Les Enfants de Godmann – Maureen Martineau

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2022 (VLB)
Genre :
Enquête
Personnage principal :
Judith Allison, sergente-détective

Depuis 2013, j’ai toujours lu avec plaisir les romans de Maureen Martineau : des textes engagés, bien écrits (notamment les dialogues), des intrigues aux ramifications complexes. Cette fois-ci, j’ai été moins séduit.

Février 2020, Hôpital de Hull : grève du zèle des employés, particulièrement les infirmières, à cause de conditions de travail pénibles, ce qui ne s’améliorera pas avec la covid. Un patient âgé, le docteur Godmann, est retrouvé mort et privé de ses testicules. Qui a pu entrer dans sa chambre, provoquer sa mort par overdose d’insuline et le castrer ? Le coupable est-il quelqu’un du personnel ? C’est l’hypothèse de Laurie, une collègue de Judith Allison, sergente-détective chargée de l’enquête ? Ce psychiatre avait été responsable d’un Centre important en Alberta, la Provincial Training School, de même que la Linden House, le Deerhome et le Green House, institutions vouées à la tentative de réinsérer dans la société différents types de déficients, qu’on croit réhabilitables depuis les études d’Alfred Binet dans les années 50. Elizabeth Blair, directrice d’Alberta for all et qui tente de réaliser un documentaire impitoyable sur les méthodes peu scrupuleuses utilisées par les responsables de ces Centres, particulièrement du docteur Godmann, qui ont transformé «ce qui devait être un lieu d’éducation en un véritable camp de travaux forcés». Ce qui implique la stérilisation à outrance de tous ceux qui ne doivent pas se reproduire, selon l’eugénisme triomphant de cette époque (jusqu’en 1972), ce qui signifie les déficients mentaux, les schizophrènes, les trisomiques, les attardés, les Autochtones, les Métis et même, dans certains cas, des Canadiens-français. Il faut garantir la pureté de la race albertaine ! Or, Judith apprend qu’Elizabeth et trois des anciens patients de Godmann lui ont rendu visite le jour de sa mort. D’où son hypothèse que le docteur a peut-être été tué par des gens de l’extérieur de l’Hôpital, liés au passé de la pratique du docteur.

Judith va enquêter en Alberta, précisément à Red Deer, alors que Laurie enquête à Hull. Le lecteur suit surtout les aventures et les problèmes personnels de Judith. Les chapitres qui racontent cette enquête alternent avec les chapitres qui décrivent ce qui se passait à Red Deer en 1962. On apprend donc à connaître les principaux personnages à plus de 50 ans de distance. À force d’entrevues et de beaux hasards, on finit par comprendre ce qui est arrivé au docteur Godmann.

Pour qu’un roman d’enquête ne nous lasse pas par ses répétitions, il faut que quelques conditions soient remplies. Si le détective (ou la policière) est attachant, ça va aider. Ce n’est pas le cas ici où Judith n’attire vraiment pas la sympathie du lecteur : elle ne brille pas, sinon par ses sautes d’humeur, ses envies, ses rancunes. Aussi, le problème à élucider doit s’entourer d’une aura mystérieuse; ce n’est pas vraiment le cas ici où, à part de se demander où sont passées les couilles du docteur, les motifs de son agression sont, en bonne partie, assez clairs. Parfois, on peut être séduit par la description du contexte dans lequel le drame s’est déroulé; dans ce cas-ci, c’est certain que la recherche sur le traitement des malades mentaux, leur réclusion, leur castration, et le creuset ahurissant dans lequel on faisait entrer des candidats très différents avec la bénédiction des autorités, ce qui n’est pas sans rappeler le sort des enfants victimes de pédophilie par des serviteurs de l’Église, correspond à un travail scrupuleux très satisfaisant. Description et dénonciation, tout à l’honneur de l’écrivaine. Mais, contrairement à l’équilibre habituellement respecté dans ses ouvrages précédents, ici l’aspect historique et sociologique est beaucoup plus mis de l’avant que le déroulement de l’intrigue. Tout ça ne manque pas d’intérêt mais l’amateur de roman policier n’est pas gâté.

Extrait :
Votée en 1928, la Loi sur la stérilisation sexuelle n’a été abrogée qu’en 1972. Cette loi visait à limiter la fécondité des aliénés, des prostituées, des criminels, des Autochtones, des nouveaux arrivants et autres pauvres en tout genre, dont des familles canadiennes-françaises. Au début du XXe siècle, dans les années de forte immigration, l’Alberta tenait à préserver la pureté raciale de la province, tout en évitant les coûts sociaux générés par la prise en charge des faibles d’esprit. Durant ces quarante-quatre ans, ce sont près de trois mille personnes qui ont subi, souvent contre leur volonté, des vasectomies, des ligatures de trompes et des hystérectomies.

Hôpital de Hull

Niveau de satisfaction :
3.5 out of 5 stars (3,5 / 5)

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