italie en ce début du XXIe siècle.

Sombre hiver : Parme est inondée de pluie. Un jeune homme semble s’être pendu dans un hôtel abandonné : il est vêtu avec élégance, une valise luxueuse à ses côtés, mais n’a aucun papier d’identité. Puis, un ex-leader du mouvement Soixante-huit parmesan, Elmo Boselli, est assassiné, tailladé de  plusieurs coups de couteau. Soneri traversera souvent les Apennins jusqu’à Cinque Terre pour retrouver des personnes qui connaîtraient le supposé suicidé. Son équipe remontera dans le temps jusque dans les années 60 pour connaître et comprendre le destin des leaders des mouvements étudiants et ouvriers des années 60-70 qui, espérant créer une société plus égalitaire, ont fini par paver le chemin à la droite.

On voit bien que les humeurs de Soneri, déjà assombries par la mort de son enfant mort-né et de sa femme Ada, ne sont pas seulement dues au climat de Parme et aux déboires des enquêtes qu’il mène. Le climat politique (une extrême-droite en plein essor) contribue profondément à sa morosité. Ses repas et ses nuits avec Angela ne le délivrent pas de « ce sentiment de totale inutilité dont il était malheureusement devenu coutumier ».

Ses couraillages sans succès finissent par nous épuiser; le nombre d’individus interrogés et réinterrogés est aussi assez décourageant. L’analyse sociopolitique des 50 dernières années en Italie ne manque pas d’intérêt. Mais on risque  de perdre le fil de l’enquête. Et il est sans doute plus facile pour les habitants de Parme de sympathiser avec un commissaire qui reflète peut-être assez bien leur état d’âme.

Extrait :
Soneri n’avait jamais vu un enterrement aussi lugubre (…)
Franca Pezzani se mit en tête du petit cortège au moment de quitter la chapelle du cimetière. À ses côtés, Gabo et Lalo, puis le reste de l’assistance (…)
Soneri compta les présents et n’alla pas au-delà de trente. Il se demanda une fois encore ce qu’étaient devenus tous ceux qui remplissaient les places. Et une fois encore, un abattement profond l’entraîna loin de sa fonction de policier. La mort, comme seule réponse  aux illusions dans lesquelles chacun se débat pour se maintenir en vie, se manifestait à présent dans le trou noir où l’on introduisait une caisse avec Elmo à l’intérieur. Puis, un rituel le bouleversa : les quelques camarades présents posant sur le cercueil en bois les livres qui les avaient accompagnés : Kerouac, Pavese, Marcuse, Hesse, Camus, Sartre, Ferlinghetti, Ginsberg, Adorno, Benjamin, Gramsci, Korsch, Lukács… et Lalo murmurant que la guitare dormait entre les bras d’Elmo , cordes tendues sous des doigts qui ne bougeraient plus.

Rivière Parma

Niveau de satisfaction :
3.9 out of 5 stars (3,9 / 5)

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