La serpe rouge – Nan Aurousseau & Jean-François Miniac

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2021 –
Moissons noires
Genres :
Enquête, historique
Personnage principal :
Henri Girard alias Georges Arnaud, écrivain

La serpe rouge revient sur le triple meurtre du château d’Escoire. Trois personnes ont trouvé la mort, tuées à coups de serpe, le 24 octobre 1941 dans le château de ce village de Dordogne : Georges et Amélie Girard (frère et sœur) et leur bonne Louise Soudeix. Une autre personne était présente dans le château : Henri Girard, le fils de Georges. C’est lui qui découvre les corps et donne l’alerte. Son comportement calme et détaché et le fait qu’il soit le seul survivant et héritier font de lui le principal accusé. L’instruction sera totalement à charge. Il passera dix-neuf mois en prison en attendant son procès dont l’issue ne fait aucun doute : il sera condamné, peut-être à mort, pour parricide et meurtres. Mais c’était sans compter sur l’intervention de Maurice Garçon, un ténor du barreau parisien et ami du défunt Georges Girard, qui a accepté de défendre un homme que tout accuse. Coup le théâtre au procès : les jurés acquittent l’inculpé en à peine dix minutes. Henri Girard libre sera connu plus tard sous son pseudonyme d’écrivain : Georges Arnaud. Il deviendra célèbre avec son roman Le salaire de la peur, adapté au cinéma par Henri-Georges Clouzot. Le film éponyme obtiendra l’équivalent de la palme d’or au Festival de Cannes en 1953. Bien que reconnu non coupable devant la justice, un doute persistera sur l’innocence d’Henri Girard/Georges Arnaud, d’autant plus que personne ne sera inculpé pour ces meurtres.

D’après leurs écrits, les auteurs avaient l’intention, depuis longtemps, d’écrire un livre sur un fait divers, mais ils n’en trouvaient aucun qui vaille la peine. Avec cette affaire ils ont été servis.

Avant d’attaquer l’histoire du triple meurtre, les auteurs posent le contexte de l’époque : l’occupation allemande et la collaboration, avec une longue digression sur la ligne Maginot. On commence à rentrer dans l’affaire elle-même par les circonstances de la mort de la mère d’Henri qui avait alors neuf ans. Cette femme, intelligente et cultivée, était issue d’une famille modeste, ce qu’il lui valut l’hostilité de sa belle-famille riche à millions. Et quand elle fut atteinte de tuberculose, les parents de son mari n’ont pas voulu payer le traitement qui aurait pu la guérir. Elle est morte seule dans un sanatorium des Alpes. Son mari, Georges, le père d’Henri, a laissé faire par lâcheté. Pour les auteurs, la mort de cette façon d’une mère auquel il était très attaché explique le futur comportement du jeune Henri Girard. Ils y reviennent plusieurs fois. Ensuite les auteurs examinent en détail ce que l’on sait de cette histoire, formulent les hypothèses possibles (au nombre de quatre, selon eux) pour arriver enfin à leur propre conclusion.

C’est à ce moment-là que j’ai commencé à être agacé par le tour que prenait cette enquête. D’abord par les nombreuses redites et redondances : où l’on explique un évènement au début, on y revient plus loin sans rien apporter de nouveau. Il y a aussi beaucoup d’allers-retours dans le temps, un peu comme quelqu’un qui aurait oublié de dire quelque chose à un moment donné et qui y revient beaucoup plus tard. Un petit reproche donc sur la construction chaotique du récit. Il y en a d’autres, l’incohérence par exemple, parfois flagrante, genre : « Il n’y a pas mille hypothèses, il n’y en a que quatre » (les quatre hypothèses sont déclinées) pour finalement conclure : « aucune de ces quatre hypothèses n’est la bonne. » Ah bon ! Alors c’est qu’il y en a au moins une cinquième : celle proposée par les auteurs. Et même une sixième : celle mise en avant par l’avocat Maurice Garçon, reprise par Philippe Jaenada dans son livre La serpe : la possibilité qu’un familier du château se soit introduit subrepticement dans la demeure.

Mais ce qui m’a vraiment fait le plus tiquer c’est la solution proposée. Je pensais qu’il s’agissait là d’une enquête rigoureuse, s’appuyant sur des faits et sur une documentation sérieuse, qui nous amènerait des éléments nouveaux nous permettant de reconsidérer l’affaire. Alors quelle a été ma surprise de constater la façon dont on arrive à la solution :
« Un crime de somnambule, voilà ce que je vois, moi. » Voilà, il a vu, lui ! Dans quoi ? Le marc de café, les astres ? Sûrement pas dans les documents d’archives. Dans son imagination assurément. C’est de la voyance, pas du travail d’enquêteur. Il aurait pu aussi bien voir tout autre chose, car rien n’étaye cette vision, rien de concret en tout cas. Par contre tous les arguments pour en arriver à ce résultat étonnant sont du domaine de l’irrationnel : – un tueur au troisième œil – le syndrome d’Elpénon (ou ivresse du sommeil) – la nouvelle lune ! On peut douter qu’une telle conclusion soit le résultat d’une analyse approfondie du dossier d’instruction, du journal de Georges Girard et la plaidoirie de Maurice Garçon, comme l’affirment les auteurs.

Il y a tout même quelques éléments intéressants dans ce livre, notamment l’explication de la délibération éclair, dix minutes, qui a abouti à l’acquittement d’Henri Girard. Maître Garçon était un grand avocat, mais il ne s’embarrassait pas de scrupules pour mettre toutes les chances de son côté :  il a manipulé sans vergogne le magistrat Henri Hurleaux qui présida le procès aux assises, lui faisant miroiter un retour en grâce et une affectation à Paris.

Contrairement à ce que j’espérais au départ rien de nouveau n’est apporté à ce dossier par cet ouvrage. Il me semble que les auteurs ont simplement voulu proposer une solution alternative à celle mise en avant par Philippe Jaenada dans son livre La serpe. Cette option me semble davantage basée sur une intuition que sur des recherches sérieuses. Le rapprochement entre ces deux livres est inévitable : même sujet et presque même titre. En quatrième de couverture un bandeau rouge affirme : « Le triple meurtre d’Escoire … s’éclaire enfin. » Ce livre n’éclaire rien du tout. Bien au contraire, il y ajoute une dose supplémentaire de mystère. Les auteurs croient en la culpabilité d’Henri Girard, mais un Henri Girard qui ne serait pas vraiment lui-même.

La serpe rouge me semble être le fruit de l’imagination plutôt que l’aboutissement de longues recherches dans les documents d’archives. Pourquoi pas ? Mais alors, pourquoi affirmer que le livre est le résultat d’une enquête basée sur la plaidoirie de Maurice Garçon, la découverte du journal de Georges Girard et l’analyse du volumineux dossier d’instruction ?

Extrait :
Adoptons ce point de vue syndromique pour l’affaire d’Escoire. Au soir, Henri Girard se lève, les yeux révulsés ou fermés, descend au rez-de-chaussée dans le noir, tue tout le monde et effectue toutes les opérations : l’effacement des empreintes, la transformation de la scène de crime, le changement d’habits. Il enlève ses vêtements souillés, les dispose dans un baluchon, sort dans la nuit, fait disparaître les vêtements, se lave des pieds à la tête, revient au château, entre par la porte du couloir et monte se coucher. Pendant tout ce temps-là, il n’a pas été conscient et donc, quand il se réveille au matin, il ne se souvient de rien, il ne se souvient pas avoir fermé la porte de communication au bout du couloir et finit par découvrir la scène criminelle. De là, pourrait découler son attitude étrange, il est alors entre deux eaux, entre deux états et ne sait pas quelle attitude est la bonne. Doit-il feindre l’extrême douleur qui ne l’étreint pas puisqu’il a réglé son compte aux Grattet-Duplessis sans savoir que c’est lui !? Doit-il au contraire montrer un sang-froid et un détachement choquants pour les autres puisque c’est ce qu’il ressent devant toute cette horreur ? Il ne sait pas, alors il boit, il joue Chopin au piano comme en rêve encore, il offre des cigarettes, comme quelqu’un qui ne sait plus où il habite, comme quelqu’un qui ne sait plus ce qu’il dit, il parlera d’un « beau travail » qui aurait été fait là à l’un des témoins présents sur le lieu du drame ce matin-là. Expression révélant un ahurissant détachement envers ses plus proches.

Dessin de Jean-François Miniac

Niveau de satisfaction :
3 out of 5 stars (3 / 5)

 

 

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