Le Prince de Cochinchine – Jean-François Parot (1946-2018)

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2017
(JC Lattès)
Genres :
Aventures, enquête, historique
Personnage principal :
Nicolas Le Floch, commissaire au Châtelet

C’est toujours un plaisir de s’immerger dans un roman de Jean-François Parot. Écrivain, diplomate et historien, Parot est d’abord un homme cultivé qui connaît comme sa poche le Paris du XVIIIe siècle où se situent les aventures du commissaire au Châtelet, Nicolas Le Floch. Même si chaque roman a son autonomie propre, on retrouve de l’un à l’autre plusieurs de ses personnages principaux et on assiste à la maturation de Nicolas, de sa jeunesse à la naissance de son fils et jusqu’à la naissance de son petit-fils. Le Prince de Cochinchine est le dernier roman publié (le quatorzième), même si Parot avait prévu d’en écrire quelques autres, traverser au moins la Révolution, projet malheureusement interrompu par sa mort le 23 mai 2018.

Sur ses terres à Ranreuil, en Bretagne, Nicolas se réjouit de la naissance de son premier petit-fils. Interrompant les plaisirs de la famille, un tireur embusqué fait feu sur Nicolas.  Puis, le commissaire est rappelé sur le champ à Paris. En chemin, on tente encore de l’assassiner. Sauvé par son chevaucheur qui était venu le chercher à Ranreuil, Nicolas arrive à Paris et ne parvient pas à savoir qui l’a fait demander. C’est le moindre des mystères. Qui lui a tiré dessus ? Qui l’attendait dans les bois ? Qui l’a mandé à Paris ? Qui est vraiment le chevaucheur Gilles Cholet, alias Maradon ?

Se posant toutes ces questions, Nicolas retrouve un vieil ami d’enfance, l’évêque d’Adran, Pigneau de Behaine, venu négocier une alliance entre la France et la Cochinchine, à laquelle s’opposent les Hollandais, les Anglais, les adversaires cochinchinois qui refusent que le jeune prince Cahn hérite du royaume d’Annam et, sans doute, d’autres ennemis difficiles à identifier. Les rebondissements se succèdent, Nicolas ne sait plus où donner de la tête, Noblecourt en perd son latin, l’inspecteur Bourdeau s’agite mais ne progresse pas vraiment dans l’élucidation de ces mystères.

Heureusement pour nous, Nicolas fait souvent le point, même si c’est pour constater qu’il n’est pas très avancé. Pourtant, il est soutenu, outre par l’inspecteur Bourdeau, son vieil ami, par Aimée d’Arranet sa jeune maîtresse, sa cuisinière Catherine, sa gouvernante Marion, son majordome Tribord, le procureur  à la retraite Noblecourt et l’énigmatique Sartine, ancien lieutenant général de la police, personnages récurrents d’un roman à l’autre, qu’on a du plaisir à retrouver. Grâce à de belles amitiés, de grandes ruses et un effort collectif, on finira sans doute par éclairer la situation et neutraliser les forces du mal.

Beaucoup d’action comme dans les romans de Dumas et de Théophile Gauthier ou les films du jeune Jean Marais, et joyeux dénouement. Mais, pour plusieurs lecteurs, le plaisir vient surtout d’ailleurs : l’écriture elle-même empruntée à celle du grand siècle, l’atmosphère de Paris au XVIIIe siècle, les allusions à Rousseau et à Voltaire, aux opéras de Grétry, à la vie intime des Grands de la Cour, au rôle d’informateur de Restif de la Bretonne, aux plaisirs de la table très prisés à cette époque qui va inspirer Grimod de la Reynière et Brillat-Savarin, et enfin à la dimension politique de l’histoire. Ce qui est particulièrement remarquable, c’est que Parot réussit à décrire l’ambiance effrayante et inéluctable où se prépare la poussée révolutionnaire de 1789 : l’insouciance des nobles et des riches bourgeois, la misère et la colère des ouvriers, des paysans et des moins que rien, cette déchirure sociale se retrouvant dans la conscience éclatée de Le Floch lui-même, fidèle à la royauté même s’il trouve le roi plutôt mou, mais sensible à l’injustice et à la pauvreté. Difficile de prévoir comment il aurait réagi à la Révolution.

Bref, c’est encore un grand roman dont on a l’impression de ressortir meilleur.

Extrait :
Le 27 décembre, Nicolas faisait à Lorient ses adieux à Pigneau de Behaine avec le sentiment que ce départ était définitif. L’évêque allait poursuivre sa carrière d’homme d’État environné des périls d’une cour orientale. Il avait demandé à Nicolas de l’accompagner en Cochinchine. La tentation de céder à cette proposition l’avait un instant effleuré, mais trop de liens, d’attachements et de fidélités le retenaient au moment où tant de menaces se profilaient en France. Les deux hommes s’embrassèrent, émus de sentir que sans doute ils ne se reverraient plus. Le petit prince le salua avec cérémonie puis, oubliant l’étiquette, ui sauta au cou. Une longue croisière commençait avec pour destination Pondichéry, comptoir français d’où s’organiserait l’aide militaire destinée à Nguyen Anh.
Au loin, le canon du fort de Port-Louis tirait pour répondre au salut du vaisseau qui s’éloignait. Nicolas s’efforçait d’emplir sa poitrine de l’air violent de l’océan pour en chasser le poids d’angoisse et de tristesse qui l’oppressait. Il demeura longtemps immobile, fixant au loin la silhouette qui diminuait comme un rêve qui s’efface. Au nord-ouest, de sombres nuages couleur d’ardoise montaient peu à peu. Des bourrasques de vent effrangeaient par à-coups la surface des flots. Il éprouva à nouveau de funestes pressentiments. Qu’auguraient ces mouvements de la nature pour ce vieux royaume fatigué ? Qu’adviendrait-il de lui et des siens dans la tourmente qui montait ?

Château de Ranrouët, alias Ranreuil

Niveau de satisfaction :
5 out of 5 stars (5 / 5)
Coup de cœur

 

 

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